Les Athées de Belgique
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Archives par mot-clé: Inde

Mort et résurrection de l’athée

Posté le 17 octobre 2017 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

La Libre Belgique a publié cet été 2017 une série de 5 articles intitulée : « Être athée aujourd’hui » qui envisage l’athéisme dans divers pays : la Roumanie, l’Iran, l’Inde, le Brésil, les États-Unis.

Elle devait comporter un sixième article. Nous ajouterons l’Italie.

En marge, la Libre Belgique parle de la « non-croyance», imaginant mieux qualifier l’athéisme ; un peu comme si pour préciser ce qu’est une poule, je disais une « gallinacée ».

La non-croyance ou l’athéisme est la façon dont les « non-athées » définissent dans leur étrange langage ceux qui n’envisagent pas la nécessité d’un dieu d’une croyance ou d’une religion.

Le terme « athée » lui-même est impropre ; pour nier l’existence de quelque chose (ici, une croyance, un dieu, etc.), encore faut-il que cette chose existe préalablement. Or, il est évident – même pour nos bons croyants, sinon à quoi servirait le baptême – que l’être humain naît sans croyance aucune et dès lors, sans aucun dieu, on naît tous athées.

Un athée pourrait affirmer :

Je suis athée, car je crois au Dieu Athée qui me dit qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et que Dieu est athée et que l’homme naît athée et doit le rester.C’est donc par la volonté du Dieu Athée que je suis moi-même athée.Et allez prouver que c’est faux.

On ne s’attardera pas ici à dénombrer les athées à travers le monde. Disons simplement qu’il y en a beaucoup et que si dans les pays religieux, les croyants et les religieux ne menaçaient pas de mort les athées, si la chasse aux sorcières n’était pas ouverte en permanence, si le fait de se déclarer athée n’était pas l’objet de rétorsions, si dès lors, on n’était pas contraint de simuler le ralliement à un culte quelconque, si on enseignait partout et à tous la raison, le savoir et la démarche scientifique, on se demande ce qui resterait des croyances et de croyants.

D’un point de vue évolutionniste, même si les pays où sévissent les religions natalistes voient le nombre de leurs habitants croître, à terme, au fur et à mesure que l’homme prendra la mesure de l’homme sans s’encombrer d’un inutile créateur, les religions disparaîtront. Humains, encore un effort ! [1]

Voyons maintenant, ce que racontent ces articles et ce qu’on peut en penser en tant qu’athée.

La cathédrale du Salut de la Nation et le prêtre dévêtu de sa soutane

En Roumanie – comme en Russie, en Grèce, dans certains pays des Balkans – l’Église orthodoxe est dominante et pèse sur la société civile et politique. La journaliste Maria Udrescu, elle-même roumaine, avec un courage qu’il faut saluer, a levé le voile qui occultait les manœuvres ecclésiastiques. Elle entame son reportage[2] par le scandale de l’édification sur un terrain de l’État d’une titanesque « cathédrale du Salut de la Nation ». Le nom et le projet qu’il recouvre en disent long sur l’état de l’État roumain, le pouvoir de l’Église et la situation de la Roumanie.

Les argents consacrés aux églises roumaines et à cette cathédrale s’élèvent à des milliards d’euros alors qu’on ne trouve pas d’argent pour construire des hôpitaux. Ces faits défrisent bien des citoyens et « cela risque à terme, de refroidir les politiciens à faire les poches de l’État dès que l’Église tend la main ». Dans ce pays où l’orthodoxie est en odeur de sainteté, les Roumains ne seraient plus que 60 % à se réclamer du culte.

Cependant, bien que la Roumanie se définisse constitutionnellement comme un État laïc ou « neutre », on en est toujours au XIXe siècle, époque où les Églises garantissaient les identités nationales. De ce fait, les athées sont accusés d’être des anti-Roumains.

