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Archives par auteur : ABA

Le Coran en libre-service

Posté le 21 octobre 2018 Par ABA Publié dans Religion Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle

Feuillet du manuscrit du Coran trouvé à Sanaa en 1972

La violence musulmane ou commise par des musulmans au nom de leur foi telle qu’ils l’entendent est au centre des préoccupations non seulement des Européens, mais de bien d’autres, en premier lieu dans les pays à majorité musulmane qui en sont les principales victimes, comme l’Algérie, l’Irak, la Syrie et pas mal d’autres. Il n’y a pas que les violences qui soient en cause : un projet théologico-politique est visiblement en cours, que ce soit dans les pays les plus menacés, dans d’autres comme la Turquie et ceux où les Frères musulmans sont actifs, mais aussi dans les villes ou quartiers européens où les musulmans sont majoritaires.

Loin d’être une étincelle passagère, la tendance remonte à un demi-siècle, époque où elle a quitté l’ombre et s’est soustraite aux rires de Nasser. Dès 1981 le futur prix Nobel de littérature 2001, V.S. Naipaul, concluait ainsi son roman Crépuscule sur l’islam, fruit de séjours en Iran, au Pakistan, en Malaisie et en Indonésie :

Désormais, dans les pays musulmans, il y aurait de plus en plus de Behzad (un étudiant iranien islamiste qu’il a rencontré) qui, en négatif de la passion islamique, concevraient la vision d’une société purgée et purifiée, un rassemblement des croyants[1].

La question des causes du phénomène n’est pas sans doute pas close, mais en exclure l’élément proprement religieux est fort éloigné du vraisemblable. Dès lors le Coran, sa lecture et son interprétation deviennent importants, non seulement pour les musulmans envisagés, mais tout autant pour les intellectuels musulmans, hostiles au fondamentalisme et au littéralisme dans la lecture du Coran et qui travaillent ouvertement à un « islam des Lumières ». Rachid Benzine en est le porte-drapeau en milieu francophone (c’est un domaine où le rôle de la Belgique n’est ni marginal ni dissociable de celui de la France…) depuis son livre Les nouveaux penseurs de l’islam, paru en 2004. « Islam des Lumières » est d’ailleurs le titre de la collection qu’il dirige. Encore faut-il voir que jusqu’ici, même si c’est un peu tordre l’histoire, le terme et la référence aux « Lumières » connotent un anticléricalisme affirmé, un rejet non seulement des Églises mais aussi des religions, une critique scientifique de leurs textes sacrés. En Europe, sauf à date récente, il est assez rare qu’un croyant s’en réclame. Dans le cas des musulmans modérés, il ne s’agit pas plus que d’une laïcisation de la religion au sens de sa meilleure compatibilité avec la modernité occidentale.

Rendre crédible pareil projet n’est pas simple et un vrai débat approfondi sur la question est rare, surtout s’il doit inclure un athée.

Sam Harris, Maajid Nawaz et l’islamisme

Profitons donc de la récente traduction d’un tel débat entre Sam Harris et Maajid Nawaz et spécialement du chapitre « La nature de l’islam » de leur livre-débat L’islam et l’avenir de la tolérance pour en voir les données et peut-être le fond du problème[2].

Voyons d’abord les partenaires de l’excellent et révélateur débat. Sam Harris est un neuroscientifique américain, parfaitement athée et absolument pas décidé à s’en laisser conter. Maajid Nawaz est un musulman britannique, aujourd’hui modéré et fondateur d’un groupe de cet esprit, Quilliam. Il ne cache pas qu’il revient de loin et qu’il a d’abord été islamiste actif, militant d’un califat théocratique. Il faisait partie du groupe Hizb ut-Tahrir, le premier groupe islamiste contemporain qui ait popularisé l’idée d’un tel califat ou d’un État islamique. Il raconte avoir travaillé à répandre cette idéologie en Grande-Bretagne, au Pakistan, au Danemark et en Égypte. Ce dernier pays l’emprisonne quelques années. En prison, il fréquente des assassins du Président Sadate et commence une réflexion qui va aboutir à sa « conversion ». De retour à Londres, il obtient un master en théorie politique à la réputée London School of Economics.

Pour mieux se situer et cadrer les données du problème, les deux partenaires s’accordent sur quelques définitions et chiffres.

De qui et de combien parle-t-on en fait d’islamistes ? Ils conviennent que l’islamisme consiste en la volonté d’imposer une vision particulière de l’islam, fondée sur une lecture dite littérale du Coran, vision ultra conservatrice, le plus souvent liée au désir d’instituer la charia et sans écarter la lutte armée. Quand on pratique effectivement cette dernière, on peut parler de djihadisme.

Que représentent les islamistes ? Les deux partenaires convergent aisément et sans fard sur ce point. Dans plusieurs cas des élections fiables permettent de donner des chiffres : les Frères musulmans ont obtenu 25 % des suffrages lors du premier tour des élections présidentielles de 2012 en Égypte. D’autres scrutins dans d’autres pays montrent plutôt qu’il s’agit de 15 %, mais si on sonde sur la charia, on arrive à 40 à 60 % d’avis favorables. Harris et Nawaz relèvent qu’un sondage de 2013 du Pew Research Center réalisé dans onze pays à majorité musulmane sur la justification « parfois » ou « souvent » de la violence djihadiste donne pour l’accord 25 % en Égypte, 18 % au Sénégal, 16 % en Turquie, 12 % en Tunisie, 33 % au Liban (chiffre sans doute dû à la présence de réfugiés palestiniens, ce que confirme le chiffre de 62 % dans les Territoires palestiniens). Ils concluent que le plus souvent les islamistes représentent 20 à 25 % de la population musulmane. Quant à la majorité des musulmans, elle est constituée de conservateurs, attachés aux valeurs les plus traditionnelles. L’addition des deux chiffres, islamistes plus conservateurs, ne laisse pas beaucoup de place aux modérés – ceux par exemple pour lesquels l’identité religieuse n’est pas première. Mais ceux-ci existent même s’ils doivent souvent se cacher.

Le récent rapport de l’Institut Montaigne en France donne un résultat concordant. Dirigé par Hakim El Karoui, il aboutit à 28 % de musulmans fondamentalistes islamistes parmi les musulmans de France[3].

Très mordant, Sam Harris rappelle à son interlocuteur que 20 % des musulmans britanniques approuvent l’attentat meurtrier de 2005, que 30 % d’entre eux veulent la charia, que 45 % estiment que le 11 septembre est un complot américano-israélien et 68 % estiment que ceux qui insultent l’islam doivent être arrêtés et condamnés (78 % dans le cas de ceux qui ont publiés les caricatures de Mahomet). 27 % des musulmans britanniques déclarent comprendre les motivations des assassins des caricaturistes de Charlie Hebdo et un jeune musulman britannique sur sept est favorable à l’État islamique.

Ne nous faisons pas d’illusion sur la Belgique : elle a fourni le plus haut pourcentage de personnes parties combattre en Syrie par rapport à sa population.

Nul doute donc, le problème n’est pas mineur, surtout si on le rapporte au nombre et à la proportion de musulmans dans plusieurs pays d’Europe.

Le Coran nie les valeurs de notre époque

Le problème de base de la dimension religieuse vient du Coran et de l’affirmation catégorique qu’il est la pure retranscription de la parole divine.

Quand S. Harris veut empêcher M. Nawaz de se défiler en évoquant les mutazilites qui, il y a près d’un millénaire, refusaient cette thèse (R. Benzine ne manque jamais non plus de les citer) en omettant de dire qu’ils ont été rayés de la carte même s’il est bien vrai qu’ils ont existé, celui-ci dévoile un peu sa position : il peut y avoir des différences d’approche du texte sacré et le littéralisme dans lequel se complaît la très grande majorité des musulmans n’est pas la seule voie possible.

S. Harris lui renvoie la liste des problèmes les plus significatifs que pose le Coran.

Le Coran est en conflit avec la plupart des valeurs de notre époque : la rationalité scientifique, les droits de l’homme et l’égalité des sexes, la liberté d’expression, pour citer les principales. S’il arrive qu’une valeur actuelle soit exprimée dans le Coran, ce n’est pas là, estime-t-il qu’elle trouve sa meilleure expression et, ajouterais-je, il s’agit alors souvent de triviales banalités morales. Plus durement, pour S. Harris, en s’acharnant à réinterpréter les textes, les musulmans modérés, en réinterprétant principalement les passages du Coran les plus absurdes et les plus dangereux à nos yeux, font preuve d’une certaine dose de malhonnêteté intellectuelle.

En effet, les textes coraniques ne sont pas si plastiques et ne se prêtent en réalité pas aux interprétations qu’on veut. Où dans le Coran la consommation du porc est-elle permise ? Où trouve-t-on un message de paix ? Un passage où la femme n’est pas considérée comme un être de seconde zone, propriété des hommes ? Le Coran connaît-il le respect des infidèles ? Y trouve-t-on un texte qui permet l’apostasie ? En revanche, les récompenses post mortem pour les martyrs (pas tellement les trucidés par des tenants d’autres croyances, mais surtout ceux qui ont tenté d’imposer l’islam l’arme à la main) y sont présentées et constituent un vrai aliment pour les djihadistes.

Non sans vraisemblance, S. Harris ajoute qu’au fond, l’interprétation littérale est plus certaine et plus claire et qu’on peut toujours se demander s’il est normal qu’un « interprète » d’aujourd’hui se place au-dessus du texte divin. Et parfois la nouvelle lecture aboutit à une signification pire que celle que donne la lecture littérale. En plus si Dieu était vraiment en faveur des valeurs démocratiques, pourquoi ne l’a-t-il pas écrit clairement ?

Notamment dans le cas de la glorification des martyrs, le texte même du Coran pèse lourd dans les violences des dernières décennies.

Toutes les lectures du Coran sont-elles possibles ?

Pour M. Nawaz, en revanche, il faut simplement une interprétation et une méthode d’interprétation. Il rejette la méthode appelée ordinairement « littérale », qu’il rebaptise péjorativement en « ingénue ». Intellectuellement il refuse d’admettre qu’il y ait une lecture plus exacte qu’une autre. Il existe pour lui une autre méthode que l’« ingénue », celle-ci ne constituant pas l’approche originale des textes sacrés. Il s’appuie sur l’autorité de Quentin Skinner, un important spécialiste anglais de théorie politique, historien moderniste à l’origine, qui conteste toute lecture authentique des textes. On voit bien là les traces du post-modernisme, mais surtout on peut à ce compte se demander si le Coran a encore le moindre sens.

