Mort et résurrection de l’athée

Marco Valdo M.I.

La Libre Belgique a publié cet été 2017 une série de 5 articles intitulée : « Être athée aujourd’hui » qui envisage l’athéisme dans divers pays : la Roumanie, l’Iran, l’Inde, le Brésil, les États-Unis.

Elle devait comporter un sixième article. Nous ajouterons l’Italie.

En marge, la Libre Belgique parle de la « non-croyance», imaginant mieux qualifier l’athéisme ; un peu comme si pour préciser ce qu’est une poule, je disais une « gallinacée ».

La non-croyance ou l’athéisme est la façon dont les « non-athées » définissent dans leur étrange langage ceux qui n’envisagent pas la nécessité d’un dieu d’une croyance ou d’une religion.

Le terme « athée » lui-même est impropre ; pour nier l’existence de quelque chose (ici, une croyance, un dieu, etc.), encore faut-il que cette chose existe préalablement. Or, il est évident – même pour nos bons croyants, sinon à quoi servirait le baptême – que l’être humain naît sans croyance aucune et dès lors, sans aucun dieu, on naît tous athées.

Un athée pourrait affirmer :

Je suis athée, car je crois au Dieu Athée qui me dit qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et que Dieu est athée et que l’homme naît athée et doit le rester.C’est donc par la volonté du Dieu Athée que je suis moi-même athée.Et allez prouver que c’est faux.

On ne s’attardera pas ici à dénombrer les athées à travers le monde. Disons simplement qu’il y en a beaucoup et que si dans les pays religieux, les croyants et les religieux ne menaçaient pas de mort les athées, si la chasse aux sorcières n’était pas ouverte en permanence, si le fait de se déclarer athée n’était pas l’objet de rétorsions, si dès lors, on n’était pas contraint de simuler le ralliement à un culte quelconque, si on enseignait partout et à tous la raison, le savoir et la démarche scientifique, on se demande ce qui resterait des croyances et de croyants.

D’un point de vue évolutionniste, même si les pays où sévissent les religions natalistes voient le nombre de leurs habitants croître, à terme, au fur et à mesure que l’homme prendra la mesure de l’homme sans s’encombrer d’un inutile créateur, les religions disparaîtront. Humains, encore un effort ! [1]

Voyons maintenant, ce que racontent ces articles et ce qu’on peut en penser en tant qu’athée.

La cathédrale du Salut de la Nation et le prêtre dévêtu de sa soutane

En Roumanie – comme en Russie, en Grèce, dans certains pays des Balkans – l’Église orthodoxe est dominante et pèse sur la société civile et politique. La journaliste Maria Udrescu, elle-même roumaine, avec un courage qu’il faut saluer, a levé le voile qui occultait les manœuvres ecclésiastiques. Elle entame son reportage[2] par le scandale de l’édification sur un terrain de l’État d’une titanesque « cathédrale du Salut de la Nation ». Le nom et le projet qu’il recouvre en disent long sur l’état de l’État roumain, le pouvoir de l’Église et la situation de la Roumanie.

Les argents consacrés aux églises roumaines et à cette cathédrale s’élèvent à des milliards d’euros alors qu’on ne trouve pas d’argent pour construire des hôpitaux. Ces faits défrisent bien des citoyens et « cela risque à terme, de refroidir les politiciens à faire les poches de l’État dès que l’Église tend la main ». Dans ce pays où l’orthodoxie est en odeur de sainteté, les Roumains ne seraient plus que 60 % à se réclamer du culte.

Cependant, bien que la Roumanie se définisse constitutionnellement comme un État laïc ou « neutre », on en est toujours au XIXe siècle, époque où les Églises garantissaient les identités nationales. De ce fait, les athées sont accusés d’être des anti-Roumains.

