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Archives par mot-clé: ISLAMOPHOBIE

Le religieux dans la publicité : quelle place pour la création publicitaire dans une société en pleine mutation culturelle et médiatique ?

Posté le 17 décembre 2019 Par ABA Publié dans Religion Laisser un commentaire

Aline Lombart

Le 25 février 2019, de nombreuses réactions éclatent sur les réseaux sociaux : la firme internationale de sport Décathlon fait polémique auprès d’une partie de la population européenne lorsqu’elle décide de commercialiser en ligne, en France, un hijab de course. Les réactions islamophobes fusent. En quelques jours la polémique prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, la firme doit faire face à une vague d’insultes et de menaces ; de nombreuses personnalités politiques réagissent et l’affaire est rapidement transmise par les médias traditionnels. Le 27 février 2019, le produit est retiré de la vente. Un exemple, aussi choquant que « rapide », qui reflète la véritable complexité que la société actuelle traverse et à laquelle doivent s’adapter les professionnels du marketing et de la publicité. Les religions sont encore bien présentes, notamment dans les domaines du marketing et de la publicité. Les publicitaires semblent confrontés à deux discours contradictoires : d’un côté « vivons ensemble, acceptons les croyances des autres », de l’autre, ceux-ci sont sans doute obligés de s’imposer des restrictions, des limites afin de respecter les frontières des autres. En quelque sorte, un double message : nous vivons dans un espace de communication toujours plus libéré, mais paradoxalement toujours plus autocensuré.

La publicité représente aujourd’hui un secteur hyper-saturé marqué par la concurrence et les nouvelles pratiques digitales. Le secteur doit faire face à de nombreuses modifications de ses pratiques. Alors que d’un côté, les technologies de l’information et de la communication ne cessent d’évoluer permettant ainsi une circulation des informations et des images à travers le monde en quelques instants, d’un autre côté, la société occidentale doit depuis plusieurs années faire face à une crise identitaire et culturelle marquée par la terreur des attentats. La question des religions, de la liberté d’expression et du blasphème est devenue ainsi plus que jamais d’actualité. La communication et, donc, de façon inhérente la publicité, doivent s’adapter à cette situation actuelle.

Quelle place pour l’utilisation des religions du Livre ?

Alors que depuis les années post-68, de nombreux exemples (Benetton, Volkswagen…) prouvent que des stratégies basées sur la provocation et l’humour ont souvent tenté de récupérer la religion, il semble que, dans la société multiculturelle et multiconfessionnelle d’aujourd’hui associée au recul des croyances et connaissances religieuses et de plus en plus fragmentée, ces pratiques sont de moins en moins utilisées. Aujourd’hui, on assiste encore tantôt à une utilisation de la religion catholique à travers un appel à ses symboles porteurs de sens et de valeurs pour la cible, tantôt à la religion islamique dans un but de « diversité » et d’engagement. Dans le cadre d’un mémoire de master en communication, j’ai interrogé des professionnels de la publicité et des plaintes introduites entre 2000 et 2019 au Jury d’Éthique Publicitaire. Cette enquête nous prouve que l’utilisation de la religion dans la publicité de manière générale est en baisse. Les publicitaires et annonceurs sont de plus en plus vigilants à ne pas créer la polémique. Ils n’osent plus utiliser les symboles religieux dans leur stratégie.

Plusieurs éléments expliquent la complexité pour les publicitaires d’utiliser la religion. Premièrement, le secteur ne bénéficie pas de la liberté dont jouissent l’art et le journalisme, qui peuvent s’inscrire dans un débat d’idées que ne peut se permettre la publicité commerciale. Deuxièmement, de manière générale, utiliser la religion représente une pratique délicate pour le publicitaire. Chaque élément et sa mise en place dans la publicité risque d’être mal interprété. Enfin, le web en devenant le premier média de débat de société et en s’emparant des grands thèmes, a donné la parole à la société civile et est devenu, paradoxalement à son utilité pour les annonceurs, un danger. Le web 2.0 a changé la relation des marques avec leur public, les marques communiquent, les internautes interpellent et dénoncent.

