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Archives par mot-clé: Afrique

Au-delà de l’Ubuntu

Posté le 24 décembre 2022 Par JF Publié dans Athéisme, Religion Laisser un commentaire

L’expérience et les défis de l’humanisme en Ouganda

Paolo Ferrarini

L’Afrique est sans doute le continent le moins « athée », mais il est traversé à son tour par les premières brises de la sécularisation et donc aussi par de dures réactions confessionnelles et la répression des autorités. Paolo Ferrarini s’est entretenu à ce sujet avec le directeur de l’UHASSO (Association humaniste ougandaise) Kato Mukasa, un militant des droits et de la laïcité, offrant un aperçu de la situation dans le numéro 4/22 de Nessun Dogma.

La laïcité, nous le savons bien, est un mot dont la définition peut être fuyante, car elle évolue en fonction de l’histoire, des contextes politiques, des diverses conceptions de l’État et de la société, ainsi que des menaces et défis particuliers auxquels elle est confrontée concrètement dans les différents pays. Il est donc fascinant d’étudier comment ce concept se manifeste dans des réalités très éloignées de la nôtre, en particulier lorsque le paysage culturel est complexe et en évolution. Dans des pays comme l’Ouganda, l’idée même d’État peut être problématique, en tant que modèle et produit d’un passé colonial qui n’a pas encore été digéré ; ce qui rend « ougandais » un méli-mélo de populations nilotiques, bantoues et centre-soudanaises enfermées dans des frontières tracées par des puissances étrangères, formant une république présidentielle qui incorpore une monarchie traditionnelle, celle de la tribu dominante des Bugandas, dont le nom déformé par les colonialistes est devenu le nom officiel du pays, n’est pas nécessairement clair.

En même temps que des modèles d’organisation politique, l’Ouganda a importé, dans les dernières décennies du XIXe siècle, les monothéismes, en commençant par l’Islam et en poursuivant avec les différentes variantes du christianisme. Aujourd’hui, la population se divise grosso modo entre catholiques (39 %), anglicans (32 %), musulmans (14 %) et pentecôtistes (11 %). Mais naturellement continuent d’exister et de coexister des centaines de croyances ancestrales et de cultes de dieux associés aux différentes tribus, générant des syncrétismes parfois hilarants, parfois extrêmement dangereux.

La guerre civile la plus brutale et la plus sanglante, pas encore formellement terminée, a été déclenchée dans le nord du pays par Joseph Kony, chef d’une Église chrétienne fondamentaliste dotée d’une branche armée appelée LRA[1], l’Armée de résistance du Seigneur. Une milice connue pour enlever des garçons et des filles afin de les envoyer au massacre et/ou au viol au nom d’une utopie chrétienne à la sauce animiste, un royaume magique où ces enfants soldats étaient contraints à des actes de violence choquante, comme tuer leurs parents, et étaient envoyés pour mener des attentats terroristes, armés d’eau bénite pour s’immuniser contre les balles ennemies. Une tactique abandonnée par la suite pour des raisons techniques.

Des rituels traditionnels comme la divination coexistaient tranquillement avec la foi islamique du dictateur Idi Amin, un psychopathe égocentrique qui, entre 1971 et 1979, a instauré un règne de terreur, trucidant et se vantant de consommer la chair de ses opposants. Dans ses délires paranoïaques, il se tourne vers les gourous locaux pour obtenir des conseils sur quels ennemis cibler et, en 72, il déclare avoir reçu en rêve des instructions directement de Dieu d’expulser tous les Asiatiques du pays.

À quel point les croyances surnaturelles font partie intégrante de la psyché nationale se reflète également dans la devise de l’Ouganda qui, au mépris de la laïcité formellement inscrite dans la constitution de 1995, dit : « Pour Dieu et mon pays ». Comme on pouvait s’y attendre, les attaques contre la laïcité sont omniprésentes ; dans de nombreuses écoles, la prière est obligatoire et, pour s’inscrire, il peut être nécessaire d’indiquer son appartenance religieuse, sous peine d’être disqualifié ; pour obtenir certains emplois, la recommandation du prêtre de la paroisse est explicitement requise ; le parlement adopte souvent des lois qui s’en remettent au sentiment religieux plutôt que de se fonder sur une argumentation rationnelle ; les partis politiques sont divisés en fonction de leur appartenance religieuse ; les associations confessionnelles reçoivent de plus en plus de fonds publics parce que, pour reprendre les termes crus du président Museveni[2] : « Les religions aident l’État à garder sous contrôle les esprits des citoyens, alors que nous ne pouvons que tenir leur corps sous contrôle ».

Pourtant, nous traitons de l’Ouganda parce que, du point de vue de l’action laïque, c’est un pays à tenir à l’œil, devenu ces dernières décennies l’épicentre d’un activisme effervescent, avec la présence sur le terrain d’associations féministes, LGBT+ et humanistes résilientes. En 2004, Kampala a même accueilli la première conférence IHEU[3] en Afrique, intitulée « Vision humaniste pour l’Afrique ». Lors de la dernière assemblée générale de Humanists international à Glasgow, nous avons rencontré Kato Mukasa, directeur de Uhasso[4] (association humaniste ougandaise) à laquelle appartiennent pas moins de 30 organisations et 15 écoles humanistes. Kato Mukasa est un avocat qui a consacré sa carrière aux droits des personnes marginalisées pendant 20 ans, et a été membre du conseil d’administration de Humanists international lui-même. En 2007, il a fondé l’association humaniste pour le leadership, l’équité et la responsabilité (Halea), une association engagée dans la promotion de la pensée critique et des droits de l’homme, avec des débats mensuels où croyants et non-croyants peuvent se confronter.

