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Archives par mot-clé: Mark Twain

La Plume de Satan

Posté le 21 octobre 2018 Par ABA Publié dans Athéisme, Philosophie Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

 

Comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant. On trouve face à face l’enquêteur Juste Pape et le suspect Mark Twain, soupçonné d’être « la plume de Satan » ou à tout le moins, son éditeur. Les réponses attribuées dans ce texte à Mark Twain proviennent du dossier de l’Inquisiteur.

 

 

Bonjour, Monsieur Twain. Je dois vous rappeler – c’est la procédure – que je m’appelle Juste Pape, l’enquêteur de l’Ovraar[2], chargé de votre dossier. À la suite de la transmission en haut lieu du procès-verbal de notre précédente rencontre[3], j’ai été convoqué au plus haut sommet et je me suis vu intimer l’ordre comminatoire de vous inquisitionner à nouveau, car on a découvert des éléments qui semblent vous incriminer.

Bonjour, Révérend, abrégeons et venons-en aux faits. Vous m’accusez ; soit, mais de quoi ?

Monsieur Twain, je ne vous accuse pas. J’enregistre vos déclarations. On – vous voyez de qui je parle – m’a dit que vous avez publié des lettres d’un dénommé Satan, qui n’est pas en odeur de sainteté, un archange rebelle et banni par Sa Hauteur Elle-même, tellement sulfureux que tous écrits de sa part sont interdits, leur publication considérée comme un crime de haute trahison. Vous ne pouvez ignorer que cette édition de lettres de Satan établit votre complicité avec cet ennemi du Tout-Puissant.

Ah ! Je vois, Révérend, encore cette foutue censure qui s’en prend à l’éditeur à défaut de pouvoir atteindre l’auteur.

En effet, Monsieur Twain, nous ne pouvons atteindre l’auteur et depuis qu’Il l’a exilé, on ne sait où il est passé. Vous, on vous connaît et on sait où vous trouver.

Révérend, un Tout-Puissant qui n’arrive pas à retrouver Satan et qui n’est pas capable de se faire obéir n’est plus vraiment un Tout-Puissant et on peut se demander ce qu’il en est du reste de ses prétentions.

Monsieur Twain, le livre que vous avez signé, est intitulé Letters from the Earth et publié en français sous le titre : Quand Satan raconte la Terre au Bon Dieu[4]. Il y a onze lettres. Je dois savoir si vous les avez retranscrites sous la dictée de ce Satan. Ne me dites pas que vous en ignoriez le caractère subversif, car vous avez demandé qu’elles soient publiées longtemps après votre mort. Il a fallu attendre un demi-siècle. Certes, il y a le précédent du curé Jean Meslier, mais cela démontre votre intention et comme le dit l’adage : « L’intention constitue le crime ».

Moi, Satan, je ne l’ai jamais rencontré. Cependant, Révérend, raisonnons un peu. Satan est le fruit d’une imagination fertile et je n’ai fait que recourir à sa figure métaphorique pour exposer mes idées. Mais s’il vous plaît d’incriminer Satan, faites-le, il ne risque rien.

Je propose, Monsieur Twain, de procéder par ordre. Dans la première lettre, Satan tourne en dérision la relation de l’homme avec son Créateur. Il insinue qu’aucune prière de l’homme n’a jamais reçu de réponse et que pourtant, ce dernier « continue à prier tout pareil »[5]. Il s’amuse de ce que l’homme croit qu’il va aller au ciel et qu’il existerait un enfer au feu éternel.

Eh bien, Révérend, n’est-ce pas la réalité ? Il y a des « docteurs salariés » : prêtres, pasteurs, que sais-je ?, qui débitent de telles inepties. La sagesse populaire juive en sait quelque chose, elle qui dit : « On ne pose pas de questions à Dieu. On a déjà essayé. Il ne répond pas… »[6]

Monsieur Twain, dans la deuxième, vous ou Satan – ce qui revient au même, vous vous moquez du paradis.

