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Des effets pervers de l’effondrement des religions traditionnelles en Europe

Posté le 22 décembre 2021 Par ABA Publié dans Modernité/Postmodernité Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle

Les incroyants se sont réjouis ces derniers mois de la publication pour le grand public des chiffres relatifs aux pratiques religieuses et aux croyances en Europe. Il s’agit principalement de la version 2018 de l’enquête sur les valeurs European Values Survey (EVS), réalisée tous les dix ans environ. Sa crédibilité est la plus certaine (pour la France, 1780 sondés, plus un échantillon de 721 jeunes âgés de 18 à 29 ans). Malheureusement, pour des raisons que j’ignore, la Belgique n’a pas été traitée en 2018. On dispose en revanche des chiffres pour la France, dont la situation ne peut être très différente de celle de la Belgique, mais bien sûr pas forcément identique. On dispose en plus, dans ce cas, d’un ouvrage de synthèse, rédigé par deux des plus éminents sociologues français des religions, Philippe Portier et Jean-Paul Willaime, qui se sont succédé de 2002 à 2018 comme directeur d’études à l’École Pratique des des Hautes Études[1].

La décatholicisation

Des chiffres publiés, on a surtout retenu, non sans raison, qu’en 2018, la France compte 21 % d’athées et 37 % de sans religion, soit une majorité (58%) de non-croyants. En 2008, on était dans une situation d’équilibre (50/50) et en une décennie, athées et sans religion ont accru leurs chiffres de 4%.

Le phénomène n’est donc pas intrinsèquement nouveau, même si le passage à une majorité de non-croyants a effectivement une valeur symbolique. C’est la comparaison avec 1981, à une époque où on ne compte que 27% de non-croyants, qui est spectaculaire. De plus, si on prend les chiffres des 18-29 ans, on obtient 28 % d’athées et 39 % de sans religion et donc un maximum de 33% de croyants. Comme il faut compter 13 % de musulmans, les catholiques, protestants, juifs, bouddhistes, etc. ne peuvent plus se partager que 20 % de la population jeune.

Trois conclusions semblent s’imposer : la France est décatholicisée, la non-croyance (athées et sans religion) est devenue dominante et l’islam est occupé à prendre une place importante, rivalisant avec le catholicisme chez les jeunes.

Désillusions

Pour l’athée que je suis, tout ou presque semble positif. Je crains pourtant qu’un tel bilan ne soit qu’une illusion. Tous les chiffres que je viens de citer reposent sur une déclaration d’appartenance à une catégorie, ce qui est beaucoup trop simple.

Examinons plus finement les croyances précises pour comprendre ce qu’il en est.

La croyance en une vie après la mort, qui était stable depuis plusieurs décennies autour du tiers des sondés, passe maintenant à 41 %. Celle en l’existence du paradis passe de 26 % en 1981 à 35% et celle en l’existence de l’enfer (pourtant mise sous le boisseau par l’Église depuis plusieurs décennies) de 15 à 26 %. Quant à la réincarnation, qui ne doit rien au christianisme, ses partisans passent de 22 à 26%.

Et ici aussi, le virage pris par les jeunes va dans le même sens et est encore plus marqué. Pour les 18-29 ans, la croyance en une vie après la mort passe de 30 à 47 %, la croyance au paradis de 18 à 38 %, celle à l’enfer de 11 à 32% et celle en la réincarnation de 19 à 33%. Dans ce groupe d’âge, il faut évidemment tenir compte d’une plus forte proportion de musulmans mais celle-ci ne peut tout expliquer.

Pour un rationaliste, la situation actuelle est au moins ambiguë et celle qui s’annonce nous promet un recul vers le monde d’autrefois, d’il y a bien longtemps, celui de la superstition et de la crétinerie. Laissons le questionnement sur le rôle et le fonctionnement actuels de l’enseignement, spécialement secondaire.

Lors des États Généraux de l’athéisme en octobre 2013, j’avais exposé mes raisons de créer une association d’athée[2]. Il ne s’agissait pas, selon moi, de craindre une remontée du catholicisme mais bien de considérer que le groupe des « sans appartenance religieuse » (32,6% des Belges selon le sondage EVS de 2009) créait plus qu’une incertitude. Il laissait poindre un risque de dérives irrationnelles dont j’avais fait de Frédéric Lenoir le porte-drapeau le plus significatif, le plus dangereux et le plus répandu. On peut voir maintenant que je n’étais nullement pessimiste. Le risque s’est concrétisé et est devenu majeur. L’Ouest européen lui-même, qui semblait jusqu’il y a quelques décennies la partie du monde la plus immunisée contre l’irrationnel, a pratiquement cédé et se prépare à une incroyable régression dont bien évidemment les musulmans ne nous aideront pas à nous sauver (mais ils ne sont pas la source du problème).

Un paysage religieux modifié

On peut aussi éclairer le problème d’une autre manière ou l’aborder sous un autre angle, ce qu’envisagent Ph. Portier et J.-P. Willaime, que je rejoins facilement sur ce point. On peut effectivement voir deux blocs, mais différemment, de l’opposition classique.

Dans le premier, on peut mettre ceux qui ont des convictions affirmées, chacune classiques de leur côté mais dont l’ancienne opposition semble bien moins farouche que par le passé ; et dans l’autre, le groupe dangereux des sans religion, au sein duquel se recrute largement les tenants des thèses irrationnelles.

Dans le premier, on met les athées convaincus et les catholiques, qu’ils soient rationalistes ou théologiquement traditionnels, ce qui fait 63 %, contre 82 % en 1981 et donc 37 % du groupe incertain des sans religion. Reste le cas des catholiques non pratiquants, qui ne sont sans doute pas si éloignés des sans religion. Si on les agglomère avec les sans religion, on aboutit à un bloc de 56%, qui peut être une majorité. Il n’est pas impossible de voir ainsi une forme de proximité entre les deux groupes historiquement les plus antagonistes, que sont les athées et les croyants traditionnels.

Étrangement, ce clivage nouveau correspond à celui qu’établit Frédéric Lenoir, qui range en deux camps opposés ses amis et ses ennemis. Ces derniers sont à ses yeux les croyants comme autrefois et les athées, qu’il appelle toujours dogmatiques, c’est-à-dire les athées convaincus de Portier et Willaime (sans doute repris de l’étude EVS). Les deux sociologues français en imaginent une possibilité de voir les athées reconsidérer la présence des religions dans l’espace public. Cela me semble par contre une illusion : les croyants traditionnels sont un groupe qui se réduit comme une peau de chagrin. Ce sont bien les athées qui vont se retrouver seuls pour mener la lutte contre un irrationnel primaire comme jamais.

Les « nones »

La question des sans religion est donc cruciale. On peut l’examiner plus avant sur la base d’un ouvrage plus récent encore que celui de Portier et Willaime, celui de Guillaume Cuchet, un historien de l’Université de Paris-Est Créteil[3].

Celui-ci consacre un chapitre à la question sous le titre explicite « Spirituels mais pas religieux. La montée des sans religion (“nones”) » (pp. 79-96). G. Cuchet, attitude particulièrement rare en France, se présente comme un catholique traditionnel, sans lien avec les fondamentalistes.

Il est intéressant de constater que la révolution qu’est le phénomène des « nones » – terme américain, choisi pour écarter l’appellation de « non-affilié » qui connotait l’idée d’une séparation d’une norme préalable – lui « paraît à terme un phénomène plus important que l’islam », islam dont il regrette qu’en France, 40 % des thèses en cours en histoire et sciences sociales des religions lui soient consacrées, aux dépens de l’explosion des « nones ». Selon les cas, G. Cuchet étudie ceux-ci en y incluant ou non les athées, la pratique américaine étant de les globaliser.

Il remarque tout d’abord que le phénomène n’est pas si récent, sans même parler de l’histoire des anticléricaux et des libres penseurs. Mais il est vrai que je pense qu’il a raison quand il dit que « les “nones” n’ont qu’un rapport de filiation assez lointain avec les libres penseurs du XIXe siècle (sic) », du moins si on en écarte les athées convaincus. Pour les autres, en effet, je doute que la lecture des Lumières ait pu les influencer, d’autant plus qu’ils n’ont pas procédé à pareilles lectures.

En fait, G. Cuchet veut tenir compte de ce que les 4/5e des jeunes « nones « n’ont pas reçu d’éducation religieuse. Ce ne sont donc pas des « décrocheurs » mais des « décrochés » de deuxième génération ou plus. Sans doute, mais il resterait alors à expliquer la rapide croissance de leur nombre. La conséquence de cette situation, c’est que toute perspective de retour à la religion d’origine doit être écartée. Tout à l’inverse, les « nones » sont, pour cette raison, particulièrement disponibles pour d’autres parcours.

Selon les pays, la situation peut varier. L’éloignement d’avec la religion est plus ancré chez les « nones » européens qu’aux États-Unis. Dans ce pays, 30% des « nones » enregistrés une année ne le sont plus l’année suivante. Dans un pays habitué à un « marché » du religieux, renoncer à toute affiliation religieuse peut donc vouloir dire qu’on est en train de chercher une religion à son goût. C’est moins vrai en Europe mais, sur notre continent aussi, une partie des sans religion est en recherche sinon d’une religion, du moins d’une spiritualité plus ou moins bricolée. Mais une autre catégorie des sans religion pourrait comprendre des indifférents complets, vis-à-vis de la religion comme de son contraire.

G. Cuchet voit bien que nous sommes en présence d’une demande de « spiritualité », qui est manifeste. J’ai déjà traité du cas de Frédéric Lenoir[4]. Mais il faut y ajouter, comme le fait G. Cuchet, l’attrait pour les religions orientales, attitude dont Matthieu Ricard est le plus connu et lu en milieu francophone, où il peut compter sur des centaines de milliers de lecteurs.

Dans un autre chapitre consacré à la mode du bouddhisme, intitulé « Le Bouddha a plus la cote que Jésus », G. Cuchet ne ménage pas ses critiques à l’encontre de cette « spiritualité ». Il cite notamment Marcuse dans L’homme unidimensionnel dès 1964, qui analyse que « Les nouvelles « spiritualités font partie du “régime de santé” de la « société unidimensionnelle »[5].

S’emparant d’un cas, dont il reconnaît qu’il est « un peu extrême mais pas marginal », G. Cuchet se moque :

Les Européens qui partent dans des cahutes amazoniennes mâchonner des racines hallucinogènes sous la direction de chamans locaux ou importés pour tirer de leur inconscient quelque fantôme susceptible d’expliquer leur mal-être ou de leur tenir lieu de religion me paraissent les plus déshérités des hommes et des femmes. J’y vois moins l’annonce d’une nouvelle renaissance qu’un signe de prolétarisation métaphysique[6].

G. Cuchet rejoint Nietzsche quand celui-ci expliquait que l’Occident finirait dans un mélange de christianisme dédramatisé et de néo-bouddhisme psychothérapeutique.

Sa conclusion, explicitée dans une interview, dit bien le retournement de la situation : « Autrefois il y avait des spiritualités… dans la religion. Désormais, c’est l’inverse : les religions sont perçues comme des modalités particulières, locales et au fond un peu arbitraire de ce phénomène plus large et plus originel qu’est la spiritualité. »[7] Certes, il y a là une part de la nostalgie d’un catholique traditionnel mais la formule reste juste.

Ultramodernité ?

Reste maintenant à analyser la situation religieuse contemporaine dans un cadre plus global. L’évolution générale remonte à plusieurs décennies et de toute manière, l’évolution économique et sociale des Trente Glorieuses ne peut qu’y être pour beaucoup. Remarquons d’ailleurs que l’état général de satisfaction de l’époque contraste avec le mécontentement généralisé d’aujourd’hui en Europe.

Différentes interprétations ont déjà été proposées. Philippe Portier et Jean-Paul Willaime proposent la leur. Si Z. Bauman attribue les changements à la post-modernité, les deux sociologues français mettent l’accent sur l’ultramodernité.

Ph. Portier et J.-P. Willaime estiment que « la situation religieuse ne nous confronte nullement à un retour du religieux prenant sa revanche sur un séculier qui serait en perte de vitesse[8].

Il veut dire en fait que dans la société moderne – qui n’est plus la nôtre – l’esprit de sécularisation était « mythologisé » et comme absolutisé. L’ultramodernité, c’est la modernité mais désenchantée, auto-relativisée. Elle est dominée par l’éclatement et l’individualisation des croyances. La sécularisation a finalement atteint le séculier lui-même. II est maintenant sécularisé, il est devenu un objet comme un autre.

Jusque-là, je peux suivre le raisonnement. Portier et Willaime en déduisent que cette révolution pourrait à terme être favorable à plus de religion, à plus de religion dans l’espace public. Cela me semble pure illusion de croyants impénitents. La religion du passé meurt sans qu’en Europe, on repère le moindre signe contraire. Mais il faut l’admettre : le religieux et la spiritualité vont par contre bien nous donner du fil à retordre.

À cela il faudra ajouter la progression de l’islam et des musulmans, un groupe en progression démographique et à la pratique religieuse en croissance parmi ses jeunes.

De toute évidence, nous n’en avons pas fini avec un univers qui s’éloigne à grands pas de la raison et qui, dès lors, a besoin des athées, un groupe qui manifestement se porte plutôt bien en nombre et en cohérence.


Notes

  1. Philippe Portier et Jean-Paul Willaime, La religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition, Paris, Armand Colin, 2021, 316 p. ↑
  2. Patrice Dartevelle, « Le retour de la spiritualité : nouveau masque des religions ? », La Pensée et les Hommes, Francs-Parlers, 2015, vol. 99, pp. 59-70. On peut retrouver le texte en version électronique sur le site athees.net, Newsletter n°34 (1er déc. 2021). Il sera imprimé à nouveau dans L’Athée n°9 (2022) fin 2022). ↑
  3. Guillaume Cuchet, Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? Paris, Éditions du Seuil, 2021, 249 p. ↑
  4. Voir note 2. ↑
  5. Il cite l’ouvrage dans la traduction de Monique Wittig (2015), pp. 38-39. ↑
  6. G. Cuchet, op. cit., pp. 116-117. ↑
  7. Interview de l’auteur par Marie-Lucile Kubacki, site lavie, le 6 septembre 2021. ↑
  8. Ph. Portier et J.-P. Willaime, op. cit., p. 19. ↑
Tags : croyances décatholicisation Frédéric Lenoir Guillaume Cuchet Jean-Paul Willaime Matthieu Ricard Philippe Portier religion spiritualité ultramodernité

La Confession logique d’Alexandre Zinoviev

Posté le 22 décembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession logique, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire, d’athéisme – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né à Pakhtino en Russie le 29 octobre 1922, philosophe, écrivain et logicien. Il est connu comme auteur d’une série de romans et d’essais sur la Russie post-révolutionnaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre littéraire et philosophique de Zinoviev – essentiellement, Les Hauteurs béantes[3], Va au Golgotha[4], Vivre[5], Les Confessions d’un homme en trop[6].

Bonjour, Monsieur Alexandre Zinoviev. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[7] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né en Russie à Pakhtino, le 29 octobre 1922 et mort en Russie à Moscou, le 10 mai 2006.

Bonjour, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis bien Alexandre Zinoviev. En Occident, on m’appelle Monsieur Zinoviev ou Zinoviev, tout simplement. Je suis né à Pakhtino, dans l’oblast de Kostroma dans ce qui s’appelait alors la république socialiste fédérative soviétique de Russie (en abrégé RSFS de Russie ou RSFSR), c’est-à-dire en Russie. Pakhtino était un trou perdu, entre Tchoukhloma et Antropovo, à environ 500 km de Moscou. Pakhtino devait rassembler une dizaine de maisons ; à ma dernière visite en 1946, il ne restait presque plus rien et la forêt reprenait ses droits sur les champs. Et en effet, je suis bien mort à Moscou à 83 ans en 2006. Mais qu’attendez-vous de moi qui viens d’un monde orthodoxe et communiste ?

Ce que j’attends, précise l’Inquisiteur, c’est une confession. Je pense que dans la religion de votre pays, c’est une pratique connue et vous devez connaître la confession de Bakounine au Tsar de Russie[8].

Il m’est arrivé de me confesser dans mon enfance. Là, tout était simple. Je devais répondre à toutes les questions du pope : « J’ai péché, mon père. » À la fin, il disait : « Dieu te pardonnera », et je rentrais à la maison, illuminé et heureux, sachant que j’obtiendrais un bonbon. Cette fois, je ne veux pas obtenir un bonbon après ma mort, je n’en aurais eu aucun usage. Par contre, j’aurais aimé que mes cendres soient dispersées à l’endroit où se trouvait mon Pakhtino, pour que je devienne à nouveau une particule de ma terre. Et puis, même les gens qui n’ont pas commis de grands péchés éprouvent le besoin de se confesser. Les croyants se confessent aux prêtres et, à travers eux, à Dieu. Les athées se confessent à leurs proches, à leurs collègues, à leurs amis, voire à des compagnons de beuverie ou de route. Chez nous, ce sont les organisations sociales qui remplissent cette fonction ; en Occident, on a inventé la psychanalyse. La confession de Michel Bakounine était une opération policière, une manœuvre tsariste qui a inspiré les services russes ultérieurement.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, pouvez-vous me parler un peu plus de votre enfance et du milieu où vous avez grandi ; y avait-il là de la religion ?

Bien sûr qu’il y en avait, Monsieur l’Inquisiteur, et ne croyez pas que j’ai grandi dans l’ignorance de Dieu et de la religion. Nous là-bas au fin fond de la Russie, nous avions la religion orthodoxe, un pope nous enseignait le catéchisme et tout le toin-toin. À cause de ma grand-mère, il venait chez nous et il a embrigadé tous les enfants de la famille ; comme les autres, j’allais à l’église. Ainsi, je n’ai pas besoin d’explication pour comprendre ce qui vous tracasse. Quant à Dieu, il y faut un peu de logique. Vous et moi, par exemple, en supposant que je sois réellement rallié à l’idée de Dieu et à une religion – disons, l’orthodoxe russe – on aurait un même Dieu, mais deux religions. À supposer que je sois sectateur d’Allah et musulman, vous et moi, on aurait non seulement deux religions, mais également deux dieux différents. Je peux continuer le raisonnement pour tous les dieux de la terre et toutes les religions, sans compter qu’il y a des religions sans dieu et des dieux sans religion. Ainsi, on se retrouve avec des tas de religions et des tas de dieux, c’est un vrai capharnaüm.

Et puis tout de même, dit l’Inquisiteur, qu’en était-il de Dieu ?

Dieu, Dieu, c’est vite dit ça, Monsieur l’Inquisiteur. Allez savoir ce que c’est Dieu. Ce qui était vraiment là au-dessus de nous, c’était Staline. Staline, on peut en penser ce qu’on veut, mais c’était une évidence. J’ajoute que moi, dès les années 30, j’étais antistalinien et même que j’avais dans l’idée d’aller le tuer de mes propres mains. Voici le scénario imaginé : lors du défilé sur la Place Rouge, nous nous infiltrerions, Ina et moi, dans la colonne de l’école de Boris. À hauteur du mausolée, on provoquerait une confusion et armé d’un pistolet et de grenades, je me ruerais sur les dirigeants. Je lancerais les grenades et je ferais feu sur Staline. L’attentat aurait dû se faire le 7 novembre 1939, mais en raison des difficultés de nous procurer des armes, on reporta l’opération. Puis, ce fut la guerre. Donc, Staline, c’était une évidence, mais Dieu ?

Oui, mais quand même, Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, mon héros Laptiev, qui est une des figures de ma personne et dont je vous rappelle qu’il est Dieu, répond ceci à ses interlocuteurs : « Le plus dur dans ma situation, dit Dieu, c’est que je suis athée. Dieu ne saurait s’appréhender comme extérieur à lui-même. » C’est une impossibilité formelle du point de vue de la logique et donc pour le logicien, Dieu n’est pas et n’existe pas, sauf dans l’imagination de certains.

Au fait, dit l’Inquisiteur, dites-moi Monsieur Zinoviev, comment les gens pouvaient-ils bien vivre entre les croyants à l’ancienne mode et les athées du nouveau régime révolutionnaire ?

Au cours des années 1920, dans notre région, la population baignait dans la religiosité, sans fanatisme ; les croyants étaient tolérants à l’égard de la propagande athée et les athées tolérants à l’égard de la croyance. Mes grands-parents et ma mère étaient pratiquants ; mon père était athée depuis sa jeunesse. Nous avions comme convives le prêtre et des membres du parti, côte à côte. L’isba tout entière était couverte d’icônes. Dans la famille, on nous inculquait les convictions religieuses sous forme de principes moraux. Quand les églises furent fermées avec la collectivisation, au début des années trente, la population réagit avec indifférence. Les villages se vidaient, les croyants se faisaient plus rares et l’Église perdait ses soutiens. N’ayant plus d’église, notre prêtre vécut un temps comme un citoyen ordinaire. La conviction que Dieu n’existait pas pénétrait les enfants et les croyants adultes ne punissaient pas les petits mécréants. La foi devenait de plus en plus instable. En quatrième, à la visite médicale, j’ai ôté et caché la croix que je portais au cou. C’est à ce moment que je suis devenu athée. Ma mère m’a dit « que Dieu existe ou non, ce n’est pas très important. Ce témoin absolu de ton existence et ce juge doit se trouver en toi. Efforce-toi de conserver ta dignité à ses yeux. » J’ai assimilé cette morale maternelle, j’ai vécu en athée comme si Dieu existait. En renonçant à la religion, j’ai dû m’inventer une religion nouvelle et situer Dieu ou le juge suprême en moi-même ; comme Laptiev l’explique, il me fallut devenir Dieu moi-même, mais à la différence de Laptiev, je n’étais Dieu que pour moi-même. Je suis donc devenu un athée croyant.

Il n’empêche, dit l’Inquisiteur, que dans votre pays au temps de votre jeunesse, on mena un combat opiniâtre contre la religion qui était chrétienne, même si elle était orthodoxe et il fut question d’athéisme.

En effet, répond Zinoviev, mais ce n’était pas une erreur de la nouvelle société d’opérer une répression à l’encontre de la religion et de l’Église et pas seulement parce qu’elles avaient pris le parti de la contre-révolution ; ce fut aussi parce que les gens accueillirent avec joie l’athéisme comme s’il annonçait le paradis sur terre, même s’ils étaient persuadés que ce paradis n’existerait jamais. C’était une fête sans précédent dans l’histoire humaine : les gens se libéraient de la religion. Comme ils avaient rejeté la dépendance sociale ancestrale, ils rejetaient l’oppression religieuse. Sans ce soutien populaire, le pouvoir n’aurait pu l’emporter contre la religion. Du point de vue communiste, la religion et l’Église étaient des obstacles et si la religion et l’Église ont survécu, c’est parce qu’elles se sont ralliées. D’un autre côté, le pouvoir avait intérêt à conserver l’Église orthodoxe. Il s’agissait d’affirmer la liberté religieuse et faire de l’Église un rouage de l’État.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, vous avez eu une vie tumultueuse, vous avez connu l’errance intérieure et l’exil à l’étranger.

