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La Confession libertine de la Marquise Émilie du Châtelet

Posté le 1 août 2020 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession libertine, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Marquise Émilie du Châtelet, née Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, à Paris en 1706 – femme de lettres, femme de haute éducation et de grande culture, mathématicienne et physicienne ; renommée pour avoir fait connaître en France les travaux de Newton et Leibniz. À côté de sa personnalité de femme savante, la Marquise avait aussi une vie de femme mariée, elle a eu quatre enfants ; coquette, portée sur les robes, les pompons, les rubans, les fanfreluches et les nœuds ; une femme forte, libre et libertine ; elle eut des amants, dont Voltaire (elle fut avec lui comme cul et chemise pendant quinze ans), le Duc de Richelieu et Maupertuis. Elle avait le goût des idées, de la conversation instructive, un solide penchant à l’indépendance et à la liberté de pensée.

Bonjour, Madame la Marquise. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [3] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien, Madame, la Marquise Émilie du Châtelet, née Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, à Paris en 1706.

Bonjour, Monsieur l’Inquisiteur, je le suis en effet et assez ravie de l’être.

À vrai dire, Madame la Marquise, je ne sais pas trop comment vous le dire, mais avec la circonspection la plus respectueuse, et pour tout dire, à ma grande consternation, on m’a demandé de vous recevoir et de vous poser principalement une question. Je vais aller tout droit au fait : mon dossier vous définit comme athée et c’est ce point-là qu’il me faut éclaircir. Je doute d’ailleurs très fort que vous le soyez du fait que vous êtes d’une famille catholique et que vous avez été inhumée en l’église paroissiale de Lunéville, petite ville dans l’est de la France.

C’est tout à votre honneur et à celui de votre congrégation, Monsieur l’Inquisiteur, de me dédouaner si habilement, car Lunéville à l’époque n’était pas en France, mais bien en Lorraine et croyez-moi, ça faisait toute la différence. À la cour de Lorraine, sous le règne de Stanislas qui, quoique officiellement catholique, était ouvert aux idées nouvelles et pratiquait la tolérance à l’égard des protestants et des athées. Il avait accueilli les francs-maçons persécutés à Paris. C’est d’ailleurs à proximité de la Lorraine, en mon château de Cirey, que je me suis réfugiée avec mon ami Voltaire, quand ses idées philosophiques menaçaient de le conduire une fois de plus en prison ; il vivait dans la hantise de la Bastille ; je ne pouvais supporter ce tracas, il gâchait nos soirées. Par ailleurs, pour répondre à votre interrogation, au moins sur un point et selon mon habitude, de manière un peu énigmatique, je vous rappellerai la fin de mon amie, la Baronne de Fontaine-Martel, qui n’avait jamais eu la foi. (L.28)[4]

Nous savons fort bien, dit l’Inquisiteur, que cette Baronne était tourmentée par une ombre et sa fille, Madame d’Estaing, disait : « C’est son irréligion qui la tourmentait, c’était le fantôme de sa perdition, le remords de son athéisme, les prémices de l’enfer ! » (L.53)

Monsieur l’Inquisiteur, il ne faut pas vous laisser aller à vous fier aux commérages et je vous conseille vivement de vous informer à meilleure source.

Justement, dit l’Inquisiteur, c’est ce que je fais. Alors, qu’en était-il vraiment de la Baronne ?

Ce qui la tourmentait au plus profond d’elle-même, Monsieur l’Inquisiteur, c’était d’avoir commis un enfant illégitime et secret avec un cocher ; c’était aussi de l’avoir abandonné dès son jeune âge. Elle l’avoua en une ultime et unique confession à un philosophe qu’elle logeait en sa demeure, je veux dire Voltaire. Au décès de la baronne, qui avait été assassinée, le lieutenant général René Hérault, pour des raisons de sûreté nationale et de secret policier, avait fait venir le curé de Saint-Eustache afin que ce dernier confirme qu’il l’avait lui-même confessée et qu’elle avait reçu de lui l’absolution, ce qui permettait à la baronne athée d’être inhumée dans les formes – entendez en terre chrétienne (L.44-45). Pour le premier policier de France, il s’agissait aussi d’étouffer dans l’œuf tout scandale, ce qui était nécessaire à la tranquillité publique ; l’État et la Religion y tenaient. On pouvait être athée tant qu’on voulait, mais ce devait être confidentiel. En somme, on était athée caché ; mais la façade devait être religieuse ou à l’extrême limite, déiste.

Hum, je vois, dit l’Inquisiteur. Il paraît que pour l’inhumation, on a fait de même avec le corps de Voltaire. Par ailleurs, le baron d’Holbach tout comme Diderot, tous deux athées affichés, furent enterrés à l’église Saint-Roch à Paris[5].

Ça, je ne le sais pas, dit la Marquise, j’étais déjà sous la paroisse. Assurément, personne n’avait envie de finir jeté à la voirie. En ce qui me concerne, on certifia tout ce qu’il fallut, surtout mon frère l’abbé Élisabeth-Théodose Le Tonnelier de Breteuil, qui comme vous le savez certainement, fut prieur commendataire de Saint-Martin-des-Champs et agent général du clergé de France jusqu’à sa mort en 1781. Cependant, je vous ferai remarquer que si je suis en un lieu consacré, c’est sous un épais marbre noir et sans aucune mention de mon nom. Mais dites-moi, Monsieur l’Inquisiteur, selon vous, selon vos dossiers, j’entends, du point de vue de l’Église, quelle fut la fin de Voltaire ?

Je comprends, Madame la Marquise, votre souci. Eh bien, voici. Voltaire, sentant sa fin prochaine, a voulu se prémunir contre un refus de sépulture, car lui non plus n’aimait pas l’idée d’être jeté à la voirie et comme l’avaient fait avant lui d’autres philosophes impies ou athées comme Fontenelle ou Montesquieu, il a fait venir un prêtre à qui il a remis une confession de foi minimale en échange de son absolution. Bref, on trouva là aussi un arrangement et son neveu l’Abbé Mignot l’emporta discrètement en son abbaye de Sellières, près de Romilly et le fit tout aussi secrètement inhumer dans un caveau sous l’église. Après une Révolution et maintes tribulations, Voltaire finira au Panthéon. La chose est amusante : en le mettant au Panthéon, on a rangé Voltaire parmi les dieux. Pour ce qui est de l’Église, une vraie conversion finale, écrite et signée de la main impie, aurait été un triomphe et même, non écrite, l’Église aurait bien voulu faire croire à cette conversion du philosophe.

Oh, dit la Marquise, la conversion de Voltaire, c’est comme l’existence de Dieu. Si l’Église veut y faire croire, on a tout lieu de penser que c’est un mensonge (L.41)[6]. En fait, malgré toutes ses nombreuses dénégations et ses affirmations nébuleuses, filles d’une grande prudence, Voltaire était, en la matière, comme qui dirait, un athée clandestin. C’est par diplomatie que le philosophe s’était résolu au déisme.

Madame la Marquise, dit l’Inquisiteur, il me semble que vous étiez mariée et que ce n’était pas avec Monsieur Voltaire avec qui vous avez pourtant vécu jusqu’à la fin de votre vie.

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, j’étais mariée avec le Marquis Florent-Claude du Châtelet-Lomont ; j’ai eu quatre enfants. Mariée, évidemment ! Et Monsieur de Voltaire était célibataire ! Que voulez-vous, c’était une nécessité et ce fut une grande chance que mon époux fut militaire, lieutenant général des armées du Roi.

