Déraison et raison par Noël Rixhon

 DÉRAISON ET RAISON

 

 

Le mot du curé : Le prix d’une seule vie

 

Je reçois un e-mail, celui d’une maman. Ce qu’elle m’écrit est au cœur de l’actualité et m’a fortement interpelé :

« Nous avons eu une grande grâce cette semaine car Renaud [son fils de 17 ans] participait au Pukkelpop et pendant 5 heures nous n’avons pas eu de ses nouvelles ! Dès l’annonce du drame aux infos, nous sommes partis et nous l’avons cherché pendant plusieurs heures pour enfin le retrouver dans tout ce monde où beaucoup de jeunes étaient plus que choqués ! Pendant tout ce temps, je l’ai confié au Seigneur et j’ai eu confiance en lui ! Je te partage ce moment à la fois difficile mais très beau car « Comme les trouvailles sont belles alors et comme l’amour peut être très grand ! » Peux-tu prier avec moi pour les parents des 5 victimes et des blessés graves car cela doit être vraiment très dur à surmonter la perte d’un enfant ! »

 

Je contemple dans ce court récit l’amour d’une mère et le prix d’une vie. « Comme l’amour peut être très grand ! » dit-elle. Alors, je me pose la question…  Où les mères puisent-elles tant d’amour ? Les enfants s’en rendent-ils compte ? Et nous, réalisons-nous un peu à quel point nous sommes aimés par Quelqu’un de bien vivant ? J’ai une petite idée sur les réponses. Vous aussi certainement…

« Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur » (Isaïe 49,5)

 

Lettre de raison : une certitude qui donne du prix à la vie

 

Monsieur l’abbé,

Après avoir longuement hésité et au risque de vous importuner, je me résous enfin à réagir en toute franchise à la question qui termine votre « mot » dans le périodique de septembre. Ma réponse ne sera certes pas du tout celle que vous attendez… et je pense même qu’elle vous heurtera dans votre conscience d’homme de foi comme votre « mot » a heurté ma conscience d’homme et d’athée, qui s’est trouvé envahie par une avalanche de questions.

 

Qu’est-ce donc que ce « Quelqu’un » qui désignerait les rescapés d’une catastrophe, heureux d’être sauvés, mais également les victimes y perdant la vie, plongeant les leurs dans la peine et la souffrance ? La vie de ces derniers aurait-elle moins de prix que celle des rescapés qui, eux, bien sûr, rendent grâce avec les leurs… Mais, dans leur malheur, qu’ont-elles, les familles des victimes, à penser et à dire de leur Dieu ? Comment pourraient-elles, elles, se sentir aimées de lui, qui semble les avoir lâchées, privilégiant certains de ses enfants plutôt que d’autres ? Qu’a-t-il à voir, ce « Quelqu’un », dans les suites heureuses pour d’aucuns et les conséquences désastreuses pour d’autres, lesquelles en réalité n’étaient dues qu’aux aléas de la violence de l’orage, de la force et de la direction des vents ?

 

Et prier pour les victimes et leurs proches, n’est-ce pas se faire bonne conscience par des intercessions qui ne se justifieraient même pas si elles étaient entendues par celui à qui elles sont adressées ? Un papa qui aime ses enfants et connaît leurs problèmes ou leur malheur, a-t-il besoin qu’on intercède auprès de lui pour qu’il agisse ?

 

Lors de telles circonstances, n’assisterait-on pas à l’émergence d’une espèce de dérive teintée d’égoïsme de la foi sous une subtile apparence d’honorabilité ? La foi peut-elle se permettre de déraisonner, de défier la raison humaine au point de se discréditer ? Peut-être penserez-vous que je suis bien mal placé pour en parler ! Cependant, quand de telles questions vous viennent à l’esprit, il est bon, me semble-t-il, de les poser à qui les a soulevées (même involontairement), peut les entendre et les accueillir malgré leur apparente impertinence. En outre, des questions venues d’un regard extérieur, ça peut être utile !

 

Non sans faute d’avoir très sérieusement cherché, la foi m’est demeurée absolument étrangère et ne peut donc, à mon sens, m’apporter aucune réponse satisfaisante. Considérant les maux, malheurs et souffrances de notre monde, comment imaginer et admettre qu’un Être infiniment bon, parfait, omniscient, tout-puissant ait été à l’origine de ce monde sans doute merveilleux par certains côtés mais terriblement cruel par d’autres ? J’en suis arrivé à conclure  à l’instar de Stendhal que « la seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas » ! Cette certitude me fait d’autant plus donner du prix à la vie, celle d’autrui et la mienne, puisque nous n’en avons qu’une qui s’achève irrémédiablement à notre mort. Croyez bien que cet état de choses ne m’afflige ni ne m’effraie aucunement. Bien au contraire, il me responsabilise… Je me sens tout à fait indifférent à ce qu’il y ait ou non un au-delà !

 

Un silence absolu

 

En dépit d’une promesse de réponse du curé rencontré fortuitement, treize mois plus tard, c’est toujours le silence ! Qui s’en étonnerait ?

 

                  Noël Rixhon