Satan ne se moque pas du paradis, il décrit ce qui s’y passe et il n’a pas tort. Imaginez une éternité à faire des choses qui rebutent : prier, chanter des louanges, vivre dans une atmosphère d’église. De l’adolescence à l’âge mûr, les hommes attachent à la copulation plus de prix qu’à tous les autres plaisirs. On la bannit du paradis et On la remplace par la prière, qu’ils ne prisent pas particulièrement. Et là-haut, tout le monde doit chanter, c’est un chœur universel qui ne s’interrompt qu’à la nuit et on n’y chante qu’un seul hymne : « Hosanna, hosanna, hosanna et rah-rah, zim boum boum, hannah, hannah, hannah…»[7] à l’infini. Et il faut jouer de la harpe, tous. Résultat : des millions de harpistes incompétents et des millions de choristes enroués, un chahut permanent. Il n’y est pas question d’art, de poésie, de pensée. À l’analyse, ce ciel doit inclure, tout ce qui est pour l’homme, objet de répulsion, et exclure, tout ce qu’il aime ! Dans ce sabbat éternel, on s’ennuie ; seuls des saints peuvent supporter les félicités de cet asile d’aliénés[8].

Je vois, Monsieur Twain. Passons à la troisième lettre, où vous vous en prenez aux religions et à la Bible.

L’homme a inventé des milliers de religions et il en invente encore. Il n’y a rien à redire, c’est la vérité. Quant à la Bible, Satan dit que c’est un livre plein d’intérêt : rempli de poésie, de légendes, d’histoires sanguinaires, de leçons de morale, d’obscénités et de mensonges. Une réussite pour un livre aussi ancien, qui copie tout ce qui a marché dans les Bibles antérieures. C’est la formule du best-seller. Et, c’en est un.

Et, Monsieur Twain, quid de la création du monde ?

Satan remet les pendules à l’heure : la Bible raconte certaines choses et la réalité est tout autre. Depuis des siècles, l’astronome chrétien sait que Dieu n’a pas créé le monde en six jours ; il le sait, car c’est astronomiquement impossible, mais il feint de l’ignorer, tout comme fait le prêtre. Pareil pour la durée de l’Univers : ils savent qu’il existe depuis des milliards d’années, mais ils s’en tiennent à la durée biblique de six mille ans. Je les comprends, car ce serait bien le diable si la Bible était fausse.

Et que dites-vous, Monsieur Twain, de la création de l’homme, d’Adam et Ève et de tout ce qui s’ensuit ?

Je passe l’affaire du fruit défendu, du serpent vertical et autres fariboles. Dieu a créé l’homme et la femme nus ; il aurait dû les créer habillés ou couverts de suffisamment de poils comme les ours ou les chats, pour qu’ils puissent vivre à poil sans se soucier de la pudeur ou des variations de température. Le Tout-Puissant a créé l’homme éternel et ensuite, il l’assassine, lui et tous ses descendants, par milliards. Et pourquoi ? On ne le sait pas. Le Tout-Puissant fait l’homme à son image, un être asexué ; puis, il lui impose la femme, le sexe et les punit – homme, femme, enfants et tous les descendants parce qu’ils usent librement de leur vie. Même le divin Marquis n’aurait pu imaginer menée plus sadique.

Monsieur Twain, calmez-vous. Expliquez-moi la quatrième lettre.

Avec l’invention du sexe et de la procréation, le Tout-Puissant avait ouvert une boîte de Pandore qu’il mit du temps à pouvoir refermer (provisoirement) par l’interlude aquatique de Noé. En fait de Pandore, Il a copié sur elle intégralement le mythe de la création de l’homme. Longtemps, le sexe dut se pratiquer en famille ; par force, il n’y avait personne d’autre. Tout le monde couchait avec tout le monde ; il y fallait du rendement (« Croissez et multipliez ! ») et chacun y mit du sien. On ne s’ennuyait pas. De jalousie (Il disait : « Je suis un Dieu jaloux ! »), le Tout-Puissant mit le holà et noya tout ce monde, sauf Noé et sa famille stricto sensu et des échantillons de diverses autres espèces. En réduisant le vivant à la famille Noé et aux échantillons, il relança la foire à l’inceste. Le plus drôle, Révérend, c’est que la religion interdit l’inceste.

L’inceste est très sévèrement prohibé, Monsieur Twain. La cinquième lettre me paraît sarcastique.