Et pourquoi donc une chance ?, demande l’Inquisiteur. Et pour qui ?

Oh, Monsieur l’Inquisiteur. D’abord pour le Marquis : il aimait surtout jouer avec ses soldats ; moi, j’étais plus intéressée par les mathématiques et la philosophie. Le Marquis venait me faire des enfants, puis il retournait à ses affaires guerrières ; il s’agissait de perpétuer la lignée des Chastelet. Moi, je retournais aux miennes qui furent principalement scientifiques, mathématiques et philosophiques ; je m’y suis adonnée des années en compagnie de Voltaire : on s’intéressait particulièrement aux travaux de Newton ; je me chargeais de l’aspect physique et mathématique ; Voltaire s’intéressait plus à la philosophie. On se disputait à propos de Leibniz. Finalement, j’ai rallié le point de vue de Voltaire. Mais il y en avait d’autres ; ainsi, pour les mathématiques, Pierre Louis Moreau de Maupertuis et Alexis Claude Clairaut ; pour ma dernière flamme amoureuse, le Marquis de Saint-Lambert. Je vous révèle tout ceci sous le sceau de la confidence, évidemment.

Ainsi, Madame la Marquise, je vois qu’en dehors de l’apparence et des convenances, dans vos relations avec certains de ces messieurs, vous ne respectiez en rien la morale chrétienne et je soupçonne de plus en plus la vérité de votre athéisme.

Oh, Monsieur l’Inquisiteur, si le fait d’avoir des amants ou des maîtresses, ne fût-ce seulement qu’une ou un, est une preuve d’athéisme, alors, vous pouvez me croire, le monde est peuplé d’athées. Cependant, je ne vais pas éluder la véritable question de l’athéisme et de mon supposé athéisme. Voilà donc : l’être ou si vous préférez, l’étant – en fait, tout ce qui est présent au monde – le réel, est par sa nature même athée. C’est une certitude ; tout le reste est sujet au doute. L’humain, par son imagination, ajoute – hors du réel – des objets et des entités ; pour les faire exister, il doit leur offrir ou leur insuffler l’assurance de leur existence, il doit les gonfler d’une certitude forcément artificielle : ce sont des croyances. La croyance se fonde sur un principe de certitude, elle est affirmation sans preuve, sans preuve possible et sans même, la nécessité de l’établissement de cette preuve. Elle se fonde sur elle-même, elle est pure création, mais une création de l’homme évidemment ; en somme, c’est une élucubration. Quant à moi, je ne suis que doute, ce qui est une sage résolution, mais aussi une précaution dont on ne devrait jamais se départir. J’ai bien essayé la certitude, je la voyais fille de la passion. Comme principe, la certitude est une fausse assurance auto-confirmée sans retour sur elle-même. J’ai expérimenté cette voie toute ma vie ; chez moi, la passion est la source de l’amour (et comme vous le savez, selon les religions, Dieu est amour, son message est amour), elle est le fondement de la croyance en l’amour ; mise à l’épreuve du réel, elle se dissout plus ou moins lentement, pour renaître ailleurs ; autrement, parfois. Ainsi, j’ai mis, j’ai accepté de la croyance dans ma vie, c’était la passion, la passion amoureuse ; elle voulait donner un sens à l’existence ; l’amour était censé donner certaine consistance à ma vie. À la fin, la passion ne me donnait même plus de satisfaction. En fait, ma seule vraie croyance fut cette passion, la passion amoureuse, mais elle n’était là que parce que je voulais y croire. À l’opposé, le moteur de mon intelligence du monde est le doute, porté par la liberté et l’effort de comprendre. Soumise à cet examen libre de préjugés, la passion se révélait pour ce qu’elle était : une ivresse du sentiment. On dirait maintenant, une tempête neuro-physiologique. J’en reviens à votre question sur mon supposé athéisme. D’abord, une définition, si vous permettez : l’athéisme résulte d’une absence de réalité de Dieu ; l’athéisme est la constatation et l’affirmation de cette absence. Pour établir la réalité de quelque chose, il faut une certaine consistance. Un Dieu, si personne ne le loue, si personne ne l’enseigne, si personne ne le proclame, il n’est tout simplement pas. C’est une croyance ; a priori, il n’existe pas. Pour qu’un Dieu existe, il faut qu’au moins, un humain y croie ; il faut y croire, c’est d’ailleurs le commandement des religions et leur fondement essentiel ; elles n’hésitent pas à user de la force pour en convaincre les incrédules. À la réflexion, si la croyance peut se satisfaire des histoires bibliques, face au principe du doute, compris comme point de départ nécessaire, face à l’incertitude de telles fantaisies, moi, je ne peux suivre la croyance en de tels errements. Les dieux, Dieu, les croyances et toutes ces sortes de choses, ce sont des histoires, racontées par un idiot et ne signifiant rien[7].

Ça commence mal, dit l’Inquisiteur. Soit, mais au-delà ?

Mais au-delà ? Précisément, au-delà ? Quel au-delà, Monsieur l’Inquisiteur ? Laissons-le là, cet au-delà, il est hors champ ; le doute le submerge totalement. Cet au-delà-là n’est pas sérieux. J’ai suivi les travaux de Wilhelm Leibniz et j’ai traduit et commenté les Principes mathématiques d’Isaac Newton. Je l’avais d’ailleurs fait à l’instigation et grâce à Voltaire. Enfin, dans le meilleur des mondes possibles, celui de la croyance, la passion est infinie ; dans le monde réel, comme j’ai dû m’y résigner, même avec Voltaire, elle se meurt, elle s’évanouit, elle s’anéantit complètement. Ensuite, il reste le goût et c’est ainsi que nous avons écrit à quatre mains à propos de philosophie et de science.

Exactement, Madame la Marquise, on vous a vue vivre durant des années en compagnie de ce philosophe, réputé pour cacher son athéisme sous le voile d’un déisme improbable ; il traitait Dieu d’architecte.

Ce n’est pas le cas, répond la Marquise, Voltaire penchait plutôt vers la Suisse. En vérité, il était surtout question d’horlogerie, d’un monde plus en accord avec un univers mécanique, une sorte de grande machine auto-régulée, une grande histoire mathématiquement décodable.

Tout va donc très bien, Madame la Marquise, dit l’Inquisiteur, mais la croyance en Dieu est objet de foi. De ce point de vue, que dites-vous de Dieu, de la croyance en Dieu ?

La question, Monsieur l’Inquisiteur, est que la foi est croyance et que la croyance relève de l’émotion. Il convient de savoir ce qu’est l’émotion, comment elle se forme et d’où elle vient ? Pour ce que j’en ai perçu et ce que j’en sais, c’est un processus intime à chaque personne, elle ressemble à une sorte de processus chimique. Dieu est une réponse à la peur, à l’angoisse face au monde réel et à ses incertitudes et à sa certitude de la mort ; cette réponse crée une illusion pour donner le visage du bonheur au monde, pour lui fournir un analgésique face à l’angoisse existentielle, née de l’ignorance. Vouloir proposer Dieu et la croyance comme explication du monde ne m’a jamais paru une démarche acceptable et je pense qu’elle est malsaine. Face aux choses que nous ne comprenons pas, la seule voie qui tienne, c’est la Science, entendue comme l’étude de la Nature ; elle est la clef de toutes les découvertes ; et s’il y a encore plusieurs choses inexplicables en Physique, c’est qu’on n’a pas été assez loin dans cette Science.[8]

Et que faites-vous de la cause nécessaire ?, demande l’Inquisiteur.