Des groupes religieux se sont fédérés pour créer une « Coalition pour la famille » pour réclamer une modification de la Constitution imposant le mariage bisexué, autrement dit – exclusivement – entre un homme et une femme. On sait que ce n’est pas un phénomène propre à la Roumanie et que ce sont les plus rétrogrades des « fidèles » et les gens les plus réactionnaires qu’on retrouve dans ces mouvements, suscités par le clergé.

Par ailleurs, même si l’empire de l’Église sur les populations est puissant, il est en recul constant et on a publié en mai dernier un livre intitulé La confession d’un prêtre athée, dont l’auteur Ion Aion est un religieux qui s’était « dévêtu de sa soutane ».

Roumains, encore un effort !

Il s’agit d’être bien avec l’Islam

Le deuxième pays visité par La Libre Belgique est l’Iran et l’article[3] est dû à la plume de Vincent Braun, lequel note qu’« il ne fait pas bon d’être athée en Iran », car chez les chiites d’Iran, on ne badine pas avec la fidélité au Coran et à Allah. C’est un pays où on est athée en quelque sorte « sous le manteau » ; on ne révèle son athéisme qu’en privé ou sous l’anonymat d’Internet, car en Iran, la sanction de l’athéisme est la mort. On ne saurait douter de l’existence de Dieu, ni tolérer un tel doute. Il n’est pas question de publier des informations sur l’athéisme ; c’est considéré diffamatoire vis-à-vis du prophète et du régime.

Si nombre d’Iraniens ne sont pas croyants, ils le sont clandestinement et affichent une croyance et une conduite de façade. Il s’agit d’être bien avec l’Islam, si on veut obtenir un emploi. Si on veut vivre, également.

L’apostasie est le pire des crimes et est punie de mort. Soit, mais en Iran, où tous sont censés être musulmans (on tolère quelques chrétiens, juifs ou zoroastriens ou parsis), le simple fait d’être reconnu athée est létal.

Après des années de société islamique, une certaine désaffection se fait jour dans l’esprit des Iraniens et certains vont jusqu’à douter de l’existence de Dieu ; mais tous ne le disent pas. On décèle là-bas un peuple d’« athées cachés ».

Iraniens, encore un effort !

Pour vivre athées, vivons cachés

Le troisième pays visité par La Libre Belgique est l’Inde et le compte rendu[4] paraît sous la signature d’Emmanuel Derville, qui professe à New Delhi. Que dit-il ?

Il raconte l’histoire de Narendra Dabholkar, un athée assassiné, qui menait le combat contre la superstition au sein d’une association dont tous les membres sont athées. « Notre objectif est d’encourager les gens à penser par eux-mêmes… ». Objectif louable, mais la chose n’est pas du tout du goût des fondamentalistes hindous, qui ont des relais politiques jusqu’au sommet de l’État et les assassinats d’athées se multiplient et nous renseigne Emmanuel Derville : « les fondamentalistes considèrent la violence comme un moyen légitime de promouvoir leurs idées. » C’est une version musclée du classique de la propagande : « Enfoncez-vous bien ça dans la tête ! »

En Inde, comme ailleurs, le trop relatif anonymat d’Internet est un piège pour les athées ; témoin ce père (31 ans) qui avait publié sur un réseau social une photo de son fils brandissant une pancarte disant : « Dieu n’existe pas ! ». Ce brave homme, fier de son enfant, fut poignardé à mort.

Quant aux athées qui vivraient en Inde, nul ne sait combien ils sont. Les sondages ne sont que d’un médiocre secours ; ils ne révèlent que ce que les sondés acceptent de laisser transparaître et tout le monde n’a pas vocation au martyre, surtout chez les athées. Pour vivre athée, vivons cachés est une devise de prudence.

Pour le reste : Indiens, encore un effort !