La gestion des débats et de la réputation en ligne constitue donc un axe important de la communication des marques aujourd’hui. Les annonceurs ne sont donc pas friands de ce genre de pratique, ce qui représente la première limite à la liberté de création des publicitaires. En effet, lorsqu’elles se risquent à utiliser la religion, les enseignes doivent être prêtes à faire face à de nombreuses critiques. Le web et les réseaux sociaux en offrant la possibilité aux consommateurs de s’exprimer, ont ouvert la porte aux polémiques qui se développent de plus en plus rapidement.

Ces polémiques naissent notamment dans le contexte actuel où se rencontrent en Europe de nombreuses obédiences, principalement chrétienne, musulmane, juive et des courants de pensée athée. En utilisant les symboles d’une religion, la publicité ouvre la porte à de nombreuses réactions négatives, et prend le risque d’exclure une partie de sa cible, de croyances différentes. La religion est en effet encore à l’origine de nombreux conflits et « incompréhensions » entre les individus et empêche une véritable harmonie, chacun ne voulant être « confronté » à d’autres convictions et valeurs que les siennes à travers la publicité.

Face à ces difficultés imposées à la publicité, les publicitaires ne se risquent que très rarement à utiliser la religion. Il ne s’agit, en effet, pas d’une pratique utilisée par les différents acteurs de la publicité de façon « simple » et sans réserve. La présence d’éléments religieux dans la publicité émane d’un long processus de réflexion où chaque acteur de la publicité (agences/annonceurs/médias) joue un rôle de « responsabilité éthique ». Premièrement, les publicitaires sont confrontés à un dilemme personnel, à savoir s’ils décident de faire preuve de réserve face à l’utilisation de la religion ou de prôner leur droit à la liberté d’expression. Généralement, il semble qu’ils optent pour la première option afin de ne pas froisser les annonceurs, et l’idée créative, utilisant des repères religieux, est « tuée dans l’œuf ». Deuxièmement, si les annonceurs acceptent une proposition de publicité utilisant des références religieuses, celle-ci peut faire l’objet de pré-tests auprès de groupes religieux, et dans le cas d’avis négatifs, ne pas être diffusée.

Dans mon enquête, j’ai repéré des campagnes (Coca-cola, Dexia, Rossel, Brussels Airlines) présentées aux autorités catholiques (archevêque…). La campagne doit ensuite être acceptée par les médias, qui eux aussi peuvent la soumettre à certains pré-tests et refuser de la publier. De manière générale, outre les dispositions légales qui cadrent les pratiques publicitaires, leur liberté de création est limitée par la réflexion personnelle du publicitaire : se limiter au nom d’un certain respect des croyances des autres ou revendiquer le droit à la liberté d’expression. Bien qu’ils semblent opter pour la première alternative, lorsqu’ils se risquent à utiliser des symboles religieux, les publicitaires sont souvent bloqués par leurs clients, les annonceurs. Ces derniers ne semblent pas nombreux à envisager ce type de stratégies. Bien que l’humour, la provocation, l’utilisation de la religion comme réservoir culturel ou la « promotion de la diversité » sont des pratiques qui offrent la possibilité de gagner rapidement en notoriété, ou de faire rapidement associer la marque à un certain ensemble de valeurs dans l’esprit du consommateur, elles ne sont pourtant généralement pas souvent envisagées par les annonceurs car elles présentent également de nombreux risques.

Il n’est donc malheureusement plus possible de penser que l’époque de la censure (passant aujourd’hui par une forme d’autocensure) est révolue. Comme le suggère Claude Bologne[1], « la censure existe toujours au sein de la société actuelle sous deux formes bien plus sournoises qu’auparavant mais tout aussi efficaces. »[2] Premièrement,

la censure a posteriori (qu’elle passe par des procès, des campagnes médiatiques, la rumeur sur internet, le blâme public des confrères) réintroduit une censure préalable par l’autocensure, par les pressions éditoriales, voire par l’intervention de l’État pour trouble à l’ordre public »[3].