Vous faites bien de poser la question, Monsieur l’Inquisiteur, et je vous en remercie, car il est temps de dégonfler cette baudruche. Certes, cette cause nécessaire figure dans mes Institutions de Physique, livre destiné à mon fils, dans le chapitre où je lui expose les idées de Leibniz[9], dont cette histoire de cause nécessaire est la clé de voûte ; une clé nécessaire pour mettre fin au vertige de la mise en abyme de la création du monde. Ce sont les ruminations de Leibniz, ce qui n’en fait pas les miennes pour autant ; il est donc inexact de m’attribuer cette croyance et on est plus dans l’erreur encore, si on y voit une preuve de l’existence de Dieu. Ainsi, c’est dit.

À propos de bonheur, Madame la Marquise, dit l’Inquisiteur, vous avez bien écrit un Discours sur le Bonheur [10] ; il est, je vous l’assure, fort apprécié des dames de nos temps[11] ?

En effet, j’ai écrit un tel ouvrage, Monsieur l’Inquisiteur, mais à titre strictement personnel et je suis un peu fâchée qu’il ait été publié.

Pour ce que j’en sais de ce Discours, dit l’Inquisiteur, vous y développez votre conception des choses et des manières de vivre et je voudrais savoir quelle place vous faites à Dieu, à ses conseils, à ses injonctions ; bref, aux commandements qu’il nous a faits. Quelle est au fond votre morale ?

Alors là, Monsieur l’Inquisiteur, pour la place de Dieu dans ma vie, ma réponse est simple : aucune. Dieu n’a rien à faire dans ma vie ; il n’a pas à régenter ma vertu et je me charge de trouver moi-même ma paix intérieure et mon contentement, notamment, ne vous en déplaise, en compagnie de Voltaire. Ma liberté de vie et de sentiment, mon bonheur sont pour moi, une tranquille évidence. Mes passions et mes goûts sont la boussole de mon existence. Il n’y a rien là que de naturel. Dès lors, vous comprendrez que je ne peux être une prosélyte, une apôtre ou une sectatrice. Pour que vous compreniez mieux encore ma disposition très féminine, je vous propose un petit saut dans le temps, chose que nous pouvons nous permettre à présent et de lire quelques lignes de ce poème de votre contemporain (ou presque) Jacques Prévert – poème adapté à une interprète féminine tout à fait remarquable : Juliette Gréco[12]. Ce poème s’intitule : « Je suis comme je suis » et je m’y reconnais pleinement. Tenez, je vous en sers un morceau :

Je suis comme je suis,

Je suis faite comme ça.

Quand j’ai envie de rire,

Oui, je ris aux éclats.

J’aime celui qui m’aime,

Est-ce ma faute à moi,

Si ce n’est pas le même

Que j’aime chaque fois ?


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  4. Frédéric Lenormand, La Baronne meurt à cinq heures, J.C. Lattès, Paris, 2011, 285 p., p. 28.Dans le texte, les chiffres entre parenthèses, comme ici (L.28), renvoient au numéro de page correspondant ↑
  5. Voir le site Cimetières de France et d’ailleurs, animé par Philippe Landru, professeur agrégé d’histoire, spécialiste des cimetières, empêcheur d’oublier en rond, organisateur de visites pour tous les publics. ↑
  6. Il s’agit en réalité d’une paraphrase d’une réplique de Voltaire au lieutenant de police Hérault, qui disait : « Les vampires ne me dérangent pas… Les Valaques ont leurs suceurs de sang, nous avons nos jansénistes et nos jésuites… Si l’Église n’y croit pas, nous avons lieu de penser qu’ils existent. » ↑
  7. William Shakespeare, « It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing. » – Macbeth : Act V, scène V, 26-28, in Complete Works, Oxford University Press, London, 1966, p. 868. ↑
  8. Émilie du Châtelet, Institutions de Physique, Prault fils, Quai de Conty, vis-à-vis la descente du Pont-neuf, à la Charité, Paris, 1740, 511 p., p. 2. ↑
  9. Ibidem, Chapitre II, De l’Existence de Dieu, p.p. 38 sqq. ↑
  10. Émilie du Châtelet, Discours sur le Bonheur, Édition critique et commentée par Robert Mauzi, Les belles Lettres, Paris, 1961, 203 p. ↑
  11. Voir notamment, Élisabeth Badinter, Émilie Émilie, l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Flammarion, Paris, 490 p., 1983 et Florence Mauro, Émilie du Châtelet, Plon, Paris, 2006, 188p. ↑
  12. Jacques Prévert « Je suis comme je suis », Paroles, Gallimard, Paris, 1947, 256 p., chanson interprétée par Juliette Gréco. ↑
Tags : athées athéisme confession création dieu Émilie femme homme libertine libre Madame du Châtelet Marquise mathématicienne Philosophie physique Voltaire

La Confession véridique de Dieu-le-Père

Posté le 25 avril 2020 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession véridique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Dieu-le-Père, né à une date inconnue de père et de mère inconnus, orphelin de naissance, en quelque sorte, recueilli comme enfant de l’Église. De son existence réelle et de ses œuvres véritables, on ne connaît pas grand-chose. Heureusement pour cet interrogatoire, l’Inquisiteur a pu disposer dans son dossier d’une source originale et de première main, que sont ses mémoires, tels que rapportés par Henri Cami[3].

Bonjour, Monsieur Cami. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien l’auteur des Mémoires de Dieu le Père que vous auriez recueillis de sa propre bouche.

Bonjour, Monsieur l’Inquisiteur, je peux vous garantir que je suis l’auteur ou plus exactement, le transcripteur, le copiste, le sténographe des mémoires de Dieu.

Soit, Monsieur Cami que vous a dit Dieu dans ses mémoires ?

D’abord, il s’agit de Dieu-le-Père lui-même ; des autres – la Mère, le Fils, le Tiers personnage –, je ne sais rien, ils ne m’ont fait aucune confidence et maintenant, je Lui laisse la parole.

La Mère ? Que vient-elle faire là ?, demande l’Inquisiteur.

Oh, vous savez, dit Dieu-le-Père, elle se mêle de tout et puis, il y a toujours une mère derrière chaque père. Sinon, comment y aurait-il un fils ? Et inversement, pour qu’il y ait un fils d’une mère, il faut qu’il y ait un père.

Toujours ?, demande l’Inquisiteur.

Toujours, dit Dieu. Ces histoires de filiation, ça embrouille tout, on ne sait jamais qui est vraiment le père. Je n’y vois aucun inconvénient, car tous les hommes sont mes enfants. Vu le nombre, il a bien fallu que d’autres y mettent un coup, si je peux dire. Et pour en finir avec ces histoires de famille, Dieu-la-Mère, à l’heure qu’il est, s’occupe des enfants et elle a de quoi faire. Elle n’a pas le temps de faire des confidences. D’ailleurs, il ne vaudrait peut-être mieux pas.

Oui, évidemment, dit l’Inquisiteur. C’est bien assez avec celles du Père.

