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La Confession complexe d’Edgar Morin

Posté le 27 juin 2022 Par ABA Publié dans Athéisme, Nos articles Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession logique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1]Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario … Continue reading, un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 à Paris, sociologue et philosophe. Il est connu comme auteur d’une série d’ouvrages[3]Edgar Morin est l’auteur de nombreuses publications qui constituent un ensemble fondateur d’une pensée de la pensée complexe. Voir notamment : Edgar Morin – catalogue.. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’ensemble de l’œuvre d’Edgar Morin et en particulier à son dernier ouvrage : Leçons d’un siècle de vie[4]Edgar Morin, Leçons d’un siècle de vie, Paris, Denoël, 2021, 147 p..

Bonjour, Monsieur Edgar Nahoum ou Morin. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[5]OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 à Paris.

Je suis en effet Edgar Nahoum à l’état-civil ou Edgar Morin pour tout ce qui touche à mes publications ; c’est sous ce nom que le public me connaît. Avant d’aller plus loin, je voudrais faire un préambule à cet interrogatoire que vous nommez confession. J’insiste : je n’ai rien à confesser et je n’ai pas plus le goût de l’autocritique, qui est la version athée de la confession. Il y a trop de vilaines traces dans l’Histoire de l’humanité. Ce préambule est celui de mes Leçons d’un siècle de vie et j’y tiens :

Qu’il soit entendu que je ne donne de leçons à personne. J’essaie de tirer les leçons d’une expérience séculaire et séculière de vie et je souhaite qu’elles soient utiles à chacun, non seulement pour s’interroger sur sa propre vie, mais aussi pour trouver sa Voie. 

Comment vous percevez-vous vous-même ?

Qui suis-je ? Je réponds : je suis un être humain. C’est mon substantif. Mais j’ai plusieurs adjectifs : je suis français, d’origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-patrie.

Tant d’identités, comment est-ce possible ?

C’est le cas commun. Chacun a l’identité de sa famille, celle de son village ou de sa ville, celle de sa province ou de son ethnie, celle de son pays, enfin celle plus vaste de son continent. Chacun a une identité complexe, à la fois une et plurielle. Vous y compris.

Oui, mais vous, à titre individuel, qui êtes-vous Monsieur Morin ?

Comme chacun, je suis unique et en même temps, j’ai de multiples identités. Ainsi, pendant la Résistance, sur ma carte d’identité, pour la concierge et les policiers, j’étais Gaston Poncet ; pour mes camarades de la Résistance, j’étais Morin ; et pour ma famille, j’étais Nahoum. Il s’agissait de ne pas l’oublier, sinon, les conséquences se faisaient sentir. Tenez, sous l’Occupation, j’étais allé voir une prostituée et dans l’hôtel, plein d’Allemands, au moment crucial, je me suis rendu compte que j’étais circoncis ; je fus épouvanté et la dame n’a rien pu faire pour moi ; je suis parti la queue entre les jambes. Nahoum avait chassé Morin.

Pour ce qui est de la religion, que pouvez-vous m’en dire ?

Dans la famille, nous sommes peu croyants. Je ne parlerai donc ni de Dieu, ni de religion ; je me référerai plutôt à une conscience juive. Mon grand-père maternel, Salomon Beressi, était libre penseur et nous enseignait une morale sans Dieu. On m’a circoncis sans me demander mon avis et d’ailleurs, sans que je le sache. Ainsi : laïcs, on était juifs. À l’école, dans ma classe, il y avait des catholiques, des protestants, cinq juifs et des enfants de libres penseurs. C’est là que j’ai découvert que j’étais juif. L’antisémitisme, je l’ai rencontré plus tard dans la presse de droite et au temps de Vichy. Ma conscience a connu des variations au long de ma vie ; elle s’est diluée dans une conscience politique humaniste, antifasciste et antistalinienne. Tout en reconnaissant mon ascendance juive, je me définis comme fils de Montaigne et de Spinoza, ce philosophe anathémisé par la synagogue. Pour ce qui est de la foi, j’ai foi en la Terre-mère.

Ah, je vois que vous avez été marié ; que pensez-vous de la famille ?

La famille est prise dans les filets de la complexité. En résumé : j’ai été marié quatre fois et j’ai eu deux filles.

Philosophiquement, comment vous situez-vous par rapport à l’Immensité ?

Il y a cent ans, parmi trois cents millions de spermatozoïdes, un seul a pénétré dans un ovule et l’a fécondé. Je ne suis pas seulement une minuscule partie d’une société et un éphémère moment du temps ; tout en étant à l’extérieur de moi, la société en tant que Tout est à l’intérieur de moi, le temps passe en moi, l’espèce humaine vit en moi. La vie, phénomène terrestre, est en moi ; tout le monde physique et l’histoire de l’univers me traversent dans le même moment où je les traverse. C’est le paradoxe de la vie : je suis un Tout pour moi, tout en n’étant quasi rien pour le Tout. Chacun de nous est un microcosme complexe, qui intègre le tout et qui y est intégré. Avoir conscience de ça aide beaucoup à la santé mentale.