Et deuxièmement,

la voie judiciaire exige des qualifications aux infractions: diffamation, atteinte à la vie privée, provocation à la haine, plagiat… La rumeur et les armes à feu n’ont pas besoin d’argumenter : désormais on invoque le blasphème, l’outrage aux convictions d’autrui ou l’humour de mauvais goût, qui ne constituent pas des infractions pénales[4].

Ce type de censure est présent à tous les niveaux de la conception de la publicité.

Les religions représentées dans la publicité aujourd’hui

Alors qu’auparavant l’obédience la plus représentée dans la publicité était sans équivoque la religion catholique, la fragmentation des religions marquée par le désintérêt pour la religion catholique et une population islamique de plus en plus présente en Europe, oblige les firmes à reconsidérer leurs stratégies. De plus en plus d’enseignes accordent de l’importance à leur cible musulmane et cela se traduit par l’utilisation de ses symboles, auparavant très peu utilisés dans la publicité occidentale. Cette stratégie, bien qu’audacieuse, ne semble pourtant pas passer inaperçue, les « islamophobes » étant à l’affût du moindre signe islamique dans les publicités et appelant directement au boycott de la marque.

En conclusion, l’utilisation du religieux dans les créations publicitaires est assez marginale en comparaison avec d’autres thèmes parce qu’elle est « risquée ». Mais, lorsque ce thème est convoqué à des fins commerciales, nous pouvons affirmer qu’il ne s’agit pas d’une pratique anodine, utilisée sans réserve de la part des professionnels de la publicité.

La publicité à travers la place importante qu’elle tient dans la société semble aujourd’hui refléter l’intolérance de notre société en ce qui concerne la religion, en étant, elle-même, à l’origine de conflits et débats réguliers. C’est particulièrement le cas lorsqu’elle utilise des symboles musulmans. Les réactions virulentes qu’elle fait naître, n’émanent pas uniquement de groupes religieux, mais principalement d’individus incommodés par la présence de symboles religieux musulmans.

Dans un pays neutre et à une époque comme la nôtre, les religions sont encore à l’origine de nombreuses limitations du libre arbitre et de la liberté d’expression, notamment dans un domaine aussi ouvert et moderne que celui de la communication.

L’avenir de la publicité semble se diriger de plus en plus vers des changements, notamment au niveau de la relation et du dialogue direct avec le client. Il y a une difficulté à saisir l’ensemble des techniques publicitaires tant elles sont nombreuses et différentes. L’évolution des technologies de la communication a démultiplié les possibilités de faire de la publicité. Peut-être un jour sera-t-elle tellement ciblée et personnalisée qu’elle s’adressera à chaque individu en cohérence avec ses convictions ou peut-être pouvons-nous espérer un jour vivre dans un monde où les convictions coexisteront dans le respect mutuel et la tolérance au sein de sociétés multiculturelles et de plus en plus sécularisées. La publicité utilisant des références au religieux ne serait alors plus « risquée ».

Le présent article est issu d’un mémoire de Master en Communication Corporate et marketing réalisé sous la direction d’Irène Di Jorio et d’Anne Morelli et défendu sous le même titre à l’Université Libre de Bruxelles en 2019.


Notes

  1. Membre belge littéraire de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, journaliste, enseignant et conférencier belge. ↑
  2. Claude Bologne, « La liberté d’expression est-elle soluble dans la liberté de création ? », site de l’ARLLFB : http://www.arllfb.be/ebibliotheque/communications/bologne14032015.pdf, consulté le 03/04/2018. ↑
  3. Claude Bologne, ibid ↑
  4. Claude Bologne, ibid. ↑
Tags : autocensure blasphème censure communication ISLAMOPHOBIE médias publicité

Religion, quand tu nous tiens !

Posté le 17 décembre 2019 Par ABA Publié dans Religion Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle

L’islam, l’islamisme (surtout) et le Coran intéressent de plus en plus, chacun en a fait le constat. On ne compte plus les livres sur l’islamisme et le débat fait rage sur ses causes et la façon d’en éviter les conséquences. Le Coran lui-même a suscité en peu d’années plus de publications qu’en quelques décennies, tout simplement parce que l’intérêt du public a permis la formation de spécialistes bien plus nombreux qu’autrefois[1].