En vérité, je ne voulais pas être Dieu. Au départ, je n’étais rien, rien de rien, un rien du tout dans le néant. Mais que voulez-vous, c’est la vie. Le destin trace la vie de chacun et pourquoi pas, le chemin de celle de Dieu. Il est dur de n’avoir jamais eu de commencement et d’imaginer n’avoir jamais de fin. Surtout quand on considère le monde comme une prison et qu’on y est enfermé à jamais. Moi, j’étais tranquille et d’un coup, bardaf – un big-bang –, et puis, un peu plus tard, à l’échelle cosmique, voici l’homme et hop, il me crée. D’accord, ça ne s’est pas fait en deux coups de cuillère à pot ; c’est long le temps dans l’éternité. Bref, pour avoir un commencement, j’ai décidé de me faire naître au 14 rue Mouffetard à Paris chez mon ami Cami.

Dieu-le-Père, « Gloria Patri ! », dit l’Inquisiteur, puisque à vous voir là, je dois croire que vous existez, quel âge avez-vous exactement ?

Oh, à vrai dire, je n’ai pas d’âge ou je les ai tous en un seul. Je rayonne à partir de ma création vers tous les âges de l’univers et même, comme j’ai tendance à le penser, vers tous ceux de tous les multivers.

Attendez, je ne comprends pas bien, dit l’Inquisiteur. Finalement, qui a créé qui ?

Oh, dit Dieu, je sais que certains parmi les hommes sont persuadés que je les ai créés – et franchement, je pense que ce sont certains humains qui m’ont inventé pour jouer ce rôle-là, celui de créateur de tout : des crevettes, des lapins, des araignées, des ornithorynques, du trypanosome gambien et de l’humanité. Mais voyez comme ils me traitent : « En somme depuis qu’il nous a créés et mis au monde, ce prétendu Dieu de bonté laisse triompher le mal, régner le vice et accable notre pauvre globe des catastrophes les plus variées. Ce Dieu qui a la prétention de se faire adorer nous a cyniquement bourré le crâne depuis les temps les plus reculés ! Il se prétend le Dieu des pauvres et ne protège que les riches, il déclare être l’agneau de paix et se révèle Dieu des armées en permettant aux hommes les ignobles tueries de la guerre ! » (8)[5] Et je dois dire qu’ils n’ont pas tort ; néanmoins, je ne suis que le paravent de leur turpitude ou de leur incapacité à s’expliquer les mystères de la nature et de leurs vilaines habitudes. Pourtant, je ne peux les suivre quand ils disent : « Ah ! s’il pouvait y avoir une fin, l’humanité pourrait alors espérer le vrai bonheur ! » (8) ; vraiment, c’est une ânerie, car même en m’éliminant, les riches continueraient à tirer leurs richesses des pauvres, les agneaux continueraient à être mangés et les guerres à se perpétuer. Seuls les hommes pourraient mettre fin à toutes ces horreurs, mais il faudrait qu’ils le veuillent. Alors, je demande aux hommes de cesser de tout me mettre sur le dos et d’assumer eux-mêmes leurs propres (et leurs sales) responsabilités, qu’ils me fassent disparaître de leurs horizons et de leurs pensées et de leurs esprits, qu’ils ne me mêlent plus à leurs querelles. Je les prie de me délivrer de moi. Je rêve de rejoindre les cénobites tranquilles et de pratiquer éternellement une divine ataraxie.

Là, dit l’Inquisiteur, vous me surprenez. Vous êtes Dieu-le-Père (Gloria Patri !) et vous avez l’air de dire que vous voudriez que les hommes vous oublient, vous effacent de leur pensée. Pour tout dire, vous prêchez pour un monde sans Dieu, une humanité et un univers entier, athées. Est-ce bien ainsi ?

Par la force des choses, je suis moi-même le premier athée.

Alors, demande l’Inquisiteur, très intéressé, comment vous expliquez-vous vous-même à vous-même ?

Moi ? Je ne m’explique pas du tout, je suis « la plus formidable énigme de tous les siècles » (9). Mon histoire s’apparente à la légende des tortues ; vous savez celle où un îlien du bout du monde a la conviction que le monde repose sur le dos d’une tortue, laquelle tortue repose elle-même sur le dos d’une autre tortue, qui elle-même … J’ai découvert que c’est pareil en ce qui me concerne, il y a une légende qui explique ma création par un autre dieu, lui-même créé par un autre dieu et ainsi de suite et nunc et semper et in saecula saeculorum (et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles). Dieu est Dieu parce que Dieu est Dieu : en d’autres termes, je suis moi parce que je suis moi. Avec ça, je n’ai rien dit. Les dieux sont tautologiques.

Alors, j’ai cru comprendre, dit l’Inquisiteur, qu’on vous a créé.

Il a bien fallu qu’on me crée, vu que je n’existais pas. On m’a fait Dieu, mais il me manquait un objet sur lequel m’exercer et me donner de la consistance ; j’ai donc dû par un mouvement de rétroaction recréer le monde et l’espèce humaine telle qu’elle était avec toute sa bêtise et toute sa méchanceté. Croyez-moi, toutes ces histoires de Dieu, de Diable et de religions, c’est invraisemblable. On peut les regarder comme des fables, des contes, des légendes, mais elles génèrent de vraies catastrophes quand on les prend au sérieux ; ce sont de terribles instruments de manipulation entre les mains de ceux qui veulent dominer le monde des hommes.

Dans l’imaginaire des hommes, vous apparaissez comme un vieillard un peu grassouillet, un aïeul ridé, un vieux à la longue barbe blanche. Est-ce bien ainsi ? demande l’Inquisiteur.

Oui, je sais, mais là, je me suis fait avoir par Lucifer qui m’avait conseillé de me donner l’apparence d’un Père vénéré, d’un Patriarche : un physique majestueux, imposant, noble, pas trop austère et pour ne pas effrayer, un visage avec une grande expression de bonté ; bref, l’image définitive d’un bon père de famille. (19)

Parlez-moi du début de votre vie, demande respectueusement l’Inquisiteur.

Pour qu’un Dieu existe, il faut au moins qu’une femme ou un homme l’invente. Il faut qu’elle ou il crée le créateur en le tirant du Silence de la création. C’est ainsi que ma véritable existence de Dieu a commencé. (12) Ensuite, je n’ai plus eu qu’à dire : « Que Dieu le Père soit ! », et Dieu le Père fut. (20)

À la vérité, dit l’Inquisiteur, je ne comprends pas vraiment.

C’est très mystérieux, comme tout ce qui touche à ma personne. Dès qu’un dieu existe, il lui faut créer le temps. Tout le temps en même temps, d’un seul coup : le passé, le présent, le futur, avec tout ce qu’ils contiennent et il lui faut aussi créer l’Univers tout entier dans toutes ses extensions et ses contractions. (13) Et, surtout, supporter l’effarant chœur des anges qui chantent (faux !) les louanges de la création et du créateur tant que durera l’Éternité. (20) Et croyez-moi, c’est long l’Éternité : des milliards de milliards d’années (10). Bref, une fois le temps et l’univers mis en place, ça roule tout seul. On n’y voyait rien dans ce Chaos, alors j’ai créé (« Que la lumière soit ! », dis-je) une lanterne : le Soleil ; puis, j’ai dit que la Terre soit ronde (22). J’avoue que je n’aurais pas pu faire autrement, car le Soleil existait et faire une Terre cubique était exclu, vu qu’elle était un globe. Sur la Terre, pour la peupler – il fallait que je la peuple, sinon quoi ? Qui m’aurait inventé ?, j’y ai mis des humains à mon image et des tas d’animaux et d’autres choses, en vrac ; c’est là que j’ai compris la grandeur de l’œuvre entreprise. (27)

Comment avez-vous pu faire une telle œuvre ?, demande l’Inquisiteur.

