Noël Rixhon, l’athée. Une interview de Patrice Dartevelle

A propos de la récente publication de “Conscience athée” (*) , interview de Noël  Rixhon par Patrice Dartevelle

Patrice Dartevelle : Tu dis que l’univers est magnifique et plein. Tu parles de jubilation devant les merveilles du monde. Ce rapport au monde et à l’univers est-il fondamental pour l’athée que tu es ? Est-il le refuge ou le privilège de l’athée ?

Noël Rixhon : Oui, je suis émerveillédevant l’immensité infinie et l’impressionnante beauté de notre galaxie et des plus de cent milliards autres avoisinantes, en mouvements incessants, en expansion (couverture du livre), sans oublier qu’il y a encore d’autres univers, et devant les inouïes potentialités de la nature de laquelle, comme tous les autres êtres humains, je suis issu. Je suis conscient d’être étroitement lié à tout ce qui existe, de porter en moi « toute l’histoire de l’univers, ses caractères physique, chimique, biologique » (E. Morin). Et je jubile ! Oui, ce rapport au monde est fondamental pour l’athée que je suis. Ainsi se définit, en premier lieu, mon athéisme ; ce n’est qu’ensuite qu’il devient négation de toute divinité, celle-ci n’étant qu’invention humaine. Ce n’est ni un refuge ni un privilège. Car le monde est ma « maison »où je suis né, ai grandi, pris mes quartiers, mes responsabilités et mourrai, et sans laquelle je ne serais pas. Mais en réalité, c’est la maison de tout être humain (toutes et tous sont mes sœurs et mes frères, quelle que soit leur personnalité) même si d’aucuns rêvent de la fuir et se réfugier dans une autre, aiguillonnés par leur fantasme d’éternité qui les portent dans des rêveries surnaturelles.

Notre monde est la seule réalité qui soit. Rien n’indique objectivement qu’il y en ait un autre. Mais rien n’empêche quiconque d’en imaginer d’autres, ne fût-ce que pour se détendre, se distraire d’une existence qui n’est pas toujours rose, et de s’y réfugier quelques instants sachant qu’il ne s’agit que de fiction.

La spécificité de l’athée est de garder les deux pieds sur terre et la tête bien sur les épaules, c’est-à-dire faire preuve de réalisme (ce qui n’exclut pas un certain idéalisme), ce qui est souvent le résultat d’une longue maturation, qui n’a rien de privilégié dans le sens où cette maturation est le fruit d’un cheminement et d’un travail personnel qui n’ont rien d’exceptionnels, étant à la portée de tout qui entretient son esprit critique.

PD : La question du mal est généralement centrale dans l’argumentation des athées. Pourtant tu tiens beaucoup à l’idée que la liberté n’est que valeur positive et pas la capacité de choisir entre le bien et le mal. Que veux-tu dire par là ?

NR : La liberté, être libre ? C’est là, à mon sens, une question fondamentale dans une vie humaine. La liberté est notre bien suprême, sans cesse à conquérir, à accomplir puisque nous changeons, nous murissons dans un monde qui bouge, qui évolue… ; c’est elle qui fait de nous des humains à part entière, et déjà en cela, elle a valeur intrinsèquement positive.

Jacques Duquesne m’a écrit : « Que resterait-il de la liberté de l’Homme s’il ne pouvait être bête et méchant ? ». Et j’ai répondu : « Mais il resterait… la liberté ! ». Si j’étais tout à fait incapable de faire le mal, je ne serais pas moins libre pour autant. Je le serais davantage ! Réduire la liberté à notre capacité de choisir entre bien et mal participe de notre tendance manichéenne de sérier les choses, comme si nous étions constamment en train de devoir faire ce genre de choix.

Je pense cependant que, lorsque quelqu’un fait du mal, il est sous l’emprise ou d’une colère ou d’une rancœur ou d’un complexe ou d’une peur ou d’une pulsion perverse ou d’un délire… ou, en tout cas, d’un mal-être et d’une souffrance qu’il tend bien souvent à reporter sur autrui… Il est aveugle, fermé sur lui-même, prisonnier de lui-même. Faire du mal trouve sa cause dans un déficit de liberté. Et qui reconnait avoir mal agi, (re)devient un être libre.