Le raisonnement semble d’une certaine manière avantageux puisqu’il aboutit à ce qu’on puisse tout dire sans risque d’être contredit, mais il est fondé sur une contre-vérité et une erreur logique. On peut parfaitement soutenir que pour certains passages, on n’arrive pas à une interprétation unique, raisonnablement acceptée ; on peut même parfois douter d’y arriver un jour, mais de cette proposition particulière en logique, on ne peut passer à la proposition générale selon laquelle il n’y aurait pas de texte univoque.

Examinons concrètement comment M. Nawaz essaie de s’en tirer, même si je ne suis ni arabisant ni coranologue mais simple philologue relevant d’un autre domaine.

Le premier cas à partir duquel M. Nawaz argumente, sans doute emblématique pour lui, vise le sort des infidèles. Si le Coran dit : « Brisez-leur la nuque », pour M. Nawaz, cela ne pourrait vouloir dire : « Brisez-leur la nuque aujourd’hui ». Certes, mais à la condition sine qua non que le texte coranique précise que le prescrit est circonstanciel. Or, rien de tel, tout au contraire. Ni dans le Coran ni ailleurs, Dieu – je veux dire celui qu’on fait parler comme tel – n’a pour habitude d’émettre des préceptes autres qu’universels et intemporels.

Venons-en à la question de la viande de porc. Je veux bien admettre qu’elle prête moins à conséquence que l’exécution des infidèles – c’est la seule réponse de M. Nawaz sur ce point – encore que… N’y a-t-il pas de par le monde des régions musulmanes où le porc est la seule source importante possible de protéines et où les musulmans sont néanmoins forcés de s’en abstenir ? Sans parler de ce que le strict respect de la non-consommation du halal est dans certaines villes ou quartiers d’Europe à forte implantation musulmane un des instruments pour forcer au marquage sinon à la domination musulmane (la moitié des boucheries artisanales en Région bruxelloise sont halal et dans certains quartiers seul le supermarché fournit encore de la viande de porc).

La question de la consommation d’alcool est significative des méthodes plus que contestables nécessaires à la multiplicité des interprétations.

La méthode de Nawaz me semble pire que la lecture littérale ou ingénue. Son système est fondé sur l’étymologie. Ainsi l’interdiction de l’alcool est basée sur le mot khamr. Pour les hanafites, première école d’interprétation du Coran, nous dit-il, le mot désigne à l’origine uniquement l’alcool de raisin et donc les autres alcools sont permis ! Outre qu’on a bien oublié ce sens et qu’on voit bien quelques invraisemblances (il y a toujours eu des musulmans qui buvaient en cachette), il faut voir que l’interprétation par l’étymologie est souvent partielle, limitée ou parfois hasardeuse en bonne philologie.

Prenons un exemple qui n’est pas simpliste et porte sur un concept important dans ce qui nous occupe, le mot « laïc ». Les laïcs, au sens contemporain, voient dans le grec laos l’origine du mot. C’est juste, mais presque toujours ils en profitent pour s’extasier sur le sens du mot, qui serait « peuple »[4]. Ils ont tort, d’abord d’avoir oublié démos, qui lui veut bien dire « peuple » dans son intégralité. Ensuite laos est un terme archaïque, homérique qui par exemple dans la bouche d’un aristocrate peut vouloir dire « tous les autres ». Le christianisme va récupérer le terme en en gardant quelque chose, en s’en servant pour désigner tous les non-prêtres, en y mettant une prêtrise inconnue d’Homère. Des siècles plus tard, on va faire des « laïcs » des adversaires des prêtres et des Églises. Mais le laos des origines ne s’occupe ni de prêtres ni d’opposants à ceux-ci ; pourtant le mot vient bien de là, il n’y en a pas deux.

Le recours central à l’étymologie pour tout expliquer traduit surtout une absence de rigueur philologique et de connaissances linguistiques de manière à pouvoir plier les textes à son gré.

Passons à des termes et des concepts plus importants comme l’intolérance virulente quasi générale du Coran. On rejoint là le cas le plus classique des débats sur l’interprétation du Coran. On y trouve un passage tolérant, contredit par tous les autres. Il s’agit de la sourate 2, 256, « Nulle contrainte en religion ». N. Mawaz renvoie à sa liberté d’interprétation (et dit clairement que les musulmans doivent accepter la critique de leur religion) tout en citant curieusement la doctrine de l’abrogation, qui veut qu’en cas de contradiction, les sourates les plus récentes l’emportent sur les plus anciennes. La question est assez simple. Même si le Coran entremêle les deux, on distingue dans le Coran deux couches de textes, celle de La Mecque, antérieure à 622, et celle de Médine consécutive au départ de La Mecque de Mahomet en 622. La première, à laquelle appartient la sourate 2, 256 est relativement tolérante, au contraire de la seconde. Rien ne peut y faire. S’il faut une solution, la version la plus récente doit prévaloir.

M. Nawaz se lance ensuite pour s’en sortir dans l’interprétation d’un autre texte : « Tuez quiconque renonce à l’islam pour entrer dans une autre religion », selon la traduction habituelle. Le mot traduit par « religion » est din en arabe qui peut être traduit tant par « religion » que « par « confession » selon certains juristes (sic). Din ne pourrait dès lors vouloir dire « religion » en 2, 256. Ce serait un terme politique. « Confession » voulant dire « déclaration de foi d’une Église », je ne vois pas le changement de registre, mais enregistre un épais brouillard. Les contradictions sont légion dans le Coran et, hors abrogation, il n’y pas de solution.

Quant au passage « Le pouvoir n’appartient qu’à Allah », M. Nawaz pense qu’il faut traduire par « jugement » et non pas « pouvoir ». Ainsi Dieu n’aurait qu’un simple pouvoir de juge, d’arbitre et non de souverain. M. Nawaz n’avance là-dessus aucun argument.

Le pire est probablement la question de la charia. Dans la grande majorité des textes qui la constituent, selon M. Nawaz, il n’est pas dit qu’il faut sanctionner les contrevenants. C’est seulement le cas pour quelques infractions – pour lesquelles on peut par exemple couper la main gauche – et tout le reste serait licite. Donc main coupée pour quelques infractions secondaires et rien pour le reste ! C’est la version musulmane du mythe d’une religion des origines, toute de douceur et de fraîcheur, particulièrement impossible pour le Coran, démentie par quinze siècles de pratique et soudainement conforme aux vœux de quelques croyants des XXe et XXIe siècles. Le tout est couronné par l’exhortation à une religion plus « spirituelle ».

Reste alors l’essentiel de cette prétendue méthode : à quoi bon s’obstiner à tenir compte du Coran si on peut lui faire dire ce qu’on veut, jusqu’au contraire de ce qu’il dit ?

Rationalisme ou politique ?

Sam Harris conclut, à propos de la décapitation d’apostats, que « Toutes ces pratiques, y compris cette sinistre méthode de mise à mort, trouvent dans les textes sacrés un soutien explicite ».

Telle est la vérité et tel est le problème. Cette influence est véritable et les crimes sont suffisants pour que l’on s’en préoccupe.

Nul doute que Maajid Nawaz et Rachid Benzine en sont conscients et que leurs tentatives de réinterpréter le Coran sont de bonne foi même si leur quête me semble tragique et vaine.

Les critiquer au risque de leur nuire n’est pas sans risque. Pour moi, on peut être croyant et laïque, mais à condition d’admettre que les textes sacrés sont œuvres humaines, datées et localisées. On peut donc n’en retenir que quelques passages qui correspondent mieux à notre vision actuelle, on peut tordre le sens historique d’autres. Mais il faut être conscient et dire que ce type d’utilisation est une fiction. À l’évidence, il n’en va pas ainsi et dénouer le lien avec le texte sacré ne se fait pas. Mais tout cela n’est pas sans danger. Vivre pour une part de ses pensées parmi les plus chargées de sens dans un défi au bon sens, à la rigueur scientifique sans que cela n’affecte le reste des pensées et actions me paraît illusoire. On me dira que dans le cas de l’islam l’urgence est ailleurs. Sans doute…

Bien entendu, décapitations mise à part et en sachant bien que dans d’autres cas l’élaboration philosophique peut être plus ancienne et plus consistante, toute ressemblance avec les textes d’autres religions est purement fortuite.


Notes

  1. Je cite d’après Pierre Maury, « V.S. Naipaul, de Trinidad au Nobel », Le Soir du 13 août 2018.
  2. Sam Harris & Maajid Nawaz, L’islam et l’avenir de la tolérance, Genève, Éditions Markus Halter, 2018, traduction de l’anglais par Patrick Hersant, 176 p. L’édition originale anglaise a paru en 2015 aux Harvard University Press sous le titre Islam and the Future of Tolerance.
  3. Le rapport est publié sous le titre La fabrique de l’islamisme. Je le cite d’après les articles de Cécile Chambraud et Louise Couvelaire, Le Monde du 11 septembre (!) 2018.
  4. Très longtemps les différentes éditions de Découvrir la laïcité ont fait fond sur ce roman.
Tags : charia coran interprétation des textes sacrés islam

La Plume de Satan

Posté le 21 octobre 2018 Par ABA Publié dans Athéisme, Philosophie Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

 

Comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant. On trouve face à face l’enquêteur Juste Pape et le suspect Mark Twain, soupçonné d’être « la plume de Satan » ou à tout le moins, son éditeur. Les réponses attribuées dans ce texte à Mark Twain proviennent du dossier de l’Inquisiteur.

 

 

Bonjour, Monsieur Twain. Je dois vous rappeler – c’est la procédure – que je m’appelle Juste Pape, l’enquêteur de l’Ovraar[2], chargé de votre dossier. À la suite de la transmission en haut lieu du procès-verbal de notre précédente rencontre[3], j’ai été convoqué au plus haut sommet et je me suis vu intimer l’ordre comminatoire de vous inquisitionner à nouveau, car on a découvert des éléments qui semblent vous incriminer.

Bonjour, Révérend, abrégeons et venons-en aux faits. Vous m’accusez ; soit, mais de quoi ?