Malheureusement, commence Kato, ces dernières semaines, je me suis vu obligé de demander l’asile politique, car après la publication de mon dernier livre, Stolen legitimacy (Légitimité volée), je suis dans les ennuis avec le gouvernement ougandais. Par le passé, j’ai déjà été victime d’attaques anonymes pour mon activisme. Par exemple, en 2014, ils ont brûlé ma voiture. Mais cette fois-ci, ils me poursuivent pour avoir critiqué la dictature militaire de Museveni et les effets dévastateurs qu’elle a sur les institutions et l’économie du pays après 36 années ininterrompues de mauvaise gouvernance. Je risque d’être arrêté. Entre-temps, cette période d’exil m’a donné l’occasion de publier un autre livre, Song of an infidel (Chant d’un infidèle), que j’avais écrit il y a longtemps, en 2008. À l’époque, j’avais trop peur des conséquences que j’aurais à subir pour un livre sur l’expérience d’être athée et libre penseur en Ouganda. C’est mon septième livre. Je considère ce travail de publication comme essentiel, car il y a besoin de voix critiques et dissidentes qui n’ont pas peur d’informer, de s’attaquer aux tabous et d’exposer comment et pourquoi des millions de personnes en Afrique sont soumises à la religion, au point de consacrer plus de temps et d’énergie au culte qu’au travail. 

(Interview de Kato Mukasa)

Sur quels aspects se concentre l’engagement des associations humanistes en Ouganda ? 

Les problèmes du pays sont nombreux. Une victoire importante que nous avons remportée en 2006 a été la mise au ban des châtiments corporels dans les écoles, et à nouveau, en 2010, celle des mutilations génitales féminines. Mais il reste énormément de travail à faire pour protéger les droits des femmes. En premier lieu, les femmes n’ont pas droit à la propriété terrienne. En second lieu, le patriarcat est la cause de situations dégradantes, comme la polygamie ou le fait de devoir accepter le harcèlement sexuel pour obtenir un emploi ; et puis il y a une forte stigmatisation de la prostitution. Il est également illégal pour une femme de tomber enceinte en dehors du mariage, ce qui a des conséquences tragiques sur la marginalisation de ces membres de la société. Nous sommes aussi au côté des femmes accusées de sorcellerie et des individus atteints d’albinisme, victimes d’un dangereux héritage de superstition. Ce sont toutes des lois que nous défions au travers de nos campagnes et au Parlement.

Il y a des années, l’Ouganda a eu les honneurs des nouvelles pour un scandale qui a touché la communauté LGBT+. Un tabloïd ougandais, Rolling Stone, avait publié les noms et les photos de 100 personnes accusées d’être homosexuelles, appelant explicitement à leur exécution sommaire. Parmi eux se trouvaient des activistes notoires tels que David Kato et Kasha Navagasera. Bien que les associations aient gagné un procès contre le magazine, David Kato a été traqué et tué. Comment lutter contre l’homophobie dans des circonstances aussi violentes ? 

L’homosexualité est un thème auquel je suis particulièrement sensible, car j’ai un frère jumeau gay qui a dû quitter le pays en 2018. Dans ces années-là, 2012-2013, sous la pression des groupes religieux, les pentecôtistes en particulier, une terrible loi homophobe, la loi anti-homosexualité, a été discutée et adoptée. En pratique, si un enseignant prenait connaissance qu’un étudiant était homosexuel, il devait le signaler et le faire arrêter. La même chose aurait dû être faite par les médecins ou les avocats ayant des patients et des clients homosexuels. Même les parents auraient dû dénoncer leurs enfants homosexuels. Et la loi prévoyait la peine de mort pour ces individus. Nous avons fait campagne et sommes allés au tribunal pour contester la loi. À la fin, heureusement, la loi a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême, mais sur un détail technique, et non sur le fond. La haine envers la communauté LGBT+ était féroce à cette époque. Pour avoir simplement poursuivi cette affaire, j’ai moi-même été accusé d’immoralité et j’ai perdu plusieurs clients et contrats. Le fait est que circulent en Afrique tant et plus de théories absurdes de la conspiration sur l’homosexualité.

Des théories selon lesquelles on apprendrait aux garçons à être gays, ou on les paierait pour leur comportement sexuel… La vulgate panafricaine prévalente soutient donc que l’homosexualité est une coutume importée par les Blancs. L’ironie et la contradiction évidente de cet argument est que la loi anti-sodomie de notre code pénal est d’origine coloniale, étant basée sur la section 377 du code pénal britannique de l’époque, qui stipule : « Quiconque a délibérément des rapports charnels contre l’ordre naturel avec un homme, une femme ou un animal sera puni d’une peine d’emprisonnement à vie ou une période pouvant aller jusqu’à 10 ans ».

Alors comment est-il possible que ceux (les colonisateurs) qui nous ont imposé une loi homophobe nous aient en même temps imposé l’homosexualité ? La réalité ne pourrait pas être plus différente. Comme je le documente dans une série de vidéos et un livre consacrés à démonter ces mythes, l’homosexualité est historiquement attestée en Ouganda et dans de nombreux autres pays africains avant l’arrivée du colonisateur. Par exemple, le roi Mwanga était notoirement homosexuel et avait des rapports avec les domestiques de sa cour. Harcelé par des missionnaires chrétiens auxquels il opposait une ferme résistance, en 1885, il va jusqu’à brûler vifs une vingtaine de jeunes néo-convertis qui ont refusé de se soumettre à ses désirs, après avoir « appris » des missionnaires qu’avoir des relations sexuelles avec le roi était un acte immoral. Mais on peut aussi citer les soldats zoulous d’Afrique du Sud, qui affirmaient leur masculinité en remplaçant les femmes par de jeunes garçons : le commandant Nongoloza Mathebula ordonnait même à ses soldats de s’abstenir totalement de femmes et de n’emmener que leurs garçons-femmes en mission. Ou encore, au Ghana, il existait des formes de cohabitation entre femmes uniquement. Tout cela n’a pas été importé de l’Occident. Bien sûr, les homosexuels étaient souvent considérés comme des éléments « inutiles » dans la société, mais ils n’étaient pas punis pour cela, et encore moins mis à mort. 

Vous soulignez toujours beaucoup l’importance de l’éducation. Parlez-moi des écoles humanistes actives dans le pays.

Les premiers projets remontent au milieu des années 1990, avec les hautes écoles Isaac Newton, les écoles secondaires Mustard seed (Graine de Moutarde) et Fair view (Belle vue). Ces institutions sont principalement situées dans les zones rurales, car l’objectif est de permettre aux enfants, même les plus défavorisés, d’accéder à l’éducation. Cela signifie que ces écoles, par rapport aux instituts religieux privés, fonctionnent à perte, et ont constamment besoin de financements de la part des associations humanistes internationales. En plus des matières à orientation professionnelle, nous enseignons des valeurs telles que l’esprit critique, les droits de l’homme, la sensibilisation à l’environnement, l’éthique, l’humilité et une perspective globale. Nous enseignons les religions comparées et affichons des messages humanistes sur nos campus. Nous formons également des célébrants humanistes.

