Les Athées de Belgique
atheesdebelgique@gmail.com
  • Qui sommes nous ?
    • Nos objectifs
    • Nos statuts
    • Idées reçues
    • L’athéisme, une nécessité ?
  • Agenda des activités
  • Newsletters
  • Nos vidéos, nos éditions…
    • Edition
      • Livre
      • Revue
    • Vidéos
      • Événements ABA
      • Autres
  • Nous soutenir
    • Devenir membre
    • Faire un don ou un legs
  • Contactez-nous

Archives par mot-clé: liberté

La Confession astronomique d’Hypatie

Posté le 20 octobre 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession maïeutique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’inquisiteur de faire parler les suspectes d’hérésie autant que les suspects – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Hypatie, née à Alexandrie (Égypte) en 355 et morte, assassinée par les « parabalani[3] » chrétiens, à Alexandrie en 415. Hypathie est une des grandes figures philosophiques de l’Antiquité et de son œuvre, on connaît encore ses travaux mathématiques, astronomiques et philosophiques. Malheureusement pour cet interrogatoire, l’inquisiteur n’a pu disposer dans son dossier que de vagues extraits de textes épars, mais pour lui, ce n’est pas un inconvénient, il a l’habitude ; au besoin, il invente – l’essentiel étant de satisfaire aux exigences supérieures.

Bonjour, Madame Hypatie. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien vous-même, la philosophe, l’astronome, la physicienne, la mathématicienne et la martyre.

Je peux vous assurer, Monsieur Juste, que je suis bien celle dont Saint Cyrille, le parrain d’Alexandrie, a, en effet, commandité le martyre. Vous vous en souvenez certainement, il a lâché ses chiens sur moi, il m’a fait lyncher, écarteler, démembrer et brûler par morceaux[5] ; c’est certainement repris dans vos tablettes comme un de ses grands exploits. C’est le même Cyrille qui, deux ans avant qu’il me fasse assassiner, avait fait fermer toutes les synagogues et chasser les Juifs d’Alexandrie. Un bien beau personnage, comme vous voyez. De plus, vous le savez aussi, c’est la même bande qui a détruit la fameuse bibliothèque du Musée d’Alexandrie, qui faisait le renom de la ville ; par ailleurs, toute l’Histoire – y compris, votre Histoire récente – démontre qu’il est toujours inquiétant de voir un parti, un mouvement ou une Église chasser les Juifs, brûler les livres et les bibliothèques et assassiner les philosophes et finalement, tous ceux qui ne partagent pas les convictions de rigueur.

Oui, sans doute ; maintenant, Madame Hypatie, pouvez-vous m’indiquer plus formellement votre identité ? Je veux dire en me précisant vos origines et d’autres éléments d’ordre biographique, tels par exemple votre état civil ou votre profession, si vous en aviez une.

Soit, Monsieur Juste, je commencerai par vous parler de mon père, qui était mon père biologique autant que mon père spirituel. Cet homme m’a instruite et il m’a élevée dans le goût de la philosophie et l’appétit de la connaissance ; il m’a initiée aux sciences du ciel et de la terre et il m’a enseigné la rigueur et la précision mathématiques. Il avait nom Théon, le monde entier le connaissait sous le nom de Théon le Mathématicien et pour moi, s’il y en eut jamais un à mes yeux, c’était un Dieu ; au moins, dans mon enfance. Ses Éléments d’Euclide ont traversé les siècles et ce sont eux qui ont perpétué le savoir du grand mathématicien grec. Théon est suffisamment connu et respecté pour qu’on lui ait dédié un cratère sur la Lune, et cela plus de 1 500 ans après sa mort – comme pour ce fut le cas pour Isaac Asimov[6] qui, plus récemment, avait été gratifié d’un astéroïde et d’un cratère sur la Lune. J’ai moi-même été honorée de voir donner mon nom à une pierre rare, le seul vestige d’une comète ; puis, un peu après, le nom d’Hypatie fut attribué à toute une comète, qui était entrée en collision avec la Terre, il y a 28 millions d’années et dont les traces subsistent dans le Sahara. Plus récemment encore, on m’a consacré une planète extrasolaire en orbite autour de l’étoile Iota Draconis. C’est vous dire ma présence dans votre ciel et mon immortalité potentielle. Je suis donc la fille de Théon et je suis née à Alexandrie. C’était une grande chance d’être née et de vivre là, car à l’époque, aux environs du début du cinquième siècle, au temps des Ptolémée, c’était une ville magnifique, la grande métropole grecque. Alexandrie, où j’ai vécu et où on m’a assassinée, devait son nom à celui d’Alexandre le Grand, son fondateur. Avec son demi-million d’habitants, ses écoles de philosophie, ses astronomes, ses mathématiciens, sa bibliothèque, ses ports, son phare – le premier du genre et le père de tous les phares du monde, Alexandrie rayonnait sur le monde. Nous étions à la pointe de la civilisation. Malheureusement, il y a eu les chrétiens, qui l’ont détruite en imposant leur foutue religion.

Vous parlez de votre père, de la ville qui vous a vue naître, mais moi, ce qui m’intéresse, Madame Hypatie, c’est vous-même, ce sont vos opinions, c’est votre vie. C’est de ça que je voudrais vous entendre parler. Dans mon dossier, il est dit que vous êtes restée vierge et on me demande de vous questionner à ce sujet.

