L’HISTOIRE VRAIE DE mohamED

JF Jacobs

Avertissement
Ce récit est un « road trip » » sur le parcours tumultueux d’Ed, un Tunisien qui, pour ne pas perdre la vie, a dû fuir son pays. En voici la première partie. Le personnage est réel. J’ai choisi de le faire parler à la première personne.

En Tunisie, surtout pour les classes sociales défavorisées, si tu n’es pas musulman, tu n’as pas juste un problème, tu deviens « Le » problème. D’ailleurs, même pour celles et ceux du même milieu que moi, celui des petits bourgeois, il fallait faire profil bas. On ne peut pas s’exprimer publiquement. Pourquoi ? On a trop à perdre ! Ta famille. Le confort d’être entouré par ta famille, tu le perds. Concrètement, tu n’as plus rien. Tu es mis à l’index. Le cocon familial ne te protège plus, tu es à la rue et tu ne peux pas, non plus, trouver de travail si… tu affiches ton athéisme. 

On va y revenir, plus tard. Avant ça, je me dois de partager avec vous, sans ambiguïté, mon utopie : la sécularisation du pays d’où je viens et de ceux qui lui ressemblent. Je rêve d’un monde qui n’existe pas : cela me fait au moins un point commun avec vous. Je rêve d’offrir un mode d’emploi pour aider celles qui n’osent même pas s’exprimer, pour émanciper ceux qui se croient condamnés. Je souhaite semer dans l’esprit du croyant que la graine féconde de la non-existence du Dieu monothéiste va le pousser à chercher. Dans le sens où c’est une douce liberté de ne pas être contraint d’avoir déjà trouvé.

Pour toutes les personnes qui endossent le statut d’immigré, plutôt que celui d’expatrié, il y a, dans la majorité des cas, une question plus importante que l’existence d’un dieu ou pas : les papiers. Pour revendiquer une réelle existence, une présence physique, il faut que cela soit gravé sur un bout de papier plastifié. Tu as beau t’appeler Jésus, Moïse ou Mahomet, si tu n’as pas le bon cachet, tu finis au cachot. En revanche, si tu es athée, que tu asrevendiqué de l’être et que, c’est un détail important, tu es toujours en vie, tu es susceptible, selon les droits autoproclamés de l’homme, de ne pas te faire tuer. Ici, en Europe, tu as la garantie « made in démocratie ». Être athée dans un pays majoritairement musulman ne t’offre pas le paradis dans l’au-delà, mais il te donne le droit d’avoir un statut de réfugié ici-bas. Comme l’écrivait frénétiquement ce sacré Jack dans Shining « un tiens vaut mieux que deux tu auras ». Moi, les papiers, je les ai eus. 

Je ne veux pas faire la guerre, hisser le pavillon de la non-croyance, jouer au prosélyte athée. J’invoque simplement la réciprocité. Il y en a qui croient et d’autres pas, chacun doit avoir le choix. Je n’ai rien à vendre, juste une expérience à partager. Les religions monothéistes, elles, promettent, à notre mort, tout ce que l’on n’a pas pu avoir de notre vivant. L’éternité, la présence de ceux qu’on aime, un logement all-inclusive et, pour les meilleurs d’entre-nous, quelques vierges. L’athéisme nous vend le grand rien, la vie avant la naissance, c’est-à-dire celle dont on n’a aucun souvenir. Qui se souvient d’une folle journée dans les couilles de son père ? Moi, j’ai vécu l’enfer sur terre. L’idée de ce rendez-vous avec vous, c’est d’envoyer une bouteille à la mer à destination des athées persécutés. Un message pour leur dire : c’est possible. Lève-toi et marche…

À la Une (digression) 

C’est quoi le problème ici ? Quand quelqu’un comme moi, c’est-à-dire un athéà tendance anarchiste individualiste en fait, non, plus maintenant  venant d’un pays majoritairement musulman (pour faire court) critique la religion, la gauche prend ses jambes à son cou, l’extrême gauche se met la tête dans le sable, la droite applaudit et l’extrême droite t’offre un job. En débarquant en Belgique, j’ai vite atterri dans un collectif d’ex-musulmans et la personne qui m’a expliqué les objectifs de leur mouvement tenait un discours digne du rejeton légitime d’Éric Zemmour 