À propos de santé mentale, n’avez-vous jamais rencontré la croyance ? N’avez-vous pas rencontré la foi ?

La croyance en un être supérieur et en une création « intelligente », je ne l’ai jamais eue. J’ai, avec grande conviction, eu foi dans une croyance terrestre : le communisme. Entré à vingt ans en Résistance et en communisme, j’ai connu le doute à l’égard du second dès la Libération puis, le rejet réciproque en 1951 ; je fus alors, pour parler en vos termes, à la fois apostat et excommunié. Mon appartenance au Parti avait duré dix ans, au cours desquels j’avais vu comment l’Appareil pouvait transformer un brave en lâche, un héros en monstre, un martyr en bourreau. C’est le sens de mon livre ironiquement intitulé : Autocritique[6]Edgar Morin, Autocritique, Paris, Le Seuil, 1959, réédition 2012, 328 p.. Dans ce détournement de l’exercice tristement célèbre de confession publique que le pouvoir soviétique exigeait de ceux dont il entendait se débarrasser, je ne me suis pas contenté de dénoncer le dévoiement d’une idéologie. En élucidant le cheminement personnel qui m’avait conduit à me convertir à la grande religion terrestre du XXᵉ siècle, je me suis délivré à jamais d’une façon de penser, juger, condamner, qui est celle de tous les dogmatismes et de tous les fanatismes. Il y a un lien très fort entre l’incroyance radicale et l’absence de foi.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une sorte de détermination du monde, du devenir, du destin ?

Toute vie est navigation dans un océan d’incertitude. La vie est, dès la naissance, imprévisible : nul ne sachant ce qu’il adviendra de sa vie affective, de sa santé, de son travail, de ses choix politiques, de sa durée de vie, de l’heure de sa mort. Quant à l’Histoire, c’est pareil : outre les ambitions, les rapacités, les cupidités, elle vit d’absurdité. « It is a tale told by an idiot, full of song and fury, signifying nothing », disait Macbeth[7]William Shakespeare, Macbeth, Acte V, Scène V, 26-28. « Un conte conté par un idiot, plein de bruit et de furie, ne signifiant rien. » et sur ce point, il n’avait pas tort. Une des grandes leçons de ma vie est que j’ai cessé de croire en la pérennité du présent, en la continuité du devenir, en la prévisibilité du futur. Ceci a une signification fort claire en ce qui concerne l’organisation du monde, laquelle ne se détermine qu’a posteriori, par constatation de faits et j’ajoute : pour autant qu’il y ait quelqu’un pour la constater et l’énoncer. Cette impossibilité d’éliminer l’aléa du monde, l’incertitude de nos destins, l’inattendu rend notre vie incertaine et écarte la possibilité d’un plan, d’une détermination, d’une destinée, d’un destin, d’un dessein.

Alors, dit l’Inquisiteur, pour vous, que signifie vivre ?

Vivre ? Vivre a un double sens : le premier est être en vie, exister, se maintenir en vie, survivre ; le second est conduire sa vie, ses chances, ses risques, ses bonheurs, ses malheurs. Ainsi, la survie est nécessaire pour faire vivre la vie. Prenons ma vie. Mon père ne m’a donné aucune culture, aucune conviction religieuse, politique ou éthique. J’ai donc cherché tout seul. J’étais spontanément animé par les questions fondamentales posées par Kant : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Il me fallait connaître les réalités humaines.

Et l’homme, justement, et le Salut ? demande l’Inquisiteur.

L’homme, comme l’univers où il vit, comme sa pensée, est complexité. À l’homme rationnel, constructeur, faiseur, créateur de biens, de richesses, il faut ajouter un autre plan de la vie humaine où apparaissent la passion, la foi, le mythe, l’illusion, le délire, le jeu. Cette complexité s’exprime par une série de bipolarités : homo sapiens et homo demens (sage et délirant), homo faber et homo fidelis, credens, religiosus, mythologicus (faiseur et croyant) ; homo œconomicus (économique, profiteur, producteur de richesse) et homo ludens (joueur) – homo liber (libre, gratuit). La vie de l’homme est un art incertain où tout ce qui est passion, pour ne pas succomber à l’égarement, doit être surveillé par la raison et où toute raison doit être animée par une passion, à commencer par la passion de connaître. Ainsi, pour concevoir l’Histoire, il faudrait faire copuler Shakespeare avec Marx et je pense que John Florio, cet Italien d’origine juive né en Angleterre, a été l’inspirateur des pièces de Shakespeare pour qui tout Salut est absent[8]John Florio (Londres, 1553 – Fulham près de Londres, 1625), connu également sous son nom italien de Giovanni Florio, est attesté comme traducteur en anglais de Montaigne et de Boccace ; … Continue reading.