C’est vite dit, Révérend. Si Noé avait eu toutes les données du problème, il aurait su qu’il ne pouvait caser tout dans une seule arche. Est-il sarcastique de rappeler le désarroi, le désespoir, la désespérance de ces pères, ces mères, ces enfants accrochés aux rochers sous une pluie diluvienne et qui virent partir l’arche salvatrice, sans compter tous les autres animaux condamnés à périr ? A-t-on vu dans l’Histoire plus grand massacre d’innocents ?

Monsieur Twain, parlez-moi de la sixième lettre et de cette mouche.

Ah, la mouche ! Sur instructions spéciales, Noé avait chargé des billions de mouches et des tonnes d’immondices pour les nourrir. Après quelques jours de navigation, Dieu lui a dit qu’il avait oublié une mouche ; demi-tour et Noé retrouva « la » mouche sur son tas de cadavres. Ce n’était pas un hasard (avec Dieu, il n’y a pas de hasard), car cette mouche-là sur ces cadavres-là avait cueilli le typhus et mille autres germes qu’elle avait comme mission de répandre – avec l’aide de ses sœurs et de leur descendance – parmi les humains. Ainsi, pour ce Dieu jaloux, le déluge ne suffit pas. Il a inventé la maladie pour tourmenter l’enfant, la femme, l’homme de la naissance à la mort et même les animaux. Et pourquoi ? Seule réponse : la jalousie de ce Forcené.

Monsieur Twain, votre opinion sur cette septième lettre.

Oh, Révérend, elle ne fait que rapporter l’œuvre de Dieu selon la Bible. L’arche était un immense foutoir ; en application de l’instruction divine : « Croissez et multipliez ! », ça baisait tout le temps. Les mouches déposaient leurs œufs partout : sur la nourriture, sur les crânes, sur les lèvres, dans les yeux, etc. Ainsi, Noé, famille et compagnie, animaux compris, avaient hérité des suites de l’inceste généralisé ; ils se faisaient tares, par consanguinité et bénéficiaient de la vaste panoplie des virus. Cependant, Dieu, méticuleux, y ajouta les microbes qui offraient aux humains les preuves tangibles de Son Amour. Le gros intestin devint l’Éden des microbes et l’Éternel réserve ces merveilleux traitements préférentiellement aux pauvres. « Heureux les pauvres… ».

Monsieur Twain, c’est subversif. Venons-en à la huitième lettre.

Quand Dieu crée le monde et l’homme tels qu’ils sont, Il impose et grave au plus profond leur tempérament, leur système de fonctionnement et ses règles et ensuite, Il s’empresse d’inventer des Lois que les créatures ne peuvent qu’enfreindre. Ainsi le bouc à qui le Créateur a octroyé un tempérament lascif. À la saison du rut, il s’y emploie de toutes ses forces et même au-delà. Si Dieu disait à ce bouc : « Tu ne forniqueras pas ! », un enquêteur impartial trouverait ce précepte inapplicable et pervers. Eh bien, Dieu l’impose à l’homme. D’un côté, « Croissez et multipliez ! » ; de l’autre, « Tu ne forniqueras pas ! ». Vous me direz, il y a le NOMA, mais une telle ségrégation des genres imposerait que la religion ne mette pas son nez dans la fornication. Vous voyez le nœud du problème ? Enfin, il faut tenir compte de la physiologie : la femme dispose d’un réceptacle toujours ouvert et l’homme d’un instrument au fonctionnement limité dans l’usage et la durée ; dès lors, il serait logique que les harems soient constitués d’hommes.

Laissez les harems, Monsieur Twain, et parlez-moi de la neuvième lettre.

Un Créateur omniscient et maître du monde qui assassine ses créatures et détruit son œuvre par jalousie, dépit ou représailles, est soit un idiot, soit un sadique ou les deux. Ce Dieu est cruel, injuste et stupide de reprocher aux autres ses propres erreurs ; tel est l’argument, impossible à réfuter.

Monsieur Twain, et la dixième lettre ?