Être libre (libéré), c’est essentiellement, psychologiquement, moralement être en état, en capacité de se distancier des choses, de soi-même ; c’est décider, agir, s’engager en connaissance de cause, bien sûr, mais surtout en connaissance de soi, du limité et du meilleur de soi, de son originalité propre ainsi que de son lien substantiel et effectif au monde, à l’universel. Liberté est synonyme d’ouverture, d’accueil, de bienveillance. Comment un être libre serait-il encore capable de faire du mal consciemment ? Il ne peut être qu’un artisan d’humanité. J. Duquesne finira par me dire : « Il est vrai qu’il n’y a pas d’amour sans liberté ! ». Cependant, j’inverse les termes et dis : il n’y a pas de liberté sans amour. Elle s’acquiert et se greffe sur les qualités de cœur et d’esprit.

PD : On reproche souvent aux athées que parmi les criminels du 20e siècle, plusieurs (Staline, Mussolini,…) étaient athées ? Que vaut l’argument ?

NR : Les grands criminels de guerre tels que Staline, Mussolini et même Hitler (qui se prétendait pourtant investi d’une mission divine) sont considérés comme étant athées, non du fait qu’ils se seraient déclarés tels, mais bien en raison des atrocités dont ils étaient à l’origine et qui ne pouvaient, de l’avis de croyants, s’expliquer que par leur athéisme présumé. Car, dans l’esprit de croyants, toute morale ne peut être que d’origine divine, la mécréance étant synonyme d’amoralité, voire d’immoralité ; se laisser guider par la seule raison humaine, c’est la porte ouverte à la barbarie. « Dépourvu d’éthique, la raison est insuffisante pour assurer la survie de la civilisation. L’Allemagne nazie en est la preuve » a déclaré Benoît XVI, faisant l’impasse sur le fond mythique et religieux (antisémite) du nazisme. Et Il refuserait certes de reconnaître qu’il n’a pas fallu attendre Jésus-Christ pour savoir l’importance de certains principes moraux tel celui de l’amour, car bien avant lui, des philosophes, ne se réclamant d’aucune divinité, les avaient déjà proclamés. Et enfin, faut-il noter que, par exemple, les chimpanzés, nos lointains cousins, font déjà preuve du sens de l’empathie, de la réconciliation, de la tendresse, du souci d’une harmonie sociale… ?

Il n’a jamais été démontré que des dictateurs, tels Staline et Mussolini, aient engagé des guerres et persécutions en vertu de leur absence de foi religieuse. Ces guerres et persécutions étaient engagées pour des raisons politiques et économiques (communisme, fascisme) et avec la volonté d’imposer leur pouvoir personnel. Inévitablement, ces dictateurs ont été suivis par des gens qui en ont profité pour donner libre cours à leurs tendances perverses. Et s’ils ont persécuté des membres d’Église, c’est en raison de la seule opposition de ces derniers à leur pouvoir, tout comme fut celle d’autres opposants pour leur appartenance, interdite, à une idéologie politique ou à une association citoyenne.

PD : L’athée et le croyant convaincus sont souvent vus comme également intolérants (Lenoir, Comte-Sponville). Que penses-tu de cette tendance contemporaine ?

NR : Si athée et croyant convaincus sont souvent vus comme étant intolérants, c’est parce que l’on considère qu’il y a incompatibilité absolue, impossible compréhension entre l’un et l’autre. Je pense qu’il y en a une de la part d’un croyant vis-à-vis d’un incroyant, car le premier croit mordicus en un au-delà éternel, ne pouvant supporter l’éventualité d’un néant au-delà de la mort qu’il estime inimaginable ; il entretient en outre une conception très négative de l’humain (le péché originel) qui donc ne peut se passer de Dieu ; il vit sa foi avec le soutien, sous la pression (inconsciente) d’un milieu, d’une communauté, d’une Église. Et j’ai personnellement tendance à penser qu’un croyant qui comprendrait un tant soit peu l’état d’esprit d’un athée, aurait ouvert une brèche dans sa croyance et se trouverait en état d’évoluer vers l’athéisme. Par contre, un athée est plus à même de tolérer un croyant parce qu’il peut comprendre les raisons profondes de la croyance, les expliquer en sondant la psychologie humaine.