Et le Monde ?

Dans notre univers, tout ce qui a quelque consistance est un système. L’atome est un système. Les molécules, les astres, les êtres vivants, les sociétés sont des systèmes ; un système est une chose pour laquelle le tout est à la fois plus ou moins que la somme des parties. Tout système vivant est auto-organisateur, et même auto-éco-organisateur ; un organisme qui vit, travaille et dépense de l’énergie, qui dépend donc de son environnement pour son approvisionnement en énergie et son organisation. À la différence d’une conception déterministe qui n’envisage que l’ordre et une causalité induisant des effets nécessaires, des invariances, des stabilités, des régularités, il y a des aléas, des accidents, des ruptures, des irrégularités. Notre univers vit entre l’ordre et le désordre. La Terre dans son histoire témoigne d’une organisation qui a utilisé le désordre pour progresser et qui a frôlé la destruction en raison du désordre[9]Edgar Morin, Le Contrebandier d’une pensée complexe, Entretien, in Revue Natures, Sciences, Sociétés, 1996, 4 (3), pp. 252-257.. Une telle conception frappe de nullité toute tentative de prévoir le futur et dévoile la folie de croire qu’on puisse substituer une prospective à la prédiction des prophètes ou des astrologues. Le futur serait très aisé à prédire si l’évolution dépendait d’un facteur prédominant et d’une causalité linéaire. L’évolution n’obéit ni à des lois ni à un déterminisme prépondérant, l’évolution n’est ni mécanique ni linéaire : il n’y a pas un facteur dominant qui commande l’évolution. Il nous faut, au contraire, partir de l’ineptie de toute prédiction fondée sur une conception évolutive aussi simpliste[10]Edgar Morin, Où va le monde ?, Edgar Morin – 1981 ; Paris, Éditions de l’Herne, 2011, 54 p..

Que dites-vous de l’origine, de la création du monde ?

À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse[11]Edgar Morin, in Edgar Morin, « La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité », in Revue internationale de systémique, vol. 9, n° 2, 1995.. C’est tout le sens de la complexité.

Qu’en est-il de la croyance que tant d’hommes partagent ?

Les croyances sont des rêves éveillés ; elles véhiculent des silhouettes de vérités, elles agitent des simulacres de réel, elles projettent dans le futur incertain de fausses certitudes, elles dessinent les avenirs de l’espoir, taillés dans de la brume évanescente. Héraclite disait ainsi : « Éveillés, ils dorment », ce sont des somnambules. Les croyants ont des rêves éveillés et ces rêves-là brouillent la réalité ; ils la réduisent à des formes vagues, insaisissables, impalpables et en effacent les traits et les nuances ; il ne reste plus que des squelettes qui dansent une danse de mort. Pa les dogmes, les mots d’ordre, les unicités de récits, il s’agit de ramener le monde à une étrange et écrasante simplicité. C’est la domestication de la pensée, de la réflexion, du savoir et in fine, de la liberté de l’être et de la vie. Les prédateurs de conscience sont des simplificateurs ; ces rassembleurs sont des chiens de garde des troupeaux. Ils prêchent, ils instituent, ils intiment, ils interdisent, ils imposent des mutilations, ils élisent des alimentations ; il s’agit de façonner les consciences jusqu’au travers du corps ; il s’agit de réguler, d’instaurer des règles unifiantes ; c’est la célèbre et militaire injonction : « Je ne veux voir qu’une seule tête », celle du Guide, celle de Dieu qui est son masque. C’est le discours, le propos, la propagande de la non-pensée qui élimine l’homme en l’homme. Face à ça et à ceux-là, il s’agit de faire émerger les complexités humaines si ignorées par ces simplismes, ces unilatéralismes, ces dogmatismes.

On a connu le cas de non-croyants qui perçurent une illumination ; qu’en dites-vous ?

On connaît les cas du dénommé Saül, alias Paul et du débauché Augustin, qui ont eu une illumination et ont sombré dans la croyance. C’est arrivé à l’athée Paul Claudel, atteint par la grâce, à Charles Péguy et à d’autres encore. Ainsi, les hommes sont possédés par les mythes, les religions, les idéologies, qui, produits de l’esprit humain, deviennent maîtres et dominateurs et exigent adoration et sacrifices.

N’avez-vous pas été croyant vous-même ?

À un moment de ma vie, j’ai été croyant et j’ai suivi un chemin de conversion et j’ai été converti au communisme – c’était au temps de la guerre contre le nazisme. Mes espoirs d’avenir radieux se sont effondrés progressivement. Après ma conversion, ma « déconversion » fut un travail de conscience qui m’a rendu pour toujours allergique aux fanatismes et aux sectarismes. J’ai donc vécu dans un univers religieux absolutiste, qui, comme toute religion, a eu ses saints, ses martyrs et ses bourreaux. C’est un monde qui rend halluciné, qui dégrade et détruit parfois les meilleurs. Mon séjour de six ans en Stalinie m’a éduqué sur les puissances de l’illusion, de l’erreur et du mensonge historique. Depuis, je me suis converti à l’autonomie politique totale.