Parmi les publications, on trouve également des débats de différentes compositions. Ainsi j’ai déjà rendu compte ici même d’un débat entre un athée et un musulman[2]. Le musulman s’y débat avec l’interprétation du Coran pour sauver celui-ci en tentant de l’adapter à l’univers contemporain de type occidental.

Je vais reparler d’un certain nombre de questions proches ou connexes de celles que j’avais abordées précédemment mais je ne reviendrai pas sur mon avis final : les musulmans doivent admettre que le Coran est une œuvre humaine, datée et localisée. Pour l’« actualiser », il faut – comme les chrétiens ont fini par le faire – tordre le texte, sélectionner les passages et au fond faire un travail de fiction.

À la mi-2019, le texte d’un autre débat entre un musulman et un chrétien catholique a été publié[3].

Le catholique est Rémi Vrague, un spécialiste d’histoire de la philosophie antique et médiévale, domaines qu’il enseigne à la Sorbonne. Il a également travaillé les langues et les mondes juifs et arabes, nécessité d’historien de la philosophie médiévale oblige. C’est un homme considéré comme assez traditionaliste mais qui est néanmoins un universitaire des XXe et XXIe siècles. Le titre d’un de ses livres, Modérément moderne (2013), le situe bien.

La controverse le fait voir comme constamment soucieux de montrer la supériorité du christianisme sur l’islam, ce qui le conduit l’une ou l’autre fois à des affirmations étonnamment sommaires, à des oublis plus que singuliers. Ainsi reprocher au musulman des pogroms contre les juifs en Palestine – dès avant la création même d’Israël, précise-t-il – me laisse sans voix. Certes les orthodoxes ont pris une large part à l’affaire en Europe mais les catholiques polonais et allemands n’étaient pas à la traîne, pas plus que les luthériens. Diable, mettre de nos jours l’Holocauste entre parenthèses peut interroger sur les phénomènes de cécité inconsciente. En revanche il dit clairement que « Nous avons aujourd’hui de la chance de vivre en Occident dans des sociétés où la puissance publique est neutre ». C’est parfait mais encore faut-il voir que la présence de plus en plus massive des musulmans en France a abouti à ce que la très grande majorité des catholiques même très affirmés (je dirais surtout eux pour s’opposer aux musulmans), avec à leur tête la plupart des évêques, se réclament maintenant de la laïcité (comme concept, pas comme mouvement évidemment). Sur le ton de l’humour certes servant à manifester sa réticence face au Vatican actuel, R. Brague envisage un moment que le pape actuel puisse proférer une stupidité.

Souleymane Bachir Diagne est un philosophe sénégalais. Il est actuellement professeur de philosophie à l’Université Columbia à New-York après avoir enseigné vingt ans la matière en Afrique. Il se donne comme un homme ouvert, personnellement monogame et hostile à la polygamie. Il se réfugie vite dans des interprétations lénifiantes du texte coranique et se retranche et se referme plus d’une fois derrière le milliard et demi de musulmans dans le monde, chiffre qui lui semble clore le débat. J’y reviens plus loin.

Le schéma du dialogue repose sur un questionnement de l’islam et du Coran. R. Brague attaque et B. Diagne défend. Si, les deux interlocuteurs sont de religions différentes, ils sont tous deux très croyants. Selon les cas, ils convergent ou divergent et c’est parfois plus complexe encore. Ils peuvent se donner la main pour éluder un problème ou pour le déplacer. L‘athée ne peut qu’être vigilant en examinant quelques points particulièrement saillants de la controverse.