C’est vrai, Monsieur l’Inquisiteur, ma vie a été mouvementée. Je suis parti de très bas et mes débuts furent très difficiles. Dans ma jeunesse, au prix d’immenses efforts et d’une misère chronique, j’étais arrivé à atteindre l’enseignement supérieur, où, à cause de mes réflexions, on m’a dénoncé aux organes ; alors, pour échapper à la répression, qui chez nous était terrible (et ça n’a pas beaucoup changé), j’ai plongé dans la clandestinité, j’ai été paria et sous une fausse identité, j’ai fui durant des années les services à l’intérieur de l’immense Russie. Pour cesser cette errance et retrouver une vie moins chaotique, je me suis engagé dans l’armée soviétique en 1940. Ensuite, héros de la guerre, j’ai réintégré la société et je suis devenu chercheur et enseignant de logique et de philosophie. J’étais arrivé à un niveau tel que si j’avais joué le jeu, j’aurais atteint des sommets. Cependant, comme j’ai toujours porté en moi une forme de refus de la lutte à mener pour réussir socialement, j’ai été tenu à l’écart. C’est ainsi qu’en voulant respecter mes principes de vie, je suis devenu un « renégat » dans mon propre pays.

Comment ça se passe chez vous pour le renégat ? demande l’Inquisiteur.

En Russie, un renégat est un individu isolé qui se révolte pour quelque raison contre la société qui l’entoure. On le punit soit en l’anéantissant comme personne civile, soit en le frappant d’ostracisme. Ce châtiment est une sorte de sacrifice rituel qui sert à l’édification des autres, des « normaux ». La transformation en renégat passe par plusieurs étapes. D’abord, l’entourage de l’hérétique fait preuve vis-à-vis de lui d’une vigilance croissante. Puis, on prend des mesures préventives tout en essayant encore de l’apprivoiser et de l’associer à la collectivité. Si cela ne donne pas de résultat, des mesures restrictives, puis punitives sont adoptées. À propos, tout cela ne vous rappelle-t-il rien, Monsieur l’Inquisiteur ?

Soit, dit l’Inquisiteur, comment en êtes-vous venu à écrire des ouvrages littéraires ?

Pour moi, la littérature n’était guère une fin en soi, mais d’abord un moyen d’exprimer mon indignation. Mon entrée en littérature était un choix, c’était la voie pour faire entendre ma voix et développer ma philosophie. Sacrifiant toute autre occupation, j’ai commencé à écrire Les Hauteurs béantes pendant l’été 1974. Je voulais décrire la vie réelle de la société communiste. La conclusion, parfumée d’athéisme, en était formulée sous forme d’un petit poème de ma façon :

C’était un peu vexant, sans conteste,
D’être à jamais privé du Jugement Dernier.
Les hommes ne se lèveront pas des tombes,
L’âme défunte ne cherchera pas son corps.
Ils ne ressentiront ni fierté, ni honte.
Bref, il n’y aura rien d’autre que la mort.
Je sais que les morts n’ont ni douleur, ni honte
Et la conscience à ce qu’on dit ne les tourmente pas.
Mais surtout les morts ne peuvent ni voir, ni entendre
Ce qu’on peut faire aux hommes ici-bas.

Quand même, Monsieur Zinoviev, parlez-moi un peu de votre Laptiev, qui dit être Dieu. Lui et sa religion me paraissent bien hérétiques et blasphématoires.

Vous avez raison, Monsieur l’Inquisiteur, d’après lui-même, Laptiev est Dieu et parfois, le Christ et de ce fait, ce Dieu et cette religion doivent vous paraître fort hérétiques et blasphématoires. Cette parodie est la méthode par laquelle Laptiev exprime son athéisme. Laptiev dit :

Le boui-boui est le grand temple où je prêche mon enseignement et trouve des disciples. Pour eux, j’invente prières et sermons, le plus souvent en vers. Le Christ aussi s’exprimait en vers. Bouddha s’accompagnait à la guitare. Mahomet beuglait avec une force incroyable.

Dans l’Évangile selon saint Jean (à ne pas confondre avec mon Évangile pour Ivan), le Christ a commencé sa carrière en changeant l’eau en vin. Alors, ses disciples ont cru en lui. Ben, je veux ! Si je pouvais changer l’eau en vodka, j’aurais toute la Russie derrière moi.

La parodie, c’est bien, mais que propose ce nouveau Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Laptiev dit :

Une religion ne doit pas être ennuyeuse et triste. Ni grégaire. Elle doit être individuelle, irradier la joie de vivre, être vivifiante. Elle ne doit pas être humiliante. Pas de génuflexions, pas question de se traîner à quatre pattes ou sur le bide ! On se tient sur ses deux jambes et on marche la tête haute ! À bas la soumission ! Vivent la révolte, la témérité, la hardiesse, l’insouciance !

Laptiev dit encore :

Le réveil faisait tic-tac. Les souris grattaient. Et d’un coup, l’illumination : Dieu ne servait à rien pour la vie dans l’au-delà – une vie qui, d’ailleurs, n’existait pas et n’existerait jamais. Dieu ne comptait que pour cette vie-ci, la vie terrestre. Dieu n’avait d’importance que pour permettre à l’homme de vivre dignement l’instant de sa vie et disparaître.

Enfin, je vous propose quelques préceptes de Laptiev :

Tu n’adoreras personne ; si tu jures, tiens ta parole ; Résiste ! ; Amasse des trésors en toi-même ; Ne demandez rien ; N’oblige personne à te suivre ; le paiement de la vie est la vie elle-même ; tu es le juge suprême de tes actes. Si j’avais à choisir entre créer une religion et posséder ma Déesse ne fût-ce qu’une nuit, je choisirais ma Déesse.

Et Laptiev se dit athée, demande l’Inquisiteur. Que fait-il finalement de la déitude ?

Quant à la situation de l’athée, Laptiev la résume en un petit poème, où il rejette totalement l’existence de déités.

Un regard sec et froid, jette
Sur notre belle planète !
Ici, de déesse point
Et de Dieu encore moins.
Et si rongé par le doute,
Tu te lances sur les routes,
Tu pourras chercher mille ans,
Y en aura pas pour autant.

Qu’en est-il de l’athéisme ? Quel est votre sentiment, quel est son rôle dans la société ?

Ah, grandes questions, Monsieur l’Inquisiteur, mais la réponse est pourtant simple. Une fois posé le principe, c’est-à-dire l’athéisme comme point de départ de la réflexion, tout coule de source. Donc, l’axiome est : au commencement était le monde dans lequel se déroule la vie ; on peut le nommer le réel. Il en découle forcément que Dieu et la religion sont des éléments seconds surajoutés artificiellement au réel par l’homme. En ce sens, ce sont des éléments parfaitement superfétatoires. Ainsi, en bonne logique, il est raisonnable de laisser ces éléments parasites[9] de côté quand on veut vivre, penser et agir dans ce monde.

Que faites-vous alors de l’espérance, Monsieur Zinoviev ?

L’espérance, Monsieur l’Inquisiteur, c’est le paradis. Les popes et l’Église nous avaient donné l’horizon post-mortem du Paradis qui ouvrait un espace pour l’espérance. C’était une capitulation devant la réalité de la misère humaine. Après la révolution, le régime communiste, qui avec son espoir de l’avenir radieux[10] se voulait l’antichambre du paradis[11], proposait la même recette de l’espérance, mais ramenée sur terre, et toutefois, expatriée dans un temps indéterminé et assurément lointain. Pourtant, sur le terrain, pour la grande masse de la population, le régime soviétique avait apporté un immense progrès matériel. On partait de très bas et au début, ce progrès avançait vite ; par la suite, il s’est enlisé ; il ne resta plus que l’horizon paradisiaque. En somme, avec ce nouveau paradis[12], on n’avait fait que déplacer le curseur ; c’était toujours un tour de passe-passe, un avenir Potemkine. Ceci pose la question essentielle de l’espérance ou de l’espoir. En fait, comme athée, la seule position possible est le refus des idoles, des croyances, des espoirs, des espérances, des paradis et des avenirs radieux à venir (toujours à venir) avec simultanément, la prise en compte sérieuse du réel, avec lequel il faut vivre. Nous sommes des hommes, tâchons de le rester.


Notes

  1. . Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier ↑
  2. . Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. . Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1977, 559 p. ↑
  4. . Alexandre Zinoviev, Va au Golgotha, Paris, Juillard − L’Âge d’Homme, 1986, 225 p. ↑
  5. . Alexandre Zinoviev, Vivre – La confession d’un robot, Paris, Éditions de Fallois – L’Âge d’Homme, 1989, 247 p. ↑
  6. . Alexandre Zinoviev, Les Confessions d’un Homme en trop, Paris, Olivier Orban, 1990, 504 p. ↑
  7. . OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  8. . Marco Valdo M.I., La Confession libertaire de Michel Bakounine, Newsletter 24, ABA, Bruxelles, 2019 et L’Athée 7, ABA Éditions, Bruxelles, 2020, p.147 ↑
  9. . Parasite : il est amusant de relever que ce mot provient du vocabulaire religieux (je reprends ces éléments de définition au mot « parasite » du CNRTL) et d’apprendre qu’à l’origine, il s’agissait de l’assistant d’un prêtre, qui prenait soin des provisions des dieux et qui était invité à prendre part aux repas communs. Quant à la définition plus usuelle, toujours selon la même source, elle dit : Personne qui vit, prospère aux dépens d’une autre personne ou d’un groupe de personnes. ↑
  10. . Alexandre Zinoviev, L’Avenir radieux, Lausanne, L’Âge d’Homme,1979, 280 p. ↑
  11. . Alexandre Zinoviev, L’Antichambre du Paradis, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, 897 p. ↑
  12. . Marco Valdo M.I., Le Paradis sur Terre (2021) : voir dans le site très international et polyglotte des Chansons contre la Guerre et/ou voir le blog de l’auteur uniquement en langue française, Le Paradis sur Terre (2021), qui est un épisode de La Zinovie – voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle, à l’exploration du Disque Monde, longuement menée par Terry Pratchett. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature. ↑
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Jeunes athées flamands enragés, une espèce nouvelle ?

Posté le 29 novembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Pierre Gillis

Jacques Hermans a signé dans La Libre Belgique du 26 août un petit article intitulé « L’athéisme “dogmatique” en hausse en Flandre ». Comme souvent, le titre en remet par rapport à l’article lui-même : il s’agit des résultats d’une enquête menée à la KULeuven et portant sur les jeunes Flamands de 18 à 25 ans, inscrits dans un établissement d’enseignement libre[1] ; onze cents jeunes ont été interrogés, ce qui constitue sans doute un échantillon significatif de cette tranche d’étudiants, mais pas de la population flamande dans son ensemble. Le raccourci est plus porteur.

Le journaliste oppose, dans son commentaire, le fait que « de nombreux jeunes Flamands, conscients de la diversité sociale, se disent ouverts aux convictions religieuses ou philosophiques, sans distinction », à l’augmentation du nombre d’athées « dogmatiques », prêts à en découdre avec toutes les religions.

On commencera par prendre acte d’une évolution qui, pour être graduelle et ne pas dater d’hier, mériterait presque qu’on lui accole un « r », tellement la nouveauté qu’elle révèle est profonde : je cite Hermans, « à peine plus de 6 % des répondants se disent catholiques, protestants ou orthodoxes. Un peu plus de 2 % se disent musulmans. Environ 20 % revendiquent l’appellation “chrétien” sans pour autant pratiquer leur foi. » Soit moins de 30 % des sondés pour accepter une étiquette religieuse précise, même si « près de 28,5 % revendiquent une “conscience religieuse”, mais refusent l’étiquette chrétienne ». Face à eux, les athées, qui, si je lis bien Jacques Hermans, ne refusent pas l’appellation mais s’en réclament et représentent 32,4 % des sondés – en plus grand nombre donc que les propriétaires d’une conscience religieuse. L’enquête répartit toutefois ces athées en deux catégories, les bons et les mauvais, ou encore les modérés (20,6 %) et les dogmatiques (11,8 %).

Les journalistes et les promoteurs de l’enquête ne cachent pas une certaine surprise, face à l’importance du groupe athée, et évitent soigneusement de commenter directement cette donnée. Ils préfèrent insister sur la distinction entre les modérés et les autres, les premiers seuls étant déclarés fréquentables, puisqu’ils prônent, nous dit-on, le dialogue et le respect des convictions.

Les autres sont la cible de commentaires sévères, notamment de la part d’Emmanuel Van Lierde, rédacteur en chef de la revue catholique Tertio, qui parle à leur sujet d’adhérents à une nouvelle religion – il doit savoir de quoi il parle. On notera, ce n’est pas anodin, la multiplicité des qualificatifs utilisés pour caractériser ces « autres », les mauvais athées : on a déjà cité le terme dogmatique, mais il faut ajouter « normatif » et « enragé », sous la plume du promoteur de l’enquête, le théologien de la KULeuven Didier Pollefeyt, et encore « fondamentaliste », dans l’article que le Standaard a consacré à la même enquête dans son édition du 25 août. Le terme « intolérant » ne fait pas partie de la liste, mais l’idée est plus qu’évoquée (ces athées « enragés » essaient d’imposer leurs opinions religieuses aux croyants, dit le professeur Pollefeyt). Bigre, le feu est nourri, et l’invective ne fait pas dans la nuance.

J’ai aussi éprouvé une certaine surprise en tombant, au détour d’un paragraphe de transition du polar louisianais de Joy Castro, Au plus près, sur la courte présentation d’un personnage secondaire, amie de la mère de l’héroïne, qualifiée d’athée pratiquante, vraisemblablement parce qu’elle s’abstient d’assister à l’office du dimanche matin[2]. Procédé fréquent, qui érige en rite le refus d’un rite. Je suppose que dans un autre contexte, le nôtre notamment (je veux dire européen plutôt qu’américain), il serait plutôt question d’athée rigoureux, ou militant. Pratiquant : un qualificatif de plus, qui rabat l’athéisme sur une religion, même si, dans ce cas, on ne sent aucune antipathie dans le chef de l’auteure.

De l’usage de noms d’oiseaux dans le débat

Les termes utilisés dans les articles de La Libre Belgique, du Standaard et dans le rapport d’enquête sont d’abord des noms d’oiseaux : enragé, certainement ; dogmatique, rarement un compliment ; fondamentaliste, sans aucun doute, surtout depuis les attentats islamistes ; normatif, un peu moins, mais cette « norme » fait cependant peur parce qu’elle pourrait être imposée. On est davantage dans la polémique que dans un compte rendu scientifique.

Le fondamentalisme, précise le dictionnaire Larousse, est

un courant théologique, d’origine protestante, développé aux États-Unis pendant la Première Guerre mondiale, et qui admet seulement le sens littéral des Écritures. (Il s’oppose à toute interprétation historique et scientifique et s’en tient au fixisme).

A ma connaissance, on n’a pas encore trouvé le texte fondateur que les athées brandiraient en guise d’écriture sainte, mais peut-être suis-je insuffisamment informé. L’Encyclopædia Universalis renchérit, à propos du fondamentalisme, et parle d’une réaction religieuse à la modernité :

« La loi de Dieu d’abord ». Par fondamentalisme, on désigne au sens large toutes les radicalités religieuses qui défendent une conception intransigeante de la religion, au risque d’une confrontation avec la société environnante.[3]

Je ne me sens décidément pas concerné, la modernité ne m’effraie pas, la preuve, je suis un cycliste quotidien.

Wikipedia élargit cependant la portée du terme[4] :

Le fondamentalisme se manifeste par un engagement envers des doctrines radicales et peu nuancées, généralement religieuses, mais aussi séculières ou même anti-religieuses. Ce mot peut faire référence à la politique.

Doctrine radicale, séculière ou anti-religieuse : à voir, sous réserve d’inventaire, en acceptant la référence au spectre politique. Ce qui serait en jeu, c’est la manière de s’affirmer athée, ou d’éviter de le faire – dans certains cas, on contourne le problème en se déclarant agnostique, et en se mettant ainsi à l’abri des noms d’oiseaux.

Philosophiquement, la différence entre les athées fréquentables et les autres est très mince. On pourrait, par exemple, s’accorder sur le point de vue qu’André Comte-Sponville a exposé dans Espace de libertés : « Je suis athée parce que je ne crois en aucun dieu. Non dogmatique, parce que je reconnais évidemment que mon athéisme n’est pas un savoir, c’est une opinion, une conviction, une croyance.[5] » En effet : les athées, jusqu’aux enragés, savent bien qu’on ne prouve pas plus l’inexistence de Dieu que son existence ; ils partagent aujourd’hui cette idée avec la plupart des théologiens contemporains[6]. Si le contraire était vrai, ça se saurait. Voici donc un dogme balayé.

On peut ensuite affiner le constat en s’emparant du premier commandement du NOMA (Non Overlapping MAgisteria) que le paléontologue américain Stephen Jay Gould adresse aux religieux – en s’en emparant, à condition de le compléter un rien :

Le premier commandement de toutes les versions du NOMA se résume comme suit : Tu ne mélangeras pas les magistères en affirmant que Dieu commande directement des événements importants dans l’histoire de la nature, via des interventions qui ne seraient connaissables que par une révélation, inaccessibles à la science.[7]

Première correction : le mot « importants » est manifestement problématique. Il est d’abord hautement subjectif – ce qui est important pour moi peut ne pas l’être pour toi. Je ne vois pas comment le commandement pourrait être pris au sérieux sans laisser tomber cet « importants » : l’histoire de la nature se comprend sans intervention divine, on s’en tiendra là. On pourrait aussi chipoter sur le « directement », qui ouvre la porte à bien des interprétations, mais ne chicanons pas. Ne boudons cependant pas notre plaisir, ce commandement coupe les ailes à l’intelligent design : l’histoire de la succession des espèces dans le monde vivant constitue sans conteste « un événement important dans l’histoire de la nature », que le commandement exclut de placer sous l’autorité divine.

La seconde correction est moins cosmétique. Pour Gould, seule l’histoire de la nature est soustraite aux interventions du Tout-Puissant. Et l’histoire des sociétés, et nos petites histoires personnelles ? La volonté de Gould de signer un armistice avec les religions se heurte ici à ses limites rationnelles. D’abord, si c’est bien là qu’on installe la frontière qui sépare l’accessible au pouvoir divin de ce qui lui est inaccessible, entre nature et sociétés humaines, on instaure une séparation radicale entre ce qu’on place sous un label naturel et ce qui relève du culturel et du social. Pas besoin d’être détenteur d’un prix Nobel pour se rendre compte que cette séparation s’oppose radicalement à des acquis loin d’être « inaccessibles à la science », en reprenant les termes de Gould : sans revenir sur les discussions récurrentes sur les parts de l’inné et de l’acquis dans nos comportements, toute la géographie s’inscrit en faux contre cette séparation, éléments physiques et humains inextricablement mêlés. Et pour faire dans le plus chaud, sans mauvais jeu de mots, qu’est-ce qui pourrait être d’origine divine dans le réchauffement climatique, et qu’est-ce qui ne peut pas l’être ?

On n’oubliera pas non plus que depuis quelques siècles, depuis que les religions ont appris à composer avec le récit scientifique de l’histoire cosmologique, la confrontation s’est clairement focalisée sur les sociétés humaines et sur les conflits dont elles sont le siège. Gott mit uns, clamaient les chevaliers teutoniques marchant à la conquête de l’Est, bénits soient les avions qui s’envolent pour massacrer les paysans abyssiniens, déclaraient les évêques italiens en appui au fascisme mussolinien… Georges Bernanos, dans Les Grands Cimetières sous la lune, s’indignait de la participation de l’Église en Majorque à la croisade franquiste :

On vous voit, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, bénir des arguments à répétition qui sortent tout luisants, bien graissés, des célèbres bibliothèques de M. Hotchkiss. J’ai vu, par exemple, Mgr l’évêque-archevêque de Palma agiter ses mains vénérables au-dessus des mitrailleuses italiennes – l’ai-je vu, oui ou non ?…

Ou encore God is on our side, rappelé par Bob Dylan à propos du Vietnam. Dieu n’a que trop souvent été recruté en soutien aux pires causes, avec des résultats inégaux qui, heureusement, ne témoignent pas de sa toute-puissance. S’abstenir de ce genre d’intervention serait la moindre des choses.

Bref, ma conclusion est simple : un athée exclut toute intervention divine dans la réalité du monde, qu’on vise le monde physique, nos architectures sociales ou nos psychés. On n’aura pas la cruauté d’évoquer le soutien divin si ardemment souhaité pour remporter la Champions League ou le tournoi de Wimbledon. Notre affirmation, pour ferme et précise qu’elle soit, ne confirme nullement le jugement péremptoire de Didier Pollefeyt, le théologien qui a dirigé l’enquête que je commente : « Ce groupe [les athées dogmatiques] montre également une attitude moins tolérante à leur égard. Comme les vieux catholiques d’autrefois, il n’y a qu’une seule vérité pour eux. »

Non, il n’y a pas qu’une seule vérité. Qu’on s’intéresse au cosmos (que sont l’énergie et la matière noires ?), aux conditions présidant à l’émergence des formes de vie ou à l’extinction des dinosaures, à la reproduction des systèmes de domination dans nos sociétés ou aux effets de l’hypertrophie des réseaux sociaux, à la compréhension fine des processus biologiques qui font que l’un décède du Covid 19 et l’autre pas, ou à ce qui fonde notre identité, les athées ne prétendent pas, et certainement pas plus que d‘autres, détenir des réponses définitives à ces multiples questions. Quand ils tentent de trouver des réponses, le spectre de leurs propositions est aussi large que possible, et sans doute aussi divergent. A ceci près qu’ils ne répondent pas que c’est « parce que Dieu l’a voulu ». Je pense dès lors qu’il est légitime d’annexer Spinoza parmi les athées, lui pour qui Dieu et la nature étaient deux concepts équivalents : que reste-t-il de l’idée divine si Dieu existe sans se manifester ? Je ne crois pas me tromper en affirmant que ce refus d’explication surnaturelle vaut aussi bien pour les fréquentables que les infréquentables parmi les athées.

