La Confession lumineuse de Voltairine de Cleyre
Marco Valdo M. I.
Dans cette Confession lumineuse, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Voltairine de Cleyre, née à Leslie au Michigan (États-Unis) en 1866, connue comme athée, femme, poète, écrivaine, féministe, anarchiste. Elle mourut à Chicago en 1912. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Voltairine de Cleyre, essentiellement à ses Écrits d’une insoumise[3] et à la présentation qu’en font ses éditeurs québecois.
Bonjour, Madame ou Mademoiselle, comment faut-il dire exactement ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien, Voltairine de Cleyre, née à Leslie au Michigan (États-Unis), le 17 novembre 1866.
Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. Vous pouvez m’appeler Madame ou Mademoiselle, peu m’importe ou alors, appelez-moi Voltai comme tout le monde le fait depuis longtemps ; à vrai dire, quasiment depuis ma naissance, c’est mon père qui a trouvé ce petit nom plus commode que mon prénom complet Voltairine. Je suis née en effet à Leslie au Michigan d’un père lillois de Lille en France et d’une mère étasunienne, mais au début, mon nom exact était Voltairine De Claire. Là aussi, mon père l’a modifié par la suite en de Cleyre ; allez savoir pourquoi.
Madame de Cleyre, dit l’Inquisiteur, mon rôle m’impose certaines réserves et je ne saurais m’adresser à vous en usant de ce sobriquet que vous ont donné vos parents.
Soit, Monsieur l’Inquisiteur, je vous avais laissé le choix.
Quand même, Madame de Cleyre, dit l’Inquisiteur, vous avez un curieux prénom, qui, selon moi, sent l’athéisme à plein nez. D’où vous vient-il ?
De mon père, Monsieur l’Inquisiteur. Élevé dans la religion catholique, il s’était rallié au socialisme et à la libre pensée sous l’influence du courant révolutionnaire qui bouscula la France en 1848. C’était un grand admirateur de Voltaire et il avait choisi cet emblématique surnom philosophique de Voltairin pour l’enfant à venir, dont il pensait que ce serait un garçon. Ce fut moi qui naquis et il féminisa l’emblème en Voltairine, qui m’a illuminée d’athéisme pour l’éternité. Il vous suffira de vous reporter au XIXe siècle et à la virulence des opinions entourant le philosophe de la Bastille et au sectarisme religieux en cours aux États-Unis pour comprendre tout le poids d’un tel prénom. Du reste, c’est une dénomination extrêmement rare et je ne connais que deux personnes qui le portent et toutes deux sont des de Cleyre : moi et la fille de mon fils Harry.
Commençons donc, Madame de Cleyre, par le début. Dans votre enfance, comment se composait votre famille et dans quelles conditions s’est passée votre jeunesse ?
J’avais un père, une mère et nous étions trois sœurs. Tout ça a son importance. D’abord, mon père Hector De Claire était français et avait émigré à dix-huit ans aux États-Unis pour rejoindre un de ses frères. Pour vivre, il exerçait le métier de tailleur itinérant. Lors de la guerre civile, il combattit avec les Fédéraux et de ce fait, il obtint la nationalité américaine. Ma mère, Harriet Billings, était américaine. Rassurez-vous, ils s’étaient mariés avant de donner trois filles au monde : Marion, noyée à l’âge de 5 ans, Adélaïde et moi. Pour couronner le tout, notre famille était très pauvre. Mes parents se séparèrent et j’héritai de mon père. Il me plaça au couvent. Une institution payante pour jeunes filles : le Convent of Our Lady of Lake Huron – le couvent de Notre Dame du Lac Huron (tout un programme !) – en Ontario. C’était une institution catholique, une sorte de pension fort chère où on formatait les jeunes dames pour la bonne société.
Donc, Madame de Cleyre, dit l’Inquisiteur, vous avez eu une éducation religieuse.
