
Un nonce venu des Pouilles à Bruxelles
Patrice Dartevelle

La santé de l’Église catholique belge est certes dans un triste état – au maximum 3 % d’assistants réguliers à la messe dominicale – et sa vie semble des plus atones.
Mais parfois, des éclats de voix parviennent aux oreilles du grand public. C’est le cas actuellement en Belgique. Le feu aux poudres est mis par le non-remplacement de deux évêques, ceux de Tournai et Namur, deux ans après avoir atteint l’âge de la retraite, soit 75 ans. Le cas de celui de Gand s’y est ajouté depuis mars 2025. Si celui de Namur, Mgr Pierre Warin, né en 1948, évêque depuis 2019, est peu répandu dans le grand public, l’autre, Mgr Guy Harpigny, également né en 1948, âgé donc actuellement de 77 ans, et évêque depuis 2003, est d’un tout autre calibre. Il intervient assez souvent dans la presse, participe à des débats publics et a été le leader des évêques belges dans la lutte contre la pédophilie chez les prêtres et dans l’Église. Il n’est pas vraiment homme à se taire.
Le 6 avril, le nonce apostolique à Bruxelles, Mgr Franco Coppola a débattu avec des fidèles au sanctuaire de Banneux.
Demandons-nous d’abord si c’est de cet endroit que va souffler un vent qui guérirait de ses maux, de ses « blessures », comme dit le nonce.
De la nostalgie de l’univers des Pouilles
Questionné par une personne du public sur l’absence de nominations en remplacement de deux évêques dans sa région, Mgr Coppola parle d’abord de situations difficiles mais surtout, il affirme qu’il faudrait « faire emprunter à l’Église belge et son [sic] diocèse de nouvelles voies[1] ».
Assez rationnellement, il constate que l’Église belge a une spécificité : « elle est confrontée à une société qui n’a plus besoin de Dieu ». C’est en fait vrai de toute l’Europe occidentale, Italie exceptée.
Mgr Coppola, poussé par un fort sentiment de nostalgie, ne manque pas de rappeler ce qu’était la pilarisation catholique d’antan : école catholique, université catholique, mutualité et syndicat catholiques, parti catholique, hôpital catholique.
Mais tout cela n’est plus qu’un souvenir.
De manière parfaitement inexacte, il affirme que les hôpitaux catholiques sont obligés de procéder à des avortements (en fait, ils ne peuvent plus l’interdire à l’un de leurs médecins), à l’euthanasie (en cas de refus, ils doivent sans délai indiquer le nom d’un confrère qui ne refuse pas l’euthanasie).
Quant à l’école catholique et à la qualité de la formation catholique qu’elle délivre, il en rit de mépris.
En fait, Mgr Coppola avait déjà dit tout cela dès juin 2022 dans un entretien accordé à La Libre comme le rappelle MgrHarpigny.
Ce dernier ajoute que Mgr Coppola estime que « les professeurs et les enfants ne vont pas à la messe du dimanche… la catéchèse est nulle, le seul séminaire francophone, celui de Namur, est presque vide et les congrégations religieuses sont en train de mourir. »
Très souvent, l’Église, les évêques et les prêtres cultivent une sorte de déni par rapport à la situation. À première vue, voilà bien un reproche que n’encourt pas Mgr Coppola.
En France comme en Belgique, on a un léger parfum de ce déni dans la publication des récents chiffres de baptême. Ceux-ci sont indiscutablement en hausse (17 800 nouveaux baptêmes, de tous âges mais surtout des moins de 21 ans) en 2025 en France, mais ils ne peuvent compenser la chute des baptêmes de nouveau-nés ces dernières années[2].
Mgr Harpigny réplique
En fait, dès le 15 avril, lors de la messe chrismale – moment important pour la liturgie au cours duquel l’évêque bénit les huiles qui seront utilisées tout au long de l’année pour célébrer des sacrements dans tout le diocèse – très rapidement, Mgr Harpigny passe à l’homélie et commence par dire : « Vous allez entendre des choses qu’on n’a pas l’habitude d’entendre ». Il réplique vertement et nommément au nonce et lui reproche qu’« à partir de la manière dont un curé exerce son ministère dans les Pouilles, il juge tout ce qui passe ».
Pourtant, docteur en droit canonique, Mgr Coppola évoque volontiers et très laudativement sa région d’origine, les Pouilles.
Je dois bien avouer que le portrait ainsi tracé de la situation religieuse me semble fidèle, à ceci près, qu’il ne tolère pas que s’abstenir des rites catholiques ne veut pas forcément dire qu’on est passé à l’athéisme.
Je l’aggraverais même en révélant que l’Association belge des athées compte au moins deux professeurs de l’Université catholique parmi ses membres – je ne compte que ceux qui se sont déclarés comme tels – et quelques enseignants du secondaire catholique.
Reste qu’on ne voit pas bien que Mgr Coppola – qui reçoit un rappel de Tournai tous les quinze jours – en déduise qu’il peut différer la désignation des nouveaux évêques.
Bien évidemment, comme athée, comme laïque, j’enregistre avec plaisir le message du nonce qui consacre l’efficacité du message et de l’action des laïques belges.
Pour Mgr Harpigny, le nonce doit vouloir penser : « Devant cette situation désespérante, quel est l’idiot qui accepterait de devenir évêque ? ».
L’attitude du Vatican
De fait, le message politique du nonce est obscur et, en clair, il semble désemparé et accroché à l’espoir enfantin de retrouver un jour le monde d’autrefois.