Je suis cofondateur du collège de formation professionnelle Pearl, où nous accueillons des personnes vulnérables et marginalisées, comme des orphelins séropositifs, des enfants indigents, des femmes veuves ou abandonnées, des filles mères criminalisées pour avoir été enceintes hors mariage, et d’autres catégories de personnes persécutées pour leur « immoralité », comme les membres de la communauté LGBT+. Nous donnons à toutes ces personnes la possibilité de recevoir une éducation laïque. Notre philosophie est de leur apprendre à poser des questions essentielles dans le respect de la méthode scientifique. Nous ne sommes pas en guerre contre Allah, Dieu ou les dieux, donc nous ne poussons pas les étudiants à répudier leurs croyances : nous les aidons simplement à comprendre le fonctionnement des religions, en encourageant la pensée libre et critique, sans imposer de dogmes. Nous pensons qu’en stimulant les élèves à réfléchir, les compétences pratiques qu’ils acquièrent en classe et en dehors de la classe leur permettront de mieux vivre et d’apporter une contribution positive à la communauté.

La philosophie humaniste peut-elle être considérée comme un autre produit d’importation occidentale ? 

Il existe une version africaine de l’humanisme. Elle s’appelle Ubuntu, un terme qui signifie simplement « humain ».Certains le traduisent littéralement par « Je suis parce que nous sommes », exprimant ainsi l’idée d’un lien universel, partagé par toute l’humanité. La différence avec le concept moderne d’humanisme est qu’Ubuntu reste l’expression d’une spiritualité de type religieux. Bien sûr, en tant que militant humaniste, je suis souvent accusé d’être anti-africain ou anti-noir. Mais à ces personnes, je réponds que je suis seulement anti-stupidité. Et je n’ai aucun scrupule à utiliser le mot « arriéré ». Je pense que lorsque nous nous haïssons et nous tuons les uns les autres au nom de dieux inexistants, nous sommes arriérés.

Et cela doit être dit. Quand on veut avoir dix femmes, on est arriéré. Quand on veut empêcher les femmes d’avoir des biens, on est arriéré. Lorsque vous exigez la peine de mort pour ceux qui aiment différemment de vous, vous êtes arriéré. L’Ouganda est un pays très riche en ressources. Pourquoi alors sommes-nous si pauvres ? Parce que nous n’utilisons pas la raison. Nous laissons des dieux imaginaires raisonner pour nous. Nous mettons ces dieux avant toutes choses. Mais si j’avais fait cela aussi, si j’avais emmené mon fils à l’église pour recevoir un peu d’eau bénite lorsqu’il a commencé à souffrir de diabète, à l’heure actuelle, il serait mort et enterré. Parce que telles sont les conséquences réelles de la religion en Afrique. La religion nous tue. Elle nous brise. Et elle nous divise.

Traduction de l’italien, par Yves Ramaekers, de l’article « Oltre l’Ubuntu. L’esperienza e le sfide dell’umanismo in Uganda », Bulletin de l’UAAR(Union des Athées et Agnostiques Rationalistes, Italie), blog A ragion veduta, 1er sept. 2022 

[1] L’Armée de résistance du Seigneur (LRA) a terrorisé pendant 30 ans de larges zones d’Afrique centrale avec des enlèvements d’enfants et mutilations de civils à grande échelle. Selon l’ONU, la LRA massacré plus de 100 000 personnes et enlevé plus de 60.000 enfants depuis sa création vers 1987. En Ouganda, l’activité de la LRA a décliné depuis l’opération « Lightning Thunder », qui avait permis d’expulser la LRA des territoires ougandais. Autrefois, près de 4 000, les rebelles de la LRA ne sont sans doute plus que quelques centaines, dispersés en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, au Soudan du Sud et au Soudan.

[2] Yoweri Museveni, né le 15 août 1944 à Ntungamo, est un homme d’État ougandais, président de la République depuis 1986.

[3] International Humanist and Ethical Union, IHEU, siège à Londres, est une organisation non gouvernementale internationale regroupant des associations humanistes, athées, rationalistes, laïques, sceptiques, et relatives à la libre-pensée.

[4] Voir le site de Uganda Humanist Association. 

Tags : Afrique athée croyance éducation homosexualité humanisme immoralité laïcité Ouganda religion sexualité Ubuntu

L’athéisme dans le monde

Posté le 8 août 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Patrice Dartevelle

Quelques précautions sont à prendre avant d’aborder un sujet comme l’athéisme dans le monde.

Il va tout d’abord inéluctablement conduire à une avalanche de chiffres, que je vais réduire au nécessaire. Il s’agit toujours de sondages sur les croyances. Ils appellent une remarque méthodologique. Jusqu’il y a quelques décennies, on demandait aux sondés de cocher une case correspondant à une des différentes religions ou à l’athéisme, avec en plus une case de type « Je ne sais pas » ou « Pas d’opinion », très peu utilisée. L’évolution des mentalités, du moins dans le monde occidental, a fait qu’un changement s’est avéré indispensable sous peine de voir se gonfler la case « Je ne sais pas ». On a donc créé une case généralement appelée « Non-religieux » ou « Sans affiliation religieuse ». C’était significatif il y a quelques décennies en révélant l’importance de la désaffiliation, de la rupture par rapport aux religions dominantes traditionnelles. Dans les pays de l’Ouest européen, cette catégorie comprend aujourd’hui 20 à 30 % des individus. Le danger est de la regrouper trop facilement avec celle des athées. Ce changement reste à analyser en lui-même et quant à sa pérennité. Il est à mon sens devenu le principal enjeu dans le monde occidental. J’ai exposé mes vues sur cette question en 2013 dans une intervention publiée en 2015[1]. Je reviendrai brièvement in fine sur cette question. Certains instituts de sondage utilisent maintenant une autre manière de poser les questions et elle me semble la meilleure pour le monde occidental : on demande de cocher une des trois cases « Croyez-vous en un dieu personnel qui s’occupe du monde et de vous ? » ou « Croyez-vous qu’au-delà du monde matériel existe une force, un quelque part ou quelque chose d’autre, qui nous reste étranger ? » ou « Êtes-vous athée ? ».