En outre, un athée s’est forgé sa non-croyance ou, étant né et ayant grandi dans un entourage athée, se l’est confirmée dans une démarche tout à fait personnelle par remises en question, recherche dans le cadre et les limites de la seule raison et grâce au dialogue, à l’écoute, à l’observation… Il n’existe pas d’athéisme dogmatique, au grand dam des Lenoir et Comte-Sponville. Et si ceux-ci n’acceptent pas, voire même refusent un athéisme radical, le jugeant intolérant, c’est parce qu’ils considèrent l’athéisme comme n’étant qu’une croyance, et que Lenoir, de son côté, se réfugie dans un mysticisme « christien », faussement laïque, à la satisfaction de Comte-Sponville qui, fidèle à ses origines, s’est construit une philosophie athée, d’allure chrétienne. Tous deux, ainsi que Ringlet, entretiennent de la sorte un agnosticisme de bon aloi, laissent planer un flou métaphysique autour de l’athéisme tout en opérant une édulcoration du christianisme et son assimilation à la philosophie.

PD : Tu te réclames d’un rationalisme ouvert. Pourtant tu ne refuses pas le sacré dans la grandeur du vivant, le caractère absolu et unique de chaque personne. Contrairement à toi, je peux me passer fort bien du sacré. Crois-tu le sacré indispensable ?

NR : Mon enfance a baigné dans une ambiance « eau bénite » où le sacré, dont la connotation était essentiellement religieuse, avait sens d’intouchable, de réservé à Dieu et son culte, à l’usage des seules personnes elles-mêmes vouées à Dieu (prêtre, évêques…). Mon propos a consisté à vouloir débarrasser le vocable de cette connotation et le rétablir dans le sens où il est utilisé plus couramment en dehors de toute acception religieuse : caractère absolu, inviolable, convenu entre humains et attribué à des symboles, des idéaux, des principes moraux, tels notamment le respect de la personne humaine, l’application des droits et devoirs humains…

Mon propos tend donc à remettre les choses en place, à démontrer que le sens religieux du terme n’a pas ou n’a plus de raison d’être dès lors que le divin n’est plus qu’invention humaine. Étant donné son usage dans les sphères religieuses, j’ai situé ma réflexion principalement dans le chapitre consacré à Jean Meslier. Mon intention n’était pas de rendre au sacré de nouvelles lettres de noblesse afin de le« sauver », comme d’aucuns tenteraient de sauver « Dieu » (cf. p. 157). 

Mais, de par mon état d’esprit devenu imperméable au « religieux », je reconnais que le sacré n’est pas indispensable. Pourquoi pas le remplacer par le concept « respect », qui d’ailleurs revient fréquemment dans le livre et que j’ai défini en note 32, p. 49 ? À noter que, dans mon raisonnement, la distinction sacré/profane n’apparaît pas ; je n’y précise d’ailleurs pas le sens du profane. Néanmoins, je parle de profanation lorsqu’il s’agit de non-respect de la nature, de choses (dévoyées de leur usage « normal »), de la personne humaine (prise pour ce qu’elle n’est pas)… et ce, au sens d’avilissement, de dégradation, de galvaudage…

En conclusion, Patrice, je me sens tout à fait dans le même état d’esprit que toi. Peut-être cela aurait-il dû apparaître plus nettement dans mes propos ! C’est inouï comme on peut être marqué par le milieu d’où l’on vient, ses propres racines en quelque sorte !

(*) Noêl Rixhon , Conscience athée ( avec une préface de serge Deruette), Memogrames, Les éditions de la Mémoire, Collection Hélios,Arquennes, 2013, 208 pp.Prix: 22 euros.