Un clivage politique, pas philosophique

Au contraire, la distinction relevée par les enquêteurs, entre les fondamentalistes et les réalistes (amusant de s’approprier un clivage que les politologues attribuent à la mouvance écolo), ou entre les enragés et les tolérants, est un argument à l’appui de la thèse que je défends. C’est bien d’une attitude politique qu’il est question, et être athée ne vous définit pas politiquement. En revanche, la revendication de l’étiquette constitue bien une affirmation politique – c’est une caractéristique commune à toutes les appellations impliquées dans des polémiques, comme le féminisme, par exemple. Certains athées, au sens large avancé plus haut (quoi qu’il se passe dans le monde réel, Dieu n’y est pour rien), refusent de porter le label, pour des raisons qui, le plus souvent, ne sont que très peu philosophiques. Hervé Hasquin est une personnalité représentative de ce courant, il se dit d’ailleurs agnostique. Pour lui – et je l’ai entendu s’exprimer en ce sens –, l’athéisme est associé aux campagnes menées avec le soutien de l’État soviétique à partir des années 20 du siècle passé, et il refuse avec horreur toute forme de proximité à l’égard de ces campagnes.

On retrouve une trace de cette réserve jusque dans le (très bon) livre sur l’histoire de l’athéisme en Belgique, récemment édité par l’ABA : en raison du fait que Rops ne s’est jamais affirmé athée, Michel Draguet s’interroge sur son athéisme[8], qui me semble indubitable au regard des critères que je crois pertinents. Individualiste forcené, Rops a toujours refusé de risquer de s’effacer au sein d’un groupe, fût-il celui des athées, et ceci explique cela. La perspective tracée par Anne Staquet, dans le même ouvrage, montre bien à quel point la signification de l’étiquette a subi les outrages du temps, même en se limitant à l’époque moderne, de l’insulte pure (et on voit qu’il en reste quelque chose) à la constitution d’un courant de pensée plus ou moins cohérent[9].

Ainsi en est-il aussi du clivage fréquentables/infréquentables parmi les athées : il est de nature politique. Certains sont enclins au compromis, d’autres moins ; certains font du combat pour l’athéisme l’axe central de leur vie politique, d’autres se contentent d’être ce qu’on appelle parfois des athées tranquilles, considérant que la question de l’existence de Dieu est sans intérêt, parce qu’elle est réglée.

On trouve dans les conclusions de l’enquête une idée étonnante, dont on peut se demander d’où elle sort : pour le groupe « athée-normatif », « tout ce qui touche à la religion ou à la religion devrait être interdit et l’athéisme est la seule vérité »… De l’athéisme, même « normatif », à l’interdiction des religions, il y a plus qu’une marge. On préférera retenir une conclusion plus nuancée de la même enquête : « le groupe pluraliste-athée ne revendique pas publiquement la vérité, alors que le normatif-athée le fait ». Excepté les cyniques et les manipulateurs, chacun se réfère sans doute à la vérité lorsqu’il exprime un avis. Publiquement, tout est là : question d’opportunité.

Les auteurs de l’enquête dirigée par le professeur Pollefeyt, dans leurs commentaires, mélangent les genres : certaines de leurs invectives, « enragés » notamment, sont bien situées dans le registre politique, et la tolérance est davantage une vertu politique qu’un trait du droit canonique – je laisse à Claudel la responsabilité d’avoir dit qu’il y a des maisons pour ça. Mais le terme « fondamentaliste » n’est pas spécialement enraciné dans un terreau politique, et l’accusation de se comporter en fondateurs d’une nouvelle religion est encore plus précise. C’est bien sûr à cette fondation que renvoie le terme « dogmatique », dont on admettra cependant qu’il ne peut s’appliquer à des athées que dans un sens très figuré – en l’absence évidente de texte sacré. On l’a vu, Comte-Sponville récuse le terme à titre personnel, mais sa manière de se dire non dogmatique laisse ouverte la possibilité que d’autres athées le soient. Sa citation place sur le même pied opinion, conviction et croyance ; les mots ne sont pourtant pas synonymes, et je préfère conviction aux deux autres. Mais j’aurais tendance à en utiliser un quatrième, certes plus savant, mais mieux adapté à mes yeux, celui de paradigme, emprunté à l’épistémologie.

Un paradigme est un préalable à l’émergence d’une théorie scientifique ; il rend possible une révolution scientifique en définissant les questions pertinentes, celles qui méritent qu’on leur cherche une réponse, et celles qui sont vaines, mal posées. Exemple : Galilée, Descartes, Newton, et j’en oublie, ont compris que la question qui avait titillé les scientifiques-philosophes pendant de longs siècles (quelle est l’origine du mouvement ?) était absurde, du type sexe des anges, et qu’il fallait la remplacer par une autre (pourquoi et comment le mouvement se modifie-t-il ?), ce qu’exprime le principe d’inertie. L’athéisme est un paradigme pour une vision moderne du monde, pleinement compatible avec les sciences, et désaliénée.


Notes

  1. Pour consulter l’enquête, https://www.kuleuven.be/thomas/nieuwsbrief/20210824/ ↑
  2. Joy Castro, Au plus près, traduction de Thomas Bauduret, Paris, Gallimard, coll. « Série noire », 2016, p. 157. ↑
  3. https://www.universalis.fr/encyclopedie/fondamentalisme/ ↑
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondamentalisme ↑
  5. Espace de libertés, septembre 2018 (n° 471). ↑
  6. Cette impuissance à démontrer, sous la forme d’un constat en miroir, n’est cependant pas le reflet d’une symétrie intrinsèque : jusqu’à nouvel ordre, la charge de la preuve incombe à celui qui avance une proposition qu’aucune évidence empirique ne soutient, pas à celui qui demande à voir. C’est donc l’existence de Dieu qui devrait être prouvée. ↑
  7. Stephen J. Gould, Rocks of Ages: Science and Religion in the Fullness of Life, Ballantine Publishing Group, 1999. ↑
  8. Michel Draguet, « Rops à l’épreuve de l’athéisme », in Histoire de l’athéisme en Belgique, sous la direction de Patrice Dartevelle et Christophe De Spiegeleer, Bruxelles, ABA Editions, 2021, pp. 241-259. ↑
  9. Anne Staquet, « Plurivocité de l’athéisme », in Histoire de l’athéisme en Belgique, sous la direction de Patrice Dartevelle et Christophe De Spiegeleer, Bruxelles, ABA Editions, 2021, pp. 19-35. ↑
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Le retour de la spiritualité : nouveau masque des religions ?

Posté le 29 novembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle[1]

Quand on observe le tableau actuel de l’état des croyances en Belgique – comme dans plusieurs autres pays voisins –, on peut mesurer aisément la révolution qui s’est opérée dans les mentalités depuis quelques décennies, même si le tableau simple que l’on donnait autrefois était sans doute un peu forcé, en partie parce que les sondeurs étaient guidés par des vues dogmatiques venant de la société officielle et publique, en partie aussi parce que les individus sondés se laissent couler dans les moules préétablis.

Si l’on consulte les résultats de la dernière enquête européenne sur les valeurs effectuée en 2009[2], on dénombre en Belgique 50 pour cent de catholiques, 9,2 pour cent d’athées, 8,2 pour cent de croyants de différentes religions (dont 5 pour cent de musulmans) et 32,6 pour cent de « sans appartenance religieuse ».

Les différences régionales entre la Flandre et la Wallonie sont insignifiantes. Par contre, Bruxelles ne compte qu’un tiers de catholiques mais un cinquième d’athées et plus de musulmans que dans la moyenne nationale.

Les chiffres montrent une régression très sensible du nombre de catholiques (72 pour cent en 1981).

Certes ces étiquettes doivent être développées pour bien comprendre la chose.

Se dire « catholique », n’implique pas forcément une parfaite, ni même une très grande adéquation avec les dogmes : 37 pour cent des Belges croient en une vie après la mort (mais c’est le chiffre le plus stable de décennie en décennie). De la même manière, 21 pour cent des Belges déclarent ne pas croire en Dieu, soit le double de ceux qui se déclarent athées. Il y a loin de la réalité mentale de la population aux encycliques et traités de philosophie.

Les « sans religions »

La grande énigme est, me semble-t-il, celle des « sans appartenance religieuse », aussi appelée dans d’autres sondages de même type les « sans religion ». Ce phénomène, en Belgique comme ailleurs, même aux États-Unis, a pris un tour massif.

Par contre, même si la question n’est pas explicitement posée, on trouve difficilement la trace du nombre de fondamentalistes ou d’intégristes. Les évangéliques, par exemple, doivent se retrouver dans les 2,5 pour cent d’« autres chrétiens ». Les charismatiques peuvent plus facilement se dissimuler parmi les catholiques, mais il n’y a pas plus de 11 pour cent de Belges à assister régulièrement à la messe hebdomadaire. La question des « sans religion » devrait requérir des études plus approfondies en ce compris le biais par lequel on les approche.

Les auteurs de l’étude que j’ai citée, tous professeurs à la Kul ou à l’Ucl, les agglomèrent plutôt aux athées en considérant sans doute qu’il s’agit là de personnes issues de milieux catholiques, qui ont perdu la foi, mais qui hésitent à afficher leurs positions. Mais d’autres sont prompts à voir en eux l’émergence d’un groupe dont ils se font le porte-parole, celui de ceux qui refusent l’idée de religion et surtout d’Église, mais participent réellement à une foi nouvelle, pas nécessairement chrétienne, et souvent syncrétique.

Il n’est, sans doute, nullement exagéré de dire qu’il y a là un enjeu pour récupérer – au sens de rediriger – ces brebis sans pasteur. Le recul continu du catholicisme officiel (les jeunes nés après 1984 ne sont plus que 31 pour cent à se dire catholiques) laisse penser que ce groupe va s’accroître dans les prochaines années.

Le cas belge est partiellement spécifique dans la mesure où à la différence de la France – où les athées déclarés sont 25 pour cent –, le pilier catholique (écoles, syndicat, mutuelle, hôpitaux et même encore un peu les partis politiques) maintient même de manière light en termes de contenu, l’existence d’une référence catholique.

Qui peut influencer ce groupe des sans religions ?

Je ne crois pas vraisemblable le point de vue habituel de Caroline Fourest et de trop de laïques militants qui paraissent redouter l’intégrisme catholique[3]. Les manifestations contre le mariage pour tous ont un peu plus redoré son blason, mais même Marine Le Pen s’est bien gardée de s’associer aux manifestations. Le phénomène contient une part d’énigme mais son explication réside pour une part dans l’opposition au nouveau Président de la République.

L’étendue de la cristallisation populaire autour de thèmes religieux fondamentalistes n’a guère d’autres références en Europe.

Les autres événements où l’on voit des intégristes revendiquer, en public, la contestation des spectacles de théâtre ou d’expositions d’arts plastiques sont minoritaires et la majorité de l’épiscopat a fini par mettre bon ordre à tout cela, notamment parce qu’il est effrayé par la méconnaissance consternante de certains des siens par rapport à l’art contemporain. Serrano, l’auteur du Piss Christ, récemment détruit à Avignon, est un artiste chrétien.

En revanche, les athées (hélas pas assez à mon gré) et les « spirituels » divers sont à l’affut.

Les « spirituels »

Les visionnaires d’une spiritualité nouvelle, délivrée des dogmes et des Églises, sont assez nombreux, leur vision influence largement l’opinion publique et fait tout pour ringardiser l’athéisme avec la religion officielle.

J’aborderai uniquement le cas du plus visible d’entre eux en France et par conséquent en Belgique francophone, Frédéric Lenoir.

Spécialiste d’histoire des religions, auteur de nombreux livres, il est aussi depuis la fin de 2004 le directeur et l’éditorialiste du Monde des Religions. Il a mis fin à ses fonctions avec le numéro de novembre-décembre 2013.

La revue est le nouvel avatar de l’ancien périodique catholique Actualité des religions. Celui-ci a été relooké par le groupe La vie – Le Monde dans une perspective laïque, c’est-à-dire qui ne veut plus être le relais d’une seule Église, et lancé avec de grands moyens. On se souvient de la hauteur des piles de la revue dans les librairies et chez les vendeurs de journaux et magazines.

La diffusion du bimestriel atteint quarante-deux mille exemplaires en 2004, cinquante-sept mille en 2005 et soixante-six mille en 2006 (troisième plus forte progression de la presse française).

Le cas de Régis Debray mériterait un traitement particulier. Son axe est le caractère incontournable du sacré même si celui-ci peut varier.

D’autres leaders influents comparables auraient pu être également analysés, par exemple Matthieu Ricard et l’engouement pour les religions orientales, mais l’optique est moins généraliste que celle de Frédéric Lenoir. En outre, la trentaine d’ouvrages écrits par Lenoir s’est vendue à plus de quatre millions d’exemplaires, preuve de l’engouement qu’il provoque.

Pour analyser la pensée de Frédéric Lenoir, j’ai principalement utilisé Dieu, entretien avec Marie Drucker, publié en 2011[4] et les éditoriaux qu’il signe régulièrement dans le Monde des Religions dont la concision peut être utile.

Frédéric Lenoir

Dans Dieu[5], il raconte sa vie spirituelle. Bien qu’issu d’une famille catholique pratiquante, jeune, la religion ne l’a pas attiré et la messe l’a « ennuyé ». Dès quatorze ans, il lit Platon, Nietzsche et d’autres. Puis il a l’illumination de l’Orient sous sa forme hindoue. Il veut découvrir l’hindouisme et lit tout à la fois la Kabbale, des textes taoïstes, confucianistes, néoplatoniciens, mais il referme la Bible et le Coran « qui ne parlaient pas à son âme ». Il se rend compte que c’est un peu curieux et passe quelques jours à l’abbaye de Boquen (à dix-neuf ans). Mais l’idée d’un Dieu personnel révélé lui reste étrangère.

Il lit enfin le Nouveau testament, en particulier l’Évangile de Jean, le plus « spirituel » des quatre, et : « Après quelques minutes, j’ai ressenti une présence brûlante d’amour. Ce Jésus dont l’Évangile parlait, je le sentais présent au plus intime de moi ».

Il était bouleversé. Depuis cette « expérience mystique », la foi dans le Christ ne l’a jamais quitté. Il se revendique comme chrétien et adhère même à l’idée d’une vie après la mort, celle-ci n’étant qu’un passage. Il donne deux raisons : « Une expérience personnelle du Christ vivant et un émerveillement constant devant la force des Évangiles,… ».

Frédéric Lenoir est aujourd’hui chercheur associé à l’École des Hautes Études en Science sociales (EHESS).

Si la profession de foi chrétienne est assez traditionnelle d’apparence, ses limites le sont moins et son originalité masquée, si l’on en reste là.

Les distances avec l’Église et le dogme

Frédéric Lenoir tient beaucoup à une idée peu traditionnelle, à savoir qu’il y a des vérités dans toutes les religions. Il l’affirme, dès son premier éditorial[6].

Il hait les combats cléricaux/anticléricaux des XIXe et XXe siècles. Mais aujourd’hui, « les athées sont plus tolérants et la plupart des scientifiques ne considèrent plus la religion comme une superstition appelée à disparaître avec les progrès de la science. »

Tous les sondages concordent pour dire que le refus de poser en seule vérité sa propre croyance est généralisé dans le monde occidental (92 pour cent pour la France).

Dès la première page de Dieu, il proclame que la question n’est pas d’affirmer l’existence ou la non-existence de Dieu.

Dieu, dit-il, « est incertain »[7]. Il souscrit au postulat selon lequel « l’intelligence humaine est dans l’incapacité d’atteindre des certitudes métaphysiques définitives ». On est loin du Vatican et des positions pontificales. Mieux, selon lui, les quêtes spirituelles « ne peuvent plus être vécues, comme par le passé, au sein d’une tradition immuable ou d’un dispositif institutionnel normatif »[8], désignation euphémistique ou hexagonale d’une Église.

La religion, la foi, – il dit le chemin spirituel – « est le fruit d’une démarche individuelle »[9]

Tout est affaire d’intériorité, les disciples de Jésus « attendent un royaume terrestre, Jésus leur propose un royaume céleste, c’est-à-dire intérieur »[10]. Remarquons que l’inférence « céleste, donc intérieur » n’est pas évidente. Le royaume de Dieu pourrait très bien être au ciel, c’est même ce qu’on a dit le plus souvent pendant vingt siècles.

L’élaboration théologique structurée n’est pas son problème. Ainsi du dogme de la Trinité, pourtant rapidement si essentiel dans les premiers siècles du christianisme, « il me semble difficile d’affirmer que la foi des disciples contemporains de Jésus est imparfaite parce qu’elle n’est pas trinitaire »[11]. Frédéric Lenoir juge sévèrement les siècles de civilisation chrétienne en Europe : « Ce dont je suis convaincu, c’est que cette société qui portait le nom de « chrétienne »… n’était pas véritablement fidèle au message de Jésus »[12].

Si la plupart des commentateurs chrétiens ont dû renoncer à une lecture littérale de la Bible, tant les difficultés étaient grandes, Frédéric Lenoir fait de même, plutôt pour faciliter sa propre lecture des textes sacrés. Ainsi : « La Bible regorge de trésors littéraires…, mais il est aujourd’hui rationnellement impossible d’en faire une lecture purement littérale ». Et l’historien des religions d’évoquer de « nombreuses contradictions (au sein de la Bible) qui rendent sa lecture littérale absurde, ainsi que des versets particulièrement violents qui, pris au premier degré, font de Jésus un être d’une cruauté exceptionnelle[13].

Sa conception de la foi écarte pratiquement la raison. Pour lui « c’est d’abord dans leur cœur que les croyants rencontrent Dieu et leur foi n’est pas tant le fruit d’un raisonnement intellectuel que le sentiment d’un don reçu, d’une proximité affective avec celui qu’ils perçoivent comme le créateur »[14].

Son Dieu n’intervient pas dans les affaires humaines : « on ne peut plus croire à la conception d’un certain dieu biblique qui ne cesse d’intervenir dans les affaires des hommes »[15].

Il se réclame de Simone Weil ou Dietrich Bonhoeffer, c’est-à-dire d’un Dieu effacé, non-puissant, caché et ineffable que les dérives de l’Église au fil des siècles ont fait oublier »[16]. C’est la position de Gabriel Ringlet. Elle est assez paradoxale. On dit aux athées qu’il faut un tout-Puissant pour qu’il y ait quelque chose plutôt que rien et à la première difficulté, la présence du mal par exemple, on dit que le tout-Puissant ne peut rien.

Le mysticisme

Frédéric Lenoir établit une nette distinction entre la religion et la spiritualité. La religion relie les hommes dans « une croyance collective dans un invisible qui les dépasse. La spiritualité… délie, elle libère l’individu de tout ce qui l’attache et l’enferme dans des vues erronées…, mais aussi du groupe »[17].

En fait Frédéric Lenoir se réclame d’un mysticisme – ce qui bien des chrétiens ont fait avant lui –, mais ce qui est contemporain, c’est l’affirmation d’un mysticisme inter-religions.

Il y a une source divine à laquelle s’abreuvent les mystiques de toutes les religions… et puis, loin derrière, à une distance suffisante pour être sûrs de ne pas être aspergés par l’eau, il y a les théologiens, les gardiens du temple et des docteurs de ces mêmes religions qui se disputent indéfiniment pour savoir si l’eau de cette source est gazeuse ou plate, calcaire ou non, minérale ou non…[18].

Frédéric Lenoir conclut sur sa vision mystique :

En fait les mystiques juifs, chrétiens et musulmans peuvent avoir une conception de Dieu qui s’approche de celle que nous avons évoquée à propos de l’Inde. Le démon est à la fois perçu comme personnel et impersonnel, comme transcendant ou immanent[19].

Une des obsessions du Pape Ratzinger était la question du lien entre la foi et la raison. Elle a occupé la quasi-totalité du champ idéologique pendant de nombreux siècles. Frédéric Lenoir jette tout par-dessus bord et les croyants n’ont pas manqué de le lui reprocher.

Frédéric Lenoir fait l’impasse sur Augustin, Thomas d’Aquin et d’autres qui ont tout fait pour ne plus séparer raison et foi[20].

La part inquiétante de ce mysticisme conduit même Frédéric Lenoir à applaudir Benoît XVI quand celui-ci autorise de nouveau la messe en latin. Certes, il utilise comme argument les assemblées très diverses linguistiquement comme à Taizé, mais il s’empresse de s’extasier devant des Français, préférant les rites tibétains en tibétain. Il y aurait là plus de sacré[21]. On est en face d’une attitude redoutable valorisant l’incompréhension, un sentiment d’immersion où l’autonomie du croyant tant vantée pour se séparer de l’Église me semble se perdre dangereusement.

Une fois, Frédéric Lenoir pourrait paraître faire preuve de prudence. Après s’être réjoui de ce que

Depuis une trentaine d’années, le retour de l’astrologie et de l’ésotérisme, les succès planétaires d’œuvre de fiction comme Le Seigneur des anneaux, l’Alchimiste, Harry Potter ou Le monde de Narmia sont les signes d’un besoin de « réenchantement du monde », il exige un effort minimum de connaissance et de discernement rationnel pour éviter un totalitarisme de l’imaginaire pouvant conduire à un délire interprétatif des signes[22].

La place de la science

Le terme « minimum » est significatif des périls de la voie mystique, un maximum de foi, de symboles et un minimum de raison.

C’est une veine qui a de l’écoute aujourd’hui, notamment grâce à une critique de la science et du progrès.

Celui-ci est la bête noire de Frédéric Lenoir pour qui « Auschwitz, le goulag et Hiroshima ont mis à mal cette idéologie du progrès et la foi aveugle en la science qui la portait. Et on a vu de grandes idéologies athées (dans lesquelles il range le nazisme qui ne me semble pas athée) commettre des crimes encore plus épouvantables que ceux commis au cours des millénaires précédents au nom de Dieu »[23]. Prudent, il s’empresse d’ajouter que cela « n’enlève rien à la critique philosophique de Dieu ». L’argument vaut dans une certaine mesure dans les limites où il vrai que les progrès de la science accroissent les effets de leur mésusage, dans le cas d’Hiroshima par exemple, et que développement de la connaissance et celui de la morale ne vont pas de pair. Mais il fait l’impasse sur le fait que le scientisme et le positivisme ont connu leur heure de gloire avant 1914-1918 (qui a eu le même effet sur la conscience que les massacres de la guerre suivante) et qu’il s’en prend à une idéologie qui n’a plus de défenseur depuis longtemps.