Malheureusement ce type d’analyse n’est pas le plus fréquent[2].

Ensuite, ne pouvant tout couvrir, je parlerai essentiellement des pays ou des continents où la problématique de l’athéisme, tout comme celle des religions, se pose en des termes différents de l’Europe occidentale.

Enfin je ne peux manquer de dire ma dette dans beaucoup de cas à l’ouvrage – et à ses divers auteurs – L’athéisme dans le monde, publié en 2015 par l’Association Belge des Athées sous ma direction. Je cite chaque fois l’article concerné et son auteur.

Les pays orthodoxes et l’ethnophylétisme

Dans les pays orthodoxes comme la Roumanie, la Serbie, la Bulgarie ou la Grèce, on se trouve devant un problème identitaire, qui conditionne le champ des croyances. La situation peut parfois aller jusqu’à l’absurde, comme le montre Olivier Gillet[3].

Ainsi en Serbie, lors du recensement de 2002, 85 % de la population se déclarent orthodoxes, 0,53 % athées. Après près d’un demi-siècle de communisme – non imposé de l’extérieur –, ces pourcentages sont surprenants. Mais si on questionne sur la croyance en Dieu, on n’obtient que 20 % de réponses positives ! On est manifestement devant un problème dont il faut trouver la clé. Celle-ci s’appelle en termes savants l’ethnophylétisme. Dans le monde orthodoxe, les relations entre l’Église et l’État sont réglées par l’harmonie entre le spirituel et le temporel. Il y a là comme un air de famille avec la tradition byzantine, qui remonte aux empereurs chrétiens, sinon au césaro-papisme des premiers siècles, rendu présentable, mais où l’Église est fortement influencée par l’État.

Progressivement, avec la constitution des États-nations, les Églises orthodoxes vont se lier étroitement à ces États et constituer des Églises nationales. Celles-ci sont dites autocéphales. L’orthodoxie ne se sépare pas de l’ethnicité en cause. La différence est profonde avec le catholicisme. Rome est restée « aphylétique » et l’autonomie des Églises nationales y est très faible. Le catholicisme polonais lui-même n’est pas réellement ethnophylétique.

Les Églises orthodoxes sont les garantes de l’identité nationale. En Ukraine, une Église nationale a été créée récemment par rupture avec Moscou. La dispute se fait paroisse par paroisse pour déterminer l’affiliation de chacune et la propriété de l’église.

Formellement les constitutions sont de type occidental mais, dans une telle situation, l’affirmation publique de l’athéisme est hors-sujet. Appartenir à l’Église orthodoxe veut surtout dire qu’on est un bon patriote, même si on était communiste.

De surcroît, dans l’ambiance actuelle de remontée des nationalismes, l’athéisme déclaré peut être vu plus encore que par le passé comme une forme d’hostilité à la nation, souvent de formation récente. Dans certains cas, il est vu comme une forme d’occidentalisation, voire une réminiscence du communisme. La situation est donc devenue souvent de plus en plus difficile.

La situation de la Russie n’est pas tout à fait régie par cette conception même s’il est visible que le président Poutine cherche à l’imposer.

En 1999, il y avait en Russie 55 % d’orthodoxes et 35 % d’athées. Progressivement un transfert s’est opéré. En 2012, Gallup donne toujours 55 % d’orthodoxes mais 26 % de non-religieux, 6 % d’athées et 13 % d’indécis, chiffre qui traduit une situation mouvante. Le recul athée est manifeste mais l’affiliation religieuse précise ne croît pas pour autant. Il y a maintenant des cas de poursuites judiciaires pour athéisme[4].

Le phénomène n’est pas général dans les pays ex-communistes. L’Est de Allemagne a conservé sa spécificité : il comprend près de 60 % d’athées ou d’agnostiques contre 10 % dans l’Ouest de l’Allemagne[5].

Les pays majoritairement musulmans

Les frémissements laïques sinon athées de la première partie du XXe siècle dans le monde musulman sont loin aujourd’hui, c’est-à-dire depuis une montée de l’islamisme radical que l’on fixe souvent à 1981, date de l’assassinat du Président égyptien El Sadate par des Frères musulmans. Pourtant en 1954 Nasser pouvait encore rire publiquement des Frères, comme le montre une vidéo devenue virale et toujours visible sur le web.

Et comme l’expose Dominique Avon[6], en 1937 l’écrivain égyptien Ismaïl Adham publie un texte intitulé « Pourquoi je suis athée ». Sur la question de la liberté d’expression, de la laïcité voire de l’athéisme, le Président tunisien Habib Bourguiba est certes un cas d’exception mais d’une exception possible, du moins pour certains dans une époque révolue. En 1974, il publie un texte en faveur du libre-arbitre en religion. Il y critique la méthode consistant à prendre dans le Coran et les Hadith des références pour appuyer telle ou telle position et s’en prend à la lecture littérale de ces textes. Diverses autorités islamiques exigent une repentance publique, mais Bourguiba refuse fermement et l’Arabie Saoudite renonce à lui faire un procès.

Dans les sondages, certains pays musulmans affichent des scores préoccupants pour les athées. Le Pakistan a 84 % de croyants et 2 % d’athées en 2012 mais, curieusement, l ’Arabie Saoudite ne compte que 75 % de croyants, 19 % de non-religieux et 5 % d’athées.

La montée d’un islam fondamentaliste est significative mais ses crimes mêmes montrent l’existence d’athées. En 1990, l’écrivain turc athée Turan Dursum est assassiné. En 1993, Taslima Nasreen doit fuir le Bangladesh du fait d’une fatwa, comme Salman Rushdie doit se cacher depuis 1989 après une fatwa de l’imam Khomeini.

Cependant, plus récemment, les nouvelles technologies ne permettent plus de réduire complètement les athées au silence.

Les télévisions satellitaires ont ouvert une porte dès les années 2000. En 2006, la chaîne Al-Jazira organise un débat entre un musulman traditionaliste et Wafa Sultan, une psychiatre d’origine musulmane installée en Californie. Elle y déclare qu’elle représente la raison et le XXIe siècle contre la barbarie et le Moyen-Âge. En Égypte Ahmad Harquan et sa femme, Nadia Madour, réalisent des émissions athées pour Free Mind TV, chaîne au nom explicite dirigée par un Irakien.