Des groupes religieux se sont fédérés pour créer une « Coalition pour la famille » pour réclamer une modification de la Constitution imposant le mariage bisexué, autrement dit – exclusivement – entre un homme et une femme. On sait que ce n’est pas un phénomène propre à la Roumanie et que ce sont les plus rétrogrades des « fidèles » et les gens les plus réactionnaires qu’on retrouve dans ces mouvements, suscités par le clergé.

Par ailleurs, même si l’empire de l’Église sur les populations est puissant, il est en recul constant et on a publié en mai dernier un livre intitulé La confession d’un prêtre athée, dont l’auteur Ion Aion est un religieux qui s’était « dévêtu de sa soutane ».

Roumains, encore un effort !

Il s’agit d’être bien avec l’Islam

Le deuxième pays visité par La Libre Belgique est l’Iran et l’article[3] est dû à la plume de Vincent Braun, lequel note qu’« il ne fait pas bon d’être athée en Iran », car chez les chiites d’Iran, on ne badine pas avec la fidélité au Coran et à Allah. C’est un pays où on est athée en quelque sorte « sous le manteau » ; on ne révèle son athéisme qu’en privé ou sous l’anonymat d’Internet, car en Iran, la sanction de l’athéisme est la mort. On ne saurait douter de l’existence de Dieu, ni tolérer un tel doute. Il n’est pas question de publier des informations sur l’athéisme ; c’est considéré diffamatoire vis-à-vis du prophète et du régime.

Si nombre d’Iraniens ne sont pas croyants, ils le sont clandestinement et affichent une croyance et une conduite de façade. Il s’agit d’être bien avec l’Islam, si on veut obtenir un emploi. Si on veut vivre, également.

L’apostasie est le pire des crimes et est punie de mort. Soit, mais en Iran, où tous sont censés être musulmans (on tolère quelques chrétiens, juifs ou zoroastriens ou parsis), le simple fait d’être reconnu athée est létal.

Après des années de société islamique, une certaine désaffection se fait jour dans l’esprit des Iraniens et certains vont jusqu’à douter de l’existence de Dieu ; mais tous ne le disent pas. On décèle là-bas un peuple d’« athées cachés ».

Iraniens, encore un effort !

Pour vivre athées, vivons cachés

Le troisième pays visité par La Libre Belgique est l’Inde et le compte rendu[4] paraît sous la signature d’Emmanuel Derville, qui professe à New Delhi. Que dit-il ?

Il raconte l’histoire de Narendra Dabholkar, un athée assassiné, qui menait le combat contre la superstition au sein d’une association dont tous les membres sont athées. « Notre objectif est d’encourager les gens à penser par eux-mêmes… ». Objectif louable, mais la chose n’est pas du tout du goût des fondamentalistes hindous, qui ont des relais politiques jusqu’au sommet de l’État et les assassinats d’athées se multiplient et nous renseigne Emmanuel Derville : « les fondamentalistes considèrent la violence comme un moyen légitime de promouvoir leurs idées. » C’est une version musclée du classique de la propagande : « Enfoncez-vous bien ça dans la tête ! »

En Inde, comme ailleurs, le trop relatif anonymat d’Internet est un piège pour les athées ; témoin ce père (31 ans) qui avait publié sur un réseau social une photo de son fils brandissant une pancarte disant : « Dieu n’existe pas ! ». Ce brave homme, fier de son enfant, fut poignardé à mort.

Quant aux athées qui vivraient en Inde, nul ne sait combien ils sont. Les sondages ne sont que d’un médiocre secours ; ils ne révèlent que ce que les sondés acceptent de laisser transparaître et tout le monde n’a pas vocation au martyre, surtout chez les athées. Pour vivre athée, vivons cachés est une devise de prudence.

Pour le reste : Indiens, encore un effort !