Les risques de l’irrationalisme

Les risques de pareil irrationalisme sont connus. Quand on s’éloigne de la science aussi radicalement, on finit par se hasarder dans des sentiers impraticables.

Ainsi par exemple, Frédéric Lenoir croit à la réminiscence. Il croit vraiment qu’il existe des enfants qui racontent des événements survenus dans une autre vie. « On ne peut pas nier la réalité de certains témoignages » mais il reste prudent sur l’explication de la vie antérieure. Avec Jung, il parlerait plutôt de l’inconscient collectif, c’est-à-dire d’une connaissance, d’une mémoire de toute notre lignée[24].

Même problème avec les miracles. Il admet que plusieurs de ceux que les Évangiles prêtent à Jésus ont été inventés par les évangélistes, mais « tous, dit-il, je ne crois pas, car il y a en beaucoup et surtout si on enlève tous ces gestes, on ampute les Évangile d’un bon tiers[25]. Aveu bien naïf et Frédéric Lenoir de se contorsionner en disant que l’on connaît mal le lien entre la matière et l’esprit, que beaucoup de maladies ont des causes physiques etc. Le dernier numéro de la revue publié sous sa direction est consacré aux miracles. Tous les textes sont d’une crédulité confondante sauf la chronique de Comte-Sponville …et son éditorial. Frédéric Lenoir s’y réfère à Spinoza : « je ne connais nul texte aussi profond et éclairant ». Il se rallie sans le dire à l’idée que la croyance aux miracles est contraire à la foi véritable et que nul ne peut déroger aux lois générales de l’univers.[26]

D’une manière plus globale, malgré ses déclarations d’une impossibilité de la lecture littérale de la Bible et une vision normale d’exégèse contemporaine du Nouveau Testament, Frédéric Lenoir ne peut s’empêcher de prendre facilement pour argent comptant le texte des Évangiles.

Un ouvrage antérieur, Le Christ philosophe[27], davantage centré sur Jésus, est particulièrement révélateur de ce que, malgré des connaissances de base correctes, Frédéric Lenoir se laisse emporter par une lecture à la fois littérale et relevant du délire interprétatif.

Le chapitre II du livre, La philosophie du Christ, est particulièrement révélateur. Tous le Nouveau Testament est mis à contribution et tous les versets sont attribués à Jésus. Bien entendu, les miracles ne sont pas critiqués.

Ainsi Jésus aurait fondé une éthique « que nous considérons comme universelle et laïque ». On lui devrait l’égalité entre les hommes, la fraternité, la liberté de choix, la promotion de la femme, la justice sociale, la non-violence, la séparation des pouvoirs spirituels et temporels[28]. Une vision irréelle et infondée est à l’œuvre. À ce degré, il est vain d’argumenter.

Bien qu’il ait un certain respect pour l’athée (ou certains d’entre eux), il fait commencer l’athéisme à Meslier, en proclamant qu’il n’y a pas de philosophe athée dans l’Antiquité[29], pas davantage à la Renaissance[30], contre toute vérité. On l’excusera ici puisque l’athée Michel Onfray fait de même dans son Traité d’athéologie.

Autre passage peu scientifique, cette fois dans Dieu, au moins par le biais d’une étrange sélection. Évoquant un certain nombre de révolutionnaires majeurs du sentiment religieux autour de l’an 500 avant Jésus-Christ, il parle des présocratiques, mais pas vraiment des atomistes et des agnostiques. Socrate et Platon sont absents[31].

Le masque des religions ?

Cette spiritualité est-elle donc bien le masque des religions ? Tout dépend de ce qu’on appelle « religion ». Si par là, on veut désigner l’équivalent du catholicisme traditionnel, il faut répondre non.

Mais les choses peuvent prendre une autre tournure. L’habileté de quelqu’un comme Frédéric Lenoir peut être magistrale. Parfois de manière surprenante par rapport à ses convictions, il modernise et contemporanéise astucieusement la religion. Il faut se centrer sur le bonheur terrestre. Plus de paradis ni d’enfer. Il faut ressentir « le bonheur de se sentir sauvé dès à présent parce qu’on a rencontré Jésus dans une communion émotionnelle »[32] et l’éditorial le plus récent s’intitule Jésus et le bonheur…

D’autres formes de religions peuvent voir le jour. Par son insistance sur la foi individuelle, Frédéric Lenoir s’en défend. Mais Régis Debray, dont il accueille les propos dans Le Monde des religions, lui rappelle qu’une société n’est pas qu’une juxtaposition de personnes. S’il y a sortie de religion, il devrait y avoir arrivée d’une autre, pour lui le veau d’or et les conciles de Davos[33].

De fait, la spiritualité de Lenoir nous prépare-t-elle aux problèmes d’aujourd’hui ? J’ajouterais qu’elle peut être une manière de faciliter la domination de l’argent, comme la Tv…, de faciliter la vie schizophrénique devenue de règle : en privé on vit comme des post-soixante-huitards, devenus parfois mystiques, dans le travail comme des êtres rationnels et boulimiques d’efficacité et de management.

Dans sa conclusion de Dieu, Frédéric Lenoir range en deux camps ses amis et ses ennemis. Les mauvais sont dogmatiques, c’est-à-dire les croyants comme autrefois et les athées dogmatiques, c’est-à-dire ceux qui érigent leur croyance en savoir. Les autres ne connaissent pas le savoir en ces matières. C’est une parfaite illustration du postmodernisme contemporain. Mais traduit-il autre chose qu’un désarroi ! Est-il si positif ? Contrairement à ce que soutient Lenoir, il est plus utile et davantage source de progrès d’argumenter face à quelqu’un dont on ne partage pas l’avis.

Le modèle de l’athée non-dogmatique pour Frédéric Lenoir, c’est André Comte-Sponville. Pourtant celui-ci ne l’épargne pas forcément dans les colonnes récentes du Monde des religions. La sérénité lui importe de moins en moins : « Les quelques gourous qu’on a bien voulu me présenter me semblent bien fades et bien ennuyeux »[34]. Il préfère les gens les plus lucides… « dans le milieu spirituel, lorsqu’ils m’incitent à débattre avec eux, trop de sourires, trop de douceur, trop de sucre et d’encens[35]. »

Plus fondamentalement, Comte-Sponville s’en prend à la « mode du tout spirituel qui veut régler des problèmes de notre société en changent les individus : c’est une illusion »[36].

Toutes ces méfiances de ma part montrent que si le risque, non nul, venait à se réaliser par la prévalence d’une forme de religiosité, la situation ne serait pas forcément rose, mais forcément régressive en matière de progrès scientifique. Est-ce le bouddhisme qui a tiré la Chine de son marasme d’autrefois ? Méfions-nous et écoutons quelqu’un qui fut fort mystique, Charles Péguy : « Tout commence en mystique et finit en politique[37] ».

La spiritualité laïque ou athée

Je sais bien qu’il existe même chez les athées un courant qui promeut une spiritualité laïque ou athée. Le choix du mot « spiritualité » me semble une étrangeté.

En 1999, le Centre d’Action Laïque produit une brochure Spiritualité et laïcité. Un universitaire canadien, Duffy Hutcheon, y plaide pour une vue laïque de la spiritualité[38]. Je n’y vois rien à redire quant au fond, mais d’entrée de jeu Duffy Hutcheon déclare qu’il ne peut s’agir de croyance en un esprit haut ou d’une sorte de force spirituelle extérieure, qu’il n’est pas question que la Bible soit l’œuvre d’une entité spirituelle. Mais à quoi bon alors aller rechercher le mot connoté de « spiritualité » ? L’un des principaux aspects de sa quête spirituelle est la recherche de la vérité. Qu’y peut le mysticisme qu’il faut bien appeler religieux ?


Notes

  1. Texte d’une communication présentée le 5 octobre 2013 aux États généraux de l’athéisme organisés à Bruxelles par l’Association Belge des Athées. Il a été publié dans La Pensée et les Hommes, N°99, série Francs-Parlers, 2015, pp. 59-70. ↑
  2. Liliane Voyé, Karel Dobbelaere et Koen Abts, Autres temps, autres mœurs. Travail, famille, éthique, religion et politique : la vision des Belges, Éditions Racine Campus, 2012, 296 p. Plus spécialement la contribution de Liliane Voyé, Karel Dobbelaere et Jaak Billiet, « Une église marginalisée » synthétisée dans Le Soir du 18-19 février 2012. ↑
  3. Par exemple récemment dans Charlie Hebdo, Hors-Série, « La laïcité c’est par où ? », pp. 9 à 11, propos recueillis par Gérard Biard, titré par la publication « Aujourd’hui, le danger vient de l’intégrisme majoritaire, c’est-à-dire catholique ». ↑
  4. Frédéric Lenoir, Dieu. Entretien avec Marie Drücker, Éditions Robert Laffont, 2011. J’ai utilisé la publication dans la série Laffont Pocket, 2013, n° 15221,263 p. Les citations sont faites sur le format de « Dieu, p. x. ». ↑
  5. Dieu, pp.250-257. ↑
  6. Le Monde des Religions, n° 8, novembre-décembre 2002.
    La revue sera citée plus loin sous la forme « MdR, n° x ». ↑
  7. MdR, n°8, novembre-décembre 2002. ↑
  8. MdR, n° 55, septembre-octobre 2013. ↑
  9. MdR, n° 57, janvier-février 2013. ↑
  10. Dieu, p. 61. ↑
  11. Dieu, p. 75. ↑
  12. MdR, n° 28, mars-avril 2008. ↑
  13. Dieu, pp. 42-43. ↑
  14. Dieu, p. 221. ↑
  15. Dieu, pp. 68-69. ↑
  16. Dieu, p. 69. ↑
  17. Dieu, p. 83. ↑
  18. Dieu, p. 227. ↑
  19. Dieu, p. 230. ↑
  20. Par exemple, Henri Tincq, dans le compte rendu de Le Christ philosophe », dans Le Monde du 21 décembre 2007. ↑
  21. MdR, n° 25, septembre-octobre 2007. ↑
  22. MdR, n°24, juillet-août 2007. ↑
  23. Dieu, p. 183. ↑
  24. Dieu, pp.113-114. ↑
  25. Dieu, pp. 63-64. ↑
  26. MdR, n° 62, novembre-décembre 2013. ↑
  27. Frédéric Lenoir, Le Christ philosophe, Éditions Plon, 2007, 306 p. ↑
  28. Frédéric Lenoir, Le Christ philosophe, Éditions Plon, 2007, p.71. ↑
  29. Dieu, p. 150. ↑
  30. Dieu, p. 154. ↑
  31. Dieu, p. 91. ↑
  32. MdR, n° 11, mai-juin 2005. ↑
  33. MdR, n° 28, mars-avril 2008, p. 21. ↑
  34. MdR, n° 57, janvier-février 2013. ↑
  35. MdR, n° 57, janvier-février 2013. ↑
  36. Dans le Figaro du 3 octobre 2013. ↑
  37. MdR, n° 38, novembre-décembre 2009. ↑
  38. Spiritualité et laïcité, Bruxelles, Centre d’Action laïque, Cahier de réflexion, n° 2, novembre 1999. L’article de Duffy Hutcheon (pp.23-29) est la traduction par Jean Dierickx d’une publication originale faite dans Humanist in Canada, n° 108, 1994. ↑
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La Confession tranquille de Jean Meslier

Posté le 29 novembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession tranquille, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Jean Meslier ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664, prêtre et curé d’Étrépigny. Il est connu comme auteur d’un Mémoire aux relents sulfuriques d’un athéisme intransigeant et testamentaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Jean Meslier – essentiellement, à son Mémoire des pensées et des sentiments.[3]

Bonjour, Monsieur Jean Meslier, comment faut-il dire exactement : mon Père, mon Révérend, Monsieur le Curé, que sais-je ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Jean Meslier, ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664 et curé d’Étrépigny dans l’archidiocèse de Reims, y décédé en 1729.

Je vous salue, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Jean Meslier ; c’est comme ça que je suis connu depuis ma mort ; avant, on m’appelait Monsieur le Curé ou plus intimement pour certains, Jean. Enfin, ça dépendait des moments et des circonstances. Surtout, ne m’appelez ni mon Père, ni Monsieur le Curé. Le mieux serait finalement, Monsieur ou Monsieur Meslier ou Meslier, tout simplement. Cependant, je veux préciser que j’ai été quarante ans curés de deux paroisses – celle d’Étrépigny et celle de Balaives, distantes de trois kilomètres entre lesquelles j’ai usé bien des semelles[5]. Même si dans l’état où je suis, ça n’aurait plus d’effet, je voudrais savoir si vous torturez, si vous garrottez, si vous usez encore du bûcher.

Sachez, dit l’Inquisiteur, que ce sont là des méthodes abandonnées depuis un certain temps en ce qui nous concerne, même si dans le monde contemporain, en certains pays non-chrétiens, on les pratique encore au nom de prophètes inspirés par Allah ou d’autres dieux. On y lapide principalement les femmes, mais aussi, les homosexuels et bien sûr, on y tue les athées et même, des chrétiens. Cela dit, je voudrais m’assurer que c’est bien vous l’auteur de cet ouvrage testamentaire prônant l’irréligion à pleins poumons, ce brûlot qu’on agite depuis des siècles contre notre Église et contre Dieu lui-même.

Pour répondre à votre question, Monsieur l’Inquisiteur, je reconnais volontiers être l’auteur de ce Mémoire actuellement recueilli en plusieurs exemplaires de ma main à la Bibliothèque Nationale de France et dont le titre[6] fort long en indique assez bien le but et le contenu. Vous noterez qu’il commence ainsi : Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier… D’abord, vous n’y trouverez aucune prétention universelle, ni aucun messianisme. Cela affirmé, j’insiste et je souligne ces deux mots : pensées et sentiments, qui condensent et expliquent toute ma démarche et donnent sens à ma vie. Ce n’était pas par hasard que je les avais placés là. Ils donnent un portrait assez fidèle de l’être vivant – de l’humain, en particulier et de sa vie. Pensées, sentiments, sensations, émotions, ainsi nous sommes faits, ainsi va la vie.

D’abord, Monsieur Meslier, vous avez fait là un grand ouvrage pour dénoncer Dieu, l’Église, etc, mais vous avez été curé quand même. Expliquez-moi ça, dit l’Inquisiteur.

Certes, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai été curé et ordonné prêtre catholique, par l’archevêque de Reims encore bien, celui-là même qui couronnait les rois de France et je le suis resté jusqu’au bout. Et dans les Ardennes, un pays dur et souvent, fort froid ; mais c’était le mien et l’un dans l’autre, j’y étais bien. Entre nous, quel autre choix m’était accessible ? D’abord, ce n’était pas une vocation, oh non, je n’ai pas vraiment choisi ; c’est mon père qui a choisi et quand j’étais enfant, il m’a collé au séminaire. Oh, je ne lui en veux pas, certes non. Il n’était pas vraiment riche et il y avait trois filles à doter. Alors, pour m’assurer un avenir, c’était être ou militaire ou religieux. Tueur ou menteur ? Et vous-même, Monsieur l’Inquisiteur, qu’auriez-vous choisi ? Dans le fond, curé, ce n’était pas une si mauvaise idée : un travail assuré, un revenu, un logement, un rôle social et civil, une certaine reconnaissance, une place dans un monde.

Soit, Monsieur Meslier, comment avez-vous concilié curé et athée ?

Mal, je dois le dire, Monsieur l’Inquisiteur ; je supportais assez mal le masque, mais qu’y faire ? Cela dit, on peut être curé et athée ou l’inverse. Moi, c’était plutôt l’inverse. Ce n’est qu’une question de situation. On peut être fonctionnaire ou agent de l’État ou commerçant et anarchiste. L’être humain est plein de contradictions, il vit avec elles ; si vous saviez ce que j’ai entendu en confession ! La femme et l’homme vivent en société ; ils s’y adaptent tant bien que mal, selon le cours des choses et leur état. Ils n’héritent pas toujours d’un premier choix.

Dites-moi, Monsieur Meslier, ce fameux Mémoire, qu’en est-il ?

Comprenez ceci, Monsieur l’Inquisiteur, il m’est impossible et en plus, ça me déplaît de dire en quelques mots un travail d’années de réflexion et dont le résumé occupe à lui seul plus de 350 pages. Si vous voulez, vous pouvez le lire ou, à défaut, consulter diverses intéressantes publications qui y sont consacrées.[7] Ainsi, nous éviterons toutes ces références aux Testaments et à certains pesants philosophes qui m’ont bien embêté quand je passais mes soirées à les contredire ; tout cela est dans le Mémoire… , je ne vais pas le répéter. Tout comme je vous épargnerai ces démonstrations de « l’inexistence de l’inexistant », car ainsi, par cette simple expression, tout est dit à propos de Dieu et de toutes ces choses, qui ne sont qu’inventions et menteries. Pourquoi l’ai-je fait ? En grande partie, pour passer le temps ; on m’avait condamné à des nuits solitaires, il fallait bien les occuper. Je ne vous conterai pas non plus l’invraisemblable récit de ma lente déchristianisation, ni celle de mon incroyance maturant lentement, car il n’en a rien été. En réalité, pour ce qui est de la croyance, autant et aussi loin que je me souvienne de mon enfance, je ne lui ai jamais accordé foi.

Justement, Monsieur Meslier, puisque vous parlez de foi et que vous dites que vous ne l’auriez jamais eue. C’est incroyable.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, la foi, je vais vous le dire en toute sincérité. Je n’ai toujours pas compris, après des siècles, à quoi d’autre elle peut correspondre qu’à un sentiment imaginaire, un étrange détour d’un songe. La vie est un songe ? Peut-être pour celui qui sommeille la plupart du temps ou qui s’imbibe de substance distrayante ; moi, j’étais vif et clair d’esprit et de corps et question substance distrayante, j’étais sobre ; du coup, je n’ai jamais été atteint par ces divagations. Enfin, toutes ces histoires de religion et de Dieu m’ennuient profondément. Si on parlait d’autre chose ?

Parlez-moi d’amour, dit l’Inquisiteur, c’est une grande vertu théologale.

Ah, l’amour, vous dites. Toujours l’amour ! Ils n’ont que ça à la bouche : l’amour de Dieu, l’amour du Christ, la mort par amour, mais enfin, tout ça, ce sont des amusettes, des billevesées, des balivernes, des carabistouilles, des fadaises. Certes, l’amour quand ça vous prend, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, ça vous tourneboule les sens et le cœur. L’amour est une grande vertu de la nature. C’est elle qui mène la danse et cet amour a un rôle considérable dans la vie, car il apporte une grande satisfaction et encourage l’existence. Il incite aussi à la reproduction, mais comme curé de campagne, pousser l’amour jusqu’à la paternité, c’était un peu excessif ; alors, on s’arrangeait avec les moyens ancestraux. On ne pouvait pas, comme nos collègues protestants ou anglicans, se marier, avoir des enfants, vivre entourés de sa famille. Strictement interdit ![8] Je vais vous dire, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, je l’ai bien connu et j’en étais satisfait, pleinement. C’était un sentiment, mais fortement planté dans une sensation sensuelle, si vous voyez ce que je veux dire. J’étais bienheureux quand ma cousine ou ma nièce me tenait compagnie. Comme j’avais rué dans les brancards face au seigneur du lieu, le sire de Toully s’en était plaint en haut lieu et on me punit par ce biais en me forçant à vivre en solitaire. On m’avait ainsi fait prisonnier chez moi, mais rassurez-vous, je m’échappais.

Votre nièce, votre cousine, Monsieur Meslier, vous disiez ça, mais l’était-elle vraiment ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, je disais que c’était ma nièce ou ma cousine ; c’est une façon de parler, une manière de protéger certaine intimité. Dans le fond, c’était peut-être même vrai ; à la campagne, on est tous plus ou moins parents, tous plus ou moins cousins à la mode de Bretagne. Et puis, n’est-on pas tous frères et sœurs ? D’abord, Monsieur l’Inquisiteur, avez-vous l’idée de ce que c’est la solitude du curé de campagne face au temps qui passe ? Quarante ans de solitude à tourner en rond dans son église ? Et puis, il est certaine exigence de la nature qui se contrefiche des interdits divins ou canoniques et qui tient l’homme par certain bout. Le militaire a le bordeau, qui l’accompagne jusqu’en campagne. Bref, je nommais la personne qui me tenait compagnie, qui dans les faits était ma compagne, ma nièce (qui, soit dit en passant, chez certains confrères, pouvait tout autant être un neveu). Pour elle, c’était un bon emploi, plus sûr et plus agréable que fille de ferme ; elle m’avait été présentée par sa mère. Il y avait même de l’amour, alors que dans les étables, je ne vous dis pas. En plus, outre de tenir ma maison, celles qui officiaient chez moi savaient lire, écrire et acquéraient les connaissances nécessaires pour accomplir les tâches profanes de mon ministère.

Oui mais, Monsieur Meslier, on dit que ce n’est pas convenable pour un curé ; il y a l’obligation du célibat.

Le célibat, c’est bien joli, mais officiellement, j’ai toujours été célibataire, je ne me suis jamais marié. Pour le reste, je vous ferais bien une fable à la manière de La Fontaine de l’histoire du curé des villes et du curé des champs. Le curé des villes a toutes les facilités, il est bien aise de trouver chaussure à son pied dans certaines maisons spécialisées, mais il n’en va pas de même pour le curé de campagne. D’abord, tout le monde voit, le surveille et puis, si comme moi, il ne veut pas abuser de certaines de ses ouailles, il lui faut mener une double vie et se bâtir un amour ancillaire. La vie dans les Ardennes est dure ; là-bas, croyez-moi, pour être curé et de deux églises, il faut en avoir, et bien trempé, du courage.

Soit, dit l’Inquisiteur. Cependant, vous auriez pu agir dans la discrétion, aller satisfaire vos penchants en dehors de la cure, en dehors du village, que sais-je ?

Évidemment, j’aurais pu trouver une solution, disons ecclésiastique, et recourir aux services de nos bonnes sœurs. Il y avait bien un couvent dans les environs, auquel je reversais la dîme, mais c’étaient des moines. Et la tendresse ? Vous imaginez : mon enfance au séminaire. Mon père et ma mère m’avaient choisi ce destin. Mais l’affection, la tendresse, la chaleur aimable de la famille, ce n’était pas le père supérieur, ni aucun autre, qui a pu – car je n’ai pas voulu – me câliner. Après ça, quarante ans de curé de village. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas user de mes paroissiennes ; alors, j’aurais dû sombrer dans l’ennui sensuel et sentimental ? Pas du tout ! C’était une question de salubrité mentale. Alors, tant que j’ai pu, j’ai partagé ma vie avec une jeune servante. Après il fut trop tard, en rapport à ma santé. La prostate, ça vous achève un homme. Cependant, il faut considérer cette présence féminine sous un autre angle.