En Algérie des intellectuels athées comme Kamel Daoud et Rachid Boudjedra prennent la parole comme tels.

Ce sont les réseaux sociaux qui vont véritablement ouvrir la porte beaucoup plus largement. Grâce à eux il ne s’agit plus d’intellectuels athées, de gens qui parlent et écrivent, mais de simples citoyens, le plus souvent jeunes. Ils vont jusqu’à s’organiser en réseaux de « cercles de sans-religion ». Il y a un « Cercle des athées de l’université du Caire ».

Mais évidemment arrestations et condamnations vont vite. En Égypte, la police a arrêté le blogueur Karim Amer (en 2007, quatre ans de prison), l’étudiant Sharif Jâbir (en 2013, un an de prison), Karim al-Banna, étudiant également (en 2015, trois ans de prison)…

Sur le plan qui nous occupe, malgré un texte constitutionnel sans exemple dans ces pays, la Tunisie n’est qu’un modèle relatif : trois athées y ont été condamnés à sept ans de prison en 2012. L’un des trois sera accueilli en France, tout comme l’a été le palestinien Waleed Al Husseini, l’auteur d’un essai autobiographique publié en français en 2015, Blasphémateur ! Les prisons d’Allah, ou le réalisateur iranien Mehran Tamadon.

Au Pakistan et au Bangladesh, les assassinats d’athées se comptent par dizaines ces quelques dernières années. Asia Bibi, chrétienne pakistanaise, d’abord condamnée à mort pour un blasphème de pure invention, a été finalement acquittée et définitivement innocentée par la Cour suprême le 20 janvier 2019. Le gouvernement a préféré attendre pour la libérer et favoriser son départ à l’étranger, manifestement par peur de la vindicte populaire[7]. Il ne s’agit pas d’une poignée de religieux, l’opinion entière est subjuguée par les fondamentalistes.

Partout dans le monde musulman depuis la fin des années 1970, la liberté d’expression en matière religieuse – cela ne va pas vraiment mieux pour le reste – a été restreinte. Tout athée peut y être condamné pour blasphème ou apostasie.

Le contrôle du ramadan est particulièrement strict (sauf en Tunisie), mais une contestation existe, notamment en Algérie. Elle y est réprimée (en 2010, deux ans de prison). En 2013, un déjeuner de plein air a réuni 300 à 500 personnes à Tizi Ouzou, en pleine Kabylie, il est vrai, pendant le ramadan. Deux mouvements existent aussi au Maroc pour la liberté du jeûne. Cela n’implique pas forcément l’athéisme, mais à coup sûr une contestation radicale de la religion traditionnelle.

En Égypte, El Sadate avait introduit dans la Constitution les principes de la Sharia comme source principale de la législation, mais sans donner de contenu à la référence (obscure par elle-même). Il a été précisé en 2012, mais en 2014, le Président Sissi a supprimé le texte détaillant le contenu de la Sharia. Pour sa part, en 2014, l’Arabie Saoudite a ajouté à sa législation la condamnation de tout appel en faveur de l’athéisme.

En Occident, des athées issus de familles musulmanes commencent à s’organiser. Le Forum des Ex-Musulmans affichait 20 000 abonnés sur Twitter et 5 000 sur Facebook en 2011.

De ce ceci il ne faut pas conclure que le monde musulman fonctionne, a fonctionné et fonctionnera d’une manière que l’Occident ne connaît pas, n’a jamais connue et ne connaîtra jamais. Il a raté le virage de la modernité voici un demi-millénaire, a essayé de le prendre dans la première partie du XXe siècle et connaît depuis un retour vers le théologico-politique d’antan. Plusieurs islamologues renommés soutiennent depuis vingt ans que tout cela n’est que passager. Pour l’instant, le mouvement rétrograde continue de s’amplifier et de gagner tous les groupes musulmans dans le monde, même là où l’islam est minoritaire, comme à Ceylan. Patience…

Le Japon et l’Extrême-Orient

La lecture brute des chiffres sur les croyances en Chine et au Japon pourrait remplir les athées d’une joie immense, mais bien trop rapide.

En effet, toujours selon Gallup 2012, la Chine comporterait 47 % d’athées et le Japon 31 %, soit les deux chiffres les plus élevés du monde. La contrepartie pour les autres croyances va de pair : pour la Chine 14 % de croyants et 30 % de non-religieux et pour le Japon 16 % de croyants et 31 % de non-religieux.

On peut certes considérer que les sondages sur les opinions en Chine sont à prendre avec précaution et que dans les deux cas, diront certains Européens, il est possible que certains bouddhistes aient coché la case « athée ». Il est vrai aussi que l’on a souvent glosé sur l’éclectisme religieux des Japonais qui vivraient en shintoïstes, se marieraient en catholiques et mourraient en bouddhistes. Remarquons que ces mariages catholiques au Japon sont généralement des mises en scène commerciales, un acteur professionnel faisant le prêtre.

Mais à seconde lecture des chiffres, le problème éclate. Dans les deux cas le nombre de non-réponses est anormal : 9 % pour la Chine et surtout 29 % pour le Japon. Ceci indique que la question n’est pas bien comprise, voire incomprise dans le cas du Japon, qu’elle est mal posée et qu’il faut pousser plus loin l’analyse.

Faisons-le avec Jean-Michel Abrassart[8] et commençons par examiner les termes utilisés. Ainsi le terme utilisé en japonais pour dire « religion » a été doté de ce sens à la fin du XIXe siècle. Auparavant il désignait l’art de gouverner. Le terme « agnosticisme » a été créé en japonais mais il ne s’emploie pas… parce qu’aucun Japonais ne s’est jamais déclaré agnostique.

Historiquement, le shintoïsme est la première « religion » japonaise et le bouddhisme n’arrive au Japon qu’aux Ve-VIe siècles de notre ère.

En fait le pays va développer un shinto-bouddhisme. Même les sanctuaires des deux cultes empruntent des éléments des deux religions.

À l’époque Meiji, après 1868, on va ajouter un élément en justifiant la réinstallation de l’empereur sur base du shintoïsme, précisément parce qu’il n’est pas vu comme une religion, mais le meilleur signe et cadre de l’identité japonaise. En 1945, les Américains gommeront autant que possible la doctrine impériale. L’empereur cessera d’être un fils de Dieu. Ce que veulent aujourd’hui certains hommes politiques japonais est de rétablir l’ancienne position impériale et le plein rôle du shintoïsme.