J’ai suivi à la lettre le Manuel de la Création, dont je me demande encore qui a pu l’écrire.

Eh bien, dit l’Inquisiteur, parlez-moi de cette œuvre, votre opus magnum, votre Grand Œuvre.

Bien dit, mon Grand Œuvre, car c’est lui qui a couronné tout le reste. Il s’agit du premier homme. Avec de l’argile, j’avais modelé son corps dans les meilleures proportions, un être magnifique, plus beau que le David de Michel-Ange. J’en étais très fier, surtout qu’il était à mon image. Le drame, c’est que Lucifer, qui était censé me seconder, l’a déformé et moi, par distraction, avant d’avoir réparé les dégâts, j’ai insufflé la vie à cette maquette ratée. (31-33) Et je n’ai pas voulu revenir en arrière et tuer ma créature contre son gré en raison du libre arbitre et du droit absolu de l’humain à disposer de sa propre vie. Je lui ai bien proposé de le replonger dans le Néant afin de pouvoir le remodeler, mais il m’a répondu : « Je n’y tiens pas. La vie me paraît belle. Le ciel est bleu, le soleil brille, je suis heureux d’être au monde et d’y voir clair. » (34-35)

Bien, je vois, dit l’Inquisiteur, et Adam dans tout ça ?

Certes, le premier homme a été Adam, mais celui dont je vous parle, mon immortel chef-d’œuvre abîmé, c’était l’ « Avant-premier Homme ». (36) En application du droit humain à disposer de sa personne, il a choisi lui-même son nom. Il s’est nommé Dupont (37) ; puis, il a exigé un chapeau et je lui ai montré tous les chapeaux de la création et il m’en a fait créer un autre : le panama. J’ai dit : « Que le panama soit ! Et le panama fut ». (48-49) La veille au soir, j’avais dû lui créer un lit-pliant (« Que le lit-pliant soit ! Et le lit-pliant fut ») (39) ; je n’allais quand même pas le laisser dormir par terre. Et les anges chantaient : « Gloire au Seigneur Tout-Puissant, créateur du ciel, de la terre et de Monsieur Dupont ! » (41) Ensuite, il me fit remarquer qu’un homme nu avec un chapeau, c’était ridicule. Je lui ai montré toute une garde-robe et il a choisi : une redingote, des chemises, des caleçons, des chaussettes, tout un bazar (55) (« Que la redingote soit !, Que la chemise soit ! Que le caleçon soit !, Que les chaussettes soient ! », etc.). Puis ce fut le tour des souliers, bottes, bottillons, mocassins, pantoufles, babouches, etc. Il a choisi des bottines à élastique (56). (« Que les bottines à élastique soient ! ») Puis, comme la nuit est trop noire, il m’a fait créer la Lune… (« Que la lune soit ! ») (59) Figurez-vous qu’avec tout ça, j’ai consacré une partie du premier et tout le deuxième jour de la Création à Monsieur Dupont.

Et ça vous a mis en retard, je présume, dit l’Inquisiteur.

Bien sûr, mais je ne pouvais pas laisser Dupont tout nu avec juste un panama sur la tête et puis, si c’était l’« Avant-premier Homme », c’était un homme et le premier que je créais ; j’y tenais, voyez-vous. Le troisième jour, donc, j’ai créé les océans, les montagnes et toutes ces sortes de choses. Pour meubler la Terre, j’ai fait répandre par les séraphins les semences partout et pour arroser les semis, j’ai créé la pluie. Le lendemain, je créais le Paradis terrestre et j’y plaçais des oiseaux pour l’égayer de leurs chants. J’y ajoutais un splendide massif de roses et pour le caresser et le sentir, j’ai imaginé : « La femme, Dupont, la femme, sœur humaine des fleurs, l’amie et l’égale des roses. » « À propos, Éternel, m’a demandé Dupont, qu’est-ce que c’est qu’une femme ? » (79-80)

Pardonnez-moi Seigneur, dit l’Inquisiteur, je ne peux me dépêtrer d’une certaine gêne à vous entendre parler de façon si terre à terre.

C’est que soucieux d’être compris et aimé de tous, je ne veux pas vous écraser sous le flot majestueux de ce style grandiloquent, pompeux, pompier et mélodramatique que me prêtent les Livres sacrés et je vous mets en garde contre ces tartufes et autres cafards qui vont de par le monde en proclamant avec impudence que je suis sérieux comme un pape ! (80-82) Passons au quatrième jour ; là, il me faut rectifier une erreur monumentale de la Genèse, dont le verset 14 dit que ce jour-là, j’ai créé le soleil, la lune et les étoiles. Or, j’ai créé le soleil le premier jour et la lune le troisième, à la demande de Dupont.

Hum, hum, dit l’Inquisiteur, est-ce que vous vous rendez compte que vous venez de démolir les Livres sacrés et de démentir le récit de la Création. Vous commencez à m’inquiéter. Mais qu’avez-vous fait ensuite ?

C’est assez classique et conforme aux Écritures : j’avais fait les plantes, les océans, les poissons, les oiseaux, les fleurs, le Paradis, tout ça. Les chiens et le basset de Dupont, nommé Ventre à Terre ; à ce sujet, Dupont m’a demandé : « Est-ce que le chien sera toujours fidèle à l’homme ?, et je lui ai répondu : Oui, certainement ». Ensuite, Dupont, sachant que le lendemain, j’allais créer Adam en nudiste dans un Éden tout équipé de nature, m’a demandé de lui conserver son lit-pliant, son panama, sa redingote, son parapluie, son chien et, car il a la vue basse, il m’a demandé un lorgnon. « Que le lorgnon soit ! ». Donc, le sixième jour touche à sa fin quand je termine les animaux, les oiseaux et le perroquet, les poissons et la sole ; je crée alors le premier homme que j’ai dû nommer Adam puisque c’était ainsi écrit dans le Manuel de la Création (96)

Ah, dit l’Inquisiteur, qu’a dit Adam ?

Il a dit : « Où suis-je ? Qui suis-je ? » et le perroquet a renchérit : « Où suis-je ? Qui suis-je ? » ; à partir de là, tout fut en stéréo. Dupont a dit : « Il est bien élevé ce jeune homme » et je les ai présentés. « Adam, je te présente Monsieur Dupont. Dupont, je vous présente Adam. »(100) Il ne me restait plus qu’à créer la femme, forcément nommée Ève. Ici, une importante rectification s’impose. Cette histoire de côte d’Adam ne tient pas la route, elle est déshonorante pour la femme ; c’est un bobard. En fait, j’ai créé la femme, dont on dit à présent qu’elle est la moitié de l’homme, avec la moitié du cœur de l’homme (101-102), avec la chair de sa chair et pas avec un os. Le cœur convient mieux, car il est tendre et tout en rondeurs. C’est depuis ce temps-là que l’homme chante à sa promise : « Je t’ai donné mon cœur »[6].

Et qu’en a pensé, Monsieur Dupont ?, demande l’Inquisiteur.