Effectivement, et pas qu’un peu, mais parlons-en de l’éducation religieuse, Monsieur l’Inquisiteur. Je vais vous dire le résultat de cette terrible épreuve qu’on nous imposait alors. Si on en juge par mes premières influences et mon éducation, j’aurais dû être religieuse, glorifiant l’autorité comme l’ont fait bien de mes anciennes camarades, mais l’esprit ancestral de la rébellion s’est affirmé en moi dès le début de l’adolescence, quand j’étais élève chez les sœurs de Notre Dame du Huron. Combattant seule l’obscurité de la superstition religieuse, incapable de croire, je craignais cependant, je dois bien l’avouer, la damnation brûlante, sauvage et éternelle dont les sœurs menaçaient les récalcitrantes. Malgré tout, je persistai dans mon chemin vers la liberté de pensée. Trois ans plus tard, je suis sortie du couvent « libre penseure »[5]. Blasphématrice ? C’est leur mot, pas le mien ; cela dit, je n’ai rien contre le blasphème. Voyez-vous, la liberté ne peut être voilée pour plaire à Dieu, ni moi non plus, d’ailleurs. Après ces années de bataille, toutes les autres furent faciles, ma volonté régnait à l’intérieur de moi-même, sans aucune allégeance et elle n’en aura jamais eue. Elle ne connut qu’une seule direction : la connaissance et l’affirmation de sa propre liberté.
Madame de Cleyre, quels sont vos sentiments vis-à-vis de la religion ?
Croyez-moi, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai quelques démêlés avec la religion. En tant que femme, je suis révulsée par la servilité religieuse de mon propre sexe.
Et pourquoi donc, Madame de Cleyre ?
Tout simplement, Monsieur l’Inquisiteur, parce que de mon temps et encore très largement à présent, l’assujettissement de la femme à l’homme était une conviction religieuse profonde, qui est inscrite dans le Livre et qui découle des Écritures, qui disent à la femme : « J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur… Écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission, car le mari est le chef de la femme… » et c’est ainsi que la soumission est devenue partie intégrante de l’instinct moral de la femme, ce qu’elle croit, ce qu’elle vit ; cela est devenu elle-même. De cette façon, les opinions de Messieurs les Dieux ont fait de l’idéal d’être une épouse un esclavage résigné. C’est évidemment contre tout ça que s’élevait ma révolte de femme libre.
Vous avez eu un fils, dit L’Inquisiteur, et sans doute avez-vous été mariée ?
Oui, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai eu un fils, Harry, dont le père, qui est un ami très cher, s’est occupé, alors que j’étais empêchée. On n’était pas mariés, pas plus que je ne l’ai été avec d’autres de mes amis. Je suis une femme assez soucieuse de son indépendance. Pour ce qui est du mariage, retenez bien ceci, c’est une de mes sentences qui résume assez bien ma conception des choses en matière de mariage : « La terre est une prison, le lit conjugal est une cellule, les femmes sont les prisonnières et les hommes sont les gardiens. » Et les questions que les femmes peuvent et doivent se poser sont les suivantes : « Pourquoi suis-je esclave de l’homme ? Pourquoi mon cerveau n’est-il pas l’égal du sien ? Pourquoi mon corps doit-il être contrôlé par mon mari ? » Par exemple, tenez, l’obligation pour les femmes de se couvrir sous des vêtements étouffants et gênants. Qui pense qu’un chien est obscène ou impur si son corps n’est pas ainsi caché ? Que penser de mettre à un cheval une robe et de le forcer à marcher et à courir avec une telle chose nuisant à ses mouvements ? Pourtant, c’est ce qu’on exige des femmes quotidiennement pour cacher cet « obscène corps humain », comme ils disent. Encore une fois, où se niche l’obscénité si ce n’est dans l’esprit du censeur ? À propos d’éducation, voyez ce qu’on impose aux enfants qui demandent comment ils sont venus au monde : on leur dit de ne pas poser de question, ou alors, on invente des calembredaines ou on leur explique l’incompréhensible par plus incompréhensible encore : vous dites aux enfants que c’est Dieu qui les a fabriqués et vous savez que vous mentez. Et plus hallucinante encore est l’histoire de la Vierge Marie et on leur demande de croire sans réfléchir, sans discuter, de croire que tout ça est ainsi, car Dieu l’a voulu.
Mais, dit l’Inquisiteur, le mariage, cet engagement sacré, cette bénédiction divine, assure la position de la femme.