Monsieur Twain, je ne vous accuse pas. J’enregistre vos déclarations. On – vous voyez de qui je parle – m’a dit que vous avez publié des lettres d’un dénommé Satan, qui n’est pas en odeur de sainteté, un archange rebelle et banni par Sa Hauteur Elle-même, tellement sulfureux que tous écrits de sa part sont interdits, leur publication considérée comme un crime de haute trahison. Vous ne pouvez ignorer que cette édition de lettres de Satan établit votre complicité avec cet ennemi du Tout-Puissant.

Ah ! Je vois, Révérend, encore cette foutue censure qui s’en prend à l’éditeur à défaut de pouvoir atteindre l’auteur.

En effet, Monsieur Twain, nous ne pouvons atteindre l’auteur et depuis qu’Il l’a exilé, on ne sait où il est passé. Vous, on vous connaît et on sait où vous trouver.

Révérend, un Tout-Puissant qui n’arrive pas à retrouver Satan et qui n’est pas capable de se faire obéir n’est plus vraiment un Tout-Puissant et on peut se demander ce qu’il en est du reste de ses prétentions.

Monsieur Twain, le livre que vous avez signé, est intitulé Letters from the Earth et publié en français sous le titre : Quand Satan raconte la Terre au Bon Dieu[4]. Il y a onze lettres. Je dois savoir si vous les avez retranscrites sous la dictée de ce Satan. Ne me dites pas que vous en ignoriez le caractère subversif, car vous avez demandé qu’elles soient publiées longtemps après votre mort. Il a fallu attendre un demi-siècle. Certes, il y a le précédent du curé Jean Meslier, mais cela démontre votre intention et comme le dit l’adage : « L’intention constitue le crime ».

Moi, Satan, je ne l’ai jamais rencontré. Cependant, Révérend, raisonnons un peu. Satan est le fruit d’une imagination fertile et je n’ai fait que recourir à sa figure métaphorique pour exposer mes idées. Mais s’il vous plaît d’incriminer Satan, faites-le, il ne risque rien.

Je propose, Monsieur Twain, de procéder par ordre. Dans la première lettre, Satan tourne en dérision la relation de l’homme avec son Créateur. Il insinue qu’aucune prière de l’homme n’a jamais reçu de réponse et que pourtant, ce dernier « continue à prier tout pareil »[5]. Il s’amuse de ce que l’homme croit qu’il va aller au ciel et qu’il existerait un enfer au feu éternel.

Eh bien, Révérend, n’est-ce pas la réalité ? Il y a des « docteurs salariés » : prêtres, pasteurs, que sais-je ?, qui débitent de telles inepties. La sagesse populaire juive en sait quelque chose, elle qui dit : « On ne pose pas de questions à Dieu. On a déjà essayé. Il ne répond pas… »[6]

Monsieur Twain, dans la deuxième, vous ou Satan – ce qui revient au même, vous vous moquez du paradis.

Satan ne se moque pas du paradis, il décrit ce qui s’y passe et il n’a pas tort. Imaginez une éternité à faire des choses qui rebutent : prier, chanter des louanges, vivre dans une atmosphère d’église. De l’adolescence à l’âge mûr, les hommes attachent à la copulation plus de prix qu’à tous les autres plaisirs. On la bannit du paradis et On la remplace par la prière, qu’ils ne prisent pas particulièrement. Et là-haut, tout le monde doit chanter, c’est un chœur universel qui ne s’interrompt qu’à la nuit et on n’y chante qu’un seul hymne : « Hosanna, hosanna, hosanna et rah-rah, zim boum boum, hannah, hannah, hannah…»[7] à l’infini. Et il faut jouer de la harpe, tous. Résultat : des millions de harpistes incompétents et des millions de choristes enroués, un chahut permanent. Il n’y est pas question d’art, de poésie, de pensée. À l’analyse, ce ciel doit inclure, tout ce qui est pour l’homme, objet de répulsion, et exclure, tout ce qu’il aime ! Dans ce sabbat éternel, on s’ennuie ; seuls des saints peuvent supporter les félicités de cet asile d’aliénés[8].

Je vois, Monsieur Twain. Passons à la troisième lettre, où vous vous en prenez aux religions et à la Bible.

L’homme a inventé des milliers de religions et il en invente encore. Il n’y a rien à redire, c’est la vérité. Quant à la Bible, Satan dit que c’est un livre plein d’intérêt : rempli de poésie, de légendes, d’histoires sanguinaires, de leçons de morale, d’obscénités et de mensonges. Une réussite pour un livre aussi ancien, qui copie tout ce qui a marché dans les Bibles antérieures. C’est la formule du best-seller. Et, c’en est un.

Et, Monsieur Twain, quid de la création du monde ?

Satan remet les pendules à l’heure : la Bible raconte certaines choses et la réalité est tout autre. Depuis des siècles, l’astronome chrétien sait que Dieu n’a pas créé le monde en six jours ; il le sait, car c’est astronomiquement impossible, mais il feint de l’ignorer, tout comme fait le prêtre. Pareil pour la durée de l’Univers : ils savent qu’il existe depuis des milliards d’années, mais ils s’en tiennent à la durée biblique de six mille ans. Je les comprends, car ce serait bien le diable si la Bible était fausse.

Et que dites-vous, Monsieur Twain, de la création de l’homme, d’Adam et Ève et de tout ce qui s’ensuit ?

Je passe l’affaire du fruit défendu, du serpent vertical et autres fariboles. Dieu a créé l’homme et la femme nus ; il aurait dû les créer habillés ou couverts de suffisamment de poils comme les ours ou les chats, pour qu’ils puissent vivre à poil sans se soucier de la pudeur ou des variations de température. Le Tout-Puissant a créé l’homme éternel et ensuite, il l’assassine, lui et tous ses descendants, par milliards. Et pourquoi ? On ne le sait pas. Le Tout-Puissant fait l’homme à son image, un être asexué ; puis, il lui impose la femme, le sexe et les punit – homme, femme, enfants et tous les descendants parce qu’ils usent librement de leur vie. Même le divin Marquis n’aurait pu imaginer menée plus sadique.

Monsieur Twain, calmez-vous. Expliquez-moi la quatrième lettre.

Avec l’invention du sexe et de la procréation, le Tout-Puissant avait ouvert une boîte de Pandore qu’il mit du temps à pouvoir refermer (provisoirement) par l’interlude aquatique de Noé. En fait de Pandore, Il a copié sur elle intégralement le mythe de la création de l’homme. Longtemps, le sexe dut se pratiquer en famille ; par force, il n’y avait personne d’autre. Tout le monde couchait avec tout le monde ; il y fallait du rendement (« Croissez et multipliez ! ») et chacun y mit du sien. On ne s’ennuyait pas. De jalousie (Il disait : « Je suis un Dieu jaloux ! »), le Tout-Puissant mit le holà et noya tout ce monde, sauf Noé et sa famille stricto sensu et des échantillons de diverses autres espèces. En réduisant le vivant à la famille Noé et aux échantillons, il relança la foire à l’inceste. Le plus drôle, Révérend, c’est que la religion interdit l’inceste.

L’inceste est très sévèrement prohibé, Monsieur Twain. La cinquième lettre me paraît sarcastique.

C’est vite dit, Révérend. Si Noé avait eu toutes les données du problème, il aurait su qu’il ne pouvait caser tout dans une seule arche. Est-il sarcastique de rappeler le désarroi, le désespoir, la désespérance de ces pères, ces mères, ces enfants accrochés aux rochers sous une pluie diluvienne et qui virent partir l’arche salvatrice, sans compter tous les autres animaux condamnés à périr ? A-t-on vu dans l’Histoire plus grand massacre d’innocents ?

Monsieur Twain, parlez-moi de la sixième lettre et de cette mouche.

Ah, la mouche ! Sur instructions spéciales, Noé avait chargé des billions de mouches et des tonnes d’immondices pour les nourrir. Après quelques jours de navigation, Dieu lui a dit qu’il avait oublié une mouche ; demi-tour et Noé retrouva « la » mouche sur son tas de cadavres. Ce n’était pas un hasard (avec Dieu, il n’y a pas de hasard), car cette mouche-là sur ces cadavres-là avait cueilli le typhus et mille autres germes qu’elle avait comme mission de répandre – avec l’aide de ses sœurs et de leur descendance – parmi les humains. Ainsi, pour ce Dieu jaloux, le déluge ne suffit pas. Il a inventé la maladie pour tourmenter l’enfant, la femme, l’homme de la naissance à la mort et même les animaux. Et pourquoi ? Seule réponse : la jalousie de ce Forcené.

Monsieur Twain, votre opinion sur cette septième lettre.

Oh, Révérend, elle ne fait que rapporter l’œuvre de Dieu selon la Bible. L’arche était un immense foutoir ; en application de l’instruction divine : « Croissez et multipliez ! », ça baisait tout le temps. Les mouches déposaient leurs œufs partout : sur la nourriture, sur les crânes, sur les lèvres, dans les yeux, etc. Ainsi, Noé, famille et compagnie, animaux compris, avaient hérité des suites de l’inceste généralisé ; ils se faisaient tares, par consanguinité et bénéficiaient de la vaste panoplie des virus. Cependant, Dieu, méticuleux, y ajouta les microbes qui offraient aux humains les preuves tangibles de Son Amour. Le gros intestin devint l’Éden des microbes et l’Éternel réserve ces merveilleux traitements préférentiellement aux pauvres. « Heureux les pauvres… ».

Monsieur Twain, c’est subversif. Venons-en à la huitième lettre.

Quand Dieu crée le monde et l’homme tels qu’ils sont, Il impose et grave au plus profond leur tempérament, leur système de fonctionnement et ses règles et ensuite, Il s’empresse d’inventer des Lois que les créatures ne peuvent qu’enfreindre. Ainsi le bouc à qui le Créateur a octroyé un tempérament lascif. À la saison du rut, il s’y emploie de toutes ses forces et même au-delà. Si Dieu disait à ce bouc : « Tu ne forniqueras pas ! », un enquêteur impartial trouverait ce précepte inapplicable et pervers. Eh bien, Dieu l’impose à l’homme. D’un côté, « Croissez et multipliez ! » ; de l’autre, « Tu ne forniqueras pas ! ». Vous me direz, il y a le NOMA, mais une telle ségrégation des genres imposerait que la religion ne mette pas son nez dans la fornication. Vous voyez le nœud du problème ? Enfin, il faut tenir compte de la physiologie : la femme dispose d’un réceptacle toujours ouvert et l’homme d’un instrument au fonctionnement limité dans l’usage et la durée ; dès lors, il serait logique que les harems soient constitués d’hommes.