Ah, Monsieur Meslier, je voudrais bien savoir ce que vous entendez là.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, je vous suggère de voir cette relation du point de vue de la nièce. Pourquoi a-t-elle choisi d’être la compagne du curé ? Pour une personne un peu douée et sensible, c’est le moyen d’échapper à la dure et fruste vie des fermes, de sortir de l’isolement, de trouver un statut social, d’échapper à la misère, d’ avoir une vie relativement confortable, de trouver un milieu un peu instruit et, pourquoi pas, l’amour. Face à la vision lubrique de l’Église, j’opposerais la réalité de ces « femmes de curé » qui complètent utilement le rôle du prêtre. Chez moi, ma nièce était à la fois sage-femme, infirmière, consolatrice, conseillère familiale et féminine, vulgarisatrice, acopleûse[9], aide aux vieillards, impotents et aux mourants (y compris pour leur donner un passage en douceur, telle l’accabadora en Sardaigne[10]). En fait, ces précieuses collaboratrices apportent à la communauté rurale toutes les qualités des sorcières[11] si injustement décriées et persécutées.

À présent, restons-en là. Monsieur Meslier, on vous dit athée. Que faut-il comprendre ?

Monsieur l’Inquisiteur, en vérité, je le suis, athée. Je précise aussi qu’à mon estime, athée est un mot boiteux, qui fonctionne à l’envers de la réalité. Ce mot athée n’est rien d’autre que la définition de l’homme tel qu’en lui-même, de l’homme nu tel qu’il se trouve dans la nature. On naît tous athées. Tout être vivant est athée pour la simple raison que s’il veut un jour croire, il lui faudra inventer un ou plusieurs objets de croyance. Pour croire en des dieux ou un seul Dieu, il lui faut les inventer. Moi, par exemple, je suis né, j’ai vécu, je suis mort sans jamais cesser d’être rien de plus que moi, celui qui était venu ainsi au jour.

Alors, dit l’Inquisiteur, quel est le sens de la vie ?

À dire vrai, la vie n’a pas de sens ; son sens, elle le trace, elle le définit en avançant. On ne connaît la vie de nos ancêtres (humains ou biologiques) que par les traces qu’ils ont laissées. Pourquoi on vit ? Il n’y a pas vraiment de raison ; le seul but de la vie est sa continuation, même pas son agrément ; pour ce qui nous concerne en tant qu’espèce vivante, elle débouche sur cette obstination à se répliquer. En somme, la vie, c’est un bégaiement, un perpétuel recommencement jusqu’à l’arrêt définitif. Il n’y a pas d’échappatoire.

Ah, vous voyez les choses ainsi, dit l’Inquisiteur ; je n’y avais jamais pensé de cette façon. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Moi, je suis né Jean Meslier et je le suis resté. Je parle ici comme à moi-même, comme dans un de ces soliloques dialogués où on se fait les questions et les réponses, car on est le seul interlocuteur possible. Avec ou sans la chandelle, les nuits sont parfois longues ; ici, dans les Ardennes, certaines heures sont fort vides ; alors, on les comble de pensée. Mais la pensée est très vagabonde et en plus, souvent, elle cherche à avoir raison, à trouver la raison ultime et elle trouve n’importe quoi. Le piège, c’est d’y croire sans y repenser.

On dirait, Monsieur Meslier, qu’à considérer votre vie sur terre, vous ressentez une certaine amertume.

Non, Monsieur l’Inquisiteur, je n’étais pas triste, ni mélancolique, ni amer pour un sou, n’allez pas confondre colère et aigritude[12]. Face à ce monde de mensonges et d’hypocrisie, j’étais en colère, très en colère. Pour tout vous avouer, face au monde actuel, je le suis encore, car les choses n’ont pas vraiment changé : il y a toujours des riches et des puissants qui imposent leur domination aux pauvres et aux faibles afin d’en tirer richesses et avantages. Toujours cette même morgue, toujours cette même arrogance. Sans compter les ersatz de riches et de puissants qui tentent de les imiter et qui se gonflent le cou comme des dindons. Mais voyez-vous, ma colère, car il s’agit bien d’elle, ne m’a pas empêché de vivre.

La colère, oui, Monsieur Meslier, la colère, on la perçoit très bien, mais le bonheur ?

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, certainement, j’ai vécu avec un sentiment de bonheur d’être, d’être là présent au monde, à respirer et penser entre les arbres et les gens et j’aurais volontiers fredonné :

Regardez toujours du côté lumineux de la vie !
Regardez toujours du bon côté de la vie !
(Je veux dire : qu’avez-vous à perdre ?)
(Vous savez, vous venez du néant et vous retournez au néant.)
Qu’est-ce que vous avez perdu ? Néant !)
Regardez toujours du bon côté de la vie ![13].

En clair, on n’a qu’une seule vie, moi, elle me suffisait et je pensais comme Léo Ferré :

On vit, on mange, et puis on meurt,
Vous ne trouvez pas que c’est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements.[14]

Au fait, il me souvient qu’en Italie, Anton Virgilio Savona avait fait une chanson intitulée Il Testamento del parocco Meslier.[15]

On ne dirait pas, Monsieur Meslier, à lire ces écrits qui ont occupé vos dernières années, que vous les ayez passées dans le bonheur.

Là, vous errez, Monsieur l’Inquisiteur ; bien au contraire, j’ai eu la chance, la chance insigne et le bonheur, oui, le bonheur de l’écriture. Entre elle et moi, ce fut une longue aventure amoureuse, ma dernière. C’était comme un beau voyage au goût de moi-même. J’y suis allé, comme on va retrouver une tendre maîtresse jusqu’au dernier soir, le sourire aux lèvres. J’apprivoisais la nuit en la meublant de pensée, de joie et de jouissance. Du reste, si je me souviens bien, j’avais écrit ceci qui me semble conclure heureusement notre entretien de la manière la plus athée qui soit :

Il n’y a plus aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre après la mort ; profitez donc sagement du temps en vivant bien, et en jouissant sobrement, paisiblement et joyeusement, si vous pouvez, des biens de la vie et des fruits de vos travaux car c’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, puisque la mort mettant fin à la vie, met également fin à toute connaissance et à tout sentiment de bien et de mal.[16]

Ainsi, Monsieur Meslier, je ne peux que prendre acte de votre athéisme impénitent comme de votre irréductible tranquillité et vous dire À Dieu.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Jean Meslier, Œuvres complètes. Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier. Préfaces et notes par Jean Deprun, Roland Desné et Albert Soboul, éd. Anthropos, 1970, XXXII. Cependant, le titre complet, choisi par l’auteur, est « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier, prêtre-curé d’Etrépigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes, où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les religions du monde, pour être adressé à ses paroissiens après sa mort et pour leur servir de témoignage de vérité à eux et à tous leurs semblables. ». On lira avec profit la notice que lui consacre Wikipedia : Jean Meslier. ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  5. Yvon Ancelin, Serge Deruette, Marc Genin, Jean Meslier, curé d’Etrépigny, athée et révolutionnaire, Les Cahiers d’Études Ardennaises N° 19 – Société d’Études Ardennaises 2016 – Réédition de l’ouvrage de 2011,280 pages, photos NB. ↑
  6. cf. supra 3. ↑
  7. Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre, Coll. « Opium du peuple », Éditions Aden, Bruxelles, 2008, 415 p. ; Thierry Guilabert, Les aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) ; curé, athée et révolutionnaire, Éditions libertaires, Saint-Georges d’Oléron, 2010, 244 p. ; Jean-François Jacobs, La bonne parole du curé Meslier, Adaptation du Mémoire de Jean Meslier en un monologue théâtral, Éditions Aden, Bruxelles, 73 p. ↑
  8. Le célibat des prêtres est une décision qui remonterait au Concile d’Elvire qui s’était tenu en l’an 306 a.z. (à partir de zéro). ↑
  9. Acopleûse : en wallon de Liège ou de Hesbaye, désigne l’entremetteuse, la marieuse… L’acopleûse était le titre de l’adaptation en wallon par Marcel Hicter de La Célestine – La Celestina, o Tragicomedia de Calisto y Melibea de Fernando de Rojas (1499) – jouée la première fois en 1964, avec Jenny d’Inverno dans le rôle de Célestine. Voir notamment, Marcel Hicter, Cahiers Jeb, 1/83, Bruxelles, 1983, p. 411. ↑
  10. Accabadora : en Sardaigne, le mot désigne une femme chargée (clandestinement) d’aider à la fin de vie ; littéralement, l’accabadora est « la finisseuse ». Voir à ce sujet le roman de Michela Murgia, L’accabadora, traduction Nathalie Bauer, Le Seuil, Paris, 2011, 216 p. ↑
  11. Sur le rôle bénéfique de la sorcière, voir Carlo Levi, Le Christ s’est arrêté à Éboli, édition italienne originale 1945, traduction Jeanne Modigliani, Gallimard, 1977, Folio, 148 p. ↑
  12. Aigritude : le mot existait dans le français médical sous la forme « égritude » ; ici, il s’agit de décrire un « état », caractérisé par une ambiance aigre, une amertume. On aurait pu utiliser tout aussi bien son quasi-synonyme « amaritude ». ↑
  13. Eric Idle, Paroles et musique : Eric Idle, version française – Regardez toujours du côté lumineux de la vie ! – Marco Valdo M.I. – 2012 d’une chanson anglaise – Always Look On The Bright Side Of Life, in The Life of Brian – Monty Python – 1979 ↑
  14. Léo Ferré, Y en a marre, 1967. ↑
  15. Lucien Lane, L’Athéisme dans la Chanson italienne, NL 9, Aba, Bruxelles, 2015 et L’Athée, n°3, ABA éditions, Bruxelles, 2016, p. 177. ↑
  16. Jean Meslier, cf. supra 3, Avant-propos, p. 41. ↑
Tags : athée athéisme croyance dieu foi mort Philosophie religion révolution

Histoire de l’athéisme en Belgique

Posté le 24 octobre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme, Edition, Livre Laisser un commentaire
Sous la direction de Patrice Dartevelle et Christoph De Spiegeleer

LE LIVRE

Parmi les Belges qui déclarent leur conviction ou leur non-conviction religieuse dans des récents sondages d’opinion internationaux, des pourcentages importants des répondants se disent athées. Pourtant, il n’existait jusqu’ici en Belgique aucun ouvrage global qui analyse le rôle de l’athéisme dans l’histoire intellectuelle, politique et culturelle du pays. Le présent ouvrage est le fruit d’une collaboration entre Liberas (Gand) et l’Association Belge des Athées. Avec l’appui de la Communauté flamande, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et des organismes coupoles du mouvement laïque, les deux associations ont uni leurs forces pour couvrir, d’une manière accessible et scientifique, le sujet dans la Belgique tout entière pour les XIXe et XXe siècles.

Dans ce volume, la négation de l’existence de Dieu n’est pas traitée seulement d’un point de vue philosophique mais à travers les débats dans les universités et le monde scientifique, dans le monde politique et laïque ainsi que dans les arts et les lettres. L’athéisme y est étudié comme un phénomène social qui a rencontré beaucoup de résistance. De nombreux scientifiques, penseurs, écrivains et artistes éminents, de Félicien Rops à Leo Apostel, jouent un rôle dans cette histoire et trouvent leur place dans l’ouvrage. Les auteurs des contributions sont des spécialistes issus d’universités ou d’institutions patrimoniales.

L’ouvrage est la version française d’un travail réalisé en commun par l’Association Belge des Athées et Liberas ( Centrum voor de geschiedenis van het vrije denken en handelen- Gand) La version néerlandaise du livre est publiée par Liberas (info@liberas.eu).


SOMMAIRE

Patrice Dartevelle et Christoph De Spiegeleer, Avant-propos 

Anne Staquet, Plurivocité de l’athéisme

Religion et science : l’athéisme dans les milieux académiques

Raf De Bont, « Une ménagerie perfectionnée » : évolutionnisme, athéisme et guerre culturelle Anne Morelli, L’athéisme à l’Université Libre de Bruxelles
Gita Deneckere, Tensions entre science et foi à l’Université de Gand, 1850-1914
Alain Vannieuwenburg et Niels De Nutte, Le Blandijn, sans confession? Raison critique et athéisme au cœur de la formation en sciences morales dispensée à l’Université de Gand. Le rapport avec la laïcité organisée

Willem Elias, Leopold Flam (1912-1995) : « La philosophie, c’est l’athéisme » Patrice Dartevelle, Robert Joly (1922-1921), philologue rationaliste et athée

Libre pensée et idéologie politique : l’athéisme dans les milieux laïques et politiques

Jeffrey Tyssens, Franc-maçonnerie et athéisme
Christoph De Spiegeleer, Le mouvement libre penseur et l’athéisme à Bruxelles dans la seconde moitié du XIXe siècle
Caroline Sägesser, L’athéisme est-il soluble dans la laïcité? Regards sur 50 ans d’action laïque au CAL
Jacques Gillen, Athéisme et anarchisme en Belgique : entre athéisme intransigeant et tolérance face aux religions
François Belot, Au Parti Communiste de Belgique, l’athéisme au service de la lutte  des classes
Pierre Gillis, Le matériathéisme  de Bob Claessens

Critique des religions et blasphème : l’athéisme dans les milieux artistiques et littéraires

Michel Draguet, Rops à l’épreuve de l’athéisme
Christine Béchet, Surréalisme et athéisme en Belgique
Hans van Stralen, Aversion. Sur les traces du cheminement de Marnix Gijsen et Gerard Walschap vers l’athéisme


POUR SE LE PROCURER

– L’ouvrage peut être commandé dans toutes les librairies de France et de Belgique au prix de 25 €

– Les particuliers (et les libraires d’autres pays) peuvent également le commander auprès de l’éditeur en adressant un mail à atheesdebelgique@gmail.com et en versant le prix (+frais de port) sur le compte BE95 0688 9499 3058 (BIC : GKCCBEBB) de l’Association Belge des Athées.

Pour les commandes, envoyer un mail à atheesdebelgique@gmail.com

Illustration de couverture : Pol Bury, La fin du christianisme (1940),
Collection Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles/photo :

J. Geleyns-Art-photograpbhy, © SABAM Belgium.

Format : 159 X 210 mm Nombre de pages : 320 Poids : 485 gr.
ISBN : 978-2-931056-05-9

Octobre 2021

Tags : Alain Vannieuwenburg et Niels De Nutte Anne Morelli Anne Staquet Caroline SÄGESSER Christine Béchet Christoph De Spiegeleer François Belot Gita Deneckere Hans van Stralen histoire de l'athéisme Jacques Gillen Jeffrey Tyssens Michel Draguet patrice dartevelle Pierre Gillis Raf De Bont Willem Elias

Pourquoi l’athéisme et pas l’agnosticisme ?*

Posté le 9 octobre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle

Au plan historique, athéisme et agnosticisme ont une origine commune : l’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ. Cependant, si le mot « athée » est bien créé à cette époque, pour l’agnosticisme, seul le concept existe indubitablement, mais pas le mot.

Protagoras

C’est Protagoras (environ 490-420 avant Jésus-Christ) qui propose très tôt une théorie de la connaissance qui fonde son agnosticisme.

Le premier des sophistes, célèbre en son temps (Platon décrit l’effervescence lors d’un retour de l’Abdéritain à Athènes), a écrit une phrase, qui est le paradigme de départ de l’agnosticisme.

Elle provient de son ouvrage Sur les dieux, qui est perdu, mais qui est cité par plusieurs sources avec parfois de légères différences (Platon, Théétète 162 d ; Cicéron, De Natura deorum, I, XXIII, p. 63 ; Eusèbe, Préparation évangélique, XIV, p. 3, p. 7 ; Sextus Empiricus, Contre les physiciens, I, pp. 55-56).

Suivons Sextus Empiricus et Eusèbe qui ajoute la seconde phrase :

Des dieux je ne puis dire ni qu’ils existent ni qu’ils n’existent pas, ni quels ils sont quant à leur forme. Car nombreux sont les obstacles à ce savoir, leur invisibilité et la brièveté de la vie humaine.[1]

Au lieu de « invisibilité », on traduit parfois par « l’obscurité de la question ».

La formule s’inscrit dans la philosophie des sophistes.

Le livre Sur les dieux est le premier des Antilogies. Les Antilogies sont l’expression de la théorie sophistique sur l’existence de deux discours sur toutes choses, deux discours qui se contredisent ou s’annulent.

Cette position se concrétise par l’autre formule protagoréenne célèbre, utilisée par Sextus Empirucus et reprise par Platon qui, en outre dans Les Lois, 716 C, la reprend sous la forme d’une contradiction trait pour trait : « Or, pour nous la divinité doit être la mesure de “toutes choses” ».

Protagoras veut que l’homme soit mesure de toutes choses, de l’existence de celles qui existent et de la non-existence de celles qui n’existent pas[2].

Un commentateur chrétien, Didyme l’Aveugle, explique plus longuement le point de vue de Protagoras. Pour celui-ci, pour des choses qui sont, l’être consiste dans l’apparaître :

Pour toi qui es présent, j’apparais assis ; à celui qui est absent, je n’apparais pas assis : que je sois assis ou que je ne le sois pas est obscur » ou encore « En moi qui suis sain, il y a une perception du miel comme étant doux, alors qu’il est perçu comme amer par un autre qui est malade : qu’il soit doux ou amer est donc obscur[3].

Le doute absolu sur toute réalité fera estimer à d’aucuns – tant dans l’Antiquité postérieure à Diogène d’Œnonanda, épicurien du IIe siècle après Jésus-Christ, que chez les exégètes contemporains – qu’il devait s’ensuivre que Protagoras niait l’existence des dieux. On ne possède rien de tel et je ne crois pas à cette interprétation. Si Protagoras avait affirmé la non-existence de dieu, il aurait été en contradiction avec sa propre philosophie : seule l’apparence a une réalité et de celle-ci, on ne peut rien dire.

C’est au fond une position qui comporte certes une forme d’irrationalisme contestable, mais on peut la voir comme une position découlant d’une théorie de la connaissance. À mon sens, elle a peu à voir avec la timidité, l’irrésolution, ou la lâcheté que l’on prête habituellement aux agnostiques, que l’on soit athée ou déiste (et a fortiori théiste).

Le scepticisme

Le scepticisme semblerait mener le plus près de l’agnosticisme.

Ce n’est par exemple pas le cas du sceptique antique le plus représentatif, celui dont les textes ont été les mieux conservés, Sextus Empiricus (nous ne savons pratiquement rien de sa vie, il était actif vers 190). Comme Protagoras, il s’en tient aux phénomènes et sa critique porte sur ce qu’on dit des phénomènes. Curieusement – ses arguments sont d’une étonnante faiblesse –, il refuse de nier l’existence des dieux.

Comme le font le plus souvent les sceptiques, Sextus Empiricus s’en prend aux affirmations sur ce qu’est Dieu. Pour concevoir l’essence du cheval, il faut connaître la forme du cheval. Ceux qu’il appelle les dogmatiques disent tous des choses différentes sur Dieu : qu’il est incorporel ou corporel, qu’il est à l’image de l’homme ou non, qu’il est dans le monde ou à l’extérieur. « Qu’ils nous proposent une esquisse » écrit-il, car « on nous parle d’un être impérissable et bienheureux, mais nous ne connaissons pas l’essence de Dieu et donc de ses attentes non plus. »

Pour lui, la preuve de l’existence de Dieu ne relève pas de l’évidence et Dieu échappe à la compréhension.

Certains disent que Dieu est la providence de toutes les choses. Si c’était le cas, dit-il, il n’y aurait ni mal ni méchanceté. S’il n’est la providence que de certaines choses, pourquoi sélectionne-t-il ? Ou bien la providence vaut pour tout, elle a le pouvoir et la volonté, ou bien elle a la volonté sans le pouvoir, ou bien le pouvoir sans la volonté ou bien aucun des deux. Mais la première hypothèse a déjà été réfutée. Si la providence a la volonté sans le pouvoir, elle est moins puissante que la cause qui lui permet de l’empêcher d’être une providence. Si elle a le pouvoir, mais pas la volonté, elle est méchante. Si elle n’a ni l’un ni l’autre, elle est méchante et impuissante. Dieu n’est donc pas la providence des choses de ce monde.

Soutenir que Dieu existe et qu’il est la providence de toutes choses est donc une ineptie[4]. S’il y a bien critique des discours théologiques, on ne voit pas d’agnosticisme affirmé chez Sextus Empiricus.

Si la manière est différente, Montaigne (1533-1592) est bien un sceptique, mais pas un agnostique. Selon lui, tout ce que l’on peut dire, c’est que Dieu est une puissance incompréhensible. Les religions sont pleines de contradictions : les chrétiens justifient leur foi par la raison, mais ce qu’ils croient est contraire à la raison. On croit par coutume, pas par vraie conviction. Placé dans un autre contexte, on adopterait une autre religion. Puisqu’on ne peut pas décider en raison, le plus sage est de se conformer à la coutume.

Il n’a donc pas choisi la voie de l’agnosticisme, malgré l’époque qu’il connaît et ses meurtres innombrables pour raisons religieuses.

Le dernier sceptique que j’examinerai sera David Hume (1711-1776).

Dans ses Dialogues sur la religion naturelle, rédigés vers 1750, qu’il ne rendra pas publics de son vivant (mais dont il préparera la publication posthume en 1779), il met en scène trois personnages : un déiste, un théiste et un sceptique. C’est à ce dernier qu’il donne l’avantage, notamment dans sa conclusion. Pour Philon, le sceptique, une totale suspension du jugement est la seule ressource raisonnable[5].

Pour Hume, les religions ont une origine purement humaine. Elles proviennent de l’ignorance. Le dogme catholique de la présence réelle est ridicule : il sera probablement difficile, dans le futur, de persuader des peuples que des hommes aient pu croire ça !

Mais en définitive, tout est un inexplicable mystère et la seule solution : la suspension du jugement.

Il semble cependant être mort en athée.

On voit le problème général de toute la période chrétienne : l’obligation de croire (et de pratiquer) va interdire tout abandon manifeste de la croyance officielle. Les dissidents doivent ruser à leurs risques et périls. De ce fait, l’historique de l’athéisme, spécialement pendant cette période, est souvent difficile, ce qui ne justifie pas que Michel Onfray, dans son Traité d’athéologie[6], fasse commencer l’athéisme au curé Meslier et donc au tournant des XVIIe – XVIIIe siècles.