Mais, Monsieur l’Inquisiteur, le mariage est une horreur. J’ai une profonde aversion pour l’enfermement de la femme dans ce cercle étroit où on la subordonne, aussi bien dans la vie quotidienne que dans la sphère de la production ; une aversion pour les idéaux qu’on lui propose ; et puis l’amer et passionnel sentiment de subir une injustice sur tous ces plans ; une colère contre les institutions mises sur pied par les hommes qui assurent vouloir par elles préserver la pureté de la femme, mais qui de leur égale font un poupon, une irresponsable marionnette à laquelle on ne saurait accorder quelque confiance que ce soit sitôt qu’elle sort de sa maison de poupée. Quant au mariage, c’est une imposture, un traquenard, un attrape-niaise. Et si, comme vous le soutenez, c’est une bénédiction, une grâce divine, alors, ce sont des raisons de plus pour les femmes d’être athées. Le mariage, c’est l’histoire du loup et du petit chaperon rouge ; la morale de l’affaire est la même : « Dis-moi, mon époux, pourquoi cette bague et toute cette belle parade ? » « C’est pour mieux te baiser mon enfant ! » Pour moi, l’amour est libre et ne peut prospérer qu’en liberté ; enfermé, il se fane, il déteint, il s’assèche, il dépérit ; voilà ce que je dis aux filles et même, aux hommes.
Comment en êtes-vous venue à cet athéisme si intransigeant qu’on vous attribue ?
Monsieur l’Inquisiteur, je vais d’abord vous remémorer un homme qui avait suivi le même chemin. Écoutez bien, peut-être, retrouverez-vous son nom. Donc, il y a 332 ans, un homme – il était étudiant, érudit, penseur et philosophe – a été brûlé vif par amour de Dieu et pour la préservation de l’autorité de l’Église ; au fur et à mesure que les flammes consumaient la chair du martyr Bruno, léchant son sang de leurs langues dévorantes, elles jetaient les ombres de la perspective d’un « nouvel ordre des choses » ; elles ont mis le feu au champ de bataille où la liberté a gagné sa première révolte contre l’autorité. Le champ de bataille était sans conteste celui de la pensée… Le despotisme autoritaire était en ce temps-là un despotisme ecclésiastique, l’Église écrasait tous les droits humains, la tyrannie écrasait l’existence de la liberté et de l’individualité de la pensée ; l’ecclésiologie avait mis les idées sous les verrous.
Cela dit : la liberté de pensée ne peut être tuée. Elle peut être silencieuse, certes, mais sûrement, tel un brin d’herbe qui pousse sans bruit, elle offre sa perpétuelle opposition aux dictats de l’autorité. La liberté de pensée est cette chose silencieuse et indomptable qui menace et contrarie les desseins de Dieu. Elle a gagné cette bataille et elle continue d’opposer son travail silencieux partout où règne la tyrannie religieuse ou non. Voilà le contexte, le fondement, la racine de l’athéisme. J’avais eu une discussion, une dispute – à distance toutefois – avec un Cardinal : le Cardinal Manning, que vous devez connaître. Je vais vous étonner, mais sur ce point, le prélat et moi, nous étions d’accord quand il disait : « La libre pensée conduit à l’athéisme. » Le libre penseur, qui reconnaît la science de l’astronomie, la science mathématique ainsi que la science, elle aussi positive, de la justice, est logiquement conduit à nier toute autorité suprême. Tout être humain qui observe et réfléchit ne peut admettre un tyran suprême et garder le respect de soi-même. Aucun cerveau humain ne peut admettre simultanément le dogme du despotisme divin et la doctrine de l’éternelle justice : ils se contredisent l’un l’autre. Le Cardinal a raison : la libre pensée mène logiquement à l’athéisme, si par athéisme on veut dire la négation de l’autorité suprême.[6] Et puis, si Dieu existe, aucun être humain n’a jamais eu de droit ! Il a tout simplement joui d’un privilège, d’une faveur qui lui a été octroyée, offerte, donnée, concédée par Dieu… Comment garder le respect de soi-même dans de telles conditions ?
Madame de Cleyre, votre athéisme a été le fondement de votre conception du monde. Pouvez-vous nous exposer ce parcours ? Où donc, Madame de Cleyre, votre athéisme vous a menée dans la vie ?
