L’athéisme, une nécessité ?

L’année 2011 mar­que le 200e anniver­saire de la pre­mière pub­li­ca­tion d’un clas­sique de l’athéisme, l’essai « La néces­sité de l’athéisme » du poète doué Percy Bysshe Shel­ley. Ce geste courageux a valu à son auteur l’expulsion de l’université Oxford. L’athéisme était effec­tive­ment éminem­ment néces­saire à cette époque – comme à la nôtre d’ailleurs – où des croy­ances bizarres et dan­gereuses menaçaient l’humanité. Mais je crois que Shel­ley util­i­sait ce mot « néces­saire » dans son sens stricte­ment logique, c’est-à-dire pour sig­ni­fier : inévitable, inéluctable, cer­tain. « Tout esprit qui réflé­chit doit recon­naître qu’il n’y a aucune preuve de l’existence d’une divinité » écrit-il. Toute­fois, cela ne veut pas dire que nous devons nous con­finer dans le doute absolu, inca­pable de trancher entre théisme et athéisme, car, comme Shel­ley nous l’explique, « Dieu est une hypothèse, et, en tant que telle, ne peut tenir sans preuve : le fardeau de la preuve pèse sur le théiste. »

L’athéisme n’est pas un acte de croy­ance; au con­traire, il est essen­tielle­ment une incroy­ance, le sim­ple rejet d’une hypothèse gra­tu­ite et infondée. Selon Shel­ley, « il est évi­dent que, en l’absence de preuves provenant des trois sources de con­vic­tions [les sens, la rai­son et le témoignage d’autrui], l’esprit ne peut croire en l’existence d’un Dieu créa­teur… » Dieu est un nom inventé « afin de dis­simuler notre igno­rance des causes et des essences. » Le pro­grès de la sci­ence sonne le glas de la croy­ance en dieu. « Si l’ignorance de la nature a enfanté les dieux, c’est la con­nais­sance de la nature qui doit for­cé­ment les anéantir. »

Effec­tive­ment, l’athéisme est une cer­ti­tude, mais non pas une cer­ti­tude absolue basée sur la foi. Au con­traire, c’est une cer­ti­tude sci­en­tifique, basée sur l’observation de la réal­ité, et hors de tout doute raisonnable. La non-existence des dieux du chris­tian­isme, ou de l’islam, ou du judaïsme, ou du zoroas­trisme est aussi cer­taine que la faus­seté du géo­cen­trisme. Ces deux con­stata­tions sont fondées sur l’observation (absence de preuves qui con­firmeraient la thèse, présence de preuves qui l’infirment). De plus, la faus­seté de l’hypothèse-dieu est une con­séquence inévitable de la nature inco­hérente de tout dieu duquel on essaie de don­ner une déf­i­ni­tion claire et nette – et nous savons jusqu’à quel point le dis­cours religieux manque de clarté!

Toute reli­gion sur­na­turelle est au mieux fausse, et sou­vent per­ni­cieuse. En par­lant d’athéisme, j’inclus en cela le matéri­al­isme philosophique et le rejet du sur­na­turel. Je suis bien con­scient du fait que cet usage du mot n’est pas exact à 100%, car il est pos­si­ble de rejeter la croy­ance en dieu tout en main­tenant une croy­ance en d’autres phénomènes sur­na­turels (par exem­ple, la réin­car­na­tion). Toute­fois, ce genre d’athéisme non matéri­al­iste n’est pas ten­able, car il est inco­hérent de rejeter un sous-ensemble arbi­traire du sur­na­turel. Un athée intel­lectuelle­ment intè­gre ne peut être que moniste, pas dualiste.

La laïc­ité, ce pro­gramme de ges­tion des insti­tu­tions publiques selon lequel l’ingérence religieuse dans ces insti­tu­tions est inter­dite, est un élé­ment néces­saire au bien-être de l’humanité. La laïc­ité implique et favorise à la fois la lib­erté de reli­gion et la lib­erté de vivre sans reli­gion. Ainsi, elle défend les meilleurs intérêts de tout le monde – sauf, bien sûr, les intérêts des chefs des grandes et puis­santes insti­tu­tions religieuses, qui ont tout intérêt à main­tenir les priv­ilèges dont ils jouis­sent sous les régimes non-laïques actuels.