Les politiciens courent derrière les religieux qui courent derrière les fidèles

Poursuivant son tour des pays malades de la religion, La Libre Belgique s’est intéressée au Brésil par l’entremise de sa correspondante de Rio de Janeiro, Morgann Jezequel[5]. Le Brésil est le premier pays catholique du monde par le nombre de baptisés et en même temps, un pays de mission protestante intensive, un lobby évangélique, une vraie force politique. Il y a là un affrontement entre les religions et pourtant, face aux athées, les concurrents religieux se regroupent dans la plus stricte condamnation.

Eduard Luz, un des rares politiciens à avoir osé affirmer son athéisme dit qu’« on assiste à un dangereux mélange des genres entre politique et religion ». Les politiciens courent après les religieux qui courent après les fidèles pour mobiliser ces électeurs potentiels.

Le schéma brésilien est semblable à celui d’autres pays d’Amérique latine où les athées sont vilipendés et mis à l’écart. Le phénomène est perceptible jusque dans la recherche universitaire où il y a plus de recherches consacrées à la non-pratique religieuse (sans doute importe-t-il de comprendre comment redynamiser le troupeau égaré) qu’à l’athéisme.

Mais quand même en 2016, si cinq Brésiliens sondés sur six sont liés à une religion ou une secte chrétienne, on note une forte progression des sans-religion. Cela dit, on ne peut avoir d’estimation réaliste du nombre d’athées « cachés » ; la résistance à l’oppression est toujours essentiellement clandestine.

Alors, Brésiliens encore un effort !

La ceinture biblique des États-Unis

Les États-Unis n’en finiront pas d’étonner le monde ; La Libre Belgique publie un deuxième article[6] de Maria Udrescu consacré à cette grande nation, qui se veut chantre de la liberté et qui ne s’est pas encore dégagée des liens de la croyance. Un de ses présidents avait résumé l’affaire en disant : « Peu importe en quoi on croit, du moment qu’on croit en quelque chose ». Un citoyen, initié à l’évangélisme par un collègue pieux, conclut de ses lectures attentives de la Bible (the Book) : « L’absurdité de la religion était si évidente pour moi… » ; une déclaration qui lui valut (presque) la rupture avec son frère lequel exerce le délicat ministère de pasteur. Le même citoyen assure que : « Dans certaines villes, ne pas croire en Dieu… Tout le monde s’en fout. Mais dans la Bible Belt, cela peut détruire votre vie. » « La Bible Belt, dit notre citoyen, est le terreau du fondamentalisme ». Bible Belt se traduit par « ceinture biblique ». On pourrait la comparer à une « ceinture de chasteté religieuse » ; elle regroupe les États du Sud, les plus croyants du pays, les sécessionnistes, les partisans de l’esclavage, puis, de la discrimination raciale ; au-dessous de la « ceinture biblique », c’est le paradis des créationnistes et des missions d’évangélisation qui se répandent dans le monde. On y rejette l’idée d’évolution ; on va jusqu’à en interdire l’enseignement. Là, les athées ont l’impression de vivre en état de siège ; là-bas, ils sont inéligibles et ceux qui ne croient en rien sont ostracisés.

Au niveau national, les politiciens se montrent à l’église, invoquent le Seigneur et rivalisent de prières et de citations du Livre afin de démontrer leur attachement à la foi des électeurs. On rapporte que dans l’histoire du Congrès, un seul représentant s’est déclaré ouvertement athée. Dans les milieux scientifiques, l’athéisme est très largement partagé ; on cite des chiffes qui approchent ou dépassent les 90 % d’incroyants.

On retiendra l’image d’un pays gangrené par la croyance, sauf dans les grandes villes où l’athéisme, et l’athéisme caché, progressent en même temps que le niveau général d’éducation, lié à la diffusion du savoir scientifique. C’est là que s’exprime l’athéisme étazunien.

Étazuniens, encore un effort !