J’ai toujours rêvé de changement social, mais j’ai toujours voulu voir et vu le réel, la réalité du monde des hommes. Oui, j’ai une conception de l’homme, entendez ici, de l’être humain, l’homme comme être humain, féminin ou masculin. De mon vivant – les choses ont peut-être évolué depuis – je disais : aucun homme n’a cherché à découvrir les relations entre les actes et n’importe quelle cause générale… Ils ne l’ont pas fait parce que ceux qui écrivaient l’histoire ne pouvaient aller au-delà de l’attitude non scientifique, née de l’ignorance et entretenue dans la religion chrétienne, qui fait de l’homme un être différent des autres créatures vivantes. Il a fallu que la science moderne se batte pour démontrer que l’homme n’est pas une étrangeté dotée du libre arbitre, propulsée par un bouffon omnipotent, mais qu’il n’est qu’une minuscule particule de protoplasmes du fond de la mer silurienne comme le restant de ses géniteurs anciens.[7] Ainsi, l’homme va comme il va, suivant ou poussant son chemin, mais toujours il est tenu au gré des circonstances, il se doit de réagir ou d’agir. Priez pour que la force d’attraction de la gravité cesse. Cessera-t-elle ? Ordonnez que l’eau doive geler à 100 degrés. Gèlera-t-elle ? Que peut donc la prière contre le réel ? Dans les pays où (quasiment) jamais il ne pleut, où la sécheresse est la règle, on fait des prières, des processions, des cortèges, des danses sacrées pour faire venir la pluie. C’est absurde. Il pleuvra ou pas, selon que les nuages viendront ou pas. Comme disait mon père, tu peux toujours danser sur ta tête, ça n’y changera rien.
Il est clair, Madame que vous êtes athée, mais en plus, il semblerait que vous soyez anarchiste. Qu’en est-il ? Quel rapport entre les deux ?
D’abord, Monsieur l’Inquisiteur, votre question est onctueuse, vous tournez autour du baptistère. Avec moi, c’est inutile. Je vous le dis tout net : je suis libre penseure, athée et anarchiste, sans autre qualificatif. Pour faire court, voici ce que disait de moi Emma Goldman, dont la réputation d’anarchiste est mieux sue en Europe, qui me connaissait bien. Voltairine de Cleyre est « la femme anarchiste la plus douée et la plus brillante que l’Amérique ait jamais produite ». Il n’y a donc aucun doute sur mon anarchisme. Pour le reste, je vous renvoie à mes textes Pourquoi je suis anarchiste et La naissance d’une anarchiste [8]. Quant à votre question du rapport entre l’athéisme et l’anarchisme, je pourrais répondre « parce que je ne peux pas faire autrement », je ne peux pas me déjuger moi-même ; les conditions d’existence m’oppressent, je ne supporte pas l’oppression, qu’elle me touche ou qu’elle écrase les autres et… je ne peux pas me taire, car comme je le disais à propos de Francisco Ferrer : « La liberté d’expression n’a de sens que si elle signifie la liberté de dire ce que d’autres n’aiment pas entendre. »[9]
Madame de Cleyre, épargnez-moi vos conceptions en matière d’économie, je ne m’y intéresse pas, ni à votre matérialisme. Je ne veux connaître que votre sentiment envers Dieu.
Vous avez bien tort, Monsieur l’Inquisiteur, car tout ça se tient. C’est en raison de ma situation matérielle et de celle de l’ensemble de la société que je suis devenue athée. Ce rapport au réel et à ma réalité est une facette de mon cheminement. Je sais ce qui est le meilleur et je ne crache pas dessus, je vous l’assure. J’ai connu la joie, le bonheur, la tranquillité, la paix des jours ; j’ai connu l’inverse aussi : la misère, l’intranquillité, la douleur, la maladie et même, la faim et croyez-moi, je sais combien tout cela est malheureux et difficile à vivre. Dans un tel désarroi, l’idée de Dieu et tout ce qui s’ensuit devient un recours, un appui purement imaginaire et le malheur, une voie de rédemption. Non je ne partage pas la conception absurde du chemin mystique ; c’est carrément ridicule. Cependant, juste pour le raisonnement, postulons que Dieu existe. Dès lors, Dieu est juste et tout puissant, omnipotent et omniscient. Ça veut dire que tout ce qu’il va faire sera et devra être à la fois, juste et absolument efficace pour tout et pour tous, qu’il saura tout et qu’il peut tout arranger ou qu’il ne peut rien y avoir qui ne fonctionne pas correctement ; mais si tout était ainsi parfait, il n’y aurait pas besoin de Dieu. De surcroît, tout doit être garanti pour l’éternité. Vous voyez, c’est déjà mal parti. Ou Dieu fait que tout fonctionne parfaitement et il n’a pas lieu d’être pour l’homme, ou rien ne va et il n’y a pas besoin d’un Dieu qui ne fonctionne pas.