D’ailleurs, je ne comprends même pas le principe. Tu fuis le communautarisme musulman pour t’enfermer dans une communauté dex-musulmans. C’est l’arroseur arrosé, le chien qui se mord la queue ! Je vois la route toute tracée qu’ils empruntent. Je ne veux pas les suivre et je ne peux pas rebrousser chemin. Bref, retournons à nos moutons. 

Chapitre 1 : Je suis né quelque part

Nous le savons : notre mémoire modifie nos souvenirs. On se ment, on se trompe, on se voit plus beau que l’on est, on se réinvente en une version premium. Nous ne sommes pas l’exact reflet de ce que l’on prétend être. L’idée est là. Lorsque je remonte dans mes souvenirs à l’âge de cinq ou six ans, ce n’est pas fiable à cent pour cent. C’est la vision que j’ai aujourd’hui du cadre que j’avais, à l’époque, en face des yeux. 

À ma naissance, mes parents, comme tous les parents, m’ont choisi un prénom. Comme près de 80 % des enfants nés dans un pays musulman, ils ont opté pour Mohamed. Mais pas juste Mohamed. J’ai eu droit à un prénom composé. Mohamed-Larbi. Larbi, c’est le masculin d’Arbia. Lella Arbia est une sainte. Celle-ci avait vécu à Tunis, comme nous. Elle pouvait prendre soin de vous, à condition de lui faire quelques offrandes sous forme, par exemple, de nourriture, qui finirait rapidement dans l’estomac du propriétaire du lieu. Avant moi, ma mère avait perdu deux enfants. Elle a donc choisi ce deuxième prénom pour me protéger. Force est de constater que cela a fonctionné. Comme pour les 100 % de ceux qui ont survécu. Mon patronyme, c’est Mahbouli. Maboul en français. Le fou. Oui, je me souviens de quelques moqueries, comme c’est le cas dans toutes les cours d’école, quand vous portez un nom qui prête à sourire. 

Pourtant, mes premiers souvenirs n’ont pas de lien avec la religion, ni même avec la Tunisie. Je suis né en 81. Vers trois ou quatre ans, je me souviens vaguement d’un jardin, en Italie, près de Rome. Mes parents s’y étaient installés. Pas comme des immigrés qui cherchaient à fuir la misère, mais comme des nantis cherchant à faire prospérer les affaires familiales. Le père de mon père avait été le maire de l’ile de Djerba. Une dynastie aisée, des propriétairesterriens, de l’immobilier ici et là. Ma mère, c’était tout le contraire. Orpheline de son paternel, elle a dû commencer à travailler très tôt afin de subvenir aux besoins élémentaires qui nous permettent de garder la tête hors de l’eau. Il y avait une grande différence de classe sociale entre mes deux géniteurs. Mon père était riche par procuration sans avoir jamais rien fait. Ma mère était pauvre et elle le serait restée si elle ne s’était pas mariée. 