Elle traite de la vie, la mort et l’enfer. La vie n’est un rêve malsain, peuplé de misères et de douleurs. Quant à la mort, elle a trompé les attentes divines. Elle devait punir l’homme, mais elle se révéla sa meilleure amie. Libératrice, elle lui a offert une éternité de paix. Ce bonheur tranquille a fortement déplu à l’Éternel, qui ne pourrait jamais en bénéficier. La tranquillité pour des milliards d’humains et les tracas et les soucis pour lui seul, c’était insupportable ; il fallait que l’homme fût tourmenté ; alors, Dieu inventa le paradis et l’enfer. Conscient de la nécessité de mettre de la vaseline pour faire passer la chose, il en confia l’annonce à son fils qui se révéla un doux sauveur suave des plus redoutables. Ce Divin Enfant qui aime la souffrance au point de se l’infliger à lui-même, est à l’origine des croisades, des bûchers, de l’Inquisition ; on entend encore le cri lancé à Béziers par le légat du Pape : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! ».

Monsieur Twain, finissons-en, j’en ai des haut-le-cœur.

Moi aussi, j’ai la nausée quand je pense à la duplicité d’un Dieu assassin qui impose la mort et qui déclare : « Tu ne tueras pas » et aux supplices qu’Il fait subir à l’humanité et aux horreurs, rapportées dans sa Bible. Celles par exemple qu’il fit infliger aux Madianites. Il ordonna de les tuer tous, sauf les pucelles. Le destin des 32 000 vierges fut plus clément ; elles pouvaient encore servir. On les déshabilla, on les sonda – il fallait bien vérifier leur état et on les offrit aux hommes, même aux prêtres. Pour faire quoi ? Certes, Il a inventé d’autres horreurs depuis et, si on le laisse faire, il en suscitera encore. C’est l’effet de Sa Miséricorde : « Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira de vous toute sorte de mal… »[9] et dire qu’il est des gens pour Le croire et pour louer Sa Sagesse à ce faux-cul de Triple Dieu des chrétiens qui n’est qu’une copie de la triade sacrée des Égyptiens qui connaissaient une sainte famille plus saine, plus logique et plus conforme : Dieu le Père, Dieu la Mère et Dieu le Fils ou de la triade romaine composée de Jupiter – dans le rôle du père, de Junon – dans le rôle de la Mère et de Minerve dans le rôle de la Fille.

Mes respects, Révérend.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain
  2. OVRAAR : organisme secret à vocation de police politique, dont le nom est un sigle dont le nom de baptême est calqué pour partie sur celui de l’Ovra, dont l’historien Luigi Salvatorelli indique qu’il pourrait signifier : « Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d’en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu’ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois », et pour la fin sur celui de l’UAAR (Unione degli Atei e Agnostici razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes italiens), gens qu’il s’agit de surveiller et éventuellement, de réprimer.
  3. La confession épique de Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain
  4. Mark Twain, Quand Satan raconte la Terre au Bon Dieu, Les Cahiers rouges, Grasset, Paris, 2013, 248 p.
  5. Ibid., p. 24.
  6. Sholem Aleikhem, La peste soit de l’Amérique, Piccolo, Liana Levi, Paris, 2013, p. 59.
  7. Mark Twain, op. cit., p. 28.
  8. Ibid., p. 32.
  9. Ibid., p. 85.
Tags : athée caché athéisme écrivain Juste Pape Mark Twain morale Paradis satan USA

La confession épique de Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain

Posté le 10 juillet 2018 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant. On trouve face à face l’enquêteur Juste Pape et le suspect Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain. Les réponses attribuées à Mark Twain dans ce texte proviennent des sources secrètes qui ont alimenté le dossier de l’inquisiteur.

Pour situer le personnage, Mark Twain, né à Florida (Missouri) en 1835 et mort à Redding (Connecticut) en 1910, est un écrivain étasunien du XIXe siècle. Son œuvre est multiple. On retient habituellement et principalement Les Aventures de Tom Sawyer, Les Aventures de Huckleberry Finn, mais il fut tellement prolifique qu’on ne peut que citer les principales parmi les nombreuses autres publications, dont La Célèbre Grenouille sauteuse du Comté de Calavéras, Le Prince et le Pauvre, La Tragédie de Pudd’nhead Wilson et la Comédie des deux Jumeaux extraordinaires, Trois mille ans chez les Microbes, La Vie sur le Mississippi, Le Tour du Monde d’un Humoriste et son immense Autobiographie de Mark Twain.

Bonjour, Monsieur Mark Twain. Je m’appelle Juste Pape. Je suis l’enquêteur de l’Ovraar[2] en mission spéciale. Vous êtes bien Mark Twain, l’humoriste ?