Que signifie cette autonomie politique totale pour la vie quotidienne ? D’où vous vient-elle ?

Cette autonomie politique totale ne peut pas survivre sans écho dans les autres champs de la vie humaine. Ce scepticisme à l’égard des croyances, quelles qu’elles soient, je l’avais pêché dans la littérature, chez les écrivains, qui, soit dit en passant, sont des chercheurs de complexité et des baroudeurs de l’esprit ; cette complexité de conception du réel humain, je l’ai trouvée chez Anatole France, Montaigne, Rolland, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, Hugo et bien d’autres. Ainsi, je n’ai pu ni voulu échapper à la multipolarité humaine ; j’ai essayé d’intégrer en moi la rationalité et de la lier à la poésie de la vie. Je suis faberen bâtissant la pensée complexe ; je suis religionis – j’ai eu pendant cinq ans la foi dans le salut terrestre par le communisme et j’ai gardé ma religion de la fraternité et de la Terre-patrie ; je suis œconomicus (sans jamais aimer l’argent) – j’ai gagné ma vie par mon travail ; je suis ludens – j’adore jouer, plaisanter, blaguer et je suis liber – par la gratuité de mes actions.

Cependant, il y a la mort : qu’en penser ?

Pour moi, la question s’est posée d’emblée, lors de mon premier travail important, L’Homme et la Mort[12]Edgar Morin, L’Homme et la mort, Paris, Le Seuil, 1970, 352 p.. Quiconque s’interrogeait sur les attitudes humaines à l’égard de la mort dans les années cinquante à soixante était renvoyé au mieux à quelques traités philosophiques. Il n’y avait ni thanatologie, ni science de la mort. Il n’y avait rien. Il m’a fallu puiser dans la littérature ethnographique, me plonger dans les coutumes et rites funéraires, prélever dans la psychologie de l’enfant la découverte de l’idée de mort, me tourner vers la psychanalyse, sonder l’histoire des religions, m’attaquer au christianisme, aller à la philosophie de l’Antiquité (qui récuse l’immortalité) jusqu’au traitement de la mort par Heidegger ou Sartre. J’ai été amené à noter les changements de conception, dus notamment au recul des religions et au développement de la laïcité, à considérer l’époque contemporaine qui s’efforce d’effacer la mort. La mort, particularité biologique propre à tous les êtres vivants, différencie radicalement les humains des animaux puisque les premiers, dès les origines, laissent le témoignage de conceptions qui envisagent des formes de survivance, au-delà de la décomposition du cadavre. J’ai dû, pour y parvenir, sillonner du biologique au mythologique. Finalement, la mort est un élément du tout qu’est la vie, elle fait partie de la vie. Son avenir est déjà dans le passé et dans le présent de la vie. La mort vit dans la vie, elle l’achève et la conclut.

On vous a dit « contrebandier ». Quel est votre avis ?

On a dit que je suis un contrebandier d’une pensée complexe : je ne pense pas que ce soit faux, mais cette position sociale qu’implique l’image du contrebandier a été la mienne dans bien des domaines de ma vie. Finalement, je suis assez fier d’être à plus de cent ans, un contrebandier de la vie.


Références[+]

Références
↑1 Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev
↑2 Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).
↑3 Edgar Morin est l’auteur de nombreuses publications qui constituent un ensemble fondateur d’une pensée de la pensée complexe. Voir notamment : Edgar Morin – catalogue.
↑4 Edgar Morin, Leçons d’un siècle de vie, Paris, Denoël, 2021, 147 p.
↑5 OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.
↑6 Edgar Morin, Autocritique, Paris, Le Seuil, 1959, réédition 2012, 328 p.
↑7 William Shakespeare, Macbeth, Acte V, Scène V, 26-28. « Un conte conté par un idiot, plein de bruit et de furie, ne signifiant rien. »
↑8 John Florio (Londres, 1553 – Fulham près de Londres, 1625), connu également sous son nom italien de Giovanni Florio, est attesté comme traducteur en anglais de Montaigne et de Boccace ; éminent linguiste, il est depuis des années considéré comme l’auteur des pièces de William Shakespeare – voir à ce sujet, Lamberto Tassinari : « John Florio, alias Shakespeare », Lormont, Éditions Le Bord de l’Eau, 2016, 384 p.
↑9 Edgar Morin, Le Contrebandier d’une pensée complexe, Entretien, in Revue Natures, Sciences, Sociétés, 1996, 4 (3), pp. 252-257.
↑10 Edgar Morin, Où va le monde ?, Edgar Morin – 1981 ; Paris, Éditions de l’Herne, 2011, 54 p.
↑11 Edgar Morin, in Edgar Morin, « La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité », in Revue internationale de systémique, vol. 9, n° 2, 1995.
↑12 Edgar Morin, L’Homme et la mort, Paris, Le Seuil, 1970, 352 p.
Tags : athée athéisme complexité croyance dieu écrivain logique Paradis religion révolution

