Les Sans Dieu de la chanson athée de langue française

Marco Valdo M.I.

Il y a un demi-siècle déjà, en 1967, La Religion de Jacques Debronckart, commence ainsi…

Il m’a fallu des années, et c’est long,
Pour ôter de moi toute religion.
Ce que c’est quand même que les habitudes et la trouille,
Peur de déplaire à sa famille, peur déjà de supporter sa dernière heure1 

On reprendra également le Jésus Tango de Jean Yanne (1972), chanson parodique et à ce titre, d’une hérésie rigolarde, que l’on trouve dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Jean Yanne qui, à l’occasion de ce film, en a écrit quelques autres du même tonneau. Dans son cas, on est en présence de ce qu’on pourrait nommer l’athéisme par la dérision.

Dans les bras de Jésus
Maintenant tous les jours, je chante
Pour moi, la vie n’est plus méchante
Et de joie, je suis éperdue
Dans les bras de Jésus 
Ole !2  

Jacques Brel venait pourtant d’une famille et d’écoles bien-pensantes, dont il ne s’est détaché que progressivement. En fait, Brel n’est devenu Brel qu’en cassant cette coquille. Il en a retenu une sorte de hargne ironique, qui l’a amené à tracer des portraits sans inutiles circonvolutions et d’une méticuleuse précision. On découvre avec ce « ciel qui n’existe pas » un athéisme sans appel dans ce petit chef-d’œuvre quasiment pictural que sont Les Bigotes (1962).

Puis elles meurent à petits pas
À petit feu, en petit tas
Les bigotes
Qui cimetièrent à petits pas
Au petit jour d’un petit froid
De bigotes
Et dans le ciel qui n’existe pas
Les anges font vite un paradis pour elles
Une auréole et deux bouts d’ailes
Et elles s’envolent… à petits pas
De bigotes3.

Plus contemporain, je retiendrai un groupe belge dont le nom lui-même aurait dû mettre la puce à l’oreille pour peu qu’on y prête attention. Voyez ce que peut bien vouloir dire « Vaya con Dios », ce qu’on pourrait traduire par « Dégage avec Dieu », « Va te faire voir ! » ; cette signification apparaît plus pertinente encore quand on voit leur chanson : Comme on est venu (2009 et au Théâtre Varia), dont voici un extrait :

Pour moi, ne dites pas de messe !
Le ciel et ses promesses
Ne me concernent pas,
L’enfer est ici-bas.
Gardez vos prophéties,
Sinistres litanies,
Votre prosélytisme,
Vos schismes, vos catéchismes !
Gardez vos apostolats,
Vos califes et vos mollahs,
Vos cierges, vos menorahs,
Vos professions de foi
Opus déistes, djihadistes,
Baptistes, messianistes !
Gardez vos impostures !
Il n’y a qu’une seule chose dont on soit sûr :
Comme on est venu…
On repartira…4

Nulle trace de Dieux, de Dieu dans le Chant des Partisans, qui se situe pourtant dans un domaine où il est très fréquemment fait appel à l’intervention divine. J’en tiens pour preuves les Gott mit uns, Dieu le veut et In God, we trust!, sans omettre les invocations à d’autres divinités (songeons à Pierre Dac au temps où il était fakir et résumait la chose : Brahma la guerre et Vichnou la paix) et à d’autres fadaises criminelles. En voici un bel un extrait :

Excusez-nous, Sa Sérénité est en proie aux divinités contraires de l’Inde : 
Brahma et Vichnou. Brahma la guerre et Vichnou la paix.
(Le Sar Rabindranath Duval, 1957)5

Un grand moment athée ! L’athéisme est un grand moment d’humour.

Mais revenons au Chant des Partisans et à la Liberté, qui est une dimension particulièrement et seulement humaine, comme disaient Prévert et à sa suite, Vaneigem, « intacte de Dieu ». Qu’est-ce que la liberté pourrait avoir à faire d’un ou de plusieurs dieux ? Strictement rien. La liberté par essence est athée. La seule supposition de Dieu la mutile ; pour exister, elle se doit d’être intacte de tout pouvoir et a fortiori, d’un pouvoir surhumain.

Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir séchera au grand soleil sur les routes.
Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute.

Cette expression « intact de Dieu » pour désigner le « sans dieu », l’avant-Dieu, l’antérieur à l’idée-même de Dieu, l’homme tel qu’en lui-même, me suggère l’idée du statut de l’athée dans les sociétés sous domination religieuse, dans les sociétés « atteintes de Dieu ». Dans de telles sociétés et quels que soient les dieux de référence, le statut de l’athée est un statut d’intouché (par un dieu) et d’intouchable.