Laissez les harems, Monsieur Twain, et parlez-moi de la neuvième lettre.

Un Créateur omniscient et maître du monde qui assassine ses créatures et détruit son œuvre par jalousie, dépit ou représailles, est soit un idiot, soit un sadique ou les deux. Ce Dieu est cruel, injuste et stupide de reprocher aux autres ses propres erreurs ; tel est l’argument, impossible à réfuter.

Monsieur Twain, et la dixième lettre ?

Elle traite de la vie, la mort et l’enfer. La vie n’est un rêve malsain, peuplé de misères et de douleurs. Quant à la mort, elle a trompé les attentes divines. Elle devait punir l’homme, mais elle se révéla sa meilleure amie. Libératrice, elle lui a offert une éternité de paix. Ce bonheur tranquille a fortement déplu à l’Éternel, qui ne pourrait jamais en bénéficier. La tranquillité pour des milliards d’humains et les tracas et les soucis pour lui seul, c’était insupportable ; il fallait que l’homme fût tourmenté ; alors, Dieu inventa le paradis et l’enfer. Conscient de la nécessité de mettre de la vaseline pour faire passer la chose, il en confia l’annonce à son fils qui se révéla un doux sauveur suave des plus redoutables. Ce Divin Enfant qui aime la souffrance au point de se l’infliger à lui-même, est à l’origine des croisades, des bûchers, de l’Inquisition ; on entend encore le cri lancé à Béziers par le légat du Pape : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! ».

Monsieur Twain, finissons-en, j’en ai des haut-le-cœur.

Moi aussi, j’ai la nausée quand je pense à la duplicité d’un Dieu assassin qui impose la mort et qui déclare : « Tu ne tueras pas » et aux supplices qu’Il fait subir à l’humanité et aux horreurs, rapportées dans sa Bible. Celles par exemple qu’il fit infliger aux Madianites. Il ordonna de les tuer tous, sauf les pucelles. Le destin des 32 000 vierges fut plus clément ; elles pouvaient encore servir. On les déshabilla, on les sonda – il fallait bien vérifier leur état et on les offrit aux hommes, même aux prêtres. Pour faire quoi ? Certes, Il a inventé d’autres horreurs depuis et, si on le laisse faire, il en suscitera encore. C’est l’effet de Sa Miséricorde : « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira de vous toute sorte de mal… »[9] et dire qu’il est des gens pour Le croire et pour louer Sa Sagesse à ce faux-cul de Triple Dieu des chrétiens qui n’est qu’une copie de la triade sacrée des Égyptiens qui connaissaient une sainte famille plus saine, plus logique et plus conforme : Dieu le Père, Dieu la Mère et Dieu le Fils ou de la triade romaine composée de Jupiter – dans le rôle du père, de Junon – dans le rôle de la Mère et de Minerve dans le rôle de la Fille.

Mes respects, Révérend.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain
  2. OVRAAR : organisme secret à vocation de police politique, dont le nom est un sigle dont le nom de baptême est calqué pour partie sur celui de l’Ovra, dont l’historien Luigi Salvatorelli indique qu’il pourrait signifier : « Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d’en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu’ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois », et pour la fin sur celui de l’UAAR (Unione degli Atei e Agnostici razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes italiens), gens qu’il s’agit de surveiller et éventuellement, de réprimer.
  3. La confession épique de Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain
  4. Mark Twain, Quand Satan raconte la Terre au Bon Dieu, Les Cahiers rouges, Grasset, Paris, 2013, 248 p.
  5. Ibid., p. 24.
  6. Sholem Aleikhem, La peste soit de l’Amérique, Piccolo, Liana Levi, Paris, 2013, p. 59.
  7. Mark Twain, op. cit., p. 28.
  8. Ibid., p. 32.
  9. Ibid., p. 85.
Tags : athée caché athéisme écrivain Juste Pape Mark Twain morale Paradis satan USA

À vous de jouer (élection)

Posté le 10 octobre 2018 Par ABA Publié dans Conférence, Evenements ABA, Vidéos Laisser un commentaire

Est venu le temps de voter…

À cette occasion, l’ABA vous propose un extrait vidéo de notre conférence du 20 septembre avec Pascal Delwit “Religions et élections en 2018″…

De quoi vous faire une bonne idée…

 

La conférence complète :

Pour l’ABA

Tags : élections Pascal Delwit politique religions

Théorie de l’évolution et croyance : le choc

Posté le 1 octobre 2018 Par ABA Publié dans Athéisme, Conférence, Croyances, Sciences Laisser un commentaire

Ce samedi 20 octobre, au petit Varia à Bruxelles, nous avons plaisir de vous présenter notre désormais célèbre colloque annuel. Cette année, on vous parlera de “théorie de l’évolution et croyance : le choc” !

 

Programme :

10h15 Introduction par Pierre GILLIS, Association Belge des Athées

 

10h30 José-LuisWOLFS, Directeur du Service des Sciences de l’éducation de l’université Libre de Bruxelles : Dans quelle mesure les élèves de terminale ont-ils une conception sécularisée ou non-sécularisée de la science ?

 

11h30 Michael PRIVOT, islamologue, collaborateur scientifique au CEDEM, Université de Liège : Les « miracles scientifiques » du Coran

 

12h30 Pause et repas

14h00 Xavier SIMONet Renaud CHAUVAUX, Service de Didactique des disciplines scientifiques de l’Université de Mons : Obstacles à lever pour enseigner la théorie de l’évolution

 

14h45 Joël PEERBOOM, ingénieur chimiste, spécialiste en arachnéologie et en théorie de l’évolution : Des difficultés d’enseigner la théorie de l’évolution à des élèves qui n’y croient pas, et des moyens de les conjurer

 

15h30 Ariane RAMAEKERS, biologiste, maître de conférences à Sorbonne-Université, chercheuse associée à l’institut Curie : Ni « Eux », ni « Nous », bien au contraire… pour une normalisation de l’enseignement de l’évolution

 

16 h15 Débat général(fin à 17h00)

Accès

En voiture :

parking public Forte dei Marmi, au bout de la rue du Sceptre, avenue du Maelbeek, 61 – 1040 Bruxelles

 En bus  :

– bus 60 (arrêt Varia)

– bus 38, 95 (arrêt Blyckaerts)

– bus 34, 80 (arrêt Étangs)

– bus 59 (arrêt Senghor)

(à 10 minutes à pied)

En métro :Schuman ou Maelbeek

En bus :bus 71 (arrêt Flagey)

En tram : tram 81 (arrêt Flagey)

 Participation aux frais

– Pour la journée avec repas (hors boissons)

Membres Association Belge des Athées et moins de 25 ans : 30 €

Non-membres : 35 €

– Pour la journée sans repas

Membres Association Belge des Athées et moins de 25 ans : 15€

Non-membres : 20 €

– Pour une demi-journée

Membres Association Belge des Athées et moins de 25 € : 5€

Non-membres : 10€

Inscription

– Sur le site du Varia

– En envoyant un mail à l’adresse atheesdebelgique@gmail.com

– En complétant le formulaire disponible sur le site www.athee.info ou en le renvoyant à l’Association Belge des Athées, rue de la Croix de Fer, 60-62, 1000 Bruxelles

L’inscription préalable au plus tard le mercredi 17 octobre 2018 est requise.

Les paiements peuvent être faits par virement sur le compte IBAN : BE95 0688 9499 3058 (BIC : GKCCBEBB) de l’Association Belge des Athées, 1000 Bruxelles, ou sur place, à la billetterie du Théâtre Varia.

Pour tout renseignement par message : patrice.dartevelle@gmail.com.

L’homme a-t-il créé Dieu ?

Posté le 17 septembre 2018 Par ABA Publié dans Conférence Laisser un commentaire

L’Association Belge des Athées de la Province de Luxembourg a la plaisir de vous proposer un dialogue Chrétiens-Athées qui sera suivi d’un débat.

L’homme a-t-il crée Dieu ? 

Avec Daniel Sonveaux, Père Supérieur Jésuite au sein de la Communauté Dominicale du Christ-Roi (Luxembourg) et Lambros Couloubaritsis, Docteur en philosophie de l’ULB et professeur de philosophie.

Tags : débat athées-chrétiens dieu

C’est la rentrée… Conférences et colloque !

Posté le 29 août 2018 Par ABA Publié dans Conférence Laisser un commentaire

Avant notre colloque “Théorie de l’évolution et croyances : le choc ?” du 20 octobre au théâtre Varia, nous avons le plaisir de vous annoncer nos deux prochaines conférences.

Le 20 septembre :

L’influence de la religion, tout comme celle de l’anticléricalisme, sur les intentions de vote a longtemps été décisive en Europe et ailleurs.

Ainsi, par exemple, la carte de la répartition des voix aux élections présidentielles françaises de 1981, opposant François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing, correspond à celle de la décléricalisation de… l’époque révolutionnaire !

Quelle est encore la pertinence de ce clivage dans la Belgique d’aujourd’hui ?

Si, à l’inverse de la Flandre, le monde francophone ne compte plus de parti s’affichant ouvertement chrétien, la réalité d’un engagement chrétien y a-t-elle pour autant disparu ?

De quelle manière, à Bruxelles et dans les grandes villes, cette question se pose-t-elle avec les populations de tradition musulmane ? Leur vote, dont l’importance est indéniable, est-il plutôt ethnique, social ou religieux ?…

Ce sont là autant de questions que Pascal Delwit tentera d’éclairer.

 

Le 4 octobre :

Anthropologue et africaniste d’exceptionnelle renommée, Michael Singleton soutient une thèse qui déplaît à beaucoup, croyants ou non croyants : avant la colonisation, avant sa « rencontre » avec l’une ou l’autre religion du Livre, l’Afrique centrale, pas plus qu’elle n’a connu le « politique », n’a rien connu de ce que l’on nomme religion. Tout au plus peut-on parler d’une philosophie, généralement teintée d’optimisme.

Le problème peut résider dans cette appellation même de « religion » : à force de vouloir absolument en voir partout, on aboutit sous ce terme à une notion extrêmement pauvre, résiduelle sinon vide de sens. Un peu comme si, à force d’enlever les couches qui forment un oignon, il n’en restait plus rien…

Dès 2014, l’Association Belge des Athées s’est souciée d’approfondir le sens de l’athéisme et de la religion dans les diverses parties du monde, notamment en Asie et en Extrême-Orient, mais n’avait pas pu encore examiner la problématique africaine.