La Confession logique d’Alexandre Zinoviev

Posté le 22 décembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession logique, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire, d’athéisme – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né à Pakhtino en Russie le 29 octobre 1922, philosophe, écrivain et logicien. Il est connu comme auteur d’une série de romans et d’essais sur la Russie post-révolutionnaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre littéraire et philosophique de Zinoviev – essentiellement, Les Hauteurs béantes[3], Va au Golgotha[4], Vivre[5], Les Confessions d’un homme en trop[6].

Bonjour, Monsieur Alexandre Zinoviev. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[7] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né en Russie à Pakhtino, le 29 octobre 1922 et mort en Russie à Moscou, le 10 mai 2006.

Bonjour, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis bien Alexandre Zinoviev. En Occident, on m’appelle Monsieur Zinoviev ou Zinoviev, tout simplement. Je suis né à Pakhtino, dans l’oblast de Kostroma dans ce qui s’appelait alors la république socialiste fédérative soviétique de Russie (en abrégé RSFS de Russie ou RSFSR), c’est-à-dire en Russie. Pakhtino était un trou perdu, entre Tchoukhloma et Antropovo, à environ 500 km de Moscou. Pakhtino devait rassembler une dizaine de maisons ; à ma dernière visite en 1946, il ne restait presque plus rien et la forêt reprenait ses droits sur les champs. Et en effet, je suis bien mort à Moscou à 83 ans en 2006. Mais qu’attendez-vous de moi qui viens d’un monde orthodoxe et communiste ?

Ce que j’attends, précise l’Inquisiteur, c’est une confession. Je pense que dans la religion de votre pays, c’est une pratique connue et vous devez connaître la confession de Bakounine au Tsar de Russie[8].

Il m’est arrivé de me confesser dans mon enfance. Là, tout était simple. Je devais répondre à toutes les questions du pope : « J’ai péché, mon père. » À la fin, il disait : « Dieu te pardonnera », et je rentrais à la maison, illuminé et heureux, sachant que j’obtiendrais un bonbon. Cette fois, je ne veux pas obtenir un bonbon après ma mort, je n’en aurais eu aucun usage. Par contre, j’aurais aimé que mes cendres soient dispersées à l’endroit où se trouvait mon Pakhtino, pour que je devienne à nouveau une particule de ma terre. Et puis, même les gens qui n’ont pas commis de grands péchés éprouvent le besoin de se confesser. Les croyants se confessent aux prêtres et, à travers eux, à Dieu. Les athées se confessent à leurs proches, à leurs collègues, à leurs amis, voire à des compagnons de beuverie ou de route. Chez nous, ce sont les organisations sociales qui remplissent cette fonction ; en Occident, on a inventé la psychanalyse. La confession de Michel Bakounine était une opération policière, une manœuvre tsariste qui a inspiré les services russes ultérieurement.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, pouvez-vous me parler un peu plus de votre enfance et du milieu où vous avez grandi ; y avait-il là de la religion ?

Bien sûr qu’il y en avait, Monsieur l’Inquisiteur, et ne croyez pas que j’ai grandi dans l’ignorance de Dieu et de la religion. Nous là-bas au fin fond de la Russie, nous avions la religion orthodoxe, un pope nous enseignait le catéchisme et tout le toin-toin. À cause de ma grand-mère, il venait chez nous et il a embrigadé tous les enfants de la famille ; comme les autres, j’allais à l’église. Ainsi, je n’ai pas besoin d’explication pour comprendre ce qui vous tracasse. Quant à Dieu, il y faut un peu de logique. Vous et moi, par exemple, en supposant que je sois réellement rallié à l’idée de Dieu et à une religion – disons, l’orthodoxe russe – on aurait un même Dieu, mais deux religions. À supposer que je sois sectateur d’Allah et musulman, vous et moi, on aurait non seulement deux religions, mais également deux dieux différents. Je peux continuer le raisonnement pour tous les dieux de la terre et toutes les religions, sans compter qu’il y a des religions sans dieu et des dieux sans religion. Ainsi, on se retrouve avec des tas de religions et des tas de dieux, c’est un vrai capharnaüm.

Et puis tout de même, dit l’Inquisiteur, qu’en était-il de Dieu ?