Mais pour ce qui est de l’ordinaire, les Japonais pratiquent en général un mélange des deux ; ils se marient en shintoïstes et meurent en bouddhistes. En outre, le culte revêt au Japon un fort aspect domestique, témoin de la même dualité : les gens ont un autel shintoïste ou un autel bouddhiste, mais très souvent les deux.

Le shintoïsme est essentiellement une religion pratique, à l’instar de la Rome antique et de son do ut des (je donne pour que tu donnes) : on va au sanctuaire faire des vœux pour obtenir quelque chose. Être athée dans ce cadre, c’est alors être sceptique face aux superstitions.

Le bouddhisme japonais pour sa part développe un fort aspect funéraire. L’autel bouddhiste sert essentiellement aux hommages aux ancêtres, qui au fond sont toujours présents, et se transmet au fils aîné.

Les spécialistes s’accordent pour dire qu’au Japon, il s’agit d’être sans religion dans une culture religieuse.

Bouddhisme et shintoïsme populaires sont vécus par les Japonais comme des religions naturelles tandis que les religions occidentales et le shintoïsme d’État sont par contre des religions révélées. Au fond, les religions naturelles ne sont pas perçues comme des religions et les gens peuvent se réclamer d’une « religion » sans rien croire de ses affirmations théologiques. Au Japon, se dire athée veut probablement dire « je n’adhère ni au culte impérial ni aux religions occidentales »…

En Chine, il faut tenir compte du confucianisme, qui va se confondre avec le pouvoir impérial[9]. La situation y est assez comparable à celle du Japon : les Chinois s’adressent au bouddhisme pour la mort, au taoïsme pour le mariage, etc., l’analyse de l’athéisme restant incertaine.

Pour l’ordinaire populaire, la rupture entre dimension divine et dimension humaine qui nous semble si naturelle n’est pas vécue en chine. On s’y adresse à des divinités et à des ancêtres.

L’Afrique noire

L’idée prévaut aisément que l’Afrique noire traditionnelle, avant évangélisation ou islamisation, ne connaissait que des pratiques rituelles, éloignées de la moindre rationalité, sans l’ombre d’une contestation de la part d’une population adhérant sans faille à un obscurantisme religieux dépassé.

Ce dogme a été mis en question par un théologien dominicain, professeur à l’Université de Yaoundé, Éloi Messi Metogo, aujourd’hui décédé. En 1997, il publie Dieu veut-il mourir en Afrique ? Essai sur l’indifférence religieuse et l’incroyance en Afrique noire.

Pour lui, il y a bien de l’indifférence religieuse voire de l’athéisme dans l’Afrique noire précoloniale.

Il y a là des mythes sur l’explication du monde, mais certains parlent d’une hostilité à Dieu qui peut aller jusqu’au meurtre de Dieu. On y parle par exemple d’un complot visant à l’assassinat de Ngül Mpwo, le « Dieu » du ciel chez les Congolais. Bien souvent les gens constatent des décès malgré les rites dûment effectués – ce ne doit pas être rare – ou l’inefficacité des rites magiques. On s’en prend dès lors au Dieu (« il a pris mon enfant ! »). Souvent le Dieu est considéré comme bon ou comme mauvais.

En réalité, il n’y a pas d’« âme africaine », comme l’a bien dit Aimé Césaire.

Les discussions théoriques sont vives à ce sujet. Un très important anthropologue africaniste, professeur à l’Université catholique de Louvain, Michael Singleton, a donné en 2018 à la tribune de l’Association Belge des Athées une conférence qu’il a intitulée « L’Afrique n’a jamais connu de dieux ». Il parle en fait de l’Afrique des « villages », d’avant la colonisation. Pour lui, le village africain n’a jamais connu de dieux ; il est seulement en symbiose avec les ancêtres, qui ne sont pas vraiment morts. Il n’y rien de plus.

M. Singleton professe certes une théorie plus générale qui conforte ou mine sa position. Il est dubitatif sur l’existence et même la possibilité d’une définition intemporelle ou universelle de la religion. Il défend cette idée dans ses contributions à un important volume récent de la Revue du MAUSS[10], avec un article intitulé « Pourquoi je ne crois pas à la religion en général, ni même au religieux ». Il fait la comparaison avec un oignon et ses couches de pelures : à chaque tentative de définition de la religion, il faut enlever une pelure ; à la fin il ne reste quasi rien. Faut-il baptiser « religion » la toute dernière pelure ?

L’historien congolais Elikia M’Bolkolo ( notamment directeur à l’EHESS à Paris) rappelle pour sa part que les siècles qui ont précédé la colonisation ont été riches en mouvements religieux, comme de premières christianisations. Il déclare avoir le sentiment « qu’au cours des années 1950, l’athéisme faisait bien partie de l’espace spirituel du Congo ». Bien entendu la politique du ministre libéral et très laïque des colonies en 1954-1958, Auguste Buisseret, avait ouvert les esprits[11].

Mais aujourd’hui les Églises, le plus souvent chrétiennes et plus particulièrement évangéliques ont progressé et l’univers de l’« Afrique des villages » s’est rétréci. Dans les villes surtout, les Églises de réveil sont fortes et s’opposent à une Église chrétienne dominante, rivalisant selon les aléas de l’histoire avec l’Église catholique en ce qui concerne la République démocratique du Congo.

Jean Musway a étudié le phénomène des Églises de réveil dans un travail universitaire en 2017, synthétisé dans une Newsletter de l’Association Belge des Athées[12].

Dans cette étude, restreinte à Kinshasa, 98,3 % des personnes interrogées ont répondu percevoir Dieu comme le créateur de tout ce qui existe et comme seul maître et 98,9 % déclarent ne pas respecter une vision athée de l’explication de la vie et du monde.

Du scepticisme ancien, il ne reste presque rien et l’influence occidentale a surtout apporté l’intolérance du véritable obscurantisme.

Les États-Unis

Le stéréotype des États-Unis en matière de religion est qu’il ne comporte pas d’athées, sauf dans le corps académique des universités des deux côtes et que pour le reste, si le nombre d’Églises est incommensurable, tout le monde croit.