Dénoncer l’islamophobie pour restreindre la liberté

Lors d’un moment de discussion historique avec R. Brague, B. Diagne tranche : « La question n’est pas de savoir ce qui s’est passé exactement sur le plan historique, mais ce que croient les musulmans ». D’une certaine manière, la formule n’est pas dépourvue de sens (je dirais que Jésus ait existé ou non, le plus important est que quelques décennies après la date de sa mort, il y avait des chrétiens) mais c’est commodément écarter le poids de l’histoire. C’est surtout écarter le tranchant du vrai et du faux et discréditer toute contestation, très vite au nom de l’islamophobie. Bien entendu, R. Brague ne peut le suivre : l’Incarnation doit être une réalité historique pour un catholique traditionnel.

B. Diagne adopte un raisonnement de même type face la question de l’historicité de la reconstruction de la kaaba à La Mecque par Mahomet. Pour lui il faut distinguer la logique du vrai et celle du sens et conclut « Voilà ce que croient un milliard et demi de musulmans ». La vérité lui semble bien peu de chose.

Que l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel (2008), qui soutient, contrairement aux idées reçues, que l’héritage grec s’est transmis directement par Constantinople et que les Arabes n’ont en réalité pas joué grand rôle dans ce transfert, soit contesté par de nombreux spécialistes – mais pas tous – est certain, mais imaginer que c’est l’islamophobie qui a incité Gouguenheim à défendre sa thèse est absurde. Je dirais même l’inverse : ce qui a gêné bien des spécialistes et suscité des réactions virulentes sous des formes inhabituelles pour un débat d’histoire intellectuelle médiévale particulièrement pointu (des pétitions de médiévistes dans la grande presse), c’est le refus irrationnel de voir entacher et diminuer le rôle de musulmans et ce pour des raisons strictement contemporaines.

Ce point est un cas de nette opposition entre les protagonistes. On peut aller plus loin dans la question de l’islamophobie. B. Diagne tire de quelques problèmes la conclusion que « L’idée simple qu’il faut traiter les autres avec respect est en train de disparaître chez beaucoup ». L’invraisemblance quant aux faits est énorme.

R. Brague, en revanche, voit bien (ce n’est peut-être pas si spontané, un livre l’a accusé d’islamophobie savante en 2009 – il avait jugé favorablement le travail de Gouguenheim) qu’il y a chez B. Diagne une confusion entre le respect des idées et celui dû aux hommes. Il relève que le terme « islamophobie », construit sur des mots comme « agoraphobie » ou « claustrophobie » renvoie à une maladie mentale. Il aboutit à s’interdire tout jugement de valeur. Je devrais conclure que le musulman sénégalais, si occidentalisé en apparence, reste hermétique à la modernité démocratique mais à voir l’état des débats sur l’islamophobie en Europe (heureusement Henri Pena-Ruiz a tenu bon !), je ne suis plus très sûr du sens de la liberté sur notre continent.

Islam et liberté

Un chapitre est consacré à la liberté dans l’islam. Remarquons d’abord, avant d’examiner ce qu’on nous donne, qu’on n’y consacre pas une ligne à l’oppression ordinaire dans beaucoup de pays à majorité musulmane sur le plan général et spécialement en matière religieuse. Quand, par ailleurs dans le livre, R. Brague soulève cette question, B. Diagne sort l’exemple providentiel de la Tunisie, sans noter qu’il est largement isolé.

Un autre chapitre, plus attendu, traite du célèbre verset « Pas de contrainte en religion » (sourate 2, verset 256).

R. Brague et B. Diagne, loin de s’interroger sur les contradictions entre le Coran et la pratique réelle ou sur ce qu’implique le Coran, conviennent tous deux que le verset n’est pas une interdiction mais un constat :

lorsqu’on est dans la religion vraie, on ne ressent aucune contrainte, car la vérité se distingue elle-même de l’erreur. Lorsqu’on est dans la vraie religion, on y est comme un poisson dans l’eau,

déclare R. Brague. Évidemment reste la question de la « vraie » religion et B. Biagne a tôt fait de répliquer que le verset ne contient pas le mot « islam ». Pour lui le texte veut dire c’est la foi en un Dieu unique qui est première chez l’humain, c’est-à-dire que le monothéisme précède toute détérioration polythéiste. L’argument est purement théologique et arbitraire. Le monothéisme est tardif et l’histoire de son apparition même dans le judaïsme est fort longue[4]. La question est que pour B. Diagne, cette situation originelle fait qu’« il est de notre responsabilité individuelle de nous souvenir du Dieu un ». Mais à ce compte, quel est le statut de celui qui ne s’en souvient pas ? Est-il un humain pour Bachir Diagne ? R. Brague reste coi là-dessus.