Dieu, Dieu, c’est vite dit ça, Monsieur l’Inquisiteur. Allez savoir ce que c’est Dieu. Ce qui était vraiment là au-dessus de nous, c’était Staline. Staline, on peut en penser ce qu’on veut, mais c’était une évidence. J’ajoute que moi, dès les années 30, j’étais antistalinien et même que j’avais dans l’idée d’aller le tuer de mes propres mains. Voici le scénario imaginé : lors du défilé sur la Place Rouge, nous nous infiltrerions, Ina et moi, dans la colonne de l’école de Boris. À hauteur du mausolée, on provoquerait une confusion et armé d’un pistolet et de grenades, je me ruerais sur les dirigeants. Je lancerais les grenades et je ferais feu sur Staline. L’attentat aurait dû se faire le 7 novembre 1939, mais en raison des difficultés de nous procurer des armes, on reporta l’opération. Puis, ce fut la guerre. Donc, Staline, c’était une évidence, mais Dieu ?

Oui, mais quand même, Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, mon héros Laptiev, qui est une des figures de ma personne et dont je vous rappelle qu’il est Dieu, répond ceci à ses interlocuteurs : « Le plus dur dans ma situation, dit Dieu, c’est que je suis athée. Dieu ne saurait s’appréhender comme extérieur à lui-même. » C’est une impossibilité formelle du point de vue de la logique et donc pour le logicien, Dieu n’est pas et n’existe pas, sauf dans l’imagination de certains.

Au fait, dit l’Inquisiteur, dites-moi Monsieur Zinoviev, comment les gens pouvaient-ils bien vivre entre les croyants à l’ancienne mode et les athées du nouveau régime révolutionnaire ?

Au cours des années 1920, dans notre région, la population baignait dans la religiosité, sans fanatisme ; les croyants étaient tolérants à l’égard de la propagande athée et les athées tolérants à l’égard de la croyance. Mes grands-parents et ma mère étaient pratiquants ; mon père était athée depuis sa jeunesse. Nous avions comme convives le prêtre et des membres du parti, côte à côte. L’isba tout entière était couverte d’icônes. Dans la famille, on nous inculquait les convictions religieuses sous forme de principes moraux. Quand les églises furent fermées avec la collectivisation, au début des années trente, la population réagit avec indifférence. Les villages se vidaient, les croyants se faisaient plus rares et l’Église perdait ses soutiens. N’ayant plus d’église, notre prêtre vécut un temps comme un citoyen ordinaire. La conviction que Dieu n’existait pas pénétrait les enfants et les croyants adultes ne punissaient pas les petits mécréants. La foi devenait de plus en plus instable. En quatrième, à la visite médicale, j’ai ôté et caché la croix que je portais au cou. C’est à ce moment que je suis devenu athée. Ma mère m’a dit « que Dieu existe ou non, ce n’est pas très important. Ce témoin absolu de ton existence et ce juge doit se trouver en toi. Efforce-toi de conserver ta dignité à ses yeux. » J’ai assimilé cette morale maternelle, j’ai vécu en athée comme si Dieu existait. En renonçant à la religion, j’ai dû m’inventer une religion nouvelle et situer Dieu ou le juge suprême en moi-même ; comme Laptiev l’explique, il me fallut devenir Dieu moi-même, mais à la différence de Laptiev, je n’étais Dieu que pour moi-même. Je suis donc devenu un athée croyant.

Il n’empêche, dit l’Inquisiteur, que dans votre pays au temps de votre jeunesse, on mena un combat opiniâtre contre la religion qui était chrétienne, même si elle était orthodoxe et il fut question d’athéisme.

En effet, répond Zinoviev, mais ce n’était pas une erreur de la nouvelle société d’opérer une répression à l’encontre de la religion et de l’Église et pas seulement parce qu’elles avaient pris le parti de la contre-révolution ; ce fut aussi parce que les gens accueillirent avec joie l’athéisme comme s’il annonçait le paradis sur terre, même s’ils étaient persuadés que ce paradis n’existerait jamais. C’était une fête sans précédent dans l’histoire humaine : les gens se libéraient de la religion. Comme ils avaient rejeté la dépendance sociale ancestrale, ils rejetaient l’oppression religieuse. Sans ce soutien populaire, le pouvoir n’aurait pu l’emporter contre la religion. Du point de vue communiste, la religion et l’Église étaient des obstacles et si la religion et l’Église ont survécu, c’est parce qu’elles se sont ralliées. D’un autre côté, le pouvoir avait intérêt à conserver l’Église orthodoxe. Il s’agissait d’affirmer la liberté religieuse et faire de l’Église un rouage de l’État.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, vous avez eu une vie tumultueuse, vous avez connu l’errance intérieure et l’exil à l’étranger.