En voyant Ève, Dupont était troublé, il rougissait ; il faut dire que la dame n’était pas très vêtue. Dupont s’est exclamé : « Il en a de la chance ce gaillard »(103). Puis, après un petit moment de réflexion (qu’avait-il en tête ?), il m’a demandé : « Dites, la femme sera-t-elle à jamais fidèle à son compagnon ? ». J’ai répondu : « Euh… Peut-être… Je pense… Probablement… ». Il m’a demandé aussi ce qu’ils allaient faire de leur vie ; j’ai répondu : « Je leur ai commandé : « Croissez et multipliez ! » (103). Dupont a commenté : « Certes, il y a de quoi faire. »

Tout ça, c’est fort bien, mais, dit L’Inquisiteur, qu’en est-il du septième jour ?

Le septième jour, c’est le jour de repos. C’est prévu dans le Manuel de la Création ; c’est le dimanche (111) – pas chez tout le monde, mes alter égos (Allah, Jéhovah et tout ça) ont choisi d’autres jours. Ainsi, c’est le vendredi – chez les musulmans –, le samedi – chez les Juifs – et le lundi – chez les coiffeurs. Bref, il y a un septième jour pour tout le monde. Un jour fastueux, mais un peu terne – il n’y a rien à faire. C’est Dupont, le premier, qui m’a fait remarquer à l’oreille : « Ce qu’on peut s’embêter le dimanche ! »: « Les enfants s’ennuient le dimanche » – Charles Trenet en fera plus tard une chanson[7] . Pour l’égayer, j’ai créé le kiosque à musique (« Que le kiosque à musique soit ! ») (117) et par la suite, la télévision et les matchs de foot. (« Que la télé et les matchs soient ! »).

Excellentes initiatives, dit l’Inquisiteur, mais qu’en est-il de l’avenir ? Vous avez dû le créer ?

C’est là une question philosophique de première importance. En fait, j’ai tout créé – c’est mon rôle, tel qu’il était déjà établi dans le Manuel de la Création. Je ne pouvais pas laisser au Hasard le soin de guider l’Avenir de l’Humanité. Alors, j’ai créé le Futur de l’Humanité sur le Chemin du Progrès et du Bonheur, mais j’ai dosé le progrès pour chaque siècle en accélérant doucement.

Finalement, dit l’Inquisiteur, je me demande si par hasard, ce ne serait pas Dupont ou un de ses descendants qui vous aurait créé. Ça expliquerait bien des choses.

C’est bien possible, ce Dupont a de telles idées, de telles ambitions qu’il serait bien capable de les étendre encore. Ou alors, il m’a peut-être tout simplement rêvé.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Cami, Les Mémoires de Dieu-le-Père, Éditions Baudinière, Paris, 1930, 302 p. ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  5. Dans le texte, les chiffres entre parenthèses, comme ici (8), renvoient au numéro de page correspondant dans l’édition des Mémoires de Dieu le Père – La Baudinière, 1930 (cf. supra note 3 – Cami). ↑
  6. « Je t’ai donné mon cœur », chanson extraite de l’opérette romantique – « Le Pays Du Sourire » – Musique de Franz Lehár – Livret de Ludwig Herzer et Fritz Löhner-Beda (mort à Auschwitz – 1942), d’après Victor Léon – Vienne, 1923. ↑
  7. Charles Trenet – Les enfants s’ennuient le dimanche et écouter : Les enfants s’ennuient le dimanche – 1939. ↑
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La Confession astronomique d’Hypatie

Posté le 20 octobre 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession maïeutique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’inquisiteur de faire parler les suspectes d’hérésie autant que les suspects – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Hypatie, née à Alexandrie (Égypte) en 355 et morte, assassinée par les « parabalani[3] » chrétiens, à Alexandrie en 415. Hypathie est une des grandes figures philosophiques de l’Antiquité et de son œuvre, on connaît encore ses travaux mathématiques, astronomiques et philosophiques. Malheureusement pour cet interrogatoire, l’inquisiteur n’a pu disposer dans son dossier que de vagues extraits de textes épars, mais pour lui, ce n’est pas un inconvénient, il a l’habitude ; au besoin, il invente – l’essentiel étant de satisfaire aux exigences supérieures.

Bonjour, Madame Hypatie. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien vous-même, la philosophe, l’astronome, la physicienne, la mathématicienne et la martyre.

Je peux vous assurer, Monsieur Juste, que je suis bien celle dont Saint Cyrille, le parrain d’Alexandrie, a, en effet, commandité le martyre. Vous vous en souvenez certainement, il a lâché ses chiens sur moi, il m’a fait lyncher, écarteler, démembrer et brûler par morceaux[5] ; c’est certainement repris dans vos tablettes comme un de ses grands exploits. C’est le même Cyrille qui, deux ans avant qu’il me fasse assassiner, avait fait fermer toutes les synagogues et chasser les Juifs d’Alexandrie. Un bien beau personnage, comme vous voyez. De plus, vous le savez aussi, c’est la même bande qui a détruit la fameuse bibliothèque du Musée d’Alexandrie, qui faisait le renom de la ville ; par ailleurs, toute l’Histoire – y compris, votre Histoire récente – démontre qu’il est toujours inquiétant de voir un parti, un mouvement ou une Église chasser les Juifs, brûler les livres et les bibliothèques et assassiner les philosophes et finalement, tous ceux qui ne partagent pas les convictions de rigueur.

Oui, sans doute ; maintenant, Madame Hypatie, pouvez-vous m’indiquer plus formellement votre identité ? Je veux dire en me précisant vos origines et d’autres éléments d’ordre biographique, tels par exemple votre état civil ou votre profession, si vous en aviez une.

Soit, Monsieur Juste, je commencerai par vous parler de mon père, qui était mon père biologique autant que mon père spirituel. Cet homme m’a instruite et il m’a élevée dans le goût de la philosophie et l’appétit de la connaissance ; il m’a initiée aux sciences du ciel et de la terre et il m’a enseigné la rigueur et la précision mathématiques. Il avait nom Théon, le monde entier le connaissait sous le nom de Théon le Mathématicien et pour moi, s’il y en eut jamais un à mes yeux, c’était un Dieu ; au moins, dans mon enfance. Ses Éléments d’Euclide ont traversé les siècles et ce sont eux qui ont perpétué le savoir du grand mathématicien grec. Théon est suffisamment connu et respecté pour qu’on lui ait dédié un cratère sur la Lune, et cela plus de 1 500 ans après sa mort – comme pour ce fut le cas pour Isaac Asimov[6] qui, plus récemment, avait été gratifié d’un astéroïde et d’un cratère sur la Lune. J’ai moi-même été honorée de voir donner mon nom à une pierre rare, le seul vestige d’une comète ; puis, un peu après, le nom d’Hypatie fut attribué à toute une comète, qui était entrée en collision avec la Terre, il y a 28 millions d’années et dont les traces subsistent dans le Sahara. Plus récemment encore, on m’a consacré une planète extrasolaire en orbite autour de l’étoile Iota Draconis. C’est vous dire ma présence dans votre ciel et mon immortalité potentielle. Je suis donc la fille de Théon et je suis née à Alexandrie. C’était une grande chance d’être née et de vivre là, car à l’époque, aux environs du début du cinquième siècle, au temps des Ptolémée, c’était une ville magnifique, la grande métropole grecque. Alexandrie, où j’ai vécu et où on m’a assassinée, devait son nom à celui d’Alexandre le Grand, son fondateur. Avec son demi-million d’habitants, ses écoles de philosophie, ses astronomes, ses mathématiciens, sa bibliothèque, ses ports, son phare – le premier du genre et le père de tous les phares du monde, Alexandrie rayonnait sur le monde. Nous étions à la pointe de la civilisation. Malheureusement, il y a eu les chrétiens, qui l’ont détruite en imposant leur foutue religion.