Les politiciens courent derrière les religieux qui courent derrière les fidèles

Poursuivant son tour des pays malades de la religion, La Libre Belgique s’est intéressée au Brésil par l’entremise de sa correspondante de Rio de Janeiro, Morgann Jezequel[5]. Le Brésil est le premier pays catholique du monde par le nombre de baptisés et en même temps, un pays de mission protestante intensive, un lobby évangélique, une vraie force politique. Il y a là un affrontement entre les religions et pourtant, face aux athées, les concurrents religieux se regroupent dans la plus stricte condamnation.

Eduard Luz, un des rares politiciens à avoir osé affirmer son athéisme dit qu’« on assiste à un dangereux mélange des genres entre politique et religion ». Les politiciens courent après les religieux qui courent après les fidèles pour mobiliser ces électeurs potentiels.

Le schéma brésilien est semblable à celui d’autres pays d’Amérique latine où les athées sont vilipendés et mis à l’écart. Le phénomène est perceptible jusque dans la recherche universitaire où il y a plus de recherches consacrées à la non-pratique religieuse (sans doute importe-t-il de comprendre comment redynamiser le troupeau égaré) qu’à l’athéisme.

Mais quand même en 2016, si cinq Brésiliens sondés sur six sont liés à une religion ou une secte chrétienne, on note une forte progression des sans-religion. Cela dit, on ne peut avoir d’estimation réaliste du nombre d’athées « cachés » ; la résistance à l’oppression est toujours essentiellement clandestine.

Alors, Brésiliens encore un effort !

La ceinture biblique des États-Unis

Les États-Unis n’en finiront pas d’étonner le monde ; La Libre Belgique publie un deuxième article[6] de Maria Udrescu consacré à cette grande nation, qui se veut chantre de la liberté et qui ne s’est pas encore dégagée des liens de la croyance. Un de ses présidents avait résumé l’affaire en disant : « Peu importe en quoi on croit, du moment qu’on croit en quelque chose ». Un citoyen, initié à l’évangélisme par un collègue pieux, conclut de ses lectures attentives de la Bible (the Book) : « L’absurdité de la religion était si évidente pour moi… » ; une déclaration qui lui valut (presque) la rupture avec son frère lequel exerce le délicat ministère de pasteur. Le même citoyen assure que : « Dans certaines villes, ne pas croire en Dieu… Tout le monde s’en fout. Mais dans la Bible Belt, cela peut détruire votre vie. » « La Bible Belt, dit notre citoyen, est le terreau du fondamentalisme ». Bible Belt se traduit par « ceinture biblique ». On pourrait la comparer à une « ceinture de chasteté religieuse » ; elle regroupe les États du Sud, les plus croyants du pays, les sécessionnistes, les partisans de l’esclavage, puis, de la discrimination raciale ; au-dessous de la « ceinture biblique », c’est le paradis des créationnistes et des missions d’évangélisation qui se répandent dans le monde. On y rejette l’idée d’évolution ; on va jusqu’à en interdire l’enseignement. Là, les athées ont l’impression de vivre en état de siège ; là-bas, ils sont inéligibles et ceux qui ne croient en rien sont ostracisés.

Au niveau national, les politiciens se montrent à l’église, invoquent le Seigneur et rivalisent de prières et de citations du Livre afin de démontrer leur attachement à la foi des électeurs. On rapporte que dans l’histoire du Congrès, un seul représentant s’est déclaré ouvertement athée. Dans les milieux scientifiques, l’athéisme est très largement partagé ; on cite des chiffes qui approchent ou dépassent les 90 % d’incroyants.

On retiendra l’image d’un pays gangrené par la croyance, sauf dans les grandes villes où l’athéisme, et l’athéisme caché, progressent en même temps que le niveau général d’éducation, lié à la diffusion du savoir scientifique. C’est là que s’exprime l’athéisme étazunien.

Étazuniens, encore un effort !

Conclusion à l’italienne : de la nécessité de défendre les droits des athées

Pour terminer, voici un article[7] de Giovanni Gaetani, publié par l’Uaar[8], qui fait le point sur la situation en Italie. Il s’agit d’une réflexion autour de thèmes qui touchent à la vie des athées, d’une réfutation de lieux communs concernant la situation des athées.