C’est vrai, Monsieur l’Inquisiteur, ma vie a été mouvementée. Je suis parti de très bas et mes débuts furent très difficiles. Dans ma jeunesse, au prix d’immenses efforts et d’une misère chronique, j’étais arrivé à atteindre l’enseignement supérieur, où, à cause de mes réflexions, on m’a dénoncé aux organes ; alors, pour échapper à la répression, qui chez nous était terrible (et ça n’a pas beaucoup changé), j’ai plongé dans la clandestinité, j’ai été paria et sous une fausse identité, j’ai fui durant des années les services à l’intérieur de l’immense Russie. Pour cesser cette errance et retrouver une vie moins chaotique, je me suis engagé dans l’armée soviétique en 1940. Ensuite, héros de la guerre, j’ai réintégré la société et je suis devenu chercheur et enseignant de logique et de philosophie. J’étais arrivé à un niveau tel que si j’avais joué le jeu, j’aurais atteint des sommets. Cependant, comme j’ai toujours porté en moi une forme de refus de la lutte à mener pour réussir socialement, j’ai été tenu à l’écart. C’est ainsi qu’en voulant respecter mes principes de vie, je suis devenu un « renégat » dans mon propre pays.

Comment ça se passe chez vous pour le renégat ? demande l’Inquisiteur.

En Russie, un renégat est un individu isolé qui se révolte pour quelque raison contre la société qui l’entoure. On le punit soit en l’anéantissant comme personne civile, soit en le frappant d’ostracisme. Ce châtiment est une sorte de sacrifice rituel qui sert à l’édification des autres, des « normaux ». La transformation en renégat passe par plusieurs étapes. D’abord, l’entourage de l’hérétique fait preuve vis-à-vis de lui d’une vigilance croissante. Puis, on prend des mesures préventives tout en essayant encore de l’apprivoiser et de l’associer à la collectivité. Si cela ne donne pas de résultat, des mesures restrictives, puis punitives sont adoptées. À propos, tout cela ne vous rappelle-t-il rien, Monsieur l’Inquisiteur ?

Soit, dit l’Inquisiteur, comment en êtes-vous venu à écrire des ouvrages littéraires ?

Pour moi, la littérature n’était guère une fin en soi, mais d’abord un moyen d’exprimer mon indignation. Mon entrée en littérature était un choix, c’était la voie pour faire entendre ma voix et développer ma philosophie. Sacrifiant toute autre occupation, j’ai commencé à écrire Les Hauteurs béantes pendant l’été 1974. Je voulais décrire la vie réelle de la société communiste. La conclusion, parfumée d’athéisme, en était formulée sous forme d’un petit poème de ma façon :

C’était un peu vexant, sans conteste,
D’être à jamais privé du Jugement Dernier.
Les hommes ne se lèveront pas des tombes,
L’âme défunte ne cherchera pas son corps.
Ils ne ressentiront ni fierté, ni honte.
Bref, il n’y aura rien d’autre que la mort.
Je sais que les morts n’ont ni douleur, ni honte
Et la conscience à ce qu’on dit ne les tourmente pas.
Mais surtout les morts ne peuvent ni voir, ni entendre
Ce qu’on peut faire aux hommes ici-bas.

Quand même, Monsieur Zinoviev, parlez-moi un peu de votre Laptiev, qui dit être Dieu. Lui et sa religion me paraissent bien hérétiques et blasphématoires.

Vous avez raison, Monsieur l’Inquisiteur, d’après lui-même, Laptiev est Dieu et parfois, le Christ et de ce fait, ce Dieu et cette religion doivent vous paraître fort hérétiques et blasphématoires. Cette parodie est la méthode par laquelle Laptiev exprime son athéisme. Laptiev dit :

Le boui-boui est le grand temple où je prêche mon enseignement et trouve des disciples. Pour eux, j’invente prières et sermons, le plus souvent en vers. Le Christ aussi s’exprimait en vers. Bouddha s’accompagnait à la guitare. Mahomet beuglait avec une force incroyable.

Dans l’Évangile selon saint Jean (à ne pas confondre avec mon Évangile pour Ivan), le Christ a commencé sa carrière en changeant l’eau en vin. Alors, ses disciples ont cru en lui. Ben, je veux ! Si je pouvais changer l’eau en vodka, j’aurais toute la Russie derrière moi.

La parodie, c’est bien, mais que propose ce nouveau Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Laptiev dit :

Une religion ne doit pas être ennuyeuse et triste. Ni grégaire. Elle doit être individuelle, irradier la joie de vivre, être vivifiante. Elle ne doit pas être humiliante. Pas de génuflexions, pas question de se traîner à quatre pattes ou sur le bide ! On se tient sur ses deux jambes et on marche la tête haute ! À bas la soumission ! Vivent la révolte, la témérité, la hardiesse, l’insouciance !

Laptiev dit encore :

Le réveil faisait tic-tac. Les souris grattaient. Et d’un coup, l’illumination : Dieu ne servait à rien pour la vie dans l’au-delà – une vie qui, d’ailleurs, n’existait pas et n’existerait jamais. Dieu ne comptait que pour cette vie-ci, la vie terrestre. Dieu n’avait d’importance que pour permettre à l’homme de vivre dignement l’instant de sa vie et disparaître.