Cette conférence constitue une première étape de l’étude qu’elle souhaite mener.

 

Au plaisir de vous y rencontrer ! 🙂

L’ABA

Tags : Association athée religion

Peut-on croire sans raison ?

Posté le 10 juillet 2018 Par ABA Publié dans Philosophie Laisser un commentaire

William Clifford et William James

Jean Bricmont

Au XIXe siècle, le mathématicien britannique William Clifford (1845-1879) et le psychologue et philosophe américain William James (1842-1910) abordaient, chacun au travers d’un texte, un débat sur ce que veut dire « croire » et sur ce qui peut justifier une croyance[1]. Bien que datant de la fin du XIXe siècle, ces deux textes importants de la philosophie anglo-américaine nourrissent un débat qui est toujours contemporain.

Pour l’illustrer, je vais commencer par une anecdote : mon cours de religion en dernière année d’humanités (la terminale en France) était divisé en trois parties : d’abord les preuves de l’existence de Dieu, ensuite les preuves que, parmi toutes les religions, la catholique était la meilleure, et enfin la doctrine de l’Église en matière sociale et sexuelle. La dernière partie était vue comme un corollaire de ce qui avait été « démontré » précédemment.

À la fin des années 1960, cette façon de défendre le catholicisme pouvait déjà paraître comme passablement « conservatrice ». Mais on a tendance à oublier que, pendant des siècles, cette démarche a été celle de l’Église : la croyance en Dieu et en la doctrine catholique n’était pas présentée comme une croyance aveugle et encore moins un choix subjectif, mais quelque chose de rationnel.

Néanmoins, au moins depuis le XVIIIe siècle, de nombreux penseurs ont montré qu’aucune des « preuves » de l’existence de Dieu (la cause première, l’argument de la finalité ou la preuve ontologique) ne démontrait quoi que ce soit. Face à cela, trois réactions étaient possibles : défendre ces preuves malgré tout (la tactique des bons pères qui pensaient m’éduquer), devenir athée ou inventer de nouveaux arguments en faveur de la religion.

C’est cette troisième attitude qui domine très largement le monde chrétien occidental contemporain. Mais ces arguments sont radicalement différents des arguments traditionnels en ce sens qu’ils ne cherchent pas à démontrer que les doctrines religieuses sont vraies mais qu’elles sont moralement utiles ou subjectivement satisfaisantes et ces arguments font principalement appel au sentiment plutôt qu’à la raison.

Tout le monde a déjà rencontré ce type de raisonnement : si Dieu n’existe pas, alors tout est permis. La croyance en Dieu nous console des misères de ce monde, nous permet de « nous sentir bien ». La croyance en Dieu est bonne pour les opprimés (théologie de la libération), pour les femmes (féminisme chrétien ou musulman) ou pour les peuples ex-colonisés (islam ou hindouisme politique).

Le mathématicien britannique William Clifford a avancé un argument allant exactement en sens inverse : un argument moral contre les croyances irrationnelles et qui est purement philosophique, en ce sens qu’il ne ressasse pas les critiques habituelles des incroyants à propos de l’Inquisition ou des Croisades qui, elles, dépendent de l’histoire[2].

Clifford donne l’exemple d’un propriétaire de navire qui sait ou devrait savoir que le bateau qu’il va mettre à la mer avec un certain nombre de migrants n’est pas très sûr. Il se convainc néanmoins que son bateau sera capable de faire le voyage. Malheureusement, celui-ci coule et les migrants se noient. Clifford en déduit qu’il était immoral pour l’armateur de se convaincre de la sécurité du bateau alors qu’il n’avait pas de bonnes raisons d’y croire.

Clifford insiste sur le fait que ce n’est pas simplement l’action du propriétaire (mettre le navire à la mer) qui est immorale, mais également la croyance non justifiée dans la sûreté du navire qui l’est. Et de là découle son éthique de la croyance : « on a tort, partout, toujours et qui que l’on soit, de croire sur la base d’éléments de preuve insuffisants. » (L’immoralité de la croyance religieuse p. 13)

Dans le reste de son texte, Clifford se défend de tomber dans le scepticisme et indique comment procéder pour arriver à des opinions justifiées, même si elles ne sont pas absolument certaines (Clifford accepte le caractère incertain de nos connaissances). Il n’y a là rien de très original : Clifford explique simplement comment procéder à des inductions raisonnables et sa démarche n’est pas différente de celle de la plupart des scientifiques.

La volonté de croire de William James est en partie une réponse à Clifford, bien que se voulant d’une portée plus générale. Pour James, l’éthique de la connaissance de Clifford est inapplicable parce que, dans bon nombre de situations, nous sommes obligés en pratique de choisir de croire une proposition ou sa négation sans disposer de preuves suffisantes pour effectuer ce choix. Si on suit l’éthique de Clifford, dit James, on évitera de tomber dans l’erreur mais on ratera également la possibilité de croire en des propositions vraies mais non prouvées. Le genre d’exemple que James aime donner c’est celui d’une demande en mariage : on ne peut pas attendre d’avoir de bonnes raisons de croire que la demande sera acceptée avant de la faire, sinon presqu’aucune demande de ce type ne serait formulée.

On pourrait répondre que cette objection ignore toute la partie du texte de Clifford où celui-ci explique comment nous pouvons arriver à des opinions justifiées, au moins en partie. Mais le but de James est de défendre les croyances religieuses, dont Clifford ne parle pas mais qu’il ne partageait manifestement pas. James estime que, concernant ces croyances, demander des preuves comme le fait Clifford, revient à adopter une position agnostique ou athée. Pour James, le fait de croire ou de ne pas croire est essentiellement une question pratique qui, comme pour d’autres questions, doit être décidée sans attendre d’avoir des preuves suffisantes pour trancher entre croyance et non-croyance. Suspendre son jugement en attendant de telles preuves revient pour James à faire un choix, celui de la non-croyance.

Cette attitude est reliée à la philosophie pragmatiste de James. Bien qu’il existe différentes versions du pragmatisme et que celle de James n’est pas entièrement claire, la partie la plus centrale mais aussi la plus problématique de cette doctrine consiste à ne pas voir une proposition vraie comme exprimant un état de fait, mais comme remplissant une fonction pratique, étant satisfaisante, utile, s’accordant au reste de nos pensées, etc. Une version radicale de cette idée (bien plus radicale que chez James[3]) est exprimée par le philosophe américain contemporain Richard Rorty lorsqu’il écrit : « Ce que des gens comme Kuhn, Derrida et moi pensons, c’est qu’il est inutile de se demander s’il existe réellement des montagnes ou s’il est simplement pratique de parler des montagnes. »[4]

Dans le chapitre qu’il consacre à James dans son Histoire de la philosophie occidentale[5], Bertrand Russell démolit cette notion pragmatique de la vérité : par exemple, si je me demande s’il est vrai que Christophe Colomb est parti pour l’Amérique en 1492, et que j’adhère à la notion ordinaire de vérité, comme reflétant un fait, je pourrais simplement consulter un livre d’histoire. Mais si je suis pragmatiste, je dois me demander s’il est utile de croire que Christophe Colomb est parti pour l’Amérique en 1492, plutôt qu’en 1491 ou 1493. Comment faire ? Et même si on résout ce problème (par exemple en se disant que donner 1492 comme date du départ permet de réussir des examens), il faut, pour être cohérent appliquer la notion pragmatique de vérité à l’assertion « il est utile de croire que Christophe Colomb est parti pour l’Amérique en 1492 », ce qui veut dire qu’il est utile de croire que cette assertion est vraie. On tombe ainsi dans une régression à l’infini.

Discutons des croyances irrationnelles

Pour finir, que penser de l’éthique de la vérité de Clifford et de la réponse de James ? La maxime de Clifford (« on a tort, partout, toujours et qui que l’on soit, de croire sur la base d’éléments de preuve insuffisants ») est correcte mais avec une nuance importante : il devrait ajouter « du moins, lorsque de tels éléments de preuve existent et nous sont accessibles », ce qui permet d’éviter l’objection de James concernant les nombreuses décisions pratiques, comme une demande en mariage, où un choix doit être fait sans nécessairement disposer de preuves allant dans un sens ou l’autre.

Pour ce qui est de James, la vision pragmatique de la vérité se heurte, comme le montre Russell, à des objections bien plus sérieuses que celle de la vérité comme correspondant à des faits. Mais, en ce qui concerne les croyances religieuses, il tombe dans le travers fréquent qui consiste à ne pas préciser de quelles croyances il s’agit. James était protestant ; donc, il ne croyait pas au dogme de l’immaculée conception ni aux autres dogmes spécifiquement catholiques. Il ne croyait pas non plus à la venue du Mahdi (croyance islamique) ni à celle du Messie (croyance juive) ni aux dieux de l’Olympe, amérindiens ou africains. Mais pourquoi au juste ? Comme pour le pari de Pascal, il ne suffit pas de croire, mais de croire dans la vraie foi, vu que la plupart des religions promettent un sort funeste, ici-bas ou dans l’au-delà, à ceux qui adhèrent à une religion autre que la « vraie », c’est-à-dire la leur. Justifier la croyance religieuse en invoquant ses bienfaits ne permet pas de se débarrasser de la question de la vérité (quelle est la vraie religion ?), du moins si on pense aux bienfaits résultant d’une action divine.

Il est vrai que James n’est pas très explicite sur ce en quoi consistent, pour lui, les bienfaits de la croyance. Est-ce la vie éternelle ou des consolations ici-bas ? Dans le deuxième cas, il suffirait de croire, peu importe la foi à laquelle on adhère. Mais reste la question, qui est une question de fait, du caractère bénéfique de la croyance : James ne semble pas se demander, par exemple, si la croyance à l’enfer pourrait avoir quelques inconvénients psychologiques. Par ailleurs, l’immense majorité des croyants n’adhèrent pas à une justification pragmatique de leur croyance. Pour eux, elle est vraie au sens de la vérité correspondant à des faits, d’où les infinis conflits entre croyances mutuellement contradictoires, conflits qui ne sont pas particulièrement bienfaisants.