Monsieur l’Inquisiteur, je vous salue et je vous fais remarquer que je ne suis pas que Mark Twain. Pour tout dire, je vous renvoie au toast de mon cinquantenaire, porté par Oliver Wendell Holmes en 1885 :

Il nous faut donc boire à sa santé :

Mark Twain est le bébé de Clemens[3]
Qu’est-ce que vous dites ? Vous n’êtes pas Mark Twain ?

Écoutez, Révérend, je préfère vous donner ce titre plus révérencieux et plus conforme aux habitudes des bords du Mississippi. Sachez que Mark Twain est le nom d’un écrivain que j’incarne, moi, Samuel Langhorne Clemens. Je suppose que vous savez ce que veut dire incarner et que je ne dois pas vous faire un dessin. Pour plus de certitude, je prends un exemple dans votre religion : concrètement, Mark Twain m’incarne tout comme l’homme que vous appelez Jésus disait incarner Dieu en tant que personne. Je vous passe les détails, vous les connaissez. La seule différence et elle est notable, c’est que Mark Twain a réellement écrit de sa propre main des livres que vous pouvez trouver dans les meilleures bibliothèques et que par ailleurs, il est peu probable que Dieu ait écrit de sa main les livres « sacrés » qu’on lui attribue. La différence aussi, c’est qu’on n’a jamais obligé les enfants à lire les livres de Mark Twain, car comme l’établissent de nombreux témoignages, les jeunes les lisent sans qu’on leur demande ; tandis que pour ce qui est des livres religieux, la situation est fort différente. D’autre part, contrairement à votre Messie, Mark Twain n’a jamais suggéré aux gens de le manger, ni de boire son sang, ce qui sont là des manières dignes d’un peuple de vampires. Ensuite, vous noterez que Mark Twain n’a jamais prétendu que ses livres étaient des textes sacrés et enfin, ses écrits n’ont jamais servi de prétexte pour rôtir ou massacrer des gens.

Bien, bien, ne vous énervez pas, Monsieur Clemens. Je note que vous avez choisi comme nom littéraire Mark Twain et, en tant que Mark Twain, vous avez quand même en quelque sorte hérité de la culture et des idées de Samuel Langhorne Clemens.

En quelque sorte, oui. Voyez-vous, Révérend, c’est un peu une situation comme celle de la transsubstantiation, mais une transsubstantiation qui fonctionnerait à double sens, dans laquelle Clemens s’est transformé en Twain et en retour, Twain se transforme en Clemens. C’est un phénomène récurrent. Par ailleurs, je suis également un miracle à l’envers, si je puis ainsi dire et cette situation paradoxale m’a poursuivi toute mon existence. Il s’agit d’un mystère aussi troublant que celui de la Trinité et, dès lors, vous n’aurez pas de mal à l’admettre. Je vous explique ce miracle : à la naissance, nous étions jumeaux, mon frère William et moi, et un des deux est mort. Et, figurez-vous, Révérend, que celui qui s’est noyé dans le bain, c’était moi – je m’en souviens très bien à cause de ce grain de beauté sur la main gauche[4]. Après, il y a eu un échange de substances entre lui et moi. Ce n’est sans doute pas sans rapport avec le choix de ce nom de Twain comme hétéronyme, car en anglais, le mot twain signifie tout simplement deux et également, paire, couple, dualité… Ainsi, je suis réellement double et même triple, car il faut y ajouter l’esprit de Bill, comme je viens de vous le révéler. Mais appelez-moi Twain !

D’accord, je vous appellerai Twain, car vous êtes Twain et c’est sur ce Twain qu’est construit mon dossier. Twain est le suspect qu’il m’est demandé d’interroger et ce sont ses écrits qui sont les pièces du dossier.

Eh bien, Révérend, je ne peux que féliciter votre dossier, car il a probablement saisi l’essentiel de la transsubstantiation de Clemens en Twain – de l’homme en écrivain. Cependant, Mark Twain et Sam Clemens ne s’entendaient pas vraiment. Clemens était un monsieur rangé, nanti d’une épouse charmante, une femme à principes assez sévère, et Twain était resté pareil à lui-même et au jeune Sam de l’enfance au bord du fleuve.