En cherchant un peu, on peut aussi citer le cas de l’empereur Frédéric II Hohenstaufen (1194-1250) dont on ne sait trop s’il était athée ou agnostique. Il était sans doute matérialiste. Georges Minois conclut à son sujet : « cette extrême curiosité, ce souci constant de vérification indiquent plutôt un esprit rationaliste et agnostique »[7].

Certains tentent donc une attitude de « négociation » avec le pouvoir.

Le cas le plus clair de ce type est sans doute celui de Pietro Pomponazzi (1462-1525), qui publie en 1516 un traité De l’immortalité de l’âme. Il conclut que l’idée de l’immortalité de l’âme est un subterfuge, mais tout le début du traité dit le contraire « puisque toutes les religions affirment l’immortalité de l’âme, le monde entier serait trompé si l’âme mourait ». Pourtant, l’époque est un peu particulière. Le pape de l’époque, Léon X, et plusieurs cardinaux ne croient guère à l’immortalité de l’âme.

Autour de Darwin

C’est autour de Darwin, qui va cristalliser la question de l’agnosticisme, qu’on peut définir comme « le refus d’assumer en tant que foncièrement non argumentable, toute proposition positive ou négative concernant l’existence et la nature, jugées non connaissables, des commencements absolus »[8].

Un concept peut exister sans qu’on sache qui a forgé le mot correspondant. Mais dans le cas d’agnosticisme et d’agnostique, on connaît l’inventeur, la date et les circonstances d’invention. Le mot a été proposé par Thomas Henry Huxley, le grand-père du biologiste et philosophe Julian Huxley (1887-1975) en 1869, dans le cadre des débats de la Metaphysical Society, dont il venait de se faire membre. T. H. Huxley était, selon Darwin, son « agent général » et il se définissait, lui-même, comme le « bouledogue » de Darwin. T. H. Huxley était sûrement très anticlérical et peut-être athée.

Huxley raconte l’histoire sur un mode ironique, provoqué par son agacement face à la juxtaposition des divers dogmatismes et des dogmatiques représentés au sein de l’association philosophique. Il leur trouve un point commun : ce sont des gnostiques, c’est-à-dire des gens qui affirment avoir une connaissance de l’inconnaissance. Ce terme va s’imposer, malgré une présentation de l’affaire qui est fortement ironique, relevant peut-être de l’humour anglais, à moins d’être une simple boutade. Huxley raconte que lors de sa présentation, il avait ressenti le malaise du renard, qui, après s’être échappé du piège, où il avait laissé sa queue, s’est présenté devant ses compagnons normalement pourvus de leur appendice. C’est une référence à une fable d’Ésope, reprise par La Fontaine sous le titre Le renard ayant la queue coupée, dont voici le texte :

Un vieux Renard, mais des plus fins,
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de lapins,
Sentant son Renard d’une lieue,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard en étant échappé,
Non pas franc[9], car pour gage il y laissa sa queue ;
S’étant, dis-je, sauvé, sans queue et tout honteux,
Pour avoir des pareils (comme il était habile),
Un jour que les Renards tenaient conseil entre eux :
« Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue ? Il faut qu’on se la coupe :
Si l’on me croit, chacun s’y résoudra.
– Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe :
Mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra. »
À ces mots il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu :
La mode en fut continuée. [10]

Le fond de la question est évidemment la position de Darwin lui-même.

Jeune, Darwin essaye d’entrer dans les ordres. Son grand voyage d’exploration s’écoule de 1831 à 1836, mais tout indique que c’est entre son retour et son mariage en 1839 qu’il abandonne le dogme et la religion, et « se convertit » au transformisme.

On a souvent soutenu que Darwin était agnostique. De fait, on trouve quelques déclarations de sa part allant dans ce sens. Dans son Autobiographie, écrite en 1876 pour ses enfants, il dit effectivement :

Je ne prétends pas éclairer des problèmes aussi complexes. Le mystère des origines de toutes choses est insoluble pour nous ; et quant à moi, je dois me contenter de rester agnostique.

Mais dans l’édition « restaurée » (sa femme était intervenue pour purger le texte original), il écrit : « Cette incrédulité gagna sur moi à un rythme très lent, mais fort à la fin, complète… et il ne m’est point arrivé, depuis, de douter, ne serait-ce qu’une seule seconde, que ma conclusion fût correcte »[11].

En outre, ses Carnets de 1837-1839 suggèrent, eux, que cet agnosticisme était pure façade pour cacher l’athéisme :

Éviter de montrer à quel point je crois au matérialisme ». Dans une lettre de 1853, il regrette d’avoir utilisé des expressions à consonance religieuse dans L’origine des espèces : « J’ai longuement regretté de m’être aplati devant l’opinion publique et de m’être servi du terme ‘création ’ ; en fait, je voulais parler d’une ‘ apparition ’ due à un processus totalement inconnu.[12]

Par expérience, Darwin n’a donc jamais été un militant de l’athéisme. À son propos, je rejoins Patrick Tort, qui préfère parler d’athéité, c’est-à-dire d’un état de conviction de fait de l’homme sans Dieu. Pour Patrick Tort, l’agnosticisme apparaît comme une position de confort parce que le fait d’argumenter une non-existence pose des problèmes logiques réputés insurmontables.

La théière de Russell

Effectivement, croyants et agnostiques somment souvent les athées de démontrer la non-existence de Dieu, ce qui est impossible en stricte logique, sauf cas particulier (montrer que l’athéisme et une autre proposition s’excluent l’une l’autre et que l’autre est fausse).

Une précaution s’impose toutefois. En 1952, Bertrand Russell (1872-1970) rédige un article « Y a-t-il un dieu ? » pour la revue Illustred Magazine, qui refuse de le publier.

Son argument est le suivant :

Si je suggérais qu’il y a, en orbite elliptique, autour du soleil, une théière de porcelaine et que j’ajoute qu’elle est trop petite pour être détectée, et que j’en arrive à conclure que cette proposition ne peut être réfutée, on me considérerait comme un illuminé. Mais comment se fait-il que si l’existence de cette théière figurait dans des livres anciens, qu’elle était enseignée aux enfants, etc., toute hésitation à le croire deviendrait un signe d’excentricité… ?

Certes, on lui répondra que sa suggestion est gratuite et que des millions de gens – dont certains très éminents –, croient en Dieu. N’empêche que renvoyer la charge de la preuve aux seuls athées n’est pas si « logique ».

En outre, comme le dit Dawkins, il n’y a pas de preuve de la non-existence de la licorne, mais personne ne doute de son inexistence.

Les « preuves » de l’existence de Dieu

Examinons donc les preuves ou arguments en faveur de l’existence de Dieu et, ensuite, les arguments en sa défaveur. Beaucoup sont anciens, la préoccupation étant surtout médiévale. Je n’examinerai pas les arguments valant contre une religion particulière, ses Écritures, l’historicité de son ou ses fondateurs. Ils ont leur importance, notamment historique : ils ont souvent été le premier stade d’une évolution menant à l’athéisme. Cependant, ils ne sont pas fondamentaux.

Comme l’a relevé Dawkins, l’Église et les théologiens ont fini par cesser de trop cultiver ces arguments. Trop de preuves peut vouloir dire pas de preuve.

En 1987, André Léonard, alors futur évêque de Namur et archevêque de Malines-Bruxelles, écrit un paragraphe sur la précarité des preuves de Dieu :

Les preuves convainquent généralement surtout ceux qui n’en ont pas besoin. Cette relative inefficacité n’affecte pas seulement les preuves formelles, développées de manière technique. Plus généralement, c’est tout chemin métaphysique vers Dieu, qu’il ait la forme d’une « preuve » ou non, qui semble marqué d’une incurable précarité. [13]

Face aux difficultés de la raison, la foi et ce qu’elle a d’ineffable prend, de plus en plus, le dessus. Pendant longtemps, on a cherché un Dieu tout-puissant comme consubstantiel à son existence même. De plus en plus, aujourd’hui, en Occident, on parle d’un Dieu modeste et faible, comme le font, par exemple, Gabriel Ringlet ou Frédéric Lenoir.

— La preuve ontologique de Saint Anselme de Cantorbéry (1034-1109)

Elle consiste en un syllogisme :

1. Dieu est un être parfait.

2. Une perfection qui ne comprendrait pas l’existence ne serait pas parfaite.

3. Donc Dieu est doté également de l’existence.

Dans la Critique de la Raison pure (1781 et1787), Kant a répondu à l’argument (qui peut se présenter sous une forme légèrement différente : il n’y a rien de plus grand que Dieu…). L’existence n’est pas une propriété intrinsèque et l’argument confond un contenu conceptuel et un prédicat existentiel. En outre, si Dieu est parfait, d’où viennent les imperfections ? Plus généralement, pour le philosophe, les choses en soi ne peuvent être connues mais seulement pensées et l’existence de Dieu ne peut être prouvée.

— L’argument de la cause première ou cosmologique

C’est l’argument de Platon, d’Aristote, de Saint Thomas et de Leibniz. C’est aussi un syllogisme :

1. Tout ce qui a commencé à exister a une cause.

2. Or, l’univers a commencé d’exister.

3. Donc il est, il existe une cause première – Dieu.

Kant n’a pas apprécié non plus cet argument, qui ramène au précédent.

On pose l’existence d’un être nécessaire, comme pour l’ontologique. Cette existence nécessaire devrait être démontrée expressément.

Plus humoristiquement, Bertrand Russell, dans son célèbre Pourquoi je ne suis pas chrétien (1927), se rapporte à l’Indien qui affirme que le monde repose sur un éléphant et l’éléphant sur une tortue et qui, quand on lui demande : « Et la tortue ? », répond : « Et si nous changions de sujet… ».

Mais, si tout a une cause, qu’est-ce qui cause Dieu ? Si Dieu permet d’expliquer la création du monde, d’où vient la création de Dieu lui-même ? Saint Thomas réplique que l’argument consiste à poser Dieu comme un être qui a, en lui-même, sa raison d’être. Ce n’est en fait qu’une manière d’habiller son ignorance. Si A cause B est une expérience possible, A cause A n’est pas possible en logique.

— Le Big Bang

L’exploitation du Big Bang, théorie du chanoine Lemaître en 1927, comme preuve de l’existence de Dieu, peut être une variante d’un argument du type « cause première ».

Le pape François, le 2 octobre 2014, déclare que le Big Bang ne contredit pas « l’intervention de Dieu, au contraire, elle la requiert ». Des physiciens ne suivent pas cela (même des catholiques comme Dominique Lambert, spécialiste du chanoine Lemaître). Le Big Bang ne désigne pas un instant zéro, mais le premier que nous atteignons avec certitude aujourd’hui.

— Le dessein ou le principe intelligent ou le plan

C’est l’argument le plus fréquent des déistes du XVIIIe siècle et spécialement de Voltaire. C’est encore un syllogisme :

1. Il est évident que le monde est inexplicable s’il n’y a pas un ordre en lui, pour que la nature fonctionne, les organismes naissent et vivent, etc.

2. L’ordre n’est pas spontané.

3. Il faut que la cause de l’ordre de la nature soit intentionnelle.

L’argument a été critiqué par Hume, dans le Dialogue sur la religion naturelle. Il estime que l’argument est fondé sur notre ignorance des causes réelles et que de là, on passe sans preuve à la certitude d’un dessein divin. En outre, nous ne savons pas si la matière, elle-même, n’a pas un principe d’ordre.

Mais surtout, l’argument est très affaibli par la théorie de l’évolution. L’ordre n’a pas été créé pour nous. C’est nous qui, par sélection, nous sommes adaptés au monde.

En outre, s’il y a un principe intelligent, comment expliquer les ratés de l’évolution, les branches qui disparaissent pratiquement (Neandertal) ? La disparition inéluctable de la vie dans le système solaire fait-elle partie d’un plan aussi remarquable ?

— L’argument du miracle de la vie

La vie n’avait qu’une chance sur des milliards d’apparaître, elle ne peut qu’être le produit d’une volonté. Mais il y a des milliards de planètes, dans un univers qui existe au moins depuis plus de dix millions d’années.

— Le pari de Pascal

Pascal, à un moment, admet qu’il n’y a pas de preuve, mais qu’on ne risque rien à parier. C’est une sorte de roulette russe, voire une forme d’agnosticisme.

— L’argument moral

Le syllogisme est :

1. Si Dieu n’existe pas, les valeurs morales objectives n’existent pas (le « tout est permis » de Dostoïevski).

2. Or, la valeur morale objective existe.

3. Donc Dieu existe.

L’argument des valeurs morales objectives veut dire, par extension, que les nazis avaient beau trouver bonne moralement l’extermination des Juifs, leur point de vue aurait toujours été mauvais, même en cas de victoire de leur part.

Mais le lien entre l’existence de valeurs morales objectives et celle de Dieu n’est pas établi. En fait, certains trouvent souhaitable l’existence d’un Dieu garant des valeurs morales.

Les arguments contre l’existence de Dieu

On peut faire l’épreuve contraire et passer aux arguments contre l’existence de Dieu.

— L’argument métaphysique logique

L’argument vient de Carnap, qui l’a formulé en 1934. Pour lui, Dieu n’est pas un être dont l’existence puisse être vérifiée empiriquement. Il en va de même, selon lui, – c’est le point fondamental de sa philosophie analytique – de tout énoncé métaphysique. Tout cela est vide de sens.

Si quelque chose n’est pas « prouvable », cela n’existe pas et s’en occuper est une perte de temps. Ça me semble être la position de l’athée belge francophone Jean Bricmont, professeur de physique de l’UCL.

— Le paradoxe de l’omnipotence

Quand on parle de Dieu, il faut savoir de qui ou de quoi on parle. Quel est le rapport entre Dieu et les lois naturelles ?

On peut soutenir – c’est très dominant aujourd’hui –, que les lois naturelles sont indépendantes de lui. Si c’est le cas, nous restons dans la pleine rationalité, mais quel sens a encore ce Dieu ? On est proche des dieux de Lucrèce qui vivent dans les inter-mondes et n’agissent sur rien.

Cependant, on peut également soutenir que Dieu a le pouvoir d’empêcher qu’arrive quelque chose qui devait arriver. Il peut se dispenser des lois naturelles ou les modifier à sa guise. C’est la position de ceux qui croient à la religion, à la superstition, aux miracles. C’est la position de ceux qui contredisent le résultat de l’analyse du Suaire de Turin par le carbone 14 : Dieu ne dépend pas du carbone 14, il ne s’applique pas à lui. C’est possible, mais cela signifie que tout notre savoir scientifique n’est qu’un jeu pour les enfants, ce qui contredit notre expérience quotidienne.

— Argument de la superfluité

C’est l’argument de Laplace quand Napoléon lui fait remarquer l’absence de Dieu dans son système : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Ce n’est pas un argument dirimant. Il montre qu’on peut se passer de Dieu – et donc probablement qu’il n’a pas d’importance pour l’homme –, mais pas qu’il n’y a pas de Dieu.

— L’indigence de la création et l’existence du mal

L’argument vient de ce que, s’il existe un créateur du monde parfait, sa création doit être parfaite, sinon le créateur n’est pas parfait. Le monde étant imparfait, il n’y a pas de créateur parfait.

L’argument du mal est une variante de cet argument. Sextus Empiricus avait déjà exposé l’argument. On peut répondre que la douleur n’est qu’une illusion, ou que ce Dieu est mauvais, ou laisse faire le mal par manque de puissance.

Ces dernières années, bien des philosophes, historiens ou théologiens chrétiens ont avoué ne pas pouvoir résoudre la compatibilité de l’existence de Dieu et de celle du mal. C’est le cas de Monseigneur Léonard, de Jean Delumeau et d’Adolphe Gesché. Ce dernier a essayé de sauver la mise en disant que si Dieu a permis le mal, il est surtout le premier adversaire du mal et il conclut : « Ce n’est plus le mal qui est une objection contre Dieu, mais plutôt Dieu qui devient l’objection du mal ». Dans ces conditions, « la théodicée classique de l’homme, et ‘la redécouverte’ d’un Dieu, certes plus fragile et vulnérable, est la seule pourtant qui puisse nous délivrer »[14].

— L’argument de l’invention de l’idée de Dieu

C’est la thèse de Feuerbach dans son Essence du christianisme en 1841. Pour lui, croire en Dieu relève de l’aliénation et par là, il va influencer Marx. Pour lui, l’homme se dépouille de ses qualités et les attribue à Dieu. L’homme s’appauvrit pour que Dieu soit tout. Pour que Dieu soit tout, l’homme doit n’être rien.

Dieu est une projection de l’homme, par laquelle il se coupe de lui-même. En Dieu, l’homme adore ses propres vertus et la religion : c’est le rapport de l’homme avec lui-même, ou plus exactement avec son être, mais un rapport avec son être qui se présente comme être autre que lui.

L’athéisme n’est pas une croyance

Je dirais donc que l’argument habituel « on ne peut pas démontrer la non-existence » peut être contrebalancé. Les arguments pour l’existence de Dieu ne convainquent pas. L’évolution des croyants vers une croyance intérieure, dont on ne peut rendre compte, qui saisit l’individu, me conforte.

Dans une interview, le cardinal-archevêque de Bruxelles-Malines, Monseigneur De Kesel, répond que deux théologiens l’ont beaucoup influencé. L’un est Dietrich Bonhoeffer, un protestant, inspirateur de la théologie de la mort de Dieu[15]. Pour lui, Dieu ne consiste pas en un apport surnaturel destiné à compléter les incapacités humaines, il y a unité entre Dieu et la réalité. Sa conclusion est qu’« il nous faut vivre en tant qu’homme qui parvient à vivre sans Dieu ». Un pareil Dieu ne peut démontrer son existence. Même un cardinal n’y songe plus. Croire est en fait, aujourd’hui, en Europe, un choix personnel.

Quant aux preuves de l’athéisme, je dirais que si la vérité, la preuve que l’on entend, dans les sciences physiques, est essentielle et, si l’étendue de ce qu’elles peuvent démontrer s’est considérablement étendue, elle connaît des limites par ce qu’elle peut trouver, mais aussi par nature.

La morale ne peut, fondamentalement, relever des sciences physiques. Poser, sans hésiter, qu’il n’y a ni Dieu ni transcendance est la meilleure garantie de liberté et de vérité.

L’athéisme n’est pas une croyance. L’incroyant, après réflexion et intime conviction, affirme quelque chose concernant la structure de la réalité. Dans ce cadre, l’athéisme n’est pas une vérité, au sens des sciences physiques : c’est une vérité fondée sur une argumentation. Cela peut être aussi le parti d’un croyant, mais en sens inverse. Mais de ce côté, le recours à la raison semble une idée dépassée.[16]

Reste non pas la question de Dieu, mais celle de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ? ». La question est différente de celle de l’existence de Dieu qui ne me paraît en rien constituer la réponse dans ce cas. La seule réponse actuellement possible – ce sont les spécialistes de physique théorique qui peuvent aller plus loin – est que le monde, la matière n’a jamais eu de commencement et n’aura pas de fin, que le vide absolu n’est qu’une vue de l’esprit, que la matière ne peut provenir de rien sinon de la matière, comme l’a expliqué, par exemple, Noël Rixhon[17].

Tout est-il acquis pour toujours ?

Ce qui suit ne peut, certes, constituer un argument de fond pour démontrer la validité intrinsèque de l’athéisme, mais traduit les préoccupations de beaucoup d’athées et le sentiment de légèreté que leur donne la position d’agnosticisme ou d’athéité. L’agnosticisme moderne s’est justifié d’abord par la prudence, ensuite, à l’époque contemporaine, souvent par le sentiment de tranquillité causé par la certitude de la fin des religions.

Certes, le retour du religieux, et plus encore celui des religions ne sont pas si évidents. Par ailleurs, bien des changements sociologiques sont en cours.

Sur ce dernier plan, on ne peut que suivre, selon moi, Jean-Pierre Bacot, quand il relève que, grosso modo, en Europe, l’adhésion à une religion était, autrefois, tendanciellement un marqueur des classes supérieures, mais qu’aujourd’hui, elle est devenue tendanciellement un marqueur des classes socialement et culturellement inférieures, notamment du fait de l’immigration, elle-même plus multiple que beaucoup se l’imaginent[18]. La conséquence est que beaucoup de citoyens « de souche » voient très peu ce qui se passe par-dessous. Or, dans certains quartiers, même quand il y a une relative tolérance, elle ne s’étend pas aux athées[19].

Toute une génération, celle de mai 1968, a refusé de s’intéresser à la religion parce que c’était une affaire classée. Sartre ne voulait pas dire autre chose. Les religions traditionnelles dominantes sont, certes, en voie d’écroulement, presque partout en Europe de l’Ouest, mais il faut bien constater que les questions religieuses sont toujours là, et qu’il y a bien plus de violence religieuse, même en Europe de l’Ouest, ces vingt dernières années qu’au cours du siècle précédent.

La Cour européenne des droits de l’Homme prend, maintenant, plusieurs décisions par mois en matière religieuse (contre un arrêt de 1950 à 1993…). Est-on si sûr que les hymnes à la seule laïcité (qui n’implique pas l’athéisme – ce qui est vrai), dans le respect de toutes les convictions, soient suffisants ? Sans pour autant virer à la panique irrationnelle, la tranquillité et la confiance d’autrefois n’ont-elles pas quelque chose de « décalé » aujourd’hui ?

Une erreur grave serait de croire qu’il y a une évolution lente, mais linéaire et fatale, qui fait sortir du jeu les religions et le religieux. À cet égard, la situation de la Belgique est intéressante d’un point de vue historique.

Malgré l’absence de sondage, on peut estimer la situation de l’incroyance, en Belgique, avant 1914. Ainsi, pour Els Witte[20], vers 1900, cinquante-quatre pour cent de la population masculine (la base du calcul est électorale), appartient au monde non catholique. Cela n’équivaut pas aux athées, mais dans la virulente ambiance de l’époque, un tel chiffre explique que le monde du travail a quitté l’univers catholique. Mais d’autres chiffres viennent corroborer le premier. Dans les communes industrielles de Liège et du Hainaut, entre 1920 et 1924, on a de vingt à trente pour cent de non baptisés, et jusqu’à quarante-cinq pour cent de mariages uniquement civils. Seraing comptait quarante pour cent de non baptisés avant 1914. Après 1918, ce chiffre tombe à vingt puis à dix pour cent, et à cinq pour cent en 1960. Le nombre de divorces double entre 1900 et 1920, mais stagne ensuite jusqu’en 1949. Quant aux mariages uniquement civils, même dans les communes ouvrières, il oscille entre sept et dix pour cent de 1919 à 1949.

