Lettre ouverte par Jean-François Jacobs
Chère Nadia Geerts,
Je viens de visionner votre passage lors de l’excellente émission « En quête de sens – la Pensée et les Hommes », et je dois dire que votre conclusion me laisse pantois !
http://www.rtbf.be/video/detail_en-quete-de-sens?id=1933331
D’abord, et c’est un clin d’œil, vous ne contredisez pas Monsieur Maingain quand il affirme que le courant philosophique athée en Belgique, c’est le CAL. Pourtant vous connaissez l’existence et le militantisme de l’Association Belge des Athées (ABA) pour en être membre sur Facebook. Ce n’est pas un grand mal, notre association est assez récente et cela sonne comme un détail par rapport à votre final : « Je n’ai rien contre le fait que l’on considère l’athéisme comme un courant convictionnel comme les autres parce que je pense que c’est ce qu’il est »…
Sidérant !
« Comme les autres », c’est-à-dire les autres « religions », comment le comprendre autrement.
L’athéisme, une religion ?
C’est quoi ce délire !
Pour celui qui n’a jamais fait qu’effleurer la question et qui y répond par des raccourcis stéréotypés, passe encore, mais vous, une libre-penseuse… Voyez-vous votre athéisme comme une doctrine ?
Mais enfin, le théisme, c’est une : « idéologie qui croit à l’existence d’un Dieu créateur de l’univers », alors que l’(a)théisme est certes une conviction, mais elle résulte d’une réfutation (votre dieu n’existe pas), non pas d’une affirmation (dieu existe, c’est notre créateur). C’est tellement fondamentalement différent, que s’en est carrément l’inverse, oui, le contraire !
Vous qui êtes une ancienne dévote de la clope, expliquez-moi pourquoi une personne qui arrête de fumer devient-elle non-fumeuse, mais que si cette même personne arrête de croire, elle ne devient pas non-croyante, mais une croyante en autre chose ? Un athée se doit-il de réfuter dieu pour automatiquement le réincarner autrement !
Les religions, c’est comme avoir la télédistribution et ne regarder qu’une seule chaine. L’athéisme, c’est quand on éteint la télé…
Pensez-vous que l’on discute au sein de l’Association Belge des Athées de qui est un « bon » ou un « mauvais » athée ? Que l’on palabre d’eschatologie, des prophéties, des miracles de notre religion ? Il y a-t-il une scolastique athée ? Quel est notre dieu ? Qui prions-nous, via quel gourou ? Où sont les « parole d’évangile » que l’on ne pourrait pas remettre en cause demain ? Où peut-on consulter les exégèses du courant athée ? Un athée peut-il se faire excommunier ? Un athée a-t-il déjà tué un autre athée au nom de l’athéisme !?!
Vous me voyez vraiment navré (ce qui n’est pas grave pour vous, mais pour moi puisque j’apprécie généralement vos positions) qu’une intellectuelle alimente l’amalgame qui sous-entend des similitudes entre religion et athéisme…
Bien à vous,
Jean-François Jacobs
PS : Un ancien prêtre, Noël Rixhon, membre de notre CA, a également eu l’occasion de s’exprimer lors de cette émission (une semaine avant vous). A l’écouter, il semble évident que son athéisme n’est pas une conviction comme les autres religions : http://www.rtbf.be/video/detail_en-quete-de-sens?id=1932333
« Convictions » religieuses ET philosophiques ?
Pour une fois, je ne partage pas l’opinion de Nadia Geerts, dont j’ai lu la réponse à la lettre ouverte de Jean-François Jacobs.
Elle connaît déjà mon « approche inhabituelle du phénomène religieux », mais je tiens ici à la préciser.
Le Larousse définit le terme “conviction” comme suit : « (du latin ecclésiastique convictio, onis ; SENTIMENT de quelqu’un qui CROIT fermement à ce qu’il pense, dit ou fait ; certitude ». Psychiatrie : conviction délirante : certitude absolue, non accessible à la critique du jugement ou de l’évidence ».