Conclusion à l’italienne : de la nécessité de défendre les droits des athées

Pour terminer, voici un article[7] de Giovanni Gaetani, publié par l’Uaar[8], qui fait le point sur la situation en Italie. Il s’agit d’une réflexion autour de thèmes qui touchent à la vie des athées, d’une réfutation de lieux communs concernant la situation des athées.

Un lieu commun, c’est que « chez nous », il n’y a plus de discrimination vis-à-vis des athées. Ce sont des propos qui disent que « la société italienne serait désormais ouverte vis-à-vis des athées », l’État « substantiellement » laïque et l’Église aurait perdu son pouvoir hégémonique, grâce au « progressisme » du « pape rebelle », qu’on n’aurait plus besoin d’association athée, puisqu’en Italie, les athées sont « finalement » libres de vivre comme il leur semble. (Question : pour la même raison, aurait-on encore besoin de l’Église ?)

Mais, dit Gaetani, les droits et les libertés des athées ne sont pas tombés du ciel (ni du progressisme du pape rebelle), mais sont le résultat d’un long combat. De plus, il n’est pas vrai qu’on est libre de vivre comme on veut, car il est des discriminations cachées dans les plis du quotidien et si on ne s’en aperçoit pas, c’est par une sorte d’« assuétude » imposée dès l’enfance comme normale, intangible, impossible à mettre en discussion, ce sont des préjugés enracinés en nous et qui nous font accepter des comportements et des mécanismes légaux qu’autrement, nous considérerions comme absurdes et discriminatoires : les crucifix dans les classes et les lieux publics ; l’enseignement de la religion catholique dans les écoles par des professeurs choisis pas le Vatican, mais payés par l’État ; la subsidiation de l’Église ; le favoritisme fiscal au profit de l’Église ; l’ingérence de l’Église dans l’agenda politique ; l’appel à la tradition religieuse pour discriminer les citoyens sur base de leur orientation sexuelle ; les droits des femmes et notamment, le droit à l’avortement piétiné et humilié au nom des droits des gynécologues catholiques à l’objection de conscience. Et la liste pourrait encore être longue.

Pour tous ces motifs et contre toutes les attaques qui les frappent dans le monde, au nom des athées assassinés, de tous les athées « cachés », il serait insensé de penser que « désormais » les athées n’ont plus de revendications. Dès lors, face aux religieux, aux religions, pour les athées, en Italie comme ailleurs : Ora e sempre : Resistenza ! (Maintenant et toujours : Résistance !)

Italiens, encore un effort !


Notes

  1. C’est évidemment plus qu’une allusion au magnifique texte de Donatien Alphonse François de Sade, « Français, encore un effort si vous voulez être Républicains : la religion », in La Philosophie dans le boudoir, 1796. ↑
  2. Maria Udrescu, « En Roumanie, l’athéisme est associé au communisme et au satanisme », « Être athée aujourd’hui, 1/5 », La Libre Belgique, 8 août 2017, pp. 16-17. ↑
  3. Vincent Braun, « En Iran, les athées risquent la peine de mort », « Être athée aujourd’hui, 2/5 », La Libre Belgique, 9 août 2017, pp. 20-21. ↑
  4. Emmanuel Derville, « En Inde, les athées confrontés aux radicaux hindous », « Être athée aujourd’hui, 3/5 », La Libre Belgique, 10 août 201, p.18. ↑
  5. Morgann Jezequel, « Au Brésil, l’athéisme demeure une tare », « Être athée aujourd’hui, 4/5 », La Libre Belgique, 11 août 2017, p.18. ↑
  6. Maria Udrescu, « Aux États-Unis, la religion reste un gage de moralité », « Être athée aujourd’hui, 5/5 », La Libre Belgique, 12-13 août 2017, pp. 18-19. ↑
  7. Gaetani Giovanni, « Perché mai dovremmo difendere i diritti degli atei? » (Pourquoi devrions-nous défendre les droits des athées ?), https://blog.uaar.it/2017/08/22/perche-dovremmo-difendere-diritti-atei/ ↑
  8. UAAR, Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti, https://www.uaar.it/uaar/ ↑
Tags : athéisme Brésil États-Unis Inde Iran Italie religion Roumanie

