La chanson athée de langue française. Approche sociologique

Marco Valdo M.I.

Ô, que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil,
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
(Georges Brassens, Les Funérailles d’antan)

Dans un premier article (Newsletter n°14), on avait abordé les chansons athées que je qualifierais volontiers d’historiques et on concluait «  il en est d’autres ». Dans un deuxième article (Newsletter n°15), on en découvrait les sans dieu (dont quelques belges) et pour conclure, une énorme parodie de chanson de catéchisme. Voici venu maintenant le temps de la mort, de la vie, de la préhistoire et de la biologie. On conclura par la déclaration universelle de l’âne athée présageant d’une déclaration universelle des droits de l’homme, elle aussi «  intacte de dieu ».

Tout ce qui touche à la mort, aux tombes, aux enterrements est un autre domaine dans lequel découvrir l’absence de référence directe à Dieu, aux Dieux e tutti quanti.

Dès lors, on peut hardiment glisser parmi les chansons athées, Grand-père, de Georges Brassens (1957) et son enterrement qui va de guingois et l’amusante façon de traiter le ministre du culte, lorsqu’il officie devant le trou. Mais quand on a de la religion, on ne rigole ni avec les enterrements, ni avec la mort, ni avec le cul des ministres.

Avant même que le vicaire
Ait pu lâcher un cri,
Je lui bottai le cul au nom du Père,
Du Fils et du Saint-Esprit.
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre, (bis)
Ah ! c’est pas joli…
Ah ! c’est pas poli…
A une fesse qui dit merde à l’autre.
Bon papa,
Ne t’en fais pas !
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond.

Ou les Funérailles d’Antan (1958) du même Georges Brassens, où c’est l’approche-même du moment fatal et sans suite qui se fait sur un ton guilleret qui emporte au loin la considérable considération que les servants des offices apportent au passage vers les paradis où, s’il n’y en a qu’un, ils devront se faire à l’idée que c’est en copropriété partagée entre Dieux propriétaires – et ils sont nombreux à se partager les cadavres en goguette.

Dans ces Funérailles d’Antan et dans les leurs «  corbillards de nos grands-pères », il y a une manière de regarder la mort qui ignore tranquillement la sacralité de la chose et sent l’hérétique à plein nez.

Ô, que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil,
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil,
Où, quitte à tout dépenser jusqu’au dernier écu,
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul.
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul1.

Comme on peut le constater en comparant soigneusement les approches de la mort, la considération qui lui est portée, la terreur qu’elle inspire, on est loin des danses macabres et des sermons de Jacques-Bénigne Bossuet, l’«  Aigle de Meaux » et de son Madame se meurt, Madame est morte ! Voyez le ton lugubre et sinistre de l’oraison et pour le mécréant, immensément drôle, tellement c’est chargé :

Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris, partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré, et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : «  Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple, de douleur et d’étonnement. »

En fait et en réalité, le peuple s’en fout et n’a jamais vu ses mains tomber d’étonnement et de douleur. Cependant, un peu moins d’un siècle plus tard, ce sont les têtes qui tomberont d’étonnement et de douleur.

Pour bien comprendre le fond du débat, il suffit d’imaginer ce qu’un texte tel celui des Funérailles d’Antan aurait inspiré à un tribunal de l’Inquisition et in fine, où il aurait conduit son auteur.

Plutôt que d’avoir des obsèques manquant de fioritures,
J’aimerais mieux, tout compte fait, me passer de sépulture,
J’aimerais mieux mourir dans l’eau, dans le feu, n’importe où
Et même, à la grande rigueur, ne pas mourir du tout.

De plus, on n’errera pas en affirmant que «  ne pas mourir du tout » ne peut être qu’une pensée athée (à cet égard, j’invite à relire tout Bossuet ; et sans rire), sinon que feraient les croyants d’un au-delà ? De fait, la relation à la mort et à sa suite rituelle est un bon critère d’athéisme ; le mépris à l’égard de la Camarde et la dérision dans le rituel est une quasi-certitude d’athéisme, de rébellion ou de superbe dédain à l’égard des injonctions transcendantes. Les inquisiteurs de tous poils, de tous lieux, de tous temps, de toutes religions, l’ont bien compris qui regardent la mort avec componction.

Une autre manière d’athéisme est celle que l’on trouve dans la chanson de Jean Arnulf, intitulée Je ne suis le fils de personne (1976). On découvre là un texte de Serge Rezvani et on y voit une humanité nettement sans dieu, je dirais nécessairement sans dieu, car Dieu (les dieux, etc.) n’y a aucune place et aucune nécessité : une chanson athée sans nul doute. Son titre déjà : Fils de personne et son corollaire : encore moins, fils d’un dieu.

Reverrai-je encore les neiges,
Les feuilles mortes s’envoler ?
Laissez-moi me prendre au piège
Du doux plaisir d’exister.
Laissez-nous le temps d’aimer.
Je ne suis fils de personne.
Je ne suis d’aucun pays.
Je me réclame des hommes
Qui aiment la Terre comme un fruit,
Qui aiment la Terre comme un fruit2.