Pourtant, si, en 2012, Gallup ne compte que 5 % d’athées aux États-Unis, il enregistre déjà 30 % de « non religieux ».

Les sondages en la matière sont particulièrement fragiles et contradictoires aux États-Unis. Répondre « Je suis athée » dans un sondage par téléphone y reste difficile.

Selon des enquêtes de la General Social Survey, si l’on regroupe athées et « sans religion » – ce qu’on appelle les nones, les « sans » –, on arrive à 8 % en 1970, 15 % en 1998 et 22 % en 2018[13].

Un sondage du Pew Research Center montre qu’en 2012, 20 % des Américains s’affirmaient sans affiliation religieuse contre 15 % en 2007. Pour mémoire, dans la même étude, les catholiques représentent 22 % de la population américaine. En 2012, ces nones représentent 46 millions de personnes dont 13 millions sont athées ou agnostiques déclarés, soit ± 6 % du total [14].

Un autre sondage du même Pew Research Center publié en 2017 [15] porte sur une question intéressante, régulièrement testée aux États-Unis, l’estime de la population à l’égard des différents groupes religieux. Les opinions favorables à l’égard des athées passent de 2014 à 2017 de 41 à 50 %. Les protestants « classiques » obtiennent 65 % tandis que les évangéliques plafonnent à 60 %. Mais n’oublions que dans la Bible Belt, la situation des athées reste très difficile et que dans sept États, les athées sont inéligibles[16].

La situation des athées s’améliore donc, surtout dans les grandes villes, Dans ce cas, l’accroissement des « sans religion » reprend sans doute des personnes de plus en plus nombreuses qui se sécularisent, mais dans un contexte différent de celui de l’Europe, sans doute avec plus de force sinon d’hostilité à l’égard des Églises, qu’habituellement elles finançaient directement. Il faut voir aussi que du côté catholique (cf. Boston), le scandale et l’écœurement dus à la pédophilie de trop de prêtres (environ 6 %) et au « laxisme » des évêques sont plus anciens et plus forts qu’en Europe. Peut-être l’afflux d’hispaniques compense-t-il les défections.

Une question centrale, souvent évoquée dans la presse sous l’angle politique, est l’authentique cultural war qui règne sur les plans politiques et religieux depuis plus d’une génération. Cette guerre est menée par les évangéliques et d’autres fondamentalistes et est relayée par le Tea Party, qui a pris le dessus au sein du Part républicain pour imposer un retour du religieux dans sa face rétrograde et intolérante. Ils mènent une lutte constante, spécialement en ce qui concerne le droit à l’avortement, devenu un marqueur central en politique américaine. Même chez les démocrates, des candidats aux investitures se mettent à disputer le terrain religieux aux républicains [17].

La guerre se prolonge en Amérique latine où les évangéliques se comptent en dizaines de pourcents de la population, aux dépens des catholiques. Ceux-ci sont passés de 1970 à 2014 de 92 à 69 % de la population, les évangéliques de 4 à 19 %. Les « sans affiliation » progressent de 1 à 8 % [18]. La politique brésilienne n’est plus guère qu’un simulacre qui dissimule mal les luttes religieuses. Le maire évangélique de Rio a même coupé les subventions aux écoles de samba et au carnaval[19].

Globalement et demain ?

Donner une interprétation globale, mondiale de la situation de l’athéisme est difficile. Quand certains s’y essaient, c’est le plus souvent pour faire prévaloir l’idée de retour du religieux, parfois à l’aide de la formule prêtée à Malraux « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », soit une ou deux idées que rien ne corrobore sur le plan mondial.

Il faut tenir compte de ce qu’en dehors des zones de religion du Livre, comme l’Extrême-Orient, on se trouve devant un univers de croyances très différent de l’occidental. Même dans celui-ci des données politiques, identitaires ou linguistiques, peuvent jouer, comme dans le monde orthodoxe.

On ne peut traiter le monde que par partie, par continent, et encore.

Si la situation de l’athéisme au Japon et très probablement en Chine semble positive ou nullement inquiétante, il n’en va pas de même pour l’Inde. Or Chine et Inde dépassent chacune le milliard d’habitants ; ce sont des zones-clefs. Pakistan, Bangladesh voire Indonésie sont des pays où l’athéisme, déjà rare, est en danger. Ils sont des cas importants d’expansion de l’islam et de sa forme radicale, l’islamisme.

L’islam pose un problème général, à commencer dans sa zone d’origine où il mène une forte régression des idées. Seule la Tunisie paraît moins touchée. Mais même dans ces pays on repère des poches de rébellion à l’encontre de la religion, spécialement chez les jeunes, grâce aux réseaux sociaux.

L’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne ne sont pas non plus des continents de rêve pour les athées. Les évangéliques y mènent une lutte pour l’obscurantisme comparable à celle des islamistes, les attentats en moins. C’est le catholicisme qui leur fait face, du moins sa partie qui a fini par éliminer la théologie de la libération. Mais avouons qu’il n’en a pas été souvent autrement en Amérique latine, Mexique excepté.

Pour ce qui est du monde occidental et notamment de l’Europe, un cas est clair : les religions dominantes d’autrefois sont occupées à mourir et il n’y a pas le moindre signe significatif en faveur d’un renouveau.

Comme le dit l’historien Paul Veyne :

Je ne peux croire au rétablissement d’une religiosité s’étendant à toute une société. Il faudrait pour cela un conformisme de masse ou une morale d’État, ce qui n’est plus de notre temps.

Déjà en France, [le catholicisme] est devenu une « secte » ou chacun choisit d’entrer ou de demeurer, plus qu’il n’est encore une religion au sens sociologique du terme. [20]

Mais les ex-Églises dominantes conservent des privilèges (financement, personnel, écoles, institutions sociales) dus au passé et dont elles cherchent à jouer sur le thème des « racines chrétiennes ».

Comme je l’ai dit (cf. note 1), la question centrale en Europe est l’évolution des « spiritualistes » qui croient en quelque chose… Ce groupe subsistera-t-il de manière permanente dans sa force actuelle ? Une nouvelle religion apparaîtra-t-elle ? Deviendront-ils athées ? Une partie sans doute, mais je la dirais petite.

Mais reste l’épée de Damoclès de l’islam, avec le problème démographique.