Dans le même ouvrage qu’Els Witte, John Bartier montre qu’en 1912, la Fédération nationale (belge) des sociétés de libres penseurs – tous se revendiquant de l’athéisme –, compte trois cent septante cercles locaux regroupant vingt-six mille membres[21]. En 1937, il n’y a plus que cent soixante-trois cercles et neuf mille membres. La Fédération a été dissoute il y a quelques années.

Plusieurs éléments entrent en ligne de compte pour expliquer cela, mais le principal est la réussite de la reconquête par l’Église des milieux populaires, grâce à son réseau syndical, mutualiste, hospitalier, scolaire… Une action de conquête, de reconquête de la religion peut se faire, même à époque récente.

Le cas de l’islam contemporain est identique. Le salafisme apparaît dans l’entre-deux-guerres, monte après 1950 et passe aux violences à partir des années 1970-1980. C’est une vraie division ou reconquête de l’islam.

Pour les cercles de libres penseurs, il faut en plus faire intervenir la rupture (par exclusion) d’avec le POB en 1912. Cette reconquête est terminée, mais le syndicalisme chrétien reste dominant. Rien n’est fatal et tout – surtout l’inattendu – peut se produire. La mode est passée, mais il y a trente ans, on supputait, même chez les laïques, le nom du groupe religieux nouveau (la « secte ») qui monterait en puissance, en remplacement, chez nous, du catholicisme (mormons ? Scientologues ?).

En matière religieuse, l’Europe n’est pas si loin de la situation de la fin de l’Empire romain.

Donc l’athéisme…

Il est fréquent que les athées jugent sévèrement les agnostiques. Le prototype de cette attitude est Engels qui déclare, dans l’introduction anglaise (1892) du Socialisme utopique et socialisme scientifique, que l’agnosticisme est un matérialisme honteux. Lénine est à peine plus tendre dans le chapitre IV de Matérialisme et empiriocriticisme (1909) : « Chez Huxley […], son agnosticisme, n’est que la feuille de vigne de son matérialisme ».

Tout récemment encore, le politologue de l’Université de Mons, Serge Deruette, vice-président de l’Association belge des athées, expose :

Pourquoi se revendiquer athée ? Et non, plus prudemment agnostique ? C’est que, cédant à la nécessité consensuelle d’un doute, dont il est de bon ton de se réclamer au sujet d’un Dieu, que l’on sait pourtant ne pas être et offrant l’avantage non négligeable d’éviter le reproche du « dogmatisme », l’agnosticisme est souvent une forme honteuse de l’athéisme[22].

Selon lui, comment comprendre qu’un Dieu « aurait, rien que pour les hommes, créé un univers qui compte, exclusivement dans ce que nous pouvons en observer, pas moins de 1023 étoiles ? ».

Il me paraît mieux inspiré que François de Smet, qui se complaît, dans une attitude toute d’athéité, quand il conclut : « Si la religion est en général le fruit d’un parcours collectif charrié par l’émulation du groupe, l’athéisme, lui, est condamné à rester le fruit d’une démarche intellectuelle mûrie dans la solitude d’une âme qui… »[23].

On peut certes, et heureusement, être agnostique et anticlérical, mais l’athéité, c’est l’absolu contraire de ce qu’il faut faire.

* Cet article est le texte, d’une conférence donnée le 18 avril 2017 à la tribune de « La Pensée et les Hommes ». Il peut être lu sur le site de « La Pensée et les Hommes » – sans les notes – dans la rubrique Toiles@penser, N°31 (2018).


Notes

  1. Traduction de Jean-Paul Dumont, Les Sophistes. Fragments et témoignages, Protagoras, B 4, Paris, 1969. ↑
  2. Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 216 S1., traduction de Jean-Paul Dumont. ↑
  3. Didyme l’Aveugle, « Commentaire sur le Psaume 34, 17 », traduit par Mauro Bonazzi dans Les Sophistes I, dir. Jean-François Pradeau, Flammarion, Paris, 2009, p.62. ↑
  4. J’utilise les pages 185-189 du volume Les Sceptiques grecs, textes choisis et traduits par Jean-Paul Dumont, Presses universitaires de France, Paris, 1966. ↑
  5. David Hume, Dialogues sur la religion naturelle, traduction et dossiers par Magali Rigaill, Folioplus, Paris, 2009, 256 p. ↑
  6. Michel Onfray, Traité d’athéologie. Physique de la métaphysique, Éditions Grasset, Paris, 2005. ↑
  7. Georges Minois, Dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres mécréants, Albin Michel, Paris, 2012, s.v. ↑
  8. Je reprends cette définition à Patrick Tort, Qu’est-ce que le matérialisme ? Introduction à l’analyse des complexes discursifs, Belin, 2016, Paris, p. 549. ↑
  9. Signifie ici « non sans dommage ». ↑
  10. Je cite d’après Patrick Tort, op cit., pp. 551-552. Huxley a raconté l’épisode dans un article publié dans Christianity and Agnosticism, New York, s.d., pp. 20-21 et dans la revue The Nineteenth Century, 25 février 1889, pp. 169-174. ↑
  11. Patrick Tort, op cit., note 281, p. 548. ↑
  12. George Minois, op cit., Albin Michel, Paris, 2012, s.v. ↑
  13. André Léonard, Les raisons de croire, Fayard, Paris, 1987, que je cite d’après Robert Joly Dieu vous interpelle ? Moi, il m’évite… les raisons et la croyance, EPO et Espace de Liberté, Bruxelles, 2000, 169 p., cf. p. 67. ↑
  14. Robert Joly, op cit., pp. 36-37. ↑
  15. Interview de Mgr Jozef De Kesel, La Libre Belgique, des 15,16 et 17 avril 2017. ↑
  16. C’est la position de Léo Apostel, Actes du colloque : Athéisme et agnosticisme. Problème d’histoire du christianisme, 16, p. 168, que je cite d’après Robert Joly, op cit., p. 17. ↑
  17. Noël Rixhon, « agnosticisme-matérialisme », in Cahiers d’éducation permanente de La Pensée et les Hommes, Dossier no 009-005, 2014. ↑
  18. Jean-Pierre Bacot, Une Europe sans religion dans un monde religieux, les Éditions du Cerf, Paris, 2013, p. 234. ↑
  19. Voir, par exemple, Ludivine Ponciau, « Contre le radicalisme, les Molenbeekois misent sur l’éducation religieuse », Le Soir du 10 février 2017. ↑
  20. Els Witte, « Déchristianisation et sécularisation en Belgique », in Histoire de la laïcité principalement en Belgique et en France, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1979, pp. 149-179. ↑
  21. John Bartier, La Franc-maçonnerie et les associations laïques en Belgique, op cit., pp. 177-200. ↑
  22. Serge Deruette, « Mais comment peut-on être athée ? », in Espace de libertés, no 456, février 2017, pp. 42-43. ↑
  23. François De Smet, « Être athée, est-ce bien raisonnable ? », Espace de libertés, no 439, janvier 2015, pp. 60-62. ↑
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Du bon ou du mauvais usage du mesliérisme

Posté le 9 octobre 2021 Par ABA Publié dans Histoire Laisser un commentaire

Serge Deruette

Cette réflexion sur ce que nous retenons ou faisons du message d’un penseur m’est venue à la suite de la lecture du petit opuscule que Marcel Sylvestre vient de consacrer à Jean Meslier, le « bon curé Meslier », athée et matérialiste, communiste et révolutionnaire (1664-1729)[1].

C’est qu’il y a le message lui-même, brut, massif, incontestable laissé par un penseur.

Et puis il y a ce que l’on y voit, ce que l’on y emprunte, ce que l’on y trouve ou veut y trouver, ce que l’on en fait. Ce à quoi et pour quoi on l’utilise, en somme.

On peut le considérer pour ce qu’il est, un message de son temps, inscrit dedans, marqué, modelé par lui, en phase avec les enjeux d’alors.

Et puis il y a son actualisation, les leçons que l’on en tire pour aujourd’hui, la façon dont nous le faisons parler, ce qu’il nous dit et ce que nous lui faisons dire. Ce que nous voudrions, ce que nous voulons qu’il dise. Lui faire dire ce qui nous parle en fait.

C’est que le message, aussi brut et massif soit-il, se transforme en son interprétation.

Meslier défend, déploie et développe l’athéisme. Pas de doute à ce sujet et rien à redire là-contre.

Mais quel athéisme ? et pourquoi l’athéisme ? pourquoi cet athéisme-là, son athéisme, le sien propre, et pas un autre ?

Si l’on pose ces questions, se profilent bien des pistes, bien des chemins qu’empruntent ceux qui se trouvent à cette croisée, trois siècles après lui, et après que le monde fut transformé par la Révolution française et par la révolution industrielle, par le triomphe du capital et par l’impérialisme.

Ce que le penseur Meslier a dit se voit ainsi projeté dans la machinerie interprétative de ses lecteurs, faite de filtres et d’autant de transformateurs, d’accélérateurs, de convertisseurs, d’adaptateurs… Il y a ce qu’il a pensé en fonction d’objectifs qui étaient les siens, inscrits dans son époque, ceux de son choix de société, de sa conception du monde et de la vie. Et il y a ce que l’on pense qu’il a dit et voulu transmettre : souvent, ce que l’on croit et aussi ce que l’on veut croire qu’il a dit – ou aimerait qu’il ait dit – en fonction de préoccupations qui sont autres que ne l’étaient les siennes, à partir d’autres visées politiques, sociales, idéologiques, morales qui sont celles de notre temps, des enjeux de notre temps et des choix que l’on y opère, que l’on défend, et parfois pour lesquels on se milite aussi.

Dans son petit ouvrage qui se veut de vulgarisation, Sylvestre nous offre une belle illustration de cela. En tenant à actualiser le discours de Meslier, il nous montre par évidence – il n’en fait pas mystère tant il est clair là-dessus – que le Meslier dont il parle n’est rien d’autre que ce qu’il voit en lui, ce qu’il veut y voir plutôt : ce qu’il y cherche et donc ce qu’il dit en découvrir. Un peu comme si son œuvre était une auberge espagnole somme toute, où l’on trouve ce que l’on y apporte. C’est que le Meslier qu’il présente, il le modèle par omissions et déformations, anachronismes et décalages de perspectives à l’image de ses conceptions propres : il le construit par raccourcis historiques où, comme dans un rétroviseur, l’on jetterait un regard rétrospectif, à la fois entaché par la vision que l’on a du présent et que le présent nous offre, par exportation dans les temps passés des valeurs de notre époque, et par importation aussi dans les temps présents de ce que l’on trouve comme charmes à une époque révolue.

Cette interprétation de l’œuvre de Meslier, l’auteur québécois l’effectue également par occultation d’une large partie du message, multiple et radical, à la fois matérialiste, communiste et révolutionnaire de ce penseur, n’en retenant essentiellement que l’athéisme et la critique religieuse, glissant à sa surface, en lissant les vagues, ignorant le tsunami qu’il représente comme moment de l’histoire de la philosophie et de la pensée politique, pour le ramener à ses préoccupations propres, celles des débats actuels qui agitent le monde laïque québécois. Ainsi motivé, Sylvestre le fait par l’attention qu’il porte à ce qui est aujourd’hui le moins décisif et le plus consensuel dans le Mémoire[2] d’un penseur qui pourtant révolutionnait les idées à l’aube du siècle des Lumières, et dont il ne semble pas du tout avoir conscience de la force « ruptrice ».

Choisissant d’aborder l’œuvre de Meslier sous l’angle de la critique religieuse (le titre de son livre l’indique bien)[3], Sylvestre réduit à la portion congrue tant la méthode que la teneur de la construction de son matérialisme et les démonstrations qui constituent près de la moitié des pages de son volumineux Mémoire. De même, il traite sans s’y arrêter, comme à la hâte, sa réflexion sociale et politique, obombrant le projet et le programme révolutionnaires que Meslier expose pourtant avec force et clarté dans la conclusion de son ouvrage et qui constitue la raison même pour laquelle il l’a écrit. Quant au projet communiste qu’il prône, celui du partage en commun du travail et des richesses qui en découlent, il est carrément passé sous silence. Somme toute, là où Meslier est prolixe et décisif, Sylvestre est étonnamment laconique et évasif.

Les préoccupations de Meslier risquent fort, à ce jeu, d’être métamorphosées en celles de la manière dont ce militant laïque québécois d’aujourd’hui perçoit la laïcité à l’intérieur des enjeux qui agitent celle-ci au Québec[4]. C’est-à-dire transmuées et confisquées en ses préoccupations propres, celles de sa laïcité propre, celles de son athéisme à lui, de la manière dont il les conçoit et les interprète, les traduit et les mobilise.

Je ne m’attarderai pas ici sur la légèreté avec laquelle Sylvestre aborde le matérialisme de Meslier qu’il tend à confondre avec du « rationalisme »[5] et m’en tiendrai à la manière dont il traite sa pensée politique. S’il le fait, et ici à bon escient, au travers de la dénonciation du travestissement qu’en avait opéré Voltaire en publiant un Testament du curé Meslier mutilé et mensonger, c’est pour travestir lui-même pareillement la pensée communiste et révolutionnaire mesliériste, la transformant en une forme d’humanisme consensuel et de bon aloi.

C’est que, tel qu’il l’annonce d’entrée de jeu, l’angle de vue à partir duquel Sylvestre envisage cette œuvre pionnière est celui des rapports d’opposition entre raison et foi qu’il situe, écrit-il, « dans le contexte des débats contemporains sur la contestation de la laïcité de l’État au nom de ces mêmes prétendues vérités révélées » (celles que dénonçait Meslier) (p. 7). Dans ces débats, il prend ouvertement position pour une conception particulière. Non celle d’un État dont seraient séparées les religions, mais d’un État qui devrait les combattre sans pour autant être remis en cause en tant qu’appareil servant les intérêts des puissants, à l’opposé donc de ce qu’était la démarche de Meslier visant à renverser celui de son temps. Car si le curé d’Étrépigny revendiquait bien d’« abolir entièrement la tyrannie et le culte superstitieux des dieux », il ne le réclamait pas à l’intérieur de l’État d’Ancien Régime sous lequel il vivait, mais l’envisageait conjointement à l’abolition de l’État de son temps, une fois la révolution faite, et instaurée la dictature qu’il prônait des opprimés sur leurs oppresseurs [6]).

Ainsi, lui faire endosser la paternité de préoccupations laïques partisanes relève d’une instrumentalisation de son message et en dénature le sens. Ce l’est d’autant plus que Sylvestre réclame que l’État interdise ce qu’il appelle le « voile islamique »[7] dans l’ensemble de la fonction publique (pp. 43 et 95), des positions qui, loin d’être un héritage contemporain de ce que pensait Meslier, lui étaient absolument étrangères : s’il s’en attristait, il ne s’opposait en effet en rien aux manifestations de foi et de religiosité, qu’elles soient individuelles ou collectives, et l’on ne trouve nulle part dans son œuvre la moindre allusion à une éventuelle prohibition de signes qu’il aurait revendiquée que l’on impose au peuple, et aux femmes du peuple. Ce qu’il voulait éradiquer n’étaient pas les signes religieux ou ce que l’on considère comme tels, mais la raison profonde pour laquelle les gens du peuple (ses « paroissiens et tous leurs semblables »[8]) pouvaient éventuellement les arborer : la foi entretenue par les religions et les Églises qui maintenaient par celle-ci la soumission des peuples. Pour Meslier, ce sont les puissants qu’il faut renverser, non les femmes qu’il s’agirait de décoiffer.

Égaré par ses propres préoccupations laïques partisanes, Sylvestre occulte le véritable message de Meslier :

Unissez-vous donc, peuples, si vous êtes sages ! Unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de toutes vos misères communes ! Excitez-vous et encouragez-vous les uns les autres à une si noble, si généreuse, si importante et si glorieuse entreprise que celle-là ![9].

Et si, au travers de la dénonciation de la « trahison » du propos de Meslier par Voltaire, Sylvestre évoque « l’esprit révolutionnaire » de Meslier en ce qu’il avait « de quoi déplaire » à ce « riche notable » (p.84), et s’il note encore incidemment que le Mémoire « appelle à la révolte contre les politiques des tyrans comme le roi Louis XIV » (p. 88), alors que Meslier appelle à renverser les tyrans eux-mêmes – au tyrannicide donc –, Sylvestre passe sous silence le projet et le programme révolutionnaires que, pour la première fois en France – et la seule avant la Révolution –, le curé d’Étrépigny développe[10], de même que sa critique de l’Ancien Régime[11] et son plaidoyer pour une société sans classes[12]. Bien loin de la fidélité au message de Meslier, en prétendant s’appuyer sur celui-ci, Sylvestre s’en détourne et, précisément comme l’avait fait Voltaire, le dégrade et le dévoie.

C’est ainsi que, là où il condamnait la société de classes de son temps dans ses fondements mêmes (ceux de l’appropriation des richesses par la noblesse et le clergé), tout à ses préoccupations laïques, Sylvestre ne s’embarrasse pas de dénoncer la nôtre, constituée par l’appropriation privée et l’exploitation capitaliste que soutiennent et encadrent les États, qu’ils soient ou non laïques. Il se contente d’en réprouver ces quatre seuls abus que sont le « néolibéralisme », les « paradis fiscaux », la « délocalisation des entreprises favorisant l’exploitation des travailleurs » (non l’exploitation en tant que telle, qu’elle soit ou pas délocalisée) et la « société de consommation destructrice de notre planète » (non le capitalisme qui en est le fondement) (pp. 88-89). Meslier, en revanche, à mille lieues de tout discours réformiste, aussi laïque puisse-t-il être, visait à révolutionner la société. Il pensait que les inégalités sociales ne peuvent être éradiquées sans cette transformation radicale, il démontrait que richesse et pauvreté sont incompatibles, que l’une engendre l’autre, et qu’il s’agit donc de supprimer celle-ci pour éliminer celle-là.

On regrettera de même que Sylvestre conclue en ravalant le Mémoire à n’être que « l’engagement indéfectible d’un homme envers les vérités de la raison humaine », préludant à la pensée des Lumières (p. 91). C’est que Sylvestre, radical sur le plan de la critique religieuse mais modéré sur celui de la critique sociale, plutôt que de voir en Meslier ce penseur révolutionnaire qui dépasse en force tous les penseurs politiques français subséquents d’avant la Révolution, préfère le considérer d’abord et avant tout comme un défenseur de la raison en tant que telle, indépendamment de toute prise de position sociale et politique conséquente.

Embringuant de la sorte Meslier dans son combat laïque visant à ce que l’État troque sa « neutralité à l’égard des religions » au profit d’une posture plus combative (pp. 93 et 94-95), il conclut donc que le Mémoire « nous incite à aller au-delà de la neutralité de l’État inhérente à la laïcité » (p. 96 et dernière).

Que l’on est loin, bien loin, aux antipodes même, de Meslier ! Lui s’opposait à la fois aux puissants de son monde et aux religions qui en bénissaient les exactions, qui écrivait de la façon la plus limpide qui soit :

La religion soutient le gouvernement politique si méchant qu’il puisse être et, à son tour, le gouvernement politique soutient la religion si vaine et si fausse qu’elle puisse être.[13]

Oublier cette motivation, c’est le ravaler à bien peu. L’athéisme de Meslier est une chose, celui de Sylvestre en est une autre. L’athéisme du premier est vu d’en bas[14], il est révolutionnaire, radical, social. Celui du second est vu d’en haut, il est réformiste, laïque, personnel. Tant il est vrai que Meslier s’en prend à un État qui défend les puissants et les oppresseurs, là où Sylvestre, réclamant que l’État défende la laïcité avec plus de pugnacité, nourrit l’idée qu’il serait au-dessus des classes. Et celle que combattre les religions et promouvoir la rationalité et la science suffirait au bonheur des peuples.


Notes

  1. Marcel Sylvestre, Jean Meslier et l’imposture spirituelle, Presses de l’Université Laval, 2021, 103 p. ; et en ligne : http://www.pulaval.com/commandes/998016e279b24093b37b8a07b632b2df. ↑
  2. Un Mémoire qu’il persiste à appeler « Testament », ce sur quoi là où tous les historiens des idées s’accordent aujourd’hui pour le distinguer de la publication tronquée et frelatée que Voltaire avait intitulée. Je passe aussi sur les nombreuses erreurs, approximations et naïvetés que l’on trouve dans le petit ouvrage de Sylvestre. J’en donne un aperçu dans le compte rendu que j’en fais dans les Cahiers Internationaux de Symbolisme, Ciéphumons, Université de Mons, n° 155-156-157, 2021). ↑
  3. « J’ai choisi, expose-t-il, de l’aborder en mettant l’accent sur l’imposture spirituelle que constituant toutes les religions » (p.18) ↑
  4. Le Québec, déjà agité depuis longtemps par la question des « accommodements raisonnables » auxquels s’opposent avec force certains partisans de la laïcité, l’est encore récemment par la « loi sur la laïcité de l’État » votée en juin 2019 qui, disposant que « l’État du Québec est laïque », interdit le port de signes religieux aux employés de l’État exerçant une position d’autorité et aux enseignants du secteur public. ↑
  5. Voir à ce propos mon compte rendu du livre dans les Cahiers Internationaux de Symbolisme, op. cit. ↑
  6. Il s’agissait bien, tel qu’il écrit explicitement, d’« opprimer tous les oppresseurs » (Conclusion du Mémoire, chap. 96). ↑
  7. Des sociologues, parmi lesquels par exemple Françoise Gaspard et Farhad Khosrokhavar (dans Le Foulard et la République, La Découverte, 1995) et Saïd Bouamama (L’Affaire du foulard islamique : production d’un racisme respectable, Le Geai bleu, 2004), ont montré depuis belle lurette pourtant que l’islam était loin d’être la seule motivation des femmes à porter le voile. ↑
  8. À qui il adresse expressément son Mémoire, ainsi qu’il l’indique dans son titre même de celui-ci. ↑
  9. Conclusion du Mémoire, chap. 96. ↑
  10. Ibid., « Conclusion », chap. 96. Je résume ce programme dans mon livre Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre (Aden, 2008), pp. 354-355. N’oublions pas que Meslier écrit souhaiter « que tous les grands de la terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres » (dans l’« Introduction » de son Mémoire), vœu que Sylvestre s’abstient d’invoquer. ↑
  11. Celle-ci couvre l’ensemble de sa « Sixième Preuve ». ↑
  12. Meslier en traite dans sa « Sixième Preuve » et conclut sur elle son Mémoire (chap. 96). Il en détaille aussi la stratégie dans ses « lettres aux curés du voisinage ». ↑
  13. Dès l’« Introduction » du Mémoire, chap. 2. ↑
  14. Je le montre dans mon étude « Jean Meslier ou l’athéisme vu d’en bas », dans A. Staquet (dir.), Athéisme voilé/dévoilé aux Temps Modernes, actes du colloque des 1er et 2 juin et des 26 et 27 octobre 2012, Académie royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, Bruxelles, 2013, pp. 215-238. ↑
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La Confession romantique et mystique de Louise Michel

Posté le 9 octobre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession romantique et mystique[1], comme dans les précédentes entrevues fictives [2], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[3]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Louise Michel, née à Vroncourt en 1830, connue comme femme, institutrice, écrivaine, communarde, athée, féministe, anarchiste et déportée. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Louise Michel – essentiellement, à ses Mémoires et à d’autres sources.[4]

Bonjour, Madame ou Mademoiselle, comment faut-il dire exactement ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [5] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Clémence-Louise Michel, née à Vroncourt dans la Haute-Marne, le 29 mai 1830.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Louise. Oui, je suis bien moi-même.