Dans le débat entre Clifford et James, même si les arguments du second sont faibles, ce sont eux qui dominent l’opinion intellectuelle de notre temps, qui semble entièrement conquise à une vision de la vérité indifférente aux faits et qui se concentre uniquement sur les effets supposés de la croyance. Bien sûr, cette attitude a d’autres sources que le pragmatisme de James, la philosophie de Nietzsche par exemple, ou certaines versions du marxisme, et ce pragmatisme, comme dit Russell, « n’est qu’une forme de la folie subjectiviste qui caractérise la plupart des philosophies modernes »[6], mais ses ravages ne s’en font pas moins sentir : il est devenu quasiment impossible dans notre « culture » de discuter objectivement des croyances irrationnelles, en particulier religieuses. Reste à voir ce qui à terme fera le plus de tort : le subjectivisme contemporain ou les dogmatismes du passé.


Notes

  1. Ces deux textes viennent d’être republiés sous le titre L’immoralité de la croyance religieuse (Marseille, Agone, 2018, 125 p.). Il s’agit d’une nouvelle traduction en français, introduite et commentés par leur traducteur, le philosophe Benoît Gaultier, de L’éthique de la croyance de William Clifford et de La volonté de croire de William James qui en constitue une sorte de réponse.Clifford est connu (des spécialistes) pour ses travaux à l’intersection de la géométrie et de l’algèbre et qui a notamment suggéré, bien avant Einstein, un lien entre la force de gravitation et la géométrie de l’espace, idée qui est à la base de la relativité générale (1915). ↑
  2. Quand on avance ce genre d’arguments, les croyants répondent souvent en parlant d’Hitler, Staline, etc. et on arrive vite à une impasse. ↑
  3. Notons que James dit quand même : « Ici, dans cette salle, nous croyons tous à la réalité des molécules et à la conservation de l’énergie, à la démocratie et au progrès nécessaire, au christianisme protestant et au devoir de combattre pour la “doctrine de l’immortel Monroe”. Mais toutes ces croyances ne reposent sur aucune raison digne de ce nom ». (L’immoralité de la croyance religieuse pp. 55-56). Lorsqu’il écrivait ces lignes (1897), la conservation de l’énergie était quand même bien établie. Le fait qu’il la mette sur le même plan que le christianisme protestant et la doctrine de Monroe illustre son indifférence aux arguments scientifiques. ↑
  4. Richard Rorty, Truth and Progress. Philosophical Papers, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, pp 71-72. Je ne sais pas si Rorty reflète correctement l’opinion de Kuhn ou Derrida, mais il reflète sûrement la sienne. ↑
  5. Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale. En relation avec les événements politiques et sociaux de l’Antiquité jusqu’à nos jours, traduit de l’anglais par Hélène Kern, Paris, Les Belles Lettres, 2011, chapitre XXIX, pp. 923-931. ↑
  6. Ibid., p. 931. ↑
Tags : croyance éthique pragmatisme vérité

De la discrétion voulue ou involontaire des athées

Posté le 10 juillet 2018 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Dachau. Les mémoriaux protestant, catholique, juif, orthodoxe et le couvent des Carmélites.

Patrice Dartevelle

Lors d’un récent voyage en Bavière, j’ai choisi de visiter le site du camp de Dachau (avant d’aller à Nuremberg…), pour des raisons assez évidentes.

Ouvert dès 1933, Dachau est le premier camp de concentration nazi. Il était destiné aux opposants politiques, de toutes les opinions démocratiques ce qui veut dire massivement des communistes ainsi que des socialistes, des libéraux. On y a mis aussi des libres penseurs ainsi que des prêtres (900, presque tous catholiques).

Par la suite, durant la guerre, on y enverra des résistants de toutes nationalités, d’opinion diverses, relevant parfois de la droite nationaliste, mais évidemment de très nombreux communistes, socialistes (dont le Belge Arthur Haulot), etc. sur le modèle allemand. On y ajoutera également des prêtres polonais, ce qui portera le nombre de prêtres à 2 720.

Plus tard encore, on y mettra quelques milliers de juifs et 6 000 prisonniers de guerre russes qui, eux, seront rapidement exécutés au mépris le plus total des conventions internationales.

Sur les 75 000 prisonniers qui y sont passés, 30 000 au moins périront, dont un grand nombre suite au typhus qui règne dans le camp peu avant sa libération.

Lieux de mémoire et de culte religieux à foison

Aujourd’hui, le côté Nord du camp est occupé par plusieurs lieux de culte ou de mémoire dédiés à différentes religions et par un couvent de Carmélites.

Dès 1945, du côté opposé, on avait bâti une église de la Sainte-Croix. Dès le 23 décembre 1945 elle était consacrée par le cardinal von Faulhaber, en présence du commandant américain du camp. Rapide reconversion des autorités catholiques, qui auraient mieux fait de s’émouvoir quand il le fallait. Cécité ou complicité, tout est oublié ! Fin 1966, cette église est démolie.

Entre-temps d’autres édifices religieux avaient été bâtis, sous prétexte d’une aire de méditation. En 1952 les protestants luthériens inaugurent une église de la Grâce, édifice qu’ils abandonnent en 1963 pour le confier à l’Église orthodoxe. En 1960, les catholiques construisent une chapelle des Affres de la Mort du Christ et en 1964, les Carmélites inaugurent leur couvent du Saint-Sang, que Mère Teresa visite la même année. En 1967, sous une influence hollandaise, les protestants ouvrent l’église de la Réconciliation. S’agissait-il d’une impossible – pour moi – réconciliation avec les nazis ou d’une réconciliation un peu hypocrite avec les Allemands ? En 1967 aussi on inaugure le mémorial juif. En 1995, dans une autre partie du camp, les orthodoxes créent une chapelle de la Commémoration[1].

Une contradiction ?

On aurait sans doute pu commémorer en un mémorial unique les victimes des nazis, mais sous cette seule réserve, il n’y a rien d’inexplicable dans ces constructions religieuses : on ne peut douter que des catholiques, des protestants, des orthodoxes (mais quelle proportion parmi les prisonniers soviétiques ?), des juifs religieux aient péri à Dachau, et dans les pires conditions. Tous ont droit sans réserve à ma commisération.

Mais à vrai dire, la réalité – et l’image – des prisonniers de Dachau est beaucoup plus celle d’opposants et résistants athées, agnostiques, anticléricaux ou autres non-religieux. Pour ceux-ci il n’y a pas de commémoration qui vaille en fait de bâtiment. Le caractère exhaustif des religions représentées par les édifices laisse croire qu’ils recouvrent l’intégralité des opinions et convictions alors que les croyants, si on les réunit, ne sont qu’une minorité, même en admettant qu’une certaine proportion des socialistes, des libéraux voire des communistes n’étaient pas athées.

La politique des Églises

Toutes ces constructions sont la marque d’une volonté et d’une politique religieuses constantes. Le cas extrême pour les camps de concentration est celui de l’Église polonaise.

Le pire se rencontre à Auschwitz, qui n’a accueilli pratiquement que des juifs. Les Carmélites (le cas de Dachau ne doit donc rien au hasard) s’y distinguent depuis longtemps par le couvent qu’elles y ont implanté. Le gouvernement polonais actuel – mais il ne faut pas dédouaner trop facilement ceux qui l’ont précédé et qui ont entamé le travail de déjudaïsation de la Shoah[2], sans vergogne après les pogroms de Rzeszow, Cracovie et Kielce en 1945 et 1946, en célébrant à Auschwitz le martyre de la nation polonaise sans parler des Jujfs – prépare aux abords d’Auschwitz un « camp des justes [bien rares] polonais ».

Au-delà de ces tragiques circonstances, l’obsession religieuse de faire rentrer en son sein après la mort ceux qui avaient clairement rompu avec la religion ou n’en avaient jamais eu à en connaître est une constante.

Le record en la matière vient d’être battu par le prêtre catholique belge qui a célébré une messe de funérailles pour celui qui, le 29 mai 2018, avait abattu trois personnes à Liège. Il s’agissait pourtant d’un converti à l’islam dans sa version la plus radicale. Sans doute avait-il été baptisé à sa naissance, mais de là à nier la foi qu’il avait proclamée…

Un autre cas étrange est celui des cimetières militaires français de la Première Guerre mondiale. Quinze ans ou plus après la loi de 1905, la France a agi en parfaite contradiction avec sa loi : toutes les tombes militaires françaises sont ornées d’une croix catholique, sauf celles des membres des régiments composés de soldats venant du Maroc, de l’Algérie, qui ont toutes un croissant musulman. Le problème n’a rien d’insoluble. Les tombes britanniques des cimetières voisins sont toutes de forme identique, une pierre posée verticalement avec une arête supérieure arrondie, mais sous laquelle existe un espace qui est consacré aux convictions de chacun, qu’il soit anglican catholique, musulman, hindouiste, sikh ou humaniste (j’en ai vu de mes propres yeux)[3].

L’absence des athées

Mais comment diable (!) les athées peuvent-ils rester les bras croisés ?

La première explication ou commentaire qui me vient à l’esprit – et c’est peut-être la plus proche de la réalité psychologique ou philosophique – est que les athées estiment que tout est fort bien ainsi. Ils ne veulent pas d’une action commémorative de groupe, comme l’est celle des Églises. Face à la mort et au néant, ils considèrent que seul le silence est de mise et que les Églises ne sont mues que par le besoin d’une présence rendue nécessaire pour entretenir leurs mythes et conforter leur pouvoir. L’athée se voit seul. Son athéisme est son œuvre, le produit de sa réflexion personnelle (encore que depuis plus d’un siècle les athées soient souvent fils ou filles d’athées).

Ce point de vue est d’une haute valeur morale et personnelle, mais il n’est pas complètement dépourvu de l’élitisme et du sentiment de supériorité que l’on reproche souvent aux athées[4]. La solitude de l’athée face à la mort reste belle.

J’ai pourtant quelques objections ou remarques. Dans quelle mesure, par exemple, cette attitude n’est-elle pas la rationalisation d’une impuissance ? Les athées ne disposent d’aucune structure comparable à celle des Églises pour financer des constructions. Dans la plupart des pays, les athées ont peine à diriger leurs dons et leurs legs vers les rares associations spécifiquement athées. Il y a aussi le mouvement laïque, humaniste ou de libre-pensée, selon l’appellation ordinaire variant de pays en pays, ainsi que le type de franc-maçonnerie qui en est proche. Il est bien rare que cela fasse beaucoup d’argent. Cela pourrait l’être aux États-Unis où les données sont différentes mais, du moins jusqu’il y a peu, l’athéisme ne s’y affichait guère et rien n’est près de changer dans la Bible Belt.