Il est d’autres manières de chansons « athées ». Par exemple, on en trouve chez Georges Brassens dans sa chanson au titre en soi révélateur et revendicatif, intitulée Le Mécréant (1960), dans laquelle il tord le cou (gentiment) au philosophe parieur (pas rieur ?) de Clermont-Ferrand.

Est-il en notre temps rien de plus odieux,
De plus désespérant, que de ne pas croire en Dieu ?
Je voudrais avoir la foi, la foi de mon charbonnier,
Qui est heureux comme un pape et con comme un panier.

Mon voisin du dessus, un certain Blaise Pascal,
M’a gentiment donné ce conseil amical :
" Mettez-vous à genoux, priez et implorez,
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez "
[…]
Si l’Éternel existe, en fin de compte, il voit
Que je ne me conduis guère plus mal que si j’avais la foi6.

On pourrait plonger plus avant dans l’univers de Georges Brassens et trouver d’autres chansons aux relents hérétiques.

Mais avant de reprendre cette exploration, il convient de préciser une chose essentielle : nous cherchons ici la chanson athée et peu importe, en l’occurrence, les convictions ou les croyances du chanteur ou de l’auteur.

Une chanson athée est ce qui a été dit précédemment, mais c’est aussi plus simplement une chanson sans dieu – ce qui je le rappelle est la définition de la notion représentée par le mot « athée ». C’est un usage simple du rasoir d’Ockham. Cette application de la définition d’« a-thée » est fort bénéfique ; un monde sans dieu est évidement et par définition, athée et vu ainsi, le monde de la chanson athée est immense. En somme, tout est athée, sauf ce qui ne l’est pas et en matière de chanson, c’est bien peu de choses.

Par exemple, Le Coquelicot, plus exactement : Comme un Petit Coquelicot, chanson de Raymond Asso (1951), interprétée par Marcel Mouloudji, est en ce sens une chanson parfaitement athée. Pourtant les circonstances décrites, un meurtre, un malheur, une lamentation – si elle avait été conçue comme un attitu sarde – auraient sans doute imposé de faire référence à Dieu, implorer la Vierge, les saints, etc. Ici, on ne trouve strictement rien du genre. Une banale histoire d’amour et de mort ; une tristesse profonde, du sentiment tant qu’on en déborde, mais pas de traces de Dieu.

Un petit extrait pour la route :

Et le lendemain, quand je l’ai revue,
Elle dormait, à moitié nue,
Dans la lumière de l’été,
Au beau milieu du champ de blé.
Mais, sur le corsage blanc,
Juste à la place du cœur,
Il y avait trois gouttes de sang,
Juste comme une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Un tout petit coquelicot7.

Ainsi, si Les Trois Cloches (Jean Villard, dit Gilles – 1939) n’étaient en aucun cas une chanson athée, mais bien une chanson de sociologie paysanne, tout comme La Paimpolaise (1895), plus marine.

Quant à Jésus reviens (1988) de Florence Quentin, Étienne Chatiliez et Gérard Kawczynski, si l’on veut bien se souvenir qu’il s’agit d’une parodie de chanson religieuse, on découvre une chanson athée et anticléricale, sauf évidemment si on en reste au premier degré – le degré de la récupération imbécile, car au premier degré elle a tous les airs d’une rengaine de catéchumène8.

Pour la bonne bouche, je vous en cite un extrait, mais toute la chanson est du même ciboire.

Quand il reviendra, il fera grand jour (il fera grand jour)
Pour fêter celui qui inventa l’amour (qui inventa l’amour)
Au fond d’une étable, il naquit de Marie
Personne n’avait voulu de lui

(Refrain)
Jésus reviens, Jé-ésus reviens !
Jésus reviens parmi les tiens !
Du haut de la croix, indique-nous le chemin !
Toi qui le connais si bien.

Notes

  1. Pour le reste, voir : antiwarsongs.
  2. Voir : antiwarsongs.
  3. Pour voir, entendre et lire : antiwarsongs.
  4. Pour la version intégrale, voir : antiwarsongs.
  5. On en trouve une très belle version sur YouTube.
  6. On trouvera ce Mécréant en entier dans les Chansons contre la Guerre.
  7. On peut la retrouver intégralement dans les chansons contre la Guerre : Pour faire plus ample connaissance avec le texte et entendre la chanson, voir : antiwarsongs.
  8. Pour s’en assurer, il convient de jeter un coup d’œil par ici.