Mademoiselle, dit l’Inquisiteur, je ne peux vous appeler Louise, la chose ne sied ni à mon rôle, ni à mon état. J’espérais que vous diriez un peu de votre jeunesse et de votre attachement à la religion.

Il suffit de demander, mais je ne dirai rien des secrets de ceux qui m’ont élevée dans la vielle ruine de Vroncourt, où je suis née. La mousse a effacé leurs noms sur les dalles du cimetière ; le vieux château a été renversé. Au nid de mon enfance, les chattes s’appelaient toutes Galta ; les chats se nommaient tous Lion ou Raton. L’été, la ruine s’emplissait d’oiseaux. Quelle paix dans cette demeure et dans ma vie ! (M.49-53)

Oui, Mademoiselle, il se dit que vous êtes fille naturelle et que votre grand-père serait votre père.

Et alors ? Enfant, j’étais heureuse, choyée et bien éduquée chez et par mes grands-parents – j’y appris les Lumières. À vingt ans, tout s’écroula.[6] Mes grands anciens étaient morts, alors, on nous chassa pour vendre le vieux château. Le vieil homme Demahis, mon grand-père, était un personnage ironique comme Voltaire, gai et spirituel comme Molière ; il m’expliquait les livres que nous lisions ensemble. Il a laissé un seul poème où il dit vrai :

Ici, tout est vieux et gothique ;
Ensemble tout s’effacera :
Les vieillards, la ruine antique ;
Et l’enfant bien loin s’en ira.

Quant à ma grand-mère, son épouse, ce qu’elle pensait de la mort laissait comprendre ce qu’elle pensait ; on dirait un écho de Lucien et d’anciens philosophes :

Tout est silence et nuit dans la maison des morts.
Plus de chants, plus de joie, où vibraient les accords.
On murmure tout bas, et comme avec mystère.
C’est qu’on ne revient plus quand on dort sous la terre. (M. 57-58)

De ma mère, j’avais hérité de la foi chrétienne. Cette foi qui m’habitait était une mystique qui, attisée par la lecture du livre Les Paroles d’un Croyant de Lamennais[7], m’a conduite par étapes jusqu’à l’anarchie. Je suis partie des vertus chrétiennes de l’espérance et de la charité et je les ai métamorphosées en vertus laïques de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité.

Les Paroles d’un Croyant de Félicité de Lamennais ? Expliquez-moi un peu, Mademoiselle.

Comme vous le savez, Lamennais avait été un prêtre et un fervent catholique, un activiste, trop sans doute pour rester dans les limites acceptables par l’institution. Il se radicalisa et se mit à prêcher la révolution sociale à partir de l’Évangile et à dénoncer la collusion de l’Église avec les pouvoirs. Il a fini sa vie hors de l’Église et passe sa mort dans la fosse commune du Père Lachaise avec les pauvres et les déshérités. C’est à partir de ses idées que j’ai conduit ma foi vers la Révolution sociale. (M.58-59)

Vous pensez vraiment ça ? dit l’Inquisiteur.

Un journaliste de l’époque [8] disait : « Née dix-neuf siècles plus tôt, elle eût été livrée aux bêtes de l’amphithéâtre ; à l’époque de l’Inquisition, elle eût été brûlée vive ; à la Réforme, elle se fût noblement livrée aux bourreaux catholiques. » (M.43)

Oh, Mademoiselle, nous ne brûlons plus personne. On n’oserait plus. C’est une des conséquences de l’évolution.

À propos d’évolution, au sens de la théorie de Charles Darwin, dans la même préface de 1886, on lisait de la plume de l’éditeur :

Louise Michel n’est pas moins douée intellectuellement qu’au point de vue moral. Fort instruite, bonne musicienne, dessinant fort bien, ayant une singulière facilité pour l’étude des langues étrangères ; connaissant à fond la botanique, l’histoire naturelle – et l’on trouvera dans ce volume de curieuses recherches sur la faune et la flore de la Nouvelle-Calédonie – elle a même eu l’intuition de quelques vérités scientifiques, récemment mises au jour. (M.43)

Mais enfin, Mademoiselle, jeune, vous étiez croyante et bonne catholique. On vous voyait à l’église du village. Sans doute, alors, vous priiez Dieu.

Oh, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse ont de ces innocences ! Elles croient de bonne foi et la vie entière suit son cours. Ce le fut pour ma grand-mère, pour ma mère ; ce ne le fut pas pour moi. Dieu est une idée fausse. (M.423)

Malgré tout, Mademoiselle, on fait de vous des images contrastées et votre défense par votre ami Rochefort me paraît paradoxale : « Louise Michel, cette « sœur de charité » dont l’impardonnable tort est d’être laïque »[9].

Vous savez, cette sœur de charité est une expression désuète : elle date du temps où la religion était encore une référence et je n’ai jamais pensé qu’être laïque ou athée fut un tort.

Mademoiselle, le recteur d’académie de Haute-Marne, Pierre Fayet s’inquiétait de votre évolution vers l’impiété. (M.20-21)

J’ai répondu à Monsieur Fayet (M.423 – 425) que c’est parce que j’ai cru en Dieu dans mon enfance et dans ma première jeunesse que je sens la nécessité d’ôter de l’éducation cette erreur qui la couvre de ténèbres. Je ne pouvais croire longtemps à un Dieu éternellement tyrannique, tourmenteur et injuste. Je ne pouvais manquer de devenir athée, puisque je cherchais la vérité, la justice et l’idéal d’égalité et du développement humain.

Mademoiselle, vous savez toute l’importance du mariage et son caractère sacré et vous ne vous êtes pas mariée. Pourquoi ?

Pourquoi je n’ai pas voulu me marier ? Je vais vous le dire. (M. 424) La femme qui se marie sans amour se vend, et toute prostitution m’a toujours fait horreur ; je n’ai jamais accepté l’inégalité entre l’homme et la femme, je ne pouvais donc accepter le rôle de l’esclave. Ça, c’est la femme que j’étais devenue qui parlait, mais je vous raconte comment enfant, j’avais reçu mes deux prétendants. Voici donc (M. 93-95) : j’ai le souvenir de deux êtres ridicules qui m’avaient demandée à mes grands-parents dès l’âge de douze à treize ans. Le premier voulait « faire partager sa fortune » (qu’il faisait sonner à chaque parole comme un grelot) à une femme « élevée suivant ses principes ». Pour faire court, – il me couvait d’un œil de verre et je lui dis : « Monsieur, est-ce que l’autre est en verre aussi ? » ; il n’eut plus l’envie de faire de moi sa fiancée. Le second avait la même idée de se choisir une fiancée toute jeune et de la faire repétrir comme une cire molle avant de se l’offrir en holocauste. Et dire qu’il y a de pauvres enfants qu’on eût forcées d’épouser un de ces vieux crocodiles ! – Si on l’eût fait pour moi, je sentais que lui ou moi, il aurait fallu passer par la fenêtre.

Il y a en vous, dit l’Inquisiteur, je ne sais quel vent de mysticisme. D’où cela vient-il ?

Enfant, j’ai baigné dans le mysticisme, c’était le monde intérieur de ma tante. Je participais aux offices en jouant de l’orgue, je prenais note des sermons du curé. J’écrivais à Victor Hugo : « J’ai décidé de vouer ma vie à Dieu », mais devenue athée convaincue, je me suis demandé si j’avais vraiment cru. (F.11)[10] Quand on avait du temps de se dire des vérités les uns aux autres, Ferré [11] me disait que j’étais dévote de la Révolution. C’était vrai ! (M.81)

Dévote, mystique, Mademoiselle, comment vous conciliez ça avec votre apostolat révolutionnaire ?

Apostolat révolutionnaire ? En fait, je suis passée d’une mystique à une autre ; j’ai remplacé Dieu et sa promesse d’une éternité parfaite par la Révolution sociale, par la République universelle, dont je pense qu’elle sera la réalisation de l’Anarchie.

Quand donc, Mademoiselle, vous est venue cette idée d’abandonner Dieu et de changer le monde ?

Changer le monde, je l’avais toujours pensé, car si j’ai voulu être institutrice, c’est parce que je suis persuadée que c’est par l’éducation et l’école qu’on fera changer la société. (F.80)

Mademoiselle, vous croyez, vous avez la foi ?

Croire ? Ai-je jamais cru ? J’aimais l’encens comme l’odeur du chanvre ; l’odeur de la prune comme celle des lianes dans les forêts calédoniennes. La lueur des cierges, les voix frappant la voûte, l’orgue, tout cela est sensation. (M. 202). Avoir la foi, pourquoi pas ? La base de la foi, c’est la croyance et la base de la croyance, c’est l’espoir. Le tout est de savoir en quoi se niche l’espoir. Au début, je l’avais mis dans le catéchisme. J’ai cru et j’ai beaucoup espéré ; là était mon espérance : le paradis, Dieu et tout ce tralala. Mais face aux horreurs de toute cette bonté et de cette fausse justice, mon espoir s’est incarné dans la Révolution.

Et selon vous, Mademoiselle, ça mène où votre profession de foi ?

Ma conception de la vie et du monde ignore Dieu (il n’y a pas de place pour un tel faussaire) et elle ne connaît que le tout dans lequel on vit. C’est avec son époque entière qu’on sent, qu’on souffre, qu’on est heureux ; on n’est rien, et on fait partie du tout. (M.102) N’est-ce pas être matérialiste ? Voici le principe : « Tous doivent avoir part au banquet de la vie. » Mais certains – les riches et leurs affidés – s’y opposent, car à leurs yeux, où serait le plaisir de la richesse s’il n’y avait pas à comparer ? (M.131)

Et la mort, Mademoiselle ?

Pour l’être vivant, il n’y a rien après la mort. (M.203) À propos, aimez-vous ma ballade du squelette, que j’écrivis quand j’étais jeune fille ?

Jeune fille, ouvre-moi.
Viens ; j’ai de blanches mains et des amours fidèles
Et j’aurai des éclairs dans mes yeux sans prunelles
Pour regarder encor la reine du tournoi. (M. 106)

À la fin, la jeune fille aime le squelette et le suit dans l’inconnu.

Il me semble, Mademoiselle, que vous prenez la mort par-dessus la jambe.

Vous savez, quand on est passé par Satory[12], la mort est morte ; c’est de continuer à vivre qui est difficile. À Satory, on appelait pendant la nuit des groupes de prisonniers. Ils se levaient de la boue où ils étaient couchés sous la pluie, et suivaient la lanterne qui marchait devant ; on leur mettait sur le dos une pelle et une pioche pour faire leur trou, et on allait les fusiller. (M.168) Personne ne sait quel courage il faut pour vivre. (M.176) Prisons, mensonges et tout le reste ? Que ferait la mort ? Ce serait une délivrance. (M. 155) Dans sa lettre, adressée à sa sœur Marie avant de mourir, Théophile Ferré ne disait pas autre chose. Comment prendre la mort au sérieux ? La mort est une farceuse, elle m’a prise par surprise à Marseille en janvier 1905 dans un hôtel au nom charmant d’Oasis ; j’y étais de passage.

Que pensez-vous, Mademoiselle, du créateur, de la création ?

Si un être quelconque avait inventé la vie, à quelle horrible chaîne on lui devrait d’être attachés ! Je voudrais bien savoir de quoi ceux qui y croient remercient la providence.(M64) J’y substitue une œuvre certainement plus humaine : la nature domptée servira l’humanité, la science ira en avant et, par les chasseurs de l’inconnu, ouvrira la route, abattra les forteresses, forcera tous les mystères où la bêtise nous maintient. (M. 64-65)

Et que dites-vous, Mademoiselle, du pouvoir de la toute-puissance divine ?

Je dis comme le Vieux de la Montagne[13] : Ni Dieu, ni Maître. (M. 300) ; je dis aux amis : que nul d’entre vous ne soit assez fou pour songer à un pouvoir quelconque. (M.288) Les anarchistes se proposent d’apprendre au peuple à se passer de gouvernement comme il commence déjà à se passer de Dieu. J’avais ma place au procès des anarchistes et j’en partage toutes les idées. (M.309)

Vous imaginez ça, Mademoiselle ? L’avenir de l’humanité sans Dieu ?

L’avenir de l’humanité sans Dieu ? C’est le seul possible, car tant que la divinité obscurcira le monde, l’homme ne pourra ni le connaître ni le posséder ; au lieu de la science et du bonheur, il n’y trouvera que la misère et l’ignorance. Bien des hommes m’ont dit, comme la vieille de l’écrégne[14] : « Faut pas parler comme ça, petiote ; ça fait pleurer le bon Dieu. » (M.193-195). Qu’il pleure donc s’il en est capable, mais la pensée, la pensée libre, roulant à travers la vie, se transforme et grandit. L’homme futur aura des sens nouveaux ! Les arts seront pour tous. L’art pour tous, la science pour tous, le pain pour tous ; l’ignorance n’a-t-elle pas fait assez de mal ? Et alors, le troupeau humain sera l’humanité. (M.198)

Mademoiselle, sans vouloir m’immiscer plus avant dans vos autres activités révolutionnaires, il me revient que vous étiez anticléricale et que dans l’école de la rue Oudot, vous professiez les doctrines de la libre pensée.

Au temps de la Commune, au club de la Révolution, j’ai fait voter une adresse demandant la suppression des cultes, l’arrestation immédiate des prêtres, la vente de leurs biens. (M. 359) Mais nous n’avons jamais voulu prendre ces biens pour nous ; nous ne songions qu’à les donner au peuple pour le bien-être. (M.363)

Comme institutrice, reprend l’Inquisiteur, quels étaient les sentiments de morale et de religion que vous cherchiez à inculquer dans le cœur de vos élèves ?

Comme institutrice, la morale que j’enseignais était celle-ci : le développement de la conscience assez grand pour qu’il ne puisse exister d’autres récompenses que le sentiment du devoir accompli. Quant à la religion, elle était abandonnée à la volonté des parents. (M.395)

Vous aviez des idées bien arrêtées en religion, insiste l’Inquisiteur.

Je professais l’abolition radicale du culte et son remplacement par la morale, qui pour moi, se résumait à n’agir que selon ses convictions et à traiter tous les autres et soi-même avec justice.(M.397) Dans la Révolution, il n’y a pas de place pour le prêtre : toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite.

Mademoiselle, dit l’Inquisiteur, vous avez été franc-maçonne ?

En effet, mais pas longtemps. (M.520) J’ai été reçue quelques mois avant ma mort dans la loge « La Philosophie sociale » ; des amis étaient venus me chercher ; ils voulaient se servir de ma notoriété comme d’un levier pour leur propagande, je n’ai pas voulu les décevoir. (F.71) Depuis, d’autres ont fait pareil. On m’a tirée de tous les côtés, mais je l’affirme avec force : jeune, j’étais devenue anarchiste et je le suis restée et qu’on ne me fasse pas dire autre chose.

Vous avez, dit l’Inquisiteur, collaboré à la revue « L’Excommunié – Organe de la libre pensée » et vous y teniez une opinion terrible pour la religion.

N’y parlais-je pas de la condition de la femme et du prolétaire ? J’y voyais la sainte alliance frapper toujours le serf et la femme. Tout se tient dans le vieux monde qui croule et dans le nouveau monde qui émerge. J’admets mon utopisme : c’est le lot de tous les révolutionnaires, avant qu’ils ne finissent par déchoir au pouvoir. J’y parlais en visionnaire et j’anticipais erronément l’heure du triomphe, mais j’y dénonçais la complicité de la religion et du pouvoir. Tyrannie du ciel et tyrannie de la terre, servage du peuple et servage de la femme. Tout se tient : les tyrannies tombent avec les Zeus tonnants de toutes les mythologies. Aujourd’hui, j’ajoute : et elles se relèvent. (M.439)

Mademoiselle, il faudra bien que je croie que vous étiez athée.

Athée, car l’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison. Dieu est une idée, une sorte de pantin sidéral, fils de l’ignorance, un être monstrueux en dehors du monde et de l’homme, un obstacle à son affranchissement. Expulser Dieu du domaine de la connaissance, l’expulser de la société, est la loi pour l’homme si l’humanité entière veut arriver à la science et veut réaliser le but de la Révolution. Demain, on dira : les religions se dissipent au souffle du vent et nous sommes désormais les seuls maîtres de nos destinées. (M. 185) Il faut être athée pour comprendre et vouloir cet avenir-là.

Finalement, Mademoiselle, il me faut vous saluer convaincu que vous êtes à la fois athée et croyante.

Oui, athée, passionnément et croyante, car je crois avec enthousiasme en la Révolution comme d’autres croient en Dieu. Mon idéal était à vingt ans ce qu’il est à présent : l’humanité haute et libre sur une terre libre[15]. (P. 115) Par-delà notre temps maudit viendra le jour où l’homme, conscient et libre, ne torturera plus ni l’homme ni la bête. Cette espérance vaut bien qu’on s’en aille à travers les horreurs de la vie. (M. 164) Ni Dieu, ni Maître !


Notes

  1. Mystique : voir dans l’article Mystique, notamment : Personne qui adhère avec une passion extrême à un idéal artistique, politique, social. Les mystiques de la Révolution. Croyances, doctrines, thèses, idéologies, etc. qui suscitent une adhésion de caractère passionné. Sentiment exacerbé et absolu centré sur une représentation privilégiée et quasi mythique ; p. ext. tout idéal quel qu’il soit. ↑
  2. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot. ↑
  3. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  4. Louise Michel, Mémoires 1886, édition établie par Claude Rétat, Gallimard, Folio, Paris, 2021, 576 p. Pour tout le texte, les indications entre parenthèses (M…) renvoient aux Mémoires à la page correspondant au numéro. ↑
  5. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  6. Voir Le Maitron (Dictionnaire des anarchistes), MICHEL Louise. ↑
  7. Félicité Robert de Lamennais, Paroles d’un Croyant, Renduel, Paris, 1834, 239 p. – un texte de référence du christianisme social en rupture avec l’Église dénoncée comme complice de la tyrannie. ↑
  8. L’Éditeur Roy, Préface de 1886 (des Mémoires), citant Le Figaro, 11 février 1886, note 3, in « Mémoires », Gallimard, Folio, Paris, 2021, p.43. ↑
  9. Sidonie Verhaege, La jeunesse de Louise Michel : enjeux politiques des récits sur les origines d’une révolutionnaire. ↑
  10. Denise Oberlin, Nicole Foussat et collectif GLFF, Louise Michel, une femme debout, Voix d’Initiées, Les Presses maçonniques, Paris, 2012, 104 p. ↑
  11. Voir le Maitron (Dictionnaire des anarchistes), FERRÉ Théophile, Charles, Gilles. ↑
  12. Satory : il s’agit plus exactement du camp d’internement de Satory (près de Versailles). En 1871, le camp de Satory fut le lieu de détention de milliers de communards qui vécurent plusieurs mois sans abri ni soin. Un grand nombre moururent de maladie, de blessures ou furent abattus et inhumés sur place, entre l’étang de la Martinière et le « Mur des Fédérés » où subsiste une fosse commune, à l’emplacement de laquelle une plaque commémorative a été apposée. ↑
  13. Le Vieux de la Montagne : il s’agit d’Auguste Blanqui – Louis Auguste Blanqui, surnommé « l’Enfermé », né le 8 février 1805 à Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) et mort le 1er janvier 1881 à Paris, révolutionnaire socialiste français, fondateur du journal Ni Dieu, Ni Maître. ↑
  14. Écrégne (ou écraigne, escraigne) : « L’écrégne, dans nos villages, est la maison, où, les soirs d’hiver se réunissent les femmes et les jeunes filles pour filer, tricoter, et surtout raconter ou écouter les vieilles histoires », Louise Michel, Mémoires, p. 51. ↑
  15. Pierre Durand, Louise Michel, la passion, Le Temps des Cerises, Paris, 2005, 180 p. ↑
Tags : anarchie athée athéisme croyance dieu écrivain foi Louise Michel Lumières mort Philosophie

L’athéisme déshabillé

Posté le 25 août 2021 Par ABA Publié dans Athéisme, Conférence Laisser un commentaire

Les enjeux de l’athéisme en Belgique aujourd’hui et demain

PROGRAMME

10h00 Accueil et introduction par Marianne DE GREEF, Présidente de l’Association Belge des Athées

10h10 Caroline SÄGESSER, Chercheuse au CRISP – Croyances et mécréances dans la Belgique d’aujourd’hui 

10h50 Patrice DARTEVELLE, Association Belge des Athées et Ligue pour l’Abolition des lois réprimant le Blasphème et le droit de s’Exprimer Librement (LABEL) – Athéisme et (in)tolérance

11h30 Pierre GILLIS, Université de Mons-UMONS – Rationalité : un cap à maintenir face à des vents contraires

12h10 Questions

12h30 Pause et repas à la Maison des Anciens

14h00 Serge DERUETTE, Université de Mons-UMONS– Athéisme et enjeux politiques 

14h40 Véronique DE KEYSER, Présidente du Centre d’action laïque – Laïcité et athéisme 

15h20 Débat Rationalité, laïcité et athéisme

16h20 Conclusions

16h30 – Fin des travaux

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« Croyance (ir)rationnelles : esprit critique est-tu là ? » par Virginie Bagneux

https://www.youtube.com/watch?v=2g-QwBSQKWY

« De la banalité de l’irrationnel : réflexions sur une contre-culture ordinaire » par Damien Karbovnik

https://www.youtube.com/watch?v=bnx44tqgKrQ

Les « miracles scientifiques » du Coran…

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