Le terme de conviction s’applique donc adéquatement à une croyance religieuse. D’abord parce qu’elle est fondée sur une éducation religieuse précoce, forcément affective et confiante en l’absence d’esprit critique, puis confortée par un milieu croyant unilatéral. Ensuite parce qu’un croyant se soumet, fût-ce à des degrés divers, à la « Révélation » d’un dieu qui n’a pourtant jamais donné le moindre indice concret et indiscutable de son existence, à un prophète illettré qui n’a jamais dit tout ce qu’on lui a fait dire, et à des textes « sacrés » manipulés au cours des siècles.
Dans cette optique, il me semble que l’athéisme n’est pas du tout une « un courant convictionnel à côté des autres», mais une .CONCEPTION philosophique, puisqu’il se fonde, lui, sur une réflexion personnelle à la lumière du libre-examen et sur des arguments rationnels et scientifiques (réfutables en cas d’éléments nouveaux). Contrairement à André Comte-Sponville, j’estime qu’un athée ne CROIT pas (car cela relèverait de son cerveau émotionnel !) que « Dieu n’existe pas » : il PENSE, il conclut (avec son cerveau rationnel) que « Dieu » n’a pas d’existence réelle, ou alors comme moi, que ce dieu, dans l’esprit d’un croyant, n’a qu’une existence subjective, imaginaire et donc illusoire, et encore : à condition qu’on l’y ait mis, fût-ce sincèrement et « de bonne foi » ».
Certes, la laïcité “politique” est la condition sine qua non du vivre ensemble entre croyants et incroyants. Mais elle favorise paradoxalement le prosélytisme de toutes les religions en les subsidiant (et aussi, hélas, la laïcité institutionnelle) !
Cette conception de la laïcité présuppose en effet que la liberté de religion, bien que constitutionnelle et conforme à la DUDH de 1948, serait innée et effective (alors qu’elle n’est que symbolique à mes yeux), et donc que les croyants auraient vraiment choisi leur religion, et même de croire. Or, par définition, toute liberté n’a de sens et ne s’acquiert que si l’on peut choisir entre des alternatives, ce qui implique de s’être affranchi des conditionnements éducatifs unilatéralement subis ! L’islam, surtout, en témoigne hélas a contrario …
Mais, tout en condamnant toutes les religions, en fonction de la soumission qu’elles imposent, il va de soi que je respecte les croyants – sauf les terroristes – qui en sont les victimes. Il me semble dès lors que l’Etat, par une saine conception de la neutralité, de la tolérance et de l’honnêteté intellectuelle et morale, devrait privilégier « l’intérêt supérieur » de l’enfant en faisant prendre conscience aux parents croyants que les influences émotionnelles précoces, aussi légitimes soient-elles, laissent le plus souvent des traces indélébiles qui alièneront sa future liberté de conscience et de pensée. Les musulmans surtout en témoignent a contrario …
En outre, à mes yeux, l’Etat devrait instaurer un enseignement de type pluraliste qui ferait découvrir, brièvement et sans prosélytisme, à TOUS les adolescents, à la fois le phénomène religieux ET les options non confessionnelles de la laïcité philosophique, inconnue en France et insuffisamment connue en Belgique. Mais l’enseignement confessionnel, qui n’a pas modifié d’une iota son projet éducatif évangélisateur (devenu seulement plus hypocrite), reste à mon sens fondamentalement élitiste, communautariste, inadapté à notre société multi-convictionnelle et donc obsolète.
Via les politiciens catholiques, il s’opposera donc le plus longtemps possible à la suppression des réseaux et à la révision préalable de la Constitution … On n’y arrivera sans doute que lorsque toutes les religions demanderont à être subsidiées … !
À moins qu’entre-temps, la Belgique n’existe plus …
Mais ce n’est là que mon modeste point de vue, dont je ne prétends pas qu’il soit plus pertinent que celui de Nadia Geerts (que je ne cherche évidemment pas à convaincre). J’espère par contre voir son point de vue être plus étayé que lors de la fin obligée de l’émission de « La Pensée et les Hommes » du 18 juin (mais après ses vacances !). Je l’en remercie déjà, bien amicalement,
Michel THYS