Vous parlez de votre père, de la ville qui vous a vue naître, mais moi, ce qui m’intéresse, Madame Hypatie, c’est vous-même, ce sont vos opinions, c’est votre vie. C’est de ça que je voudrais vous entendre parler. Dans mon dossier, il est dit que vous êtes restée vierge et on me demande de vous questionner à ce sujet.

Oh, Monsieur Juste Pape, je sais que la question de la virginité et le fait-même d’être Vierge est dans votre milieu comme qui dirait une sorte de brevet de sainteté, si ce n’est une affirmation de Divinité, mais mon intimité ne vous regarde pas, telle est ma réponse à votre dossier et à ce « on » qui vous commande. Il vous suffira de savoir qu’à l’état civil, je suis enregistrée comme célibataire. Cela dit, je vous livre ce que dit de moi Socrate le Scolastique[7] : « Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du Philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu’elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l’école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l’écouter. Grâce à son contrôle d’elle-même et à la facilité avec laquelle elle avait développé la culture de son esprit, elle n’hésitait pas à fréquemment apparaître en public, en présence des magistrats. Elle ne se sentait pas non plus décontenancée à l’idée de se rendre à une assemblée d’hommes, ce qu’elle faisait toujours, sans perdre sa pudeur, ni sa modestie, qui lui attiraient le respect de tout le monde. » Comme vous pouvez le comprendre, j’étais ce qu’on appellerait aujourd’hui, une intellectuelle, qui plus est, une intellectuelle engagée. Du reste, le plus intéressant est ce que j’ai écrit et surtout, ce que j’ai dit et enseigné pendant des années et dont vous n’avez pas gardé traces, ce qui n’a rien d’exceptionnel, car la transmission orale était plutôt la règle dans cette lointaine époque où j’ai vécu ; faut-il rappeler que l’imprimerie est une industrie récente. Pour compenser ce manque, je vais vous en dire quelques mots.

Excellent, c’est précisément de ça que je voulais que vous me parliez, opina Juste Pape.

Comme je vous l’ai dit, mon père, était un homme d’une grande bonté et d’une intelligence supérieure. Il s’était passionné pour les mathématiques, pour l’astronomie, la philosophie et plein d’autres arts que je dirais plus ésotériques. C’était un être doué d’une insatiable curiosité ; il fut le dernier directeur du musée de la bibliothèque d’Alexandrie, ce haut lieu de la culture humaine, avant qu’il ne soit fermé, incendié et détruit par le patriarche Théophile, c’est-à-dire l’évêque, dont le successeur sera précisément cet assassin de Cyrille ; ainsi, on découvre au passage que l’autodafé n’est pas une invention de l’Inquisition. Une fermeture brutale, opérée de la manière la plus ardente, qui est intervenue deux ans avant ma mort et qui a fait fuir bien des philosophes et savants d’Alexandrie et a muselé les autres ; en fait, on vivait dans une terreur permanente fomentée par les chrétiens. Donc, malgré cette ambiance délétère, j’ai suivi la voie tracée par mon père et comme lui, j’ai enseigné dans les écoles publiques et j’ai créé ma propre école de philosophie. Par ailleurs, en plus des mathématiques théoriques, j’ai pratiqué le métier d’ingénieur en mettant au point toutes sortes d’instruments. D’autre part encore, je me suis fortement et constamment intéressée à l’astronomie, aux mouvements des astres, au parcours quotidien du soleil, aux séquences de la lune – ce qui d’ailleurs m’a valu l’hostilité des religieux et spécialement de l’évêque Cyrille, qui entendait bien conserver le privilège de fixer le jour de Pâques et moi, en tant qu’astronome, j’exposais publiquement le mode de calcul des phases de la lune et donc, le calendrier des fêtes religieuses fondé sur le cycle lunaire. Il semblerait que cette dispute, que je n’avais absolument pas cherchée – moi, je faisais du calcul mathématique appliqué, cette dispute soit la goutte qui a fait déborder le bénitier et a signé mon arrêt de mort.

Je vois tout ça, dit Juste Pape. J’aimerais, maintenant, que vous me parliez de la façon dont vous conceviez le monde ; j’ai entendu dire que vous pratiquez la théurgie.

Nous y venons, Monsieur l’Inquisiteur, au nœud de l’affaire. La théurgie ? Et quoi encore ? Tireuse de cartes, nécromancienne, médium, sorcière, tant que vous y êtes. C’est ce qu’on invente habituellement pour déconsidérer celles et ceux qu’on veut mener au bûcher. Pourtant, vous avez bien « entendu dire », car cela s’est dit ; c’était encore un coup de ces commandos de parabalanis, de ces meutes de chrétiens, de ces bandes à Cyrille, dont l’ambition était immense et qui entendait bien conquérir le pouvoir absolu sur la ville et cette province de l’Empire ; ce qu’il fit d’ailleurs. Et moi, moi, avec mon souci de tolérance et de correction civique, mon rôle de conseillère, j’agissais pour instaurer la neutralité de l’État face aux religions et j’avais persuadé le gouverneur en ce sens ; moi, j’étais j’apparaissais comme un obstacle aux ambitions ecclésiastiques. Croyez-moi, Monsieur l’Inquisiteur, il n’y a rien de plus méchant et de plus pervers que ces bandes de religieux. Pour vous confirmer, via une source à vos yeux « non suspecta », l’ignoble persécution qui me poursuivit et ma triste fin, voici ce que disait de moi, deux cents ans après ma mort, un évêque chrétien, un dénommé Jean de Nikiou :

« En ces temps apparut une femme philosophe, une païenne nommée Hypatie, et elle se consacrait à plein temps à la magie, aux astrolabes et aux instruments de musique, et elle ensorcela beaucoup de gens par ses dons sataniques. Et le gouverneur de la cité l’honorait excessivement ; en effet, elle l’avait ensorcelé par sa magie. Et il cessa d’aller à l’église comme c’était son habitude… Une multitude de croyants s’assembla guidée par Pierre le magistrat – lequel était sous tous aspects un parfait croyant en Jésus-Christ – et ils entreprirent de trouver cette femme païenne qui avait ensorcelé le peuple de la cité et le préfet par ses sortilèges. Et quand ils apprirent où elle était, ils la trouvèrent assise et l’ayant arrachée à son siège, ils la traînèrent jusqu’à la grande église appelée Césarion. On était dans les jours de jeûne. Et ils déchirèrent ses vêtements et la firent traîner (derrière un char) dans les rues de la ville jusqu’à ce qu’elle mourût. Et ils la transportèrent à un endroit nommé Cinaron où ils brûlèrent son corps. Et tous les gens autour du patriarche Cyrille appelèrent celui-ci le nouveau Théophile, car il avait détruit les derniers restes d’idolâtrie dans la cité. » Et comme on peut le comprendre, ils en étaient fiers. Encore tout récemment, deux papes ont glorifié ce voyou de Cyrille – en 1882, Léon XIII le proclama Docteur de l’Église et en 2007, Benoît XVI faisait son éloge en le nommant « père de l’Église »[8].