Au premier degré, on peut aussi se demander si le nonce n’a pas joué un rôle négatif dans le voyage du Pape François en Belgique en septembre 2024 et s’il n’a pas sa part de responsabilité dans les bévues incroyables du pape, par exemple dans son discours à Louvain, à l’Université, quand il dit devant la rectrice « que la place des femmes est à la maison » et quand il sort de son programme pour rendre hommage au roi Baudouin devant sa tombe.
Il est vrai que Jean-Paul II, lors de la béatification du Père Damien le 4 juin 1995, était sorti du texte fourni aux autorités belges pour proposer la béatification de Baudouin.
Le refus du Vatican
Jusqu’à un récent article paru dans Le Soir[3], on ne pouvait que conjecturer sur la réalité de l’état d’esprit des hauts responsables romains. Le délai de nomination attestait deux difficultés, voire de graves débats internes. Mais la curiosité ne pouvait qu’être stimulée par un aspect tout nouveau et décisif. Les nominations d’évêques sont gérées par le préfet (c’est-à-dire le « ministre ») du dicastère pour les évêques. Or, celui-ci n’était autre, jusqu’il y a peu, que le Cardinal Robert Prevost, le pape fraîchement élu.
Le journaliste du Soir, William Bourton, a quelque peu tiré les vers du nez à Mgr Harpigny.
Celui-ci nous apprend deux choses.
La première est que le Cardinal Prevost accompagnait le pape François lors de sa récente visite en Belgique et qu’il avait abordé la question avec Mgr Harpigny en lui disant qu’il lui faudrait encore faire preuve d’un peu de patience. Donc, il n’est pas étranger à la question.
La seconde est que le délai vient de ce que « Rome » a rejeté une proposition (pourtant très probablement de trois noms).
L’interprétation me semble claire : le nonce Coppola avait fait des propositions très à l’écart des sentiments du futur pape, sans doute des militants ultras rêvant d’un retour à la civilisation catholique d’autrefois.
On ne peut toutefois exclure un certain embarras du Vatican sur la personnalité des évêques belges en place depuis quelques décennies.
Dans la plupart des cas, leur discrétion vis-à-vis du grand public a été considérable, Mgr Harpigny fait exception. Peut-être le nonce souhaitait-il une personnalité comparable à Mgr Léonard. Si dès avant sa nomination d’archevêque, il était une personnalité connue, son rôle réel a été mince, prêtres et fidèles ne le suivant pas ou très peu.
Tout choix de même type aura les mêmes conséquences. Les milliardaires ultra-catholiques qui font feu de tout bois depuis quelques années en France s’illusionnent sur le passé.
Que peuvent penser les non-catholiques ?
Les non-catholiques ne se sentent pas vraiment concernés par le problème des évêques non remplacés. Ils savent qu’il est imprudent de se moquer ou de se réjouir trop vite des problèmes organisationnels des religions.
Néanmoins, si le Vatican décide de prendre à bras-le-corps des institutions dites catholiques mais dont la référence religieuse n’est même plus un mot pour ne garder que les collèges réellement (professeurs) croyants et militants, de retirer toute référence religieuse aux hôpitaux qui n’appliquent pas la doctrine catholique, etc., nous pourrions aller vers une révolution. Que décideront les exclus ? Rejoindront-ils leurs homologues publics ? Rien n’est moins sûr.
Quid de l’Université catholique de Louvain ? Rien ne dit qu’elle ne pourrait pas se trouver aussi bien ou mieux avec l’effacement du mot « catholique » de sa dénomination.
L’Université de Namur a peut-être montré la voie.
À tout prendre, pour obtenir plus de combativité des prêtres, renoncer à l’article 181, 1° de la Constitution et à la prise en charge des universités et des pensions des prêtres par l’État ne devient-il pas aux yeux du nonce une bonne solution ? Les non-croyants, renforcés par l’épuration des institutions catholiques, seraient alors confrontés à un clergé, réduit à très peu de monde, mais agressif et plein d’arrogance, sur le modèle français, auquel Mgr Harpigny s’est confronté lors du covid et des restrictions mises à la participation aux cérémonies religieuses. L’aile intégriste du clergé français lui reprochait de manquer de « mordant » face à l’État. Pour Mgr Harpigny, le soutien matériel sans faille de l’État à l’Église depuis 1831, lui interdisait un comportement injurieux, menaçant à l’égard de qui nourrit l’Église.
On ne peut qu’attendre la suite, mais notre époque est riche en retournements de situation, qu’on ne pourrait imaginer.
[1]. Notons que hors Bruxelles, c’est pratiquement tout l’épiscopat belge qui doit être renouvelé en quelques années. Il faut aussi remplacer l’évêque de Gand en 2025, celui de Liège en 2026, celui d’Hasselt en 2027 et en 2029, celui d’Anvers.
Je suis le texte publié le 11 avril 2025 sur Cathobel, auquel il faut rendre hommage pour son honnêteté journalistique. https://www.cathobel.be/2025/04/mgr-coppola-repond-sans-filtre-aux-questions-brulantes-notamment-sur-les-nouveaux-eveques-je-cherche-la-personne-qui-puisse-aider-a-guerir-les-blessures/)
[2]. Sarah Belouezzane et Benoît Vitkine, « Les jeunes catéchumènes en quête d’origines », in Le Monde du 17 avril 2025.
[3]. William Bourton « La nomination de trois évêques belges sur la table du pape Léon XIV », in Le Soir du 21 mai 2025.
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