Ensuite, Twain, j’ai ici des citations qui sont – à nos yeux – des indices de votre irréligiosité, pour ne pas dire de votre athéisme caché. Par exemple, vous avez écrit :

Je lève mon verre à la majestueuse matrone appelée chrétienté… avec son âme pleine de méchanceté, sa poche pleine d’oseille et sa bouche pleine de pieuses hypocrisies. Donnez-lui un savon et une serviette, mais cachez le miroir[5].

En effet, j’ai dit, j’ai même écrit ça et s’il fallait le réécrire, je le ferais volontiers. Et puis quoi, monsieur l’Inquisiteur ?

Et puis, Twain, dans Une Histoire américaine[6], le premier volume de votre monumentale autobiographie, vous en prenez à l’aise avec la très sainte Providence et même, avec la Création. Vous écrivez – notamment – ceci :

puisque l’homme, sans aucune aide, inventa tout lui-même. J’avance cette conclusion, car je pense que si la Providence avait eu la moindre idée de l’aider, elle aurait eu l’idée de le faire quelque cent mille siècles plus tôt. Nous avons l’habitude de voir la main de la Providence en toutes choses… Lorsque la Providence jette l’un de ses vermisseaux à la mer à l’occasion d’une tempête, puis l’affame et le gèle… avant de le rejeter sur une île déserte… pour être finalement sauvé par un vieux bandit de capitaine irréligieux et blasphémateur sacrilège… le vermisseau oublie que c’est la Providence qui l’a jeté par-dessus bord et ne se rappelle que le sauvetage par la Providence… jamais il ne se laisse aller à de francs remerciements chaleureux et sans retenue envers le vieux et rude capitaine qui est celui qui l’a réellement sauvé[7].

Encore une fois, Révérend, n’ai-je pas raison ? Les seules choses réelles dans cette histoire, ce sont le naufragé, la tempête, le capitaine et le sauvetage ; quant à la Providence, c’est une élucubration d’un de vos collègues.

Certes, Monsieur l’écrivain, je n’ai guère l’espoir de vous amener à résipiscence, d’autant que vous avez tout autant maltraité la Création ; pour la clarté de mon accusation, je rappelle que la Bible enseigne que « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme » (Genèse 1.27) et on apprend ça au catéchisme. Et vous, que dites-vous ? Je vous cite à nouveau :

Enfin apparut le singe et tout le monde put voir que l’homme n’était plus très loin à présent. Et, en vérité, il en fut ainsi. Le singe continua à se développer durant cinq millions d’années et ensuite il se transforme en homme, manifestement. Voilà l’histoire. L’homme est ici depuis trente-deux mille ans ».[8]

Qu’en pensez-vous ?

Oh, Révérend, ce que j’en pense est simple : avant l’homme, il n’y avait pas de Dieu ; après l’homme, il n’y a plus de Dieu ; sans l’homme, il n’y a pas de Dieu. Vous savez « Depuis lors [1866] jusqu’à aujourd’hui je n’ai plus été membre d’une Église. Je suis resté complètement libre en ces domaines. »[9]

Twain, non seulement, vous êtes impie et blasphémateur, mais vous êtes un « évolutionniste » de la pire espèce et un athée, même si vous avez pris certaines précautions en reportant la publication de votre autobiographie « cent ans après votre mort »[10].

Peut-être, Révérend, que je serais aussi assez matérialiste et, même, également déterministe, allez savoir. Je m’en vais vous dire comment je conçois Dieu et « pas n’importe quel dieu parmi les deux ou trois millions de dieux que notre espèce a fabriqués depuis qu’elle a presque cessé de se composer de singes… je veux dire le petit Dieu que nous avons fabriqué à partir des rebuts humains ; dont le portrait est fidèlement décrit dans une Bible dont nous avons déclaré qu’il en était l’auteur ; le Dieu qui a créé un monde aux dimensions d’une pouponnière… et qui a mis notre petit globe au centre… »[11].

Twain, vous avez été tellement prolifique que nous avons failli nous y perdre. Il nous a fallu arriver à la millième page de votre autobiographie pour trouver ce florilège de vos pensées impies contre Dieu et les écritures saintes. Vous vous en prenez à la Bible, à la Vierge Marie, à Dieu et même aux dieux d’autres religions.