Quel est le plus impor­tant frein con­tre l’accomplissement de la laïc­ité ? Est-ce l’intégrisme et l’extrémisme religieux? Que dire du dis­cours des soi-disant « mod­érés » pour qui le respect de leur droit de pra­ti­quer la reli­gion est insuff­isante, qui exi­gent en plus que nous respec­tions égale­ment la croy­ance elle-même et évi­tions de la cri­ti­quer trop ouverte­ment, sous peine de nous faire accuser d’« intolérance »? Ne jouent-ils pas ainsi le jeu des inté­gristes? Mais nous auri­ons tort, à mon avis, de diriger toute notre cri­tique con­tre les croy­ants, car un empêche­ment impor­tant aux pro­grès vers la laïc­ité se trouve dans la con­fu­sion intel­lectuelle et poli­tique qui se man­i­feste dans la pop­u­la­tion en général – y com­pris les incroy­ants – lorsque elle est con­fron­tée au défi que représen­tent les religions.

Les croy­ants religieux, plus par­ti­c­ulière­ment les théistes, ont de tous les temps véhiculé – et con­tin­u­ent à véhiculer – l’idée que les athées doivent être immoraux ou amoraux car le seul fonde­ment de la morale et de l’éthique serait, selon eux, la croy­ance en l’existence d’une espèce de père-policier, rési­dant dans les cieux, qu’ils appel­lent « Dieu ». Nous savons, bien sûr, que cette asser­tion est à la fois fausse et mal­hon­nête, car elle est con­tred­ite d’abord par des con­sid­éra­tions théoriques, ainsi que par des con­stata­tions plus pra­tiques. Mais mal­heureuse­ment, il y a même des par­ti­sans de la laïc­ité qui prô­nent implicite­ment (et par­fois même explicite­ment!) le mythe que le mil­i­tan­tisme athée con­stituerait une men­ace pour la lib­erté de con­science, faisant ainsi écho à la pro­pa­gande religieuse anti-athée. Le moyen évi­dent et néces­saire de lut­ter con­tre ce sale vieux préjugé sous toutes ses formes est que les athées s’affirment ouverte­ment en tant qu’athées.

Il est éton­nant de con­stater le nom­bre et la var­iété des excuses et faux-fuyants qui ont été employés afin d’éviter la néces­saire tâche de ren­verser cette pro­pa­gande religieuse. En principe, l’humanisme est assez respectable, mal­gré son petit défaut d’être un con­cept un peu flou, au point où même cer­tains religieux se dis­ent human­istes. Mais lorsque les incroy­ants se met­tent à s’identifier comme human­istes, plusieurs d’entre eux adopte la méchante atti­tude que ce sim­ple change­ment d’étiquette les rends morale­ment supérieur aux athées (une pré­ten­tion qu’ils parta­gent avec les religieux). Se dire « agnos­tique » est un choix par­ti­c­ulière­ment déplorable, car on donne générale­ment un sens symétrique à ce terme, véhic­u­lant ainsi la fausse idée que les reli­gions seraient véridiques à 50%, tan­dis qu’en réal­ité elles sont futiles à 100%. Le déisme est encore pire, car il main­tient la croy­ance en une divinité créa­trice de l’univers et source de toute morale, ce qui est exacte­ment la prob­lé­ma­tique du théisme que le déisme devait rem­placer. La croy­ance en une sorte d’« énergie » vague dans laque­lle baign­erait l’univers n’est qu’un autre pré­texte écervelé d’éviter de faire face à son pro­pre athéisme. La liste est longue.

Ainsi, l’athéisme – un athéisme explicite, franc et sans détour, qui n’a pas peur de cri­ti­quer les reli­gions – est néces­saire pour empêcher que les incroy­ants som­brent dans l’hypocrisie pen­dant que les croy­ants restent dans la suff­i­sance. Les nom­breux euphémismes inven­tés par les incroy­ants doivent être mis de côté, ou du moins util­isés en sec­ond lieu, en faveur de la néces­saire prise de posi­tion athée, ou, plus pré­cisé­ment, matéri­al­iste philosophique.

Oui, l’athéisme est néces­saire : néces­saire­ment vrai et néces­saire à l’épanouissement et à la lib­erté de l’humanité.

David Rand, du site libre penseurs athées