Prenons la ville de Vienne. Elle comptait en 1971, 79 % de catholiques et 10 % de personnes sans affiliation religieuse. En 2011, on y est passé à 43 % de catholiques, 30 % de personnes sans affiliation religieuse, 9 % d’orthodoxes et 11 % de musulmans. Ceux-ci devraient monter à 20 % en 2046, pour des raisons de pure mécanique démographique.

Une étude globale sur l’avenir des religions jusqu’en 2050 a été menée en 2015 par le Pew Research Center. Ses conclusions en sont la croissance de la population musulmane et le déclin des « sans affiliation religieuse ». Il ne s’agit pas pour ces derniers de diminution en chiffres absolus. Ils représentaient 16,4 % de la population mondiale en 2010 et cette proportion devrait descendre à 13,2 % en 2050 sans pour autant qu’il y ait diminution en chiffres absolus.[21]

Le problème est démographique. Les athées – hors Chine (où la natalité est sous contrôle de l’État) – sont des occidentaux, des privilégiés culturels, et leur descendance est rare, plus rare que celle des religieux.

Démographie et athéisme ont donc un lien pour les prochaines décennies, ce qui n’exclut en rien les luttes et les conflits, notamment de la part des athées.

Cet article est le texte légèrement remanié d’une conférence que j’ai donnée le 3 mai 2019
à la tribune de la Maison de la Laïcité Hypathia à Ottignies-Louvain-la-Neuve.


Notes

  1. Patrice Dartevelle, « Le retour de la spiritualité : nouveau masque des religions? », La Pensée et les Hommes, « Francs-Parlers 2015 », pp. 59-70. ↑
  2. J’ai le plus souvent utilisé, faute d’enquête globale plus récente, les chiffres du Global Index of Religiosity and Atheism de Win- Gallup International de 2012. Il utilise le système avec des non-religieux, sans créer de discordances significatives avec d’autres chiffres pour l’Europe qui utilisent le troisième système. ↑
  3. Olivier Gillet, « Athéisme et orthodoxie en Europe orientale et du Sud-Est, Patrice Dartevelle [ sous la direction de], L’athéisme dans le monde, Bruxelles, ABA Éditions, 2015, pp. 11-25. ↑
  4. Site du Guardian le 3 mars 2016, même pour une simple déclaration lors d’un »chat » sur Internet. ↑
  5. D’après Violette Bonnebas, Le Figaro du 25 avril 2019 et La Tribune des athées N° 143-2013-1 (par A.-M. D.-G.). ↑
  6. Dominique Avon, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », L’athéisme dans le monde, op. cit., pp. 87-123, que je suis pour cette partie. ↑
  7. Le Figaro du 9 mai 2019. ↑
  8. Jean-Michel Abrassart, « Le Japon est-il un pays athée? Religions, superstitions et incroyances au Pays du Soleil Levant », L’athéisme dans le monde, op. cit., pp. 71-83. ↑
  9. Cf. l’interview d’Anne Cheng, titulaire de la chaire d’histoire intellectuelle de la Chine au Collège de France, par Nicolas Weil, Le Monde des 7-8 août 2016. ↑
  10. Revue du MAUSS, N° 49 (2017/1) intitulé Religion. Le retour? Entre violence, marché et politique. ↑
  11. Le texte d’Elikia M’Bokolo a été publié dans la revue Congo – Libertés. Il est reproduit dans Croire ou ne pas croire. L’état de l’athéisme en Belgique et dans le monde, CAL-Charleroi, 2019, pp. 35-43. ↑
  12. Newsletter N° 22 ( 16 (19)) décembre 2018, reproduite dans Croire ou ne pas croire, op. cit., pp. 44-51. ↑
  13. Thomas Mahler, site Le Point, le 19 janvier 2019. ↑
  14. Je cite d’après Philippe Bernard, « Une Amérique sans Dieu, c’est peut-être pour bientôt », Le Monde des 14-15 octobre 2012. ↑
  15. Site du New York Times du 15 février 2017. ↑
  16. Cf. Maria Udrescu, « Être athée aujourd’hui : Aux États-Unis, la religion reste un gage de moralité », La Libre Belgique du 13 août 2017. ↑
  17. Cf. Nadia Marzouki, « Jésus est un personnage à part entière de la campagne démocrate américaine », Le Monde du 10 mai 2019. ↑
  18. Cf. El País du 14 avril 2018. ↑
  19. Claire Gatinois, « L’austère maire évangélique de Rio sonne la fin de la fête », Le Monde du 29 août 2017. ↑
  20. Paul Veyne, Et dans l’éternité, je ne m’ennuierai pas, Paris 2014, republié en Livre de poche en 2016, p. 116. ↑
  21. Cf. Jean-François Mayer, « Europe : recherches sur les perspectives démographiques et l’avenir des religions, Religioscope, 18 juin 2017. ↑
Tags : Afrique athéisme démographie. États-Unis fondamentalisme islam Japon monde orthodoxe

« L’Afrique n’a jamais connu de dieux » vidéo de la conférence de Michael Singleton

Posté le 26 octobre 2018 Par ABA Publié dans Conférence, Evenements ABA, Vidéos Laisser un commentaire

L’Afrique n’a jamais connu de dieux

Conférence de Michael Singleton, Professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain

 

Anthropologue et africaniste d’exceptionnelle renommée, Michael Singleton soutient une thèse qui déplaît à beaucoup, croyants ou non croyants : avant la colonisation, avant sa « rencontre » avec l’une ou l’autre religion du Livre, l’Afrique centrale, pas plus qu’elle n’a connu le « politique », n’a rien connu de ce que l’on nomme religion. Tout au plus peut-on parler d’une philosophie, généralement teintée d’optimisme.

Le problème peut résider dans cette appellation même de « religion » : à force de vouloir absolument en voir partout, on aboutit sous ce terme à une notion extrêmement pauvre, résiduelle sinon vide de sens. Un peu comme si, à force d’enlever les couches qui forment un oignon, il n’en restait plus rien…

Dès 2014, l’Association Belge des Athées s’est souciée d’approfondir le sens de l’athéisme et de la religion dans les diverses parties du monde, notamment en Asie et en Extrême-Orient, mais n’avait pas pu encore examiner la problématique africaine.

Cette conférence constitue une première étape de l’étude qu’elle souhaite mener.

Tags : ABA Afrique dieu religion Singleton

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