Je m’en souviens fort bien et si j’ai pu l’écrire, c’est qu’à ce moment ma femme, ma bonne Livy, était morte et j’étais libre de m’exprimer sur ce sujet. C’est ce fameux chapitre dont, dans une lettre à mon ami Howells en 1906, je disais que « mes héritiers et ayants-droit seront brûlés vifs s’ils s’aventurent à le publier de ce côté de 2006 » et j’ajoutais : « Il y aura beaucoup de chapitres du même acabit si je vis 3 ou 4 ans de plus »[12]. Malheureusement, je n’ai pas trouvé le temps de les faire. Cependant, détaillons un peu ce florilège. D’abord la Bible. Ah, Révérend, si l’humour est la faculté de faire rire, alors, la Bible est sans aucun doute un des ouvrages des plus humoristiques qui ait jamais existé, d’un humour noir le plus souvent. Évidemment, une telle lecture suppose qu’on ait un minimum de « sense of humour ». La Bible est un recueil drôlatique de contes et légendes et d’anecdotes de paysans crédules, superstitieux et analphabètes. Quant à Dieu tel que le présente la Bible, c’est « un homme chargé et surchargé de pulsions mauvaises qui dépassent de loin les limites humaines ; un personnage avec lequel personne, sans doute, ne voudrait s’associer maintenant que Néron et Caligula sont morts ».[13] La Vierge Marie et son Immaculée Conception est une vieille resucée de nombre de religions antérieures : les Hindous ont acquis Krishna par l’Immaculée Conception, les Bouddhistes, Gautama par le même procédé ; c’était il y a 2 500 ans. Le seul témoin qui a pu en attester était un témoin fort intéressé, car c’était la Vierge elle-même. Sans doute fallait-il apaiser son mari. Jamais, un charpentier new-yorkais n’aurait accepté un tel bobard ; aujourd’hui, à New-York, aucun homme, aucune femme, aucun enfant n’accepterait d’y croire[14]. Quant à votre religion elle-même, elle « est terrible. Les flottes du monde entier pourraient naviguer en tout confort dans le sang innocent qu’elle a répandu. »[15]

Eh bien, Twain, ce sera tout. Mon rapport est secret et seule l’autorité supérieure en connaîtra le contenu et la conclusion.

Bien évidemment, cette vieille manie du secret, cette omerta ancestrale ! vous n’êtes pas Inquisiteur et jésuite pour rien. Un dernier mot, si vous le permettez : il me revient à l’esprit cette antienne d’une vieille piémontaise qui, au pied d’un crucifix, disait : « L’ù l’è mort, e mi sôn chi », ce que je traduis « Lui, il est mort et moi, je suis ici. » Vous voyez, révérend, c’est pareil pour moi : je suis encore ici et Samuel Clemens n’y est plus.

Et moi, Mark Twain, je serai ici tant qu’il y aura des hommes.

Mes respects, Révérend.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach. ↑
  2. OVRAAR : organisme secret à vocation de police politique, dont le nom est calqué pour partie sur celui de l’Ovra, dont l’historien Luigi Salvatorelli indique qu’il pourrait signifier : « Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d’en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu’ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois », et pour la fin sur celui de l’UAAR (Unione degli Atei e Agnostici Razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes italiens), gens qu’il s’agit de surveiller et éventuellement, de réprimer. ↑
  3. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain (t. 2). « L’Amérique d’un Écrivain », Tristram, Auch, 2015, 844 p., p 451. ↑
  4. Mark Twain, Une Interview, https ://short-edition.com/fr/classique/mark-twain/une-interview/. ↑
  5. Mark Twain, La prodigieuse Procession et autres charges, Agone, Marseille, 2011, 322 p., p.1. ↑
  6. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain, t. 1, ibid., 823 p. ↑
  7. Ibid., pp. 341-342. ↑
  8. Mark Twain, Cette maudite Race humaine, Actes Sud, Arles, 2018, 80 p., p.23. ↑
  9. Mark Twain, L’Autobiographie de Mark Twain, t. 1, op. cit., p. 491 ↑
  10. Harriet Elinor Smith, « Introduction », ibid., t. 1, p. 7. ↑
  11. Mark Twain, Ibid., t. 2, pp. 226-227. ↑
  12. Ibid., p. 810, 178. ↑
  13. Ibid., p. 227. ↑
  14. Ibid., p. 234. ↑
  15. Ibid., p. 235. ↑
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