Chapitre 2 : Aïe aïe aïe, ouille ouille ouille

Mon second souvenir est bien plus douloureux, je le ressens encore au plus profond de ma chair. Il relève, ostensiblement, d’un contexte religieux. Cela s’est passé juste avant mes six ans. Cela s’appelle « la circoncision ». Pour eux, c’était une grande fête. Mais pour mon frère et moi, ce fut juste horrible. Sans doute surtout pour moi d’ailleurs puisque mon frère n’avait qu’un an. Ils m’ont attaché sur une chaise pour me couper le prépuce. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Pourquoi, subitement, on me charcute le zgeg ? Pourquoi cette humiliation, en public ? Tout le monde riait, tandis que moi, je pleurais ! De douleur, mais aussi, d’incompréhension. Jusque-là, j’avais été un enfant hyper gâté, j’avais eu tout ce que je désirais. Il n’y avait pas de restrictions chez moi, pas de règles. Je pensais que je pouvais faire ce que je voulais et là, je crois que le ciel m’est tombé sur la tête. C’est un poncif : on sait que l’on bâtit notre personnalité dès nos premières années et manifestement, j’allais avoir un problème avec l’autorité. Cela s’est vite confirmé dès mon premier jour d’école primaire. Les garçons devaient mettre un tablier bleu et les filles un tablier… rose. J’ai fui, je suis rentré chez moi. La religion. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? À chaque fête, il y avait des chants religieux. Tout est fait pour que l’on suive la trajectoire qui mène à Dieu. Dans un pays où il y a cinq appels à la prière tous les jours, où les programmes télévisés commencent avec des versets du Coran, quand la première chose que l’on t’explique, c’est que pour réussir dans la vie, il faut être un bon croyant, il vaut mieux ne pas partir en zigzag. Au début, c’est juste du bon sens, cela passe comme une évidence : ne fais pas de mal à autrui, ne vole pas, reste poli. Ce n’est foncièrement pas religieux, c’est enrobé par le religieux. Dans chaque phrase, pour tous les conseils, il y a un préfixe ou un suffixe sacré, comme par exemple « inchallah », si Dieu le veut, ou « bismillah », au nom de Dieu, ou encore « machallah », ce qui plaît à Dieu. Tout ça, c’est un peu comme si c’était le cadre qui décidait à quoi allait ressembler la photo. Je ne sais pas pourquoi. Un miracle peut-être. Le lien ne s’est pas fait, le béton n’a pas pris. Je ne suis pas le fruit de mon pays, je n’ai pas eu le gout de la religion. 

Je devais avoir environ huit ans quand mon père nous a appelé, mon frère et moi, pour nous initier à la prière. WTF?On regardait un dessins-animé et ensuite, je devais foutre à mon frérot une branlée à un jeu vidéo ! Je suis un enfant, j’aime jouer, m’amuser. Voilà, à peu près, comme c’est passé cet appel à la prière :

Mon père : Mohamed, Zakaria, venez ici tout d’suite.

Moi : On regarde la télé.

Mon père : Viens ici que j’te dis, je vais t’apprendre à prier ! 

Moi : Non.

Mon père : Zakaria !

Mon frère : J’arrive…

Entre mon père et le club Dorothée, Nicky Larson, Olivie et Tom et Dragon Ball, mon cœur n’a pas longtemps balancé. Lui, mon paternel, il n’a pas insisté plus que ça, il ne m’a pas obligé, contraint par la force. Il a dû se dire « starfoullah », que Dieu me pardonne. 

À dix ans, j’ai eu un déclic. Toutes ces recommandations parfumées à l’essence divine, ce n’était pas que de bons principes d’éducation. Pendant les vacances scolaires d’été, j’avais une cousine qui vivait en France et qui venait passer les vacances chez nous. C’est la différence de traitement entre filles et garçons qui m’a mis la puce à l’oreille. On habitait dans une grande résidence, située dans un beau quartier bien sécurisé, avec des jardins et ma cousine, elle ne pouvait pas sortir. Pour une simple balade, un adulte devait l’accompagner, tandis que je ne souffrais même pas d’un couvre-feu. Je n’ai pas compris. Pourquoi les limites pour elle n’étaient pas les mêmes que pour moi ? Mes oncles buvaient de l’alcool, sortaient en boîte de nuit et ma tante de dix ans mon ainée devait se coltiner un pot de colle, moi, si elle désirait aller au cinéma avec son fiancé. 

À la deux (digression)

J’entends jusqu’ici l’extrême droite se délecter et entonner la bouche pleine de certitudes que « l’islam est une religion sexiste, que les musulmans, par définition, ne peuvent pas embrasser le féminisme, emblème de nos belles démocraties ». C’est juste mon expérience, quelque part, à un moment donné. Par pitié, évitons les généralités. Quelle est la part du cultuel ? Quelle est la part du culturel ? L’islam, par définition, n’est pas plus sexiste que les autres religions monothéistes.