Dans le chapitre sur la liberté, on a le même évitement. Le débat, intéressant par lui-même, porte sur la question de savoir si l’humain est libre dans ses actions ou s’il suit une voie prédéterminée. R. Brague oppose au musulman la question du fatalisme musulman et le verset « Dieu vous crée et crée ce que vous faites ». La réponse de B. Diagne est catégorique :

L’homme qui comprend réellement qui il est comprend qu’il ne pourra se réaliser qu’en s’identifiant à la volonté de Dieu. Du coup, la distinction entre la volonté humaine et la volonté divine n’a plus de sens.

On est là en plein mysticisme, royaume de l’affirmation gratuite et fermée. À ce stade, les athées ne peuvent évidemment plus comprendre.

Raison et foi

Un chapitre révélateur et, peut-être, étonnant traite de la raison en islam. Les deux compères font d’emblée très fort pour des croyants. Rémi Brague commence par dire qu’« on peut être chrétien et intégralement rationaliste » (je ne chipoterais que l’adverbe) et poursuit en affirmant que « [l]es chrétiens sont les seuls rationalistes, car ce sont les seuls à croire que Dieu est lié à a raison ». Quant à Bachir Diagne, il déclare tout de suite abruptement : « Je suis moi aussi un rationaliste forcené ». Question de se donner un peu de crédibilité, B. Diagne fait fond sur le cas du philosophe arabe rationaliste né à Cordoue, Averroès (mort en 1198), qui dit dans son Traité décisif que non seulement la démarche rationnelle est permise mais qu’elle est même obligatoire. Si le texte révélé semble en contradiction avec la raison, il faut, selon Averroès, interpréter le texte sacré pour le concilier avec la raison. Comme il le fait à plusieurs reprises, B. Diagne appelle à son secours les mutazilites, les représentants du courant rationaliste des débuts de l’islam, qui vont jusqu’à remettre en cause le caractère incréé du Coran.

R. Brague a beau jeu de rétorquer qu’Averroès a été finalement démis de ses hautes fonctions de juge de haut rang à Séville, condamné et exilé et que de toute manière il n’a pas eu d’écho dans le monde musulman. Immédiatement après lui, commence la pétrification de l’islam. Du côté sunnite, il n’y aura pas de philosophe avant de très nombreux siècles. Quant aux mutazilites, ils sont défaits au IXe siècle et disparaissent le siècle suivant. Il est malaisé dès lors pour un musulman de se réclamer du rationalisme. La réponse de B. Diagne est qu’un seul exemple suffit à infirmer la règle générale de l’absence de philosophie musulmane pendant près d’un millénaire.

Mais sa vraie réponse est ailleurs. Immédiatement après avoir formulé sa déclaration de rationalisme forcené, il ajoute : « Mais je crois également […] que le mysticisme fleurit à l’extrême pointe de la raison ». Il n’est pas le premier mystique à dire cela.

Dans son allocution de Ratisbonne du 12 septembre 2006 qui a suscité tant de remous dans le monde musulman, Benoît XVI opérait une classification que j’avais trouvé un peu surprenante en ce qui concerne l’islam [5]. Il positionnait le catholicisme comme la parfaite harmonie entre le rationalisme des Lumières et un islam intégralement dédié à la foi. Je crains qu’à suivre B. Diagne, il me faille donner raison à l’ancien pape. Si la raison n’est faite que pour accéder au mystique, on est fondamentalement dans le mystique.

Le ping-pong de l’interprétation du Coran

Terminons par le point central de l’interprétation du Coran. Même si je ne suis pas arabisant, ma perplexité est grande ici aussi.