Madame de Cleyre, tout ça est fort théorique. Pouvez-vous préciser en ce qui vous concerne ?
Je prends mon exemple. De deux choses l’une : Dieu est tout puissant, etc., et il m’a mise dans la misère ; alors, il est sadique et comme il ne m’aide en rien malgré ma prière, c’est un vrai salaud ; ou bien, plein de compassion, équitable, il voudrait bien que tout se passe bien pour moi (et tous les autres), mais il ne peut pas m’assurer une vie correcte, heureuse… et c’est un impuissant, un incapable, une nullité et toute sa propagande est une salade et tous ses propagandistes sont des vendeurs de courants d’air aussi trompeurs que malsains. Alors, moi qui, dans le fond, suis une bonne âme, pour lui épargner ces déshonneurs, par courtoisie féminine, je vous dis qu’en vérité, il n’existe pas et pour cela même, je me proclame athée. Mais, voyez-vous, Dieu n’est qu’une représentation, une incarnation du pouvoir, une hypostase – triple, je l’admets puisque vous le prétendez – un épouvantail, un croquemitaine, un sosie désincarné de l’échelon ultime de la domination, le contempteur de la liberté, et moi qui veux être une femme libre dans un univers de liberté, de la même façon que je voulais la fin de l’illusion déiste, je ne connais d’autre conséquence à tout ceci que de vouloir la fin du pouvoir du pouvoir et par conséquent, l’avènement de l’anarchie. Oh, je vous entends déjà, le paradis existe là-bas de l’autre côté de la porte noire, d’autres diront qu’on arrivera un jour à l’avenir radieux, mais moi, je vis ici et maintenant en anarchiste, libre avec moi-même, tranquille, résistante et heureuse, jusque dans la douleur, jusque dans le malheur. Que voulez-vous ? Ni Dieu, ni Maître, c’est ma vie !
« J’existe ! Les années s’ajoutent aux années
Et ce que je suis, je le fus et le serai…
Je suis la pierre qui s’est endormie…
Je suis la plante qui a rêvé…
J’ai dormi ; j’ai rêvé ; je me suis réveillé ; je suis un être humain… »[10]
Voltairine de Cleyre – Janvier 1892
[1] Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Terry Pratchett, Marie Curie, Charles Darwin, Jésus.
[2] Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).
[3] Voltairine de Cleyre, Écrits d’une insoumise, Lux éditeur, Montréal, 2018, 2023, 307 p.
[4] OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.
[5] « libre penseure » : féminin pour « libre penseur » ; cet étrange féminin est sans doute dû au fait que les traducteurs (Voltairine de Cleyre s’exprimait en anglais étatsunien) sont québécois et utilisent le français de là-bas ; personnellement, pour garder la marque du féminin – conforme au féminisme de Voltairine de Cleyre –, j’écrirais plus volontiers « libre penseuse ».
[6] Voltairine de Cleyre, La Tendance économique de la libre pensée, in op. cit., pp. 45-61.
[7] Voltairine de Cleyre, Crime et Châtiment, in op. cit., pp. 153-184.
[8] Voltairine de Cleyre, Pourquoi je suis anarchiste, in op. cit., pp. 153-184 et La naissance d’une anarchiste in op. cit., pp. 101-110.
[9] Emma Goldman, Vivre ma vie – Une anarchiste au temps des révolutions, L’Échappée, rue Voltaire, Paris, 2018, 1095 p., p. 514.
[10] Voltairine de Cleyre, J’existe, poème in Autres poèmes, op. cit., p. 298.
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