Redécouverte du Néant par Patrice Dartevelle

On continue de retrouver dans les bibliothèques des ouvrages oubliés, notamment parce qu’ils sentaient le soufre. Or l’athéisme a toujours senti le soufre.

     En 1995, un érudit retrouve un texte d’un libertin italien, Luigi Manzini (1604-1657),consacré au Néant, datant de 1634.

    Manzini est un personnage original.D’abord moine chez les Bénédictins, il se fait délier de ses voeux, devient docteur en théologie et puis premier nonce apostolique. Mais ses écrits ne sont nullement religieux et son discours sur le Néant fait de lui un catholique fort peu orthodoxe, si tant est qu’au fond de lui même il soit bien catholique.

    La traduction française de son texte vient de paraître (1). Il s’agit d’un discours prononcé devant les membres d’une académie vénitienne, l’Académie des Inconnus. Celle-ci compte dans ses rangs des sceptiques notoires,voire des plus que sceptiques.

     Manzini revendique d’abord hautement le droit à l’innovation, à l’irrespect des autorités du passé (“Les esprits de notre temps ont voulu que le berceau de leur hardiesse serve de cercueil à l’autorité”). Et il passe à l’acte immédiatement en déclarant qu’ Aristote s’est trompé. Moyennant l’adaptation qu’en a faite Thomas d’ Aquin, il est pourtant depuis le XIIIème siècle le fondement de la philosophie chrétienne.

    C’est la raison qui doit l’emporter, continue Manzini (“Les pommes d’or de l’arbre de la vérité ne son pas gardées par le dragon de la déférence. Les difficultés se résolvent en faisant appel à la raison, et non à l’observance”).

    Quant au sujet même du discours, le Néant, Manzini pose ” qu’aucune chose en dehors de Dieu n’est plus noble ni plus parfaite que le Néant”, ce qui est prudent mais non-orthodoxe. Il déclare même que le Néant est plus universel que la toute-puissance, mais ajoute ” si elle ne s’étend qu’au possible”.

    Selon l’orateur, Dieu ne peut être créateur que s’il y a le Néant.Il assimile celui-ci à une matière, à partir de laquelle Dieu pourrait créer.

    Mais il met le Néant au-dessus du paradis qui lui est assujetti et de fil en aiguille,ou comme en un crescendo, Manzini en arrive à dire que ” le monde entier est pour ainsi dire fait par la nature instrument ou appareil pour les grandeurs du Néant”.

    Comme  presque toujours à cette époque, Manzini ne nie jamais l’existence de Dieu. Conviction? Prudence?Jeu d’esprit de pure rhétorique? Avec un Néant au moins égalé à Dieu, on est bien dans le libertinage philosophique baroque qui, rapproché de surcroît avec les philosophes de Padoue, la ville la plus voisine, qui font le désespoir de l’Inquisition, donne le sentiment  de la probabilité d’un athéisme voilé.

                                                                     Patrice Dartevelle

 

 

 

(1) Luigi MANZINI, Le Néant, traduction de l’italien d’Aurélia Morali Paris, Editions Aux forges de Vulcain, collection ” Essais”, 2013, 119 pp.( la traduction proprement dite occupe les pages 31 à 63). Prix: +/- 10 euros.