Bien évidemment si on veut construire un mémorial, même sans grandiloquence, il faut un peu de moyens et une structure pour les appeler et les récolter.

Je ne crois pas utile de traiter de l’illusion d’interdire ce type de construction. Les faits montrent que c’est impossible et interdire aux gens de manifester leur conviction au travers d’une construction ne me semble pas un haut-fait de tolérance, sauf à considérer qu’il faudrait raser de force toutes les églises, point de vue qui existe.

Pourtant encore, et plus curieusement, si les athées savent que rien d’eux ne survivra matériellement, ils ne sont pas forcément les derniers à parler du souvenir des vivants comme seule trace de leur existence et de leur action. En concrétiser une trace n’est pas incompatible avec l’athéisme.

À force de se réfugier dans une attitude individuelle, très « bourgeoisie du XIXe siècle », je crois qu’on valorise, renforce et cautionne socialement un paysage où, si les religions peuvent être diverses – ce qui aujourd’hui fait bien moins problème qu’autrefois –, il n’y a rien en dehors d’elles. Mieux vaudrait à mon sens plus de présence dans l’espace public plutôt que considérer – en fonction d’un sentiment très fréquent selon mon expérience – qu’il est profondément ennuyeux de se dépenser à lutter contre les sornettes religieuses.

Un second type d’explication ne manque pas d’intérêt parce qu’il nous permet de questionner plus avant sur la nature de l’athéisme.

Mis à part un petit nombre de purs libres penseurs et de maçons, ceux qui sont passés par Dachau ont été enfermés pour leurs idées communistes, socialistes, démocratiques, etc. Ils étaient certes athées pour le plus grand nombre. Cependant ils combattaient pour un idéal intégrant l’athéisme, mais dont celui-ci n’était pas forcément le fer de lance. C’est certain, mais je n’ai pas vu non plus de mémorial pour les communistes, les socialistes, les libéraux, etc. Il n’était évidemment pas sûr que les autorités bavaroises (Dachau se situe dans la périphérie de Munich, non loin de l’aéroport qui porte le nom significatif de celui qui a été longtemps l’homme fort du Land, sinon de la RFA, Franz-Josef Strauss) auraient aimé.

Le cas des prêtres allemands n’est pas forcément à ce point à leur honneur. Leurs diverses confessions semblent couvertes par les mémoriaux. Ils étaient retenus à Dachau pour des propos ou des écrits sûrement peu sympathiques au nazisme, mais la foi, l’amour du prochain et de sa liberté étaient-ils si souvent leur vraie motivation ? On peut être prêtre et antinazi sans que la religion y soit pour quelque chose. Les autorités religieuses allemandes n’ont jamais désavoué Hitler, vraiment jamais. Si quelques très rares évêques ont protesté face au nazisme, ils l’ont fait pour des motifs où le souci de la défense sociologique de l’Église prédominait : il s’agissait de protester contre l’absorption des organisations de jeunesse catholiques par la Hitlerjungend. C’est le cas du plus connu d’entre eux, Mgr von Galen, évêque de Münster et cardinal, qui ne manquait pas de conclure ses protestations contre cette absorption (et aussi contre les euthanasies pratiquées par les nazis sur les handicapés) d’un vigoureux « Heil Hitler! ».

L’argument vaut, mais il n’est pas sans faiblesses.

Ma conclusion n’est pas de proposer de créer un fonds pour un mémorial athée à Dachau (un peu parce que je ne vois pas comment trouver les fonds suffisants) mais d’inviter les athées à éviter de se complaire dans la discrétion et l’abstention, sans se poser de question et en invoquant parfois de faciles prétextes. S’effacer ne mène en tout cas à rien, sauf à laisser davantage de place aux autres.

Notes

  1. Je me réfère pour toute cette description à la version anglaise du guide des mémoriaux de Dachau : Kai Kappel, Dachau Concentration Camp Memorial Site. Religious Memorials, traduit de l’allemand part Margaret Mark 2016 (2e édition), Berlin-Munich, 96 p. ↑
  2. Cf. par exemple Paul Gradvohl, « Pologne. Une histoire sous tutelle », Le Monde, 24 février 2018. ↑
  3. J’ai vu tout cela à Ypres et ses environs et en ai déjà parlé antérieurement, cf. mon article « Réflexions sur un démon », Vivre. Un dialogue humaniste ouvert, n° 11 (NS), décembre 2003, pp. 3-7, spécialement p. 7. ↑
  4. C’est ce que le médecin-directeur de l’hôpital reproche d’une manière générale au docteur Germain dans le film d’Henri-Georges Clouzot, Le corbeau (1943). ↑
Tags : Dachau histoire mémoire religions Résistance

La confession épique de Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain

Posté le 10 juillet 2018 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant. On trouve face à face l’enquêteur Juste Pape et le suspect Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain. Les réponses attribuées à Mark Twain dans ce texte proviennent des sources secrètes qui ont alimenté le dossier de l’inquisiteur.

Pour situer le personnage, Mark Twain, né à Florida (Missouri) en 1835 et mort à Redding (Connecticut) en 1910, est un écrivain étasunien du XIXe siècle. Son œuvre est multiple. On retient habituellement et principalement Les Aventures de Tom Sawyer, Les Aventures de Huckleberry Finn, mais il fut tellement prolifique qu’on ne peut que citer les principales parmi les nombreuses autres publications, dont La Célèbre Grenouille sauteuse du Comté de Calavéras, Le Prince et le Pauvre, La Tragédie de Pudd’nhead Wilson et la Comédie des deux Jumeaux extraordinaires, Trois mille ans chez les Microbes, La Vie sur le Mississippi, Le Tour du Monde d’un Humoriste et son immense Autobiographie de Mark Twain.

Bonjour, Monsieur Mark Twain. Je m’appelle Juste Pape. Je suis l’enquêteur de l’Ovraar[2] en mission spéciale. Vous êtes bien Mark Twain, l’humoriste ?

Monsieur l’Inquisiteur, je vous salue et je vous fais remarquer que je ne suis pas que Mark Twain. Pour tout dire, je vous renvoie au toast de mon cinquantenaire, porté par Oliver Wendell Holmes en 1885 :

Il nous faut donc boire à sa santé :

Mark Twain est le bébé de Clemens[3]
Qu’est-ce que vous dites ? Vous n’êtes pas Mark Twain ?

Écoutez, Révérend, je préfère vous donner ce titre plus révérencieux et plus conforme aux habitudes des bords du Mississippi. Sachez que Mark Twain est le nom d’un écrivain que j’incarne, moi, Samuel Langhorne Clemens. Je suppose que vous savez ce que veut dire incarner et que je ne dois pas vous faire un dessin. Pour plus de certitude, je prends un exemple dans votre religion : concrètement, Mark Twain m’incarne tout comme l’homme que vous appelez Jésus disait incarner Dieu en tant que personne. Je vous passe les détails, vous les connaissez. La seule différence et elle est notable, c’est que Mark Twain a réellement écrit de sa propre main des livres que vous pouvez trouver dans les meilleures bibliothèques et que par ailleurs, il est peu probable que Dieu ait écrit de sa main les livres « sacrés » qu’on lui attribue. La différence aussi, c’est qu’on n’a jamais obligé les enfants à lire les livres de Mark Twain, car comme l’établissent de nombreux témoignages, les jeunes les lisent sans qu’on leur demande ; tandis que pour ce qui est des livres religieux, la situation est fort différente. D’autre part, contrairement à votre Messie, Mark Twain n’a jamais suggéré aux gens de le manger, ni de boire son sang, ce qui sont là des manières dignes d’un peuple de vampires. Ensuite, vous noterez que Mark Twain n’a jamais prétendu que ses livres étaient des textes sacrés et enfin, ses écrits n’ont jamais servi de prétexte pour rôtir ou massacrer des gens.

Bien, bien, ne vous énervez pas, Monsieur Clemens. Je note que vous avez choisi comme nom littéraire Mark Twain et, en tant que Mark Twain, vous avez quand même en quelque sorte hérité de la culture et des idées de Samuel Langhorne Clemens.

En quelque sorte, oui. Voyez-vous, Révérend, c’est un peu une situation comme celle de la transsubstantiation, mais une transsubstantiation qui fonctionnerait à double sens, dans laquelle Clemens s’est transformé en Twain et en retour, Twain se transforme en Clemens. C’est un phénomène récurrent. Par ailleurs, je suis également un miracle à l’envers, si je puis ainsi dire et cette situation paradoxale m’a poursuivi toute mon existence. Il s’agit d’un mystère aussi troublant que celui de la Trinité et, dès lors, vous n’aurez pas de mal à l’admettre. Je vous explique ce miracle : à la naissance, nous étions jumeaux, mon frère William et moi, et un des deux est mort. Et, figurez-vous, Révérend, que celui qui s’est noyé dans le bain, c’était moi – je m’en souviens très bien à cause de ce grain de beauté sur la main gauche[4]. Après, il y a eu un échange de substances entre lui et moi. Ce n’est sans doute pas sans rapport avec le choix de ce nom de Twain comme hétéronyme, car en anglais, le mot twain signifie tout simplement deux et également, paire, couple, dualité… Ainsi, je suis réellement double et même triple, car il faut y ajouter l’esprit de Bill, comme je viens de vous le révéler. Mais appelez-moi Twain !

D’accord, je vous appellerai Twain, car vous êtes Twain et c’est sur ce Twain qu’est construit mon dossier. Twain est le suspect qu’il m’est demandé d’interroger et ce sont ses écrits qui sont les pièces du dossier.

Eh bien, Révérend, je ne peux que féliciter votre dossier, car il a probablement saisi l’essentiel de la transsubstantiation de Clemens en Twain – de l’homme en écrivain. Cependant, Mark Twain et Sam Clemens ne s’entendaient pas vraiment. Clemens était un monsieur rangé, nanti d’une épouse charmante, une femme à principes assez sévère, et Twain était resté pareil à lui-même et au jeune Sam de l’enfance au bord du fleuve.

Ensuite, Twain, j’ai ici des citations qui sont – à nos yeux – des indices de votre irréligiosité, pour ne pas dire de votre athéisme caché. Par exemple, vous avez écrit :

Je lève mon verre à la majestueuse matrone appelée chrétienté… avec son âme pleine de méchanceté, sa poche pleine d’oseille et sa bouche pleine de pieuses hypocrisies. Donnez-lui un savon et une serviette, mais cachez le miroir[5].