Cependant, en ce qui me concerne, je vous prie de laisser aux ignorants et aux fanatiques cette accusation malencontreuse ; une fois pour toutes, je suis une personne simple et rationnelle, une femme cultivée qui ne croit pas aux fariboles et ne pratique aucun art faux, pas même, la transsubstantiation[9].

Oh, excusez-moi, Madame Hypatie, ce n’est pas à ça que je pensais. Je voulais juste évoquer votre relation avec Dieu, car c’est ce qui m’importe vraiment. En somme, pour tout dire, comment voyez-vous Dieu ?

Oh, Dieu ?, Monsieur l’Inquisiteur. À dire vrai, je ne le vois pas du tout et même je ne l’ai jamais vu. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir parcouru le ciel et les cieux dans tous les sens, car, il faut y insister, j’ai passé le plus clair de mes nuits à faire de l’astronomie et dans le ciel, j’y suis encore comme je vous l’ai dit tout à l’heure. En vérité, j’aurais beaucoup de mal à vous parler de Dieu ; il ne m’a jamais préoccupée.

Pourquoi, Madame Hypatie ? Pourquoi donc Dieu ne vous a jamais préoccupée ? N’était-il pas une évidence pour vous, comme pour tous les croyants ?

Écoutez, Monsieur Pape, je suis une mathématicienne et je sais fort bien ce qu’est une évidence. Je peux donc vous assurer que Dieu n’en est pas une, sauf pour ceux qui y croient, mais dans ce cas, je parlerais plutôt de postulat. Certes, à mon époque et longtemps après encore, certains philosophes imaginaient un « Un » d’où aurait découlé tout le reste, par émanation, en une sorte d’entropie transcendantale ; c’était à la mode de mon temps. Comme vous le savez peut-être, l’« Un » était le dada du philosophe Plotin, originaire des bords du Nil, plus exactement des environs de la ville actuelle d’Assiout et qui s’en fut enseigner la philosophie dans la capitale de l’Empire, à Rome, environ un siècle avant ma naissance. Par la suite, les croyants se sont emparé de son enseignement et ont voulu identifier Dieu en cet « Un ». Pour ce faire, ils n’ont jamais demandé l’avis de Plotin et pour cause, il n’était plus là. De toute façon, quoi qu’ait pu penser Plotin, pour ce qui me concerne, je ne suis pas croyante, car je pense.

En effet, dit Juste Pape, et qu’en pensez-vous ?

Penser, penser, ce n’est pas sans risque. C’est une activité dangereuse, croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir. Mais pour en revenir à Dieu ou à l’« Un », vous pensez bien, Monsieur l’Inquisiteur, que ce n’était pas là le principal de mes soucis. De toute façon, je n’en ai jamais été persuadée, ni de l’« Un », ni de Dieu. Pour l’« Un », il y avait là – dès le départ – une erreur de sens. Pour faire court, je pense que l’« Un » est infini, j’entends ici l’infini par-devant et par-derrière et dans toutes les dimensions. Donc, cet « Un » est le monde et il est tel à partir du moment où il est émané de la pensée humaine ; sinon, il n’existe pas. Hors l’humain et sa pensée, l’« Un » est inconcevable, du fait d’être inconçu. En ce sens, même si on l’imagine comme équivalent à cet « Un », Dieu sera lui aussi une entropie, une production accessoire destiné à combler l’inconnu, qui inquiète tant certains ; Dieu sera en quelque sorte, un contre-coup, un ressac d’imaginaire, un cataplasme posé sur la peur des hommes face à leur ignorance. Si le « Un » du philosophe est pure désignation du monde, nommé pour combler le vide, à n’en pas douter, c’est bien la peur les monstres invisibles et inconnaissables qui fait surgir du vide la marionnette divine que s’empressent d’animer les prêtres et les religieux de tous genres et de tous ordres ; une idole invisible, inaccessible et indicible qu’ils ont investi du pouvoir suprême et dont ils se revendiquent être les instruments[10]. Mais si vous allez au fond du temple, vous ne trouverez que le néant.

Je vous remercie, Madame Hypatie, d’avoir répondu à mes questions. Je transmettrai mon rapport et le procès-verbal de cet entretien à qui de droit. Enchanté de vous avoir connue. Et sans doute, adieu.

Comme vous dites, adieu, Monsieur l’Inquisiteur. Je vous dis adieu sans trop savoir ce que pareille salutation veut vraiment dire. Pour moi, j’aurais préféré quelque chose comme : « Portez-vous bien ! », ce que je vous souhaite en dépit de l’étrange profession que vous pratiquez. « Vale Inquisitor ! »


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Parabalanis : Les Parabalanis (du grec ancien : παραβαλανεῖς, les « garçons baigneurs »), ou Parabolanes (forme latine du παράβολοι ou παραβολᾶνοι), étaient les membres d’une confrérie chrétienne qui, dans l’Église primitive, était spécialisée dans les soins aux malades et l’enterrement des morts… Ils furent aussi affectés aux évêques locaux comme gardes du corps et intervenaient comme hommes de main lors des affrontements violents avec leurs adversaires. En somme, c’étaient des bandes et des milices armées. Yamen Manai, écrivain contemporain, décrit un pareil phénomène, dans la Tunisie actuelle ; pour se faire une idée des « choses vues de l’intérieur » d’un pays à population majoritairement musulmane qui se situe parmi les plus sécularisés, il est intéressant de lire son petit roman L’amas ardent, publié récemment chez J’ai Lu, Paris, 2019, 217 p. et les commentaires de presse diffusés par son éditeur tunisien Elyzad (2017). ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  5. Socrate le Scolastique, dans son Histoire ecclésiastique (440) : « Au cours de la fête chrétienne du Carême en mars 415, les parabalani (autrement dit les miliciens chrétiens), sous les ordres du Lecteur nommé Pierre, ont attaqué Hypatie alors qu’elle rentrait chez elle. Ils l’ont traînée au sol jusqu’à une église voisine connue sous le nom de Caesareum, où ils l’ont déshabillée de force, puis l’ont tuée avec des ostraka [ce qui peut être traduit par des « morceaux de poterie » ou des « coquilles d’huîtres » »]. Ils ont ensuite découpé son corps en morceaux puis ont traîné ses membres mutilés à travers la ville jusqu’à un endroit appelé Cinarion, où ils ont mis le feu à ses restes. » Voir Notice Hypatie – Description de l’assassinat. ↑
  6. Isaac ASIMOV, voir Isaac Asimov : un humain, humaniste et athée face au futur de l’humanité ↑
  7. Voir Notice Hypatie, Personnalité. ↑
  8. Benoît XVI, Saint Cyrille d’Alexandrie, Audience générale, mercredi 3 octobre 2007. ↑
  9. Transsubstantiation : transformation d’une matière en une autre; phénomène au cœur de la croyance chrétienne symbolisée dans la messe. Voir Notice Transsubstantiation ↑
  10. Carlo Levi, Paura della libertà, Einaudi, 1947, Torino, 134 p. ; pour la version française : Carlo Levi, La peur de la liberté, trad. de l’italien par Jean-Claude Ibert, Collection Les Essais (n° 79), Gallimard, Paris, 1955, 208 p. ↑
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