Bhagat Singh et l’athéisme dans le sous-continent indien,
hier et aujourd’hui

Posté le 29 décembre 2016 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Patrice Dartevelle

La question de l’athéisme dans les parties du monde intégralement musulmanes ou hindoues a été largement passée sous silence depuis au moins un demi-siècle. Le monde musulman a fini par se rappeler à nous mais Salman Rushdie évoque-t-il encore autre chose qu’un cas embarrassant, comme Charlie Hebdo, mais en moins sulfureux ?

Au sein du monde musulman, du XIXe siècle au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, existe un mouvement rationaliste, laïque, tourné vers la science comme en Occident, soucieux d’une sorte d’islam des Lumières, même si la formule est d’aujourd’hui. L’Égyptien Ismaïl Adham a même publié en 1937 une lettre de quatorze pages intitulée Pourquoi je suis athée ?1. Bertrand Russell est bien entendu le premier dans la même veine en 1927 avec son Pourquoi je ne suis pas chrétien.

Mais cette tendance a été vaincue et éradiquée par la conjonction des royaumes et émirats religieux, des Frères musulmans, tant moqués par Nasser au début de sa présidence, et last but not least, des dirigeants baasistes dits laïques, désireux d’abord d’éliminer toute contestation de leur dictature et ensuite de donner des gages aux religieux pour qu’ils ne leur demandent pas trop de comptes sur leur gestion désastreuse et ainsi conserver le pouvoir.

L’exposition Art et liberté. Rupture, guerre et surréalisme en Égypte (1938-1948) présentée du 19 octobre 2016 au 16 janvier 2017 au Centre Pompidou montre bien ce qui a été possible et ne l’est plus. Les artistes égyptiens de l’époque protestaient contre l’Allemagne nazie, signaient un manifeste Vive l’art dégénéré qui dénonçait « les préjugés religieux, racistes et nationalistes » et perturbaient à Alexandrie une conférence du futuriste italien profasciste Marinetti. Ces artistes semblent bien conformes au modèle français du surréalisme, manifestement athée. La guerre terminée, ces artistes durent s’exiler, souvent après une incarcération plus ou moins longue2

Ces dernières années, par la grâce d’Internet, l’athéisme s’est manifesté davantage dans les pays majoritairement musulmans, le plus souvent par l’action de jeunes diplômés3.

La situation de l’Inde et du sous-continent indien est encore moins connue en Europe, du moins continentale. Le sombre univers musulman pakistanais, avec ses « faiblesses » pour les talibans, fait oublier l’Inde, hindoue, et le Bangladesh, musulman.

L’Inde est dévorée de passion et d’intolérance dans un mélange ethnophylétique d’hindouisme et de nationalisme sous-tendu par la prétendue unicité des deux concepts dans un parfait mépris des différences de religion et un total refus de l’athéisme.

Pourtant, et on nous le montre aujourd’hui, l’athéisme a été présent en Inde dès l’entre-deux-Guerres.

Là aussi s’écrit en 1930 un Pourquoi je suis athée, disponible depuis peu en français grâce aux Éditions de l’Asymétrie4.

Son jeune auteur, Bhagat Singh, est né en 1907. C’est un sikh du Pendjab, région passée depuis au Pakistan. C’est un militant indépendantiste indien. Hostile aux modérés du Parti du Congrès, il milite dans l’Hindoustan Republic Association dont il suit l’aile gauche marxiste en 1928 au sein de l’Hindoustan Socialist Republic Association. En 1926, il avait fondé la NBS (ou Youth Society of India) qui organisait des banquets mêlant toutes les castes et toutes les religions. Il sera proche des premiers communistes indiens.