Un lieu commun, c’est que « chez nous », il n’y a plus de discrimination vis-à-vis des athées. Ce sont des propos qui disent que « la société italienne serait désormais ouverte vis-à-vis des athées », l’État « substantiellement » laïque et l’Église aurait perdu son pouvoir hégémonique, grâce au « progressisme » du « pape rebelle », qu’on n’aurait plus besoin d’association athée, puisqu’en Italie, les athées sont « finalement » libres de vivre comme il leur semble. (Question : pour la même raison, aurait-on encore besoin de l’Église ?)

Mais, dit Gaetani, les droits et les libertés des athées ne sont pas tombés du ciel (ni du progressisme du pape rebelle), mais sont le résultat d’un long combat. De plus, il n’est pas vrai qu’on est libre de vivre comme on veut, car il est des discriminations cachées dans les plis du quotidien et si on ne s’en aperçoit pas, c’est par une sorte d’« assuétude » imposée dès l’enfance comme normale, intangible, impossible à mettre en discussion, ce sont des préjugés enracinés en nous et qui nous font accepter des comportements et des mécanismes légaux qu’autrement, nous considérerions comme absurdes et discriminatoires : les crucifix dans les classes et les lieux publics ; l’enseignement de la religion catholique dans les écoles par des professeurs choisis pas le Vatican, mais payés par l’État ; la subsidiation de l’Église ; le favoritisme fiscal au profit de l’Église ; l’ingérence de l’Église dans l’agenda politique ; l’appel à la tradition religieuse pour discriminer les citoyens sur base de leur orientation sexuelle ; les droits des femmes et notamment, le droit à l’avortement piétiné et humilié au nom des droits des gynécologues catholiques à l’objection de conscience. Et la liste pourrait encore être longue.

Pour tous ces motifs et contre toutes les attaques qui les frappent dans le monde, au nom des athées assassinés, de tous les athées « cachés », il serait insensé de penser que « désormais » les athées n’ont plus de revendications. Dès lors, face aux religieux, aux religions, pour les athées, en Italie comme ailleurs : Ora e sempre : Resistenza ! (Maintenant et toujours : Résistance !)

Italiens, encore un effort !


Notes

  1. C’est évidemment plus qu’une allusion au magnifique texte de Donatien Alphonse François de Sade, « Français, encore un effort si vous voulez être Républicains : la religion », in La Philosophie dans le boudoir, 1796.
  2. Maria Udrescu, « En Roumanie, l’athéisme est associé au communisme et au satanisme », « Être athée aujourd’hui, 1/5 », La Libre Belgique, 8 août 2017, pp. 16-17.
  3. Vincent Braun, « En Iran, les athées risquent la peine de mort », « Être athée aujourd’hui, 2/5 », La Libre Belgique, 9 août 2017, pp. 20-21.
  4. Emmanuel Derville, « En Inde, les athées confrontés aux radicaux hindous », « Être athée aujourd’hui, 3/5 », La Libre Belgique, 10 août 201, p.18.
  5. Morgann Jezequel, « Au Brésil, l’athéisme demeure une tare », « Être athée aujourd’hui, 4/5 », La Libre Belgique, 11 août 2017, p.18.
  6. Maria Udrescu, « Aux États-Unis, la religion reste un gage de moralité », « Être athée aujourd’hui, 5/5 », La Libre Belgique, 12-13 août 2017, pp. 18-19.
  7. Gaetani Giovanni, « Perché mai dovremmo difendere i diritti degli atei? » (Pourquoi devrions-nous défendre les droits des athées ?), https://blog.uaar.it/2017/08/22/perche-dovremmo-difendere-diritti-atei/
  8. UAAR, Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti, https://www.uaar.it/uaar/