Enfin, je vous propose quelques préceptes de Laptiev :

Tu n’adoreras personne ; si tu jures, tiens ta parole ; Résiste ! ; Amasse des trésors en toi-même ; Ne demandez rien ; N’oblige personne à te suivre ; le paiement de la vie est la vie elle-même ; tu es le juge suprême de tes actes. Si j’avais à choisir entre créer une religion et posséder ma Déesse ne fût-ce qu’une nuit, je choisirais ma Déesse.

Et Laptiev se dit athée, demande l’Inquisiteur. Que fait-il finalement de la déitude ?

Quant à la situation de l’athée, Laptiev la résume en un petit poème, où il rejette totalement l’existence de déités.

Un regard sec et froid, jette
Sur notre belle planète !
Ici, de déesse point
Et de Dieu encore moins.
Et si rongé par le doute,
Tu te lances sur les routes,
Tu pourras chercher mille ans,
Y en aura pas pour autant.

Qu’en est-il de l’athéisme ? Quel est votre sentiment, quel est son rôle dans la société ?

Ah, grandes questions, Monsieur l’Inquisiteur, mais la réponse est pourtant simple. Une fois posé le principe, c’est-à-dire l’athéisme comme point de départ de la réflexion, tout coule de source. Donc, l’axiome est : au commencement était le monde dans lequel se déroule la vie ; on peut le nommer le réel. Il en découle forcément que Dieu et la religion sont des éléments seconds surajoutés artificiellement au réel par l’homme. En ce sens, ce sont des éléments parfaitement superfétatoires. Ainsi, en bonne logique, il est raisonnable de laisser ces éléments parasites[9] de côté quand on veut vivre, penser et agir dans ce monde.

Que faites-vous alors de l’espérance, Monsieur Zinoviev ?

L’espérance, Monsieur l’Inquisiteur, c’est le paradis. Les popes et l’Église nous avaient donné l’horizon post-mortem du Paradis qui ouvrait un espace pour l’espérance. C’était une capitulation devant la réalité de la misère humaine. Après la révolution, le régime communiste, qui avec son espoir de l’avenir radieux[10] se voulait l’antichambre du paradis[11], proposait la même recette de l’espérance, mais ramenée sur terre, et toutefois, expatriée dans un temps indéterminé et assurément lointain. Pourtant, sur le terrain, pour la grande masse de la population, le régime soviétique avait apporté un immense progrès matériel. On partait de très bas et au début, ce progrès avançait vite ; par la suite, il s’est enlisé ; il ne resta plus que l’horizon paradisiaque. En somme, avec ce nouveau paradis[12], on n’avait fait que déplacer le curseur ; c’était toujours un tour de passe-passe, un avenir Potemkine. Ceci pose la question essentielle de l’espérance ou de l’espoir. En fait, comme athée, la seule position possible est le refus des idoles, des croyances, des espoirs, des espérances, des paradis et des avenirs radieux à venir (toujours à venir) avec simultanément, la prise en compte sérieuse du réel, avec lequel il faut vivre. Nous sommes des hommes, tâchons de le rester.


Notes

  1. . Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier ↑
  2. . Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. . Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1977, 559 p. ↑
  4. . Alexandre Zinoviev, Va au Golgotha, Paris, Juillard − L’Âge d’Homme, 1986, 225 p. ↑
  5. . Alexandre Zinoviev, Vivre – La confession d’un robot, Paris, Éditions de Fallois – L’Âge d’Homme, 1989, 247 p. ↑
  6. . Alexandre Zinoviev, Les Confessions d’un Homme en trop, Paris, Olivier Orban, 1990, 504 p. ↑
  7. . OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  8. . Marco Valdo M.I., La Confession libertaire de Michel Bakounine, Newsletter 24, ABA, Bruxelles, 2019 et L’Athée 7, ABA Éditions, Bruxelles, 2020, p.147 ↑
  9. . Parasite : il est amusant de relever que ce mot provient du vocabulaire religieux (je reprends ces éléments de définition au mot « parasite » du CNRTL) et d’apprendre qu’à l’origine, il s’agissait de l’assistant d’un prêtre, qui prenait soin des provisions des dieux et qui était invité à prendre part aux repas communs. Quant à la définition plus usuelle, toujours selon la même source, elle dit : Personne qui vit, prospère aux dépens d’une autre personne ou d’un groupe de personnes. ↑
  10. . Alexandre Zinoviev, L’Avenir radieux, Lausanne, L’Âge d’Homme,1979, 280 p. ↑
  11. . Alexandre Zinoviev, L’Antichambre du Paradis, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, 897 p. ↑
  12. . Marco Valdo M.I., Le Paradis sur Terre (2021) : voir dans le site très international et polyglotte des Chansons contre la Guerre et/ou voir le blog de l’auteur uniquement en langue française, Le Paradis sur Terre (2021), qui est un épisode de La Zinovie – voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle, à l’exploration du Disque Monde, longuement menée par Terry Pratchett. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature. ↑
Tags : athée athéisme croyance dieu écrivain logique Paradis Philosophie religion révolution

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