À la fin de 1928, il participe à un attentat – réussi – contre un responsable policier anglais. Il est en 1929 un de ceux qui lancent une bombe – assez inoffensive (quelques blessés très légers) – sur les bancs de l’Assemblée centrale, sorte de parlement des associations indépendantistes. Il est arrêté, condamné à mort et exécuté en 1931. Il laisse le manuscrit de plusieurs livres, écrits en captivité, dont celui qui nous concerne directement5.

L’athéisme de Bhagat Singh

Si on examine la vingtaine de pages laissée par l’athée indien, on y voit une autonomie certaine dans son passage à l’athéisme même si son engagement à gauche n’a pu manquer d’interférer dans sa réflexion. Mais en aucun cas il ne peut s’agir de l’effet d’un encadrement de la structure de groupe.

Au sein de sa famille, chez son père, son oncle, il peut trouver une tradition militante anticolonialiste mais pas athée. Quand il entre au parti révolutionnaire– je suppose le HSRA – dit-il, ses premiers chefs sont soit très prudents en matière de religion soit carrément très religieux.

Cependant, au départ du militantisme anticolonialiste, certaines évidences se sont imposées à lui, à commencer le désir et le besoin d’arguments pour être en mesure de convaincre. La lecture des révolutionnaires européens comme Bakounine va l’amener à réfléchir. Surtout il y a la logique d’une pensée révolutionnaire anticolonialiste mais aussi sociale qui ne peut se concevoir sans une attitude critique et indépendante. C’est du moins ce qui semblait évident à une époque où les insatisfaits ne préféraient pas le recours à la religion. C’est tout cela qui le pousse à se déclarer athée en 1926. Il avait dix-neuf ans.

L’observation des religions concrètes joue aussi un rôle. Un Indien de cette époque voit bien l’hindouisme, le sikhisme, l’islam et la version surtout anglicane du christianisme. Bhagat Singh constate les contradictions des religions entre elles et les conflits au sein de celles-ci. Sa situation au sein du sous-continent indien le met aux prises avec un problème très rarement traité en Europe : la croyance en la réincarnation. Elle est pour lui un pur conte de fées. Être réincarné en âne pour avoir commis un crime dans sa vie humaine précédente, dit-il, n’a jamais changé le comportement de qui que ce soit. Si c’est une punition, on peut lui prêter une totale inefficacité.

Sa théorie de la religion n’est pas caricaturale. Malgré son engagement politique, il ne soutient pas que les religions ont été créées par les exploiteurs. Les religions s’accommodent facilement de la tyrannie, voilà tout. Selon Singh, la religion s’installe quand les hommes ont pris conscience de leurs lacunes et de leurs faiblesses. La doctrine correspond à la théorie de l’intervalle du sociologue et philosophe belge Eugène Dupréel (1879-1967), qui explique par elle le constant recul des religions, l’intervalle entre les souhaits des hommes et leurs possibilités se restreignant avec les progrès des sciences et des techniques.

Je retiendrai aussi son opinion selon laquelle, pour chaque personne soucieuse de progrès il est indispensable d’analyser et de comprendre les religions. La règle a été trop souvent oubliée et bien des athées sont pris de court aujourd’hui face à l’islam, aux évangéliques ou prêts à croire que les sectes ne sont pas des religions et que le terme signifie quelque chose.

Ses arguments contre l’existence de Dieu sont classiques. Si Dieu a créé le monde et l’homme, pourquoi permet-il que des millions de gens meurent de faim ? S’il l’a voulu, il mérite les mêmes condamnations que Néron (B. Singh s’en tient à l’historiographie dominante de l’époque) et Gengis Khan. Si Dieu doit utiliser la contrainte, recourir à la loi, est-il réellement tout-puissant ? Pourquoi n’arrête-t-il pas la main de celui qui va commettre un crime ?