Dans une autre dimension athée, il y a les chansons qui renvoient à l’époque où Dieu n’existait pas encore, où il n’avait pas encore été inventé par l’homme. J’y distingue plusieurs manières. Celle du paléontologue ou du préhistorien et celui du biologiste.

Dans la première manière, j’ai repéré deux chansons résolument athées et de ce fait, résolument amusantes et décapantes de foi. Bref, il s’agit de chansons à la gloire de préadamites.

L’une est L’homme fossile (1968), dont l’auteur est Pierre Tisserand et l’interprète d’origine Serge Reggiani. Je n’ai fait place qu’à un extrait, mais on verra qu’il est nettement athée.

Voilà trois millions d’années que je dormais dans la tourbe
Quand un méchant coup de pioche me trancha net le col
[…]
Ils ont dit que je vivais jadis dans une grotte ;
Ils ont dit tellement de choses, tellement de trucs curieux :
Que j’étais couvert de poils et que je n’avais pas de culotte.

Un singe nu, en quelque sorte ! Et quand on sait le tollé que le singe nu, celui de Desmond Morris, ou l’absence de culotte chez les populations à évangéliser, ont suscité chez les religieux de tous poils… On ne pourrait s’y tromper, cette chanson-là est athée3.

Un peu plus récent, mais toujours d’avant l’invention des Entités extraterrestres, on trouve dans la chanson athée, l’athée Monsieur de Cro-Magnon, un personnage bien sympathique, celui qui incarne à lui tout seul les «  racines de l’Europe », celles d’avant la colonisation chrétienne.

C’était au temps de la préhistoire
Voici deux ou trois cent mille ans
Vint au monde un être bizarre
Proche parent de l’orang-outan
Debout sur ses pattes de derrière
Vêtu d’un slip en peau de bison
Il allait conquérir la terre
C’était l’homme de Cro-Magnon

et comme on le verra à la fin, un brin syndicaliste révolutionnaire sur les bords :

Trois cent mille ans après sur terre,
Comme nos ancêtres, nous admirons
Les monts, les bois et les rivières,
Mais s’il revenait quelle déception !
De nous voir suer six jours sur sept ;
Il dirait sans faire de détail :
Vraiment que nos descendants sont bêtes
D’avoir inventé le travail !4

Ici, j’insère un petit commentaire très dans le ton de la théorie de l’éducation permanente en soulignant combien cette chanson, née dans les Auberges de Jeunesse françaises, a contribué à l’éducation préhistorique et forcément prébiblique de jeunes (et moins jeunes) générations. Heureusement, on l’enseigne encore.

Venons-en à l’aspect biologique de la chanson athée et toujours, aucune trace de Dieu, des dieux ou de toute chose du genre. Cette fois, c’est à Ricet Barrier que l’on doit le texte qui retrace le parcours d’un spermatozoïde entre la sortie du pénis et son arrivée en vainqueur dans l’ovule, après avoir éliminé tous ses concurrents. Et sa conclusion athée et lumineuse : «  C’est la vie, c’est la vie ! »

Petit extrait :

Nous sommes trois cents millions, massés derrière la porte
Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser
Une seule idée en tête : la porte la porte la porte
Quand elle s’ouvrira, ce sera la ruée,
La vraie course à la mort, la tuerie sans passion.
Un seul gagnera, tous les autres mourront.
Même pas numérotés, seul un instinct nous guide,
On nous a baptisés les spermatozoïdes5

On ne pourrait ici parler de la chanson athée sans évoquer Le Semeur et son très athée dernier couplet :

Une aurore nouvelle
Se lève à l’horizon;
La science immortelle
Éclaire la raison.
Rome tremble et chancelle
Devant la Vérité;
Groupons-nous autour d’elle
Contre la papauté !

sans oublier sa suite habituelle «  À bas la Calotte ! » qui le ponctuait avec un certain entrain, précédée d’un «  Oui, nous irons chasser, ohé ! La Calotte ! »6

Et enfin, je ferai place ici à une chanson athée et qui se dit telle, dont je suis l’auteur sous la dictée savante de mon ami Lucien l’âne, venu directement de la plus haute Antiquité. Cette chanson, disons plutôt ce texte, est une déclaration destinée à remplacer la vieille déclaration des droits de l’homme, celle de 1948, trop anthropocentrée. Il s’agit de la Déclaration universelle des droits de l’âne7.

Petit extrait en guise de conclusion :

L’âne naît libre, égal et fraternel ;
Il rêve debout et ne croit pas au ciel.
Par sa nature, l’âne est porteur
De raison, de conscience et de bonheur.
[…]
Doué d’intelligence, de courage et de ténacité,
L’âne ne peut être empêché de penser,
De parler et de répandre ses idées.
Il ne peut être évangélisé. L’âne est athée8.


Notes

  1. On trouvera le reste à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=47776
  2. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49002
  3. Pour en savoir plus, voir : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=6357
  4. L’homme de Cro-Magnon, une chanson écrite et composée par Maurice Felbacq en 1946, peut se lire en entier à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=7817
  5. La chanson Les spermatozoïdes date de 1987 et on peut en prendre entière connaissance à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=39887
  6. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=37216
  7. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49337
  8. Pour prendre connaissance de cet impérissable document, voir http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49337