À plusieurs reprises, R. Brague propose un verset du Coran, à ses yeux indubitablement embarrassant pour un musulman. C’est le cas par exemple de la sourate 9, verset 5 : « Tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades ». B. Diagne réplique, certes, que la Bible (il veut dire l’Ancien Testament) autorise de réduire un peuple à néant – ce qui est exact – et confesse que, en revanche, les Évangiles sont pacifiques – ce qui est également exact – mais s’empresse de dire que s’il est vrai qu’il y a bien dans le Coran des versets qui appellent à combattre, il y en a aussi d’autres, qui ne sont pas belliqueux. Il continue en formulant sa théorie sur ce genre de problème en objectant que si on lui oppose un verset qui dit noir, il en trouvera toujours un autre qui dit blanc, ce qui n’est en effet peut-être pas impossible. Il parle de « ping-pong inutile » qui ne peut mener à quoi que ce soit.

Plus surprenant, il ne réplique rien de précis quand Rémi Brague veut lui exposer que l’interprétation des versets coraniques n’est pas possible au sens occidental du mot et pour cela lui propose le verset (33,59) qui dit, dans la traduction qu’il utilise, « Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes de se couvrir de leurs voiles ». R. Brague en conclut que l’obligation du voile ne se discute pas dans son principe et ne peut l’être que dans la forme et l’étendue du voile. La situation de ceux des dogmes catholiques promulgués depuis le Concile de Vatican I en 1870 sous le couvert de l’infaillibilité pontificale aboutit à la même chose, mais soit.

Pourtant B. Diagne a ordinairement recours à la traduction du Coran de Jacques Berque, souvent considérée comme la plus fiable par les non-croyants. Or Berque ne traduit pas par « voiles » mais par « mantes », en précisant bien en note que le voile, le fichu couvrant la tête, est un autre mot en arabe coranique [6]. Allez savoir…

On est entre croyants, ce qui évite de devoir poser la bonne question : quel sens y a-t-il à recourir à un texte, ou des textes, obscurs, contradictoires, ininterprétables ? Quand se décideront-ils à poser cette bonne question ?


Notes

  1. Au début de 2019, François Déroche, titulaire de la chaire « Histoire du Coran. Texte et transmission » au Collège de France a publié le Coran, une histoire plurielle. Essai sur la formation du texte coranique, Paris, Seuil, 2019, 302 p., et, fin novembre de cette même année, Guillaume Dye (ULB) et Mohammad Ali Amir-Moezzi (École Pratique des Hautes Études) publiaient un copieux ouvrage collectif de 3.408 pages en trois volumes, Le Coran des historiens, Paris, Éditions du Cerf, 2019 (présentation dans Le Soir du 27 novembre 2019). ↑
  2. Patrice Dartevelle, « Le Coran en libre-service », mis en ligne le 21 octobre 2018 sur athees.net, disponible dans le volume 6 (2019), pp. 67-79 de la revue L’Athée. L’article portait sur le débat entre l’athée Sam Harris et le musulman Maaajid Nawaz publié dans L’islam et l’avenir de la tolérance, 2012. ↑
  3. Rémi Brague et Souleymane Bachir Diagne, La controverse. Dialogue sur l’islam, Paris, Stock/Philosophie Magazine Éditions, 192 p. L’entretien est mené par Michel Eltchaninoff. ↑
  4. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Thomas Römer (professeur au Collège de France), L’invention de Dieu, Paris, Seuil, 2014 (2017 dans la série Points-Histoire, version que j’ai lue). ↑
  5. Patrice Dartevelle, « Le théologien et les mosquées », Espace de libertés N° 347 (novembre 2006), pp. 26-27. ↑
  6. Jacques Berque, Le Coran. Essai de traduction, Paris Albin Michel, 1990 et 1995, édition de poche 2002 que j’ai utilisée. ↑
Tags : Benoît XVI coran foi ISLAMOPHOBIE liberté d’expression mysticisme raison voile

Fourest islamophobe ? Info ou intox ?

Posté le 12 février 2012 Par ABA Publié dans Athéisme, Laïcité, Religion 1 Commentaire

 

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