Un point essentiel des convictions de Bhagat Singh porte sur la notion de progrès. Sa manière d’en parler peut sembler refléter un monde qui a disparu :

Nous croyons dans la nature et pensons que le progrès humain découle de la domination de l’homme sur la nature. Il n’y a aucune puissance consciente derrière la nature. Ceci est notre philosophie.

On connaît a contrario les avatars récents d’un culte sud-américain, couvé par bien des écologistes, de la Terre-mère, de la Mère nature, parfaitement irrationnel et régressif. Il est utile de rapporter un point de vue, nullement isolé en son temps, qui, s’il ignore nos questionnements vu son époque – et son origine – montre bien ce qu’il y avait de riche et d’essentiel, de prométhéen sans doute, dans la vision occidentale du progrès, dominante jusqu’il a peu, sauf auprès des gentlemen farmers.

Singh n’a pas d’illusion face à son destin de martyr de l’indépendance : il ira retourner au Rien. Se consacrer à une juste cause est le seul sens possible de la vie.

Le cas du Bangladesh d’aujourd’hui

Rare curiosité, le texte de B. Singh et son long commentaire sont accompagnés aussi de textes et témoignages d’athées bangladais. Leur cas est maintenant malheureusement connu par les assassinats perpétrés à leur encontre par des islamistes portant souvent le drapeau d’Al-Quaïda6. Intellectuels, éditeurs et militants athées du Bangladesh sont tombés en masse ces quelques dernières années : j’en ai dénombré onze depuis 2013 (deux en 2013, un en 2012, six en 2015 et deux en 2016)7. Parmi ces textes, on en trouve un avec un plaisir particulier, tant on craignait pour elle, de Shammi Haque, blogueuse athée, sans doute principale cible des fondamentalistes musulmans de son pays. Elle a fini par s’exiler en Allemagne en février 2016, avec son compagnon. Elle était une militante de la Ganajagaran Mancha (Mass Awakening Platform). Un autre athée, son compatriote Ahmedur Rashid Chowdury, dit Tutul, grièvement blessé le 31 octobre 2015 dans un attentat, livre lui aussi un message dans le livre.

Le cas antérieur de Taslima Nasreen, qui avait dû quitter le Bangladesh dès 1994, était notoire et déjà révélateur. Mais il était différent en ce qu’elle s’affirmait comme féministe et partisane d’un État laïque et ne paraissait pas menacée par des attentats programmés mais sauvée par sa fuite de la bêtise populaire, bien entendu relayée et validée par les autorités locales et autres, qui aurait certainement pu la tuer elle aussi. Le Gouvernement l’avait inculpée « d’incitation à la haine interconfessionnelle », une inculpation qui fait moderne et occidental et dont on ne se prive d’ailleurs pas dans pas mal de pays européens, sa plasticité étant infinie.

Les athées bangladais et nous

L’éditeur bangladais Raihan Abir, cofondateur du site de libres penseurs Mukto-Mona (« Libre Penseur »), exilé au Canada a rédigé l’introduction au volume et pose le bon problème :

Le monde, à bien des égards, a changé depuis [Bhagat Singh]. Nous aimerions penser qu’il a changé pour le mieux, mais les événements qui se déroulent depuis une décennie ont prouvé la dialectique de ces bouleversements et la terrible régression qui les accompagne. La liberté d’expression reste un concept insaisissable. Aujourd’hui, les mots prononcés par Bhagat Singh en 1930, s’ils étaient prononcés à haute voix seraient considérés comme blasphématoires dans de nombreux pays du monde et entraîneraient la peine de mort. Même les mouvements progressistes et les classes moyennes, dont on aurait pu penser que le soutien à la liberté d’expression serait sans équivoque, professent des récits uniquement centrés sur l’économie et cherchent le plus souvent des compromis avec les idées régressives prônées par les groupes religieux extrémistes. Cela a rendu la vie ô combien difficile pour les athées et les libres penseurs de nombreux pays en développement…

Tous ces gens courageux sont restés inébranlables dans leurs convictions (mais combien d’autres se taisent par peur pour leur vie ?) mais ont dû s’exiler pour survivre. Leur sacrifice aurait été inutile.