En effet, j’ai dit, j’ai même écrit ça et s’il fallait le réécrire, je le ferais volontiers. Et puis quoi, monsieur l’Inquisiteur ?

Et puis, Twain, dans Une Histoire américaine[6], le premier volume de votre monumentale autobiographie, vous en prenez à l’aise avec la très sainte Providence et même, avec la Création. Vous écrivez – notamment – ceci :

puisque l’homme, sans aucune aide, inventa tout lui-même. J’avance cette conclusion, car je pense que si la Providence avait eu la moindre idée de l’aider, elle aurait eu l’idée de le faire quelque cent mille siècles plus tôt. Nous avons l’habitude de voir la main de la Providence en toutes choses… Lorsque la Providence jette l’un de ses vermisseaux à la mer à l’occasion d’une tempête, puis l’affame et le gèle… avant de le rejeter sur une île déserte… pour être finalement sauvé par un vieux bandit de capitaine irréligieux et blasphémateur sacrilège… le vermisseau oublie que c’est la Providence qui l’a jeté par-dessus bord et ne se rappelle que le sauvetage par la Providence… jamais il ne se laisse aller à de francs remerciements chaleureux et sans retenue envers le vieux et rude capitaine qui est celui qui l’a réellement sauvé[7].

Encore une fois, Révérend, n’ai-je pas raison ? Les seules choses réelles dans cette histoire, ce sont le naufragé, la tempête, le capitaine et le sauvetage ; quant à la Providence, c’est une élucubration d’un de vos collègues.

Certes, Monsieur l’écrivain, je n’ai guère l’espoir de vous amener à résipiscence, d’autant que vous avez tout autant maltraité la Création ; pour la clarté de mon accusation, je rappelle que la Bible enseigne que « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme » (Genèse 1.27) et on apprend ça au catéchisme. Et vous, que dites-vous ? Je vous cite à nouveau :

Enfin apparut le singe et tout le monde put voir que l’homme n’était plus très loin à présent. Et, en vérité, il en fut ainsi. Le singe continua à se développer durant cinq millions d’années et ensuite il se transforme en homme, manifestement. Voilà l’histoire. L’homme est ici depuis trente-deux mille ans ».[8]

Qu’en pensez-vous ?

Oh, Révérend, ce que j’en pense est simple : avant l’homme, il n’y avait pas de Dieu ; après l’homme, il n’y a plus de Dieu ; sans l’homme, il n’y a pas de Dieu. Vous savez « Depuis lors [1866] jusqu’à aujourd’hui je n’ai plus été membre d’une Église. Je suis resté complètement libre en ces domaines. »[9]

Twain, non seulement, vous êtes impie et blasphémateur, mais vous êtes un « évolutionniste » de la pire espèce et un athée, même si vous avez pris certaines précautions en reportant la publication de votre autobiographie « cent ans après votre mort »[10].

Peut-être, Révérend, que je serais aussi assez matérialiste et, même, également déterministe, allez savoir. Je m’en vais vous dire comment je conçois Dieu et « pas n’importe quel dieu parmi les deux ou trois millions de dieux que notre espèce a fabriqués depuis qu’elle a presque cessé de se composer de singes… je veux dire le petit Dieu que nous avons fabriqué à partir des rebuts humains ; dont le portrait est fidèlement décrit dans une Bible dont nous avons déclaré qu’il en était l’auteur ; le Dieu qui a créé un monde aux dimensions d’une pouponnière… et qui a mis notre petit globe au centre… »[11].

Twain, vous avez été tellement prolifique que nous avons failli nous y perdre. Il nous a fallu arriver à la millième page de votre autobiographie pour trouver ce florilège de vos pensées impies contre Dieu et les écritures saintes. Vous vous en prenez à la Bible, à la Vierge Marie, à Dieu et même aux dieux d’autres religions.

Je m’en souviens fort bien et si j’ai pu l’écrire, c’est qu’à ce moment ma femme, ma bonne Livy, était morte et j’étais libre de m’exprimer sur ce sujet. C’est ce fameux chapitre dont, dans une lettre à mon ami Howells en 1906, je disais que « mes héritiers et ayants-droit seront brûlés vifs s’ils s’aventurent à le publier de ce côté de 2006 » et j’ajoutais : « Il y aura beaucoup de chapitres du même acabit si je vis 3 ou 4 ans de plus »[12]. Malheureusement, je n’ai pas trouvé le temps de les faire. Cependant, détaillons un peu ce florilège. D’abord la Bible. Ah, Révérend, si l’humour est la faculté de faire rire, alors, la Bible est sans aucun doute un des ouvrages des plus humoristiques qui ait jamais existé, d’un humour noir le plus souvent. Évidemment, une telle lecture suppose qu’on ait un minimum de « sense of humour ». La Bible est un recueil drôlatique de contes et légendes et d’anecdotes de paysans crédules, superstitieux et analphabètes. Quant à Dieu tel que le présente la Bible, c’est « un homme chargé et surchargé de pulsions mauvaises qui dépassent de loin les limites humaines ; un personnage avec lequel personne, sans doute, ne voudrait s’associer maintenant que Néron et Caligula sont morts ».[13] La Vierge Marie et son Immaculée Conception est une vieille resucée de nombre de religions antérieures : les Hindous ont acquis Krishna par l’Immaculée Conception, les Bouddhistes, Gautama par le même procédé ; c’était il y a 2 500 ans. Le seul témoin qui a pu en attester était un témoin fort intéressé, car c’était la Vierge elle-même. Sans doute fallait-il apaiser son mari. Jamais, un charpentier new-yorkais n’aurait accepté un tel bobard ; aujourd’hui, à New-York, aucun homme, aucune femme, aucun enfant n’accepterait d’y croire[14]. Quant à votre religion elle-même, elle « est terrible. Les flottes du monde entier pourraient naviguer en tout confort dans le sang innocent qu’elle a répandu. »[15]

Eh bien, Twain, ce sera tout. Mon rapport est secret et seule l’autorité supérieure en connaîtra le contenu et la conclusion.

Bien évidemment, cette vieille manie du secret, cette omerta ancestrale ! vous n’êtes pas Inquisiteur et jésuite pour rien. Un dernier mot, si vous le permettez : il me revient à l’esprit cette antienne d’une vieille piémontaise qui, au pied d’un crucifix, disait : « L’ù l’è mort, e mi sôn chi », ce que je traduis « Lui, il est mort et moi, je suis ici. » Vous voyez, révérend, c’est pareil pour moi : je suis encore ici et Samuel Clemens n’y est plus.

Et moi, Mark Twain, je serai ici tant qu’il y aura des hommes.

Mes respects, Révérend.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach. ↑
  2. OVRAAR : organisme secret à vocation de police politique, dont le nom est calqué pour partie sur celui de l’Ovra, dont l’historien Luigi Salvatorelli indique qu’il pourrait signifier : « Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d’en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu’ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois », et pour la fin sur celui de l’UAAR (Unione degli Atei e Agnostici Razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes italiens), gens qu’il s’agit de surveiller et éventuellement, de réprimer. ↑
  3. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain (t. 2). « L’Amérique d’un Écrivain », Tristram, Auch, 2015, 844 p., p 451. ↑
  4. Mark Twain, Une Interview, https ://short-edition.com/fr/classique/mark-twain/une-interview/. ↑
  5. Mark Twain, La prodigieuse Procession et autres charges, Agone, Marseille, 2011, 322 p., p.1. ↑
  6. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain, t. 1, ibid., 823 p. ↑
  7. Ibid., pp. 341-342. ↑
  8. Mark Twain, Cette maudite Race humaine, Actes Sud, Arles, 2018, 80 p., p.23. ↑
  9. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain, t. 1, op. cit., p. 491 ↑
  10. Harriet Elinor Smith, « Introduction », ibid., t. 1, p. 7. ↑
  11. Mark Twain, Ibid., t. 2, pp. 226-227. ↑
  12. Ibid., p. 810, 178. ↑
  13. Ibid., p. 227. ↑
  14. Ibid., p. 234. ↑
  15. Ibid., p. 235. ↑
Tags : athée caché athéisme écrivain États-Unis Juste Pape littérature Mark Twain Samuel Langhorne Clemens

Ode au rien, le reflet du tout

Posté le 10 juillet 2018 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Jean-François Jacobs

L’affirmation de l’athéisme… hérésie, prétention, poudre à canon, hymne à la division.

La réfutation des religions… argumentation, dialectique, rhétorique, organigramme de la désillusion.

L’athéisme n’est pas un plus, c’est un moins. Juste une croyance en moins. Une étiquette en moins.

Au rayon religion, il n’y a plus rien.

Tout reste à construire, à comprendre, à chercher, à imaginer, à envisager.

Et le droit de se tromper, de changer d’avis, de se contredire, d’oser dire « je ne sais pas ».

Chacun vit vissé à son avis, il n’y a pas de hiérarchie, peu de militants, pas de communauté, même avec la majorité.

Il n’a pas d’armée, de tribunaux, de code de conduite, de passe-droit, de paradis à vendre, d’enfer pour vous menacer.

Nul maître, pas de guide, ni de prétexte pour se dédouaner.

L’athéisme ne donne pas plus de force, de pouvoir.

Il est difficile, compliqué, ne nous rend pas meilleur ou supérieur.

Il n’offre pas de solution, de réponses à nos questions existentielles.

Tout le travail reste à faire, sans salaire, sans médaille, sans générique, sans violon et peut-être même, sans aucune bonne raison.

L’athéisme n’est pas le début, c’est la fin. L’oubli, la négation, l’absence.

Une renaissance, une correction, une évidence.

Jusqu’à preuve du contraire… même cela est envisageable.

L’athéisme n’existerait pas si les dieux existaient.

L’athéisme n’a pas peur de se tromper. Devant une preuve, il fera un pas de côté.

L’athéisme n’a pas de protocole, pas besoin d’interprétation, d’exégètes. Juste du savoir pour l’enseigner, le diffuser, le partager.

Il est vierge, immaculé, sans conception. Il est une réaction spontanée, logique, argumentée.

L’athéisme ne vous veut pas du bien. Il s’en fout, il voudrait d’ailleurs, enfin, disparaître.

Tags : conception de la vie questions existentielles religion rien

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