Ne pas tenter de les sauver est impensable est impensable pour les athées occidentaux (le Canada semble un bon refuge dans plusieurs cas) mais leur pays est privé de leurs forces. À lire Shammi Haque, elle ne paraît pas nourrir de grands espoirs pour elle et le Bangladesh, sauf à très long terme, après sa mort (et elle est très jeune) : « Un jour le Bangladesh se rappellera des luttes que nous avons menées », écrit-elle.

Dans le cas du Bangladesh, c’est le problème musulman qui est en cause, comme presque partout (soyons de bon compte, il y a aussi les hindous en Inde et les bouddhistes en Birmanie…). Nul ne sait comment régler le problème. On le voit bien par exemple avec les questions sans réponse posées par la perspective d’une défaite militaire de l’État islamique8.

L’avantage, si l’on peut dire, de ce type de combat pour les athées occidentaux est qu’il nous ramène à la simplicité et la certitude des luttes menées autrefois contre les Églises chrétiennes traditionnelles : ces fondamentalistes n’ont pas l’ombre d’un argument, leurs buts et leurs actions sont intrinsèquement mauvais à nos yeux (c’est évidemment réciproque). Si nul ne peut être forcé à devenir athée, ces fondamentalistes montrent combien les religions peuvent être dangereuses. C’est en principe un problème de liberté d’expression mais on ne pourra le régler, comme on l’a fait en Europe, qu’en s’en prenant à la religion elle-même, en réduisant sa sphère d’influence, en contestant ses dogmes les plus fondamentaux ou, à tout le moins, en forçant intellectuellement les croyants à un autre regard sur leurs croyances.

Pour nous, heureux Européens pleins de problèmes, à défaut d’être dangereuses, les choses sont souvent plus compliquées, comme la question du progrès et de son inéluctabilité.


Notes

  1. Dominique Avon, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », L’athéisme dans le monde, Bruxelles, ABA Éditions, collection, Études athées, 2015, pp. 87-123.
  2. Philippe Dagen, « Un surréalisme de combat en Égypte », Le Monde du 10 novembre 2016.
  3. Dominique Avon, op. cit.
  4. Bhagat Singh, Pourquoi je suis athée, traduit de l’anglais par les Éditions de l’Asymétrie (sic), Toulouse et Paris, Éditions de l’Asymétrie, collection Rimanenti, 2016, 119 p. L’ouvrage contient d’autres contributions de libres-penseurs provenant essentiellement du sous-continent indien.
  5. J’emprunte ces éléments biographiques à Chaman Lal, un des contributeurs du livre (ibid., pp. 56-107, texte traduit de la revue Economical and Political Weekly, All India du 28 juillet 2007, abondamment annoté par les éditeurs).
  6. De l’autre côté du sous-continent, au Pakistan, les mêmes forces multiplient les tentatives contre un sanctuaire soufi, un collège de police, les urgences d’un hôpital, cf. Le Monde du 16 novembre 2016.
  7. Julie Pernet, « Massacre de la liberté de pensée au Bangladesh », Espace de libertés, n° 446 (février 2016), pp. 18-20, Le Monde du 4 novembre 2015, International New York Times des 2-3 janvier 2016, le site de La Libre Belgique du 7 avril 2016 et celui du Monde du 23 avril 2016, Le Monde du 10 mai 2016 et l’ouvrage des Éditions de l’Asymétrie (cf note 4), pp. 16-19.
  8. À commencer par la question des returnees de Syrie et d’Irak, cf parmi bien d’autres Le Soir du 15 novembre 2016.
Tags : athéisme Bangladesh Bhagat Singh Inde

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