Oh, Monsieur Juste Pape, je sais que la question de la virginité et le fait-même d’être Vierge est dans votre milieu comme qui dirait une sorte de brevet de sainteté, si ce n’est une affirmation de Divinité, mais mon intimité ne vous regarde pas, telle est ma réponse à votre dossier et à ce « on » qui vous commande. Il vous suffira de savoir qu’à l’état civil, je suis enregistrée comme célibataire. Cela dit, je vous livre ce que dit de moi Socrate le Scolastique[7] : « Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du Philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu’elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l’école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l’écouter. Grâce à son contrôle d’elle-même et à la facilité avec laquelle elle avait développé la culture de son esprit, elle n’hésitait pas à fréquemment apparaître en public, en présence des magistrats. Elle ne se sentait pas non plus décontenancée à l’idée de se rendre à une assemblée d’hommes, ce qu’elle faisait toujours, sans perdre sa pudeur, ni sa modestie, qui lui attiraient le respect de tout le monde. » Comme vous pouvez le comprendre, j’étais ce qu’on appellerait aujourd’hui, une intellectuelle, qui plus est, une intellectuelle engagée. Du reste, le plus intéressant est ce que j’ai écrit et surtout, ce que j’ai dit et enseigné pendant des années et dont vous n’avez pas gardé traces, ce qui n’a rien d’exceptionnel, car la transmission orale était plutôt la règle dans cette lointaine époque où j’ai vécu ; faut-il rappeler que l’imprimerie est une industrie récente. Pour compenser ce manque, je vais vous en dire quelques mots.

Excellent, c’est précisément de ça que je voulais que vous me parliez, opina Juste Pape.

Comme je vous l’ai dit, mon père, était un homme d’une grande bonté et d’une intelligence supérieure. Il s’était passionné pour les mathématiques, pour l’astronomie, la philosophie et plein d’autres arts que je dirais plus ésotériques. C’était un être doué d’une insatiable curiosité ; il fut le dernier directeur du musée de la bibliothèque d’Alexandrie, ce haut lieu de la culture humaine, avant qu’il ne soit fermé, incendié et détruit par le patriarche Théophile, c’est-à-dire l’évêque, dont le successeur sera précisément cet assassin de Cyrille ; ainsi, on découvre au passage que l’autodafé n’est pas une invention de l’Inquisition. Une fermeture brutale, opérée de la manière la plus ardente, qui est intervenue deux ans avant ma mort et qui a fait fuir bien des philosophes et savants d’Alexandrie et a muselé les autres ; en fait, on vivait dans une terreur permanente fomentée par les chrétiens. Donc, malgré cette ambiance délétère, j’ai suivi la voie tracée par mon père et comme lui, j’ai enseigné dans les écoles publiques et j’ai créé ma propre école de philosophie. Par ailleurs, en plus des mathématiques théoriques, j’ai pratiqué le métier d’ingénieur en mettant au point toutes sortes d’instruments. D’autre part encore, je me suis fortement et constamment intéressée à l’astronomie, aux mouvements des astres, au parcours quotidien du soleil, aux séquences de la lune – ce qui d’ailleurs m’a valu l’hostilité des religieux et spécialement de l’évêque Cyrille, qui entendait bien conserver le privilège de fixer le jour de Pâques et moi, en tant qu’astronome, j’exposais publiquement le mode de calcul des phases de la lune et donc, le calendrier des fêtes religieuses fondé sur le cycle lunaire. Il semblerait que cette dispute, que je n’avais absolument pas cherchée – moi, je faisais du calcul mathématique appliqué, cette dispute soit la goutte qui a fait déborder le bénitier et a signé mon arrêt de mort.

Je vois tout ça, dit Juste Pape. J’aimerais, maintenant, que vous me parliez de la façon dont vous conceviez le monde ; j’ai entendu dire que vous pratiquez la théurgie.

Nous y venons, Monsieur l’Inquisiteur, au nœud de l’affaire. La théurgie ? Et quoi encore ? Tireuse de cartes, nécromancienne, médium, sorcière, tant que vous y êtes. C’est ce qu’on invente habituellement pour déconsidérer celles et ceux qu’on veut mener au bûcher. Pourtant, vous avez bien « entendu dire », car cela s’est dit ; c’était encore un coup de ces commandos de parabalanis, de ces meutes de chrétiens, de ces bandes à Cyrille, dont l’ambition était immense et qui entendait bien conquérir le pouvoir absolu sur la ville et cette province de l’Empire ; ce qu’il fit d’ailleurs. Et moi, moi, avec mon souci de tolérance et de correction civique, mon rôle de conseillère, j’agissais pour instaurer la neutralité de l’État face aux religions et j’avais persuadé le gouverneur en ce sens ; moi, j’étais j’apparaissais comme un obstacle aux ambitions ecclésiastiques. Croyez-moi, Monsieur l’Inquisiteur, il n’y a rien de plus méchant et de plus pervers que ces bandes de religieux. Pour vous confirmer, via une source à vos yeux « non suspecta », l’ignoble persécution qui me poursuivit et ma triste fin, voici ce que disait de moi, deux cents ans après ma mort, un évêque chrétien, un dénommé Jean de Nikiou :

« En ces temps apparut une femme philosophe, une païenne nommée Hypatie, et elle se consacrait à plein temps à la magie, aux astrolabes et aux instruments de musique, et elle ensorcela beaucoup de gens par ses dons sataniques. Et le gouverneur de la cité l’honorait excessivement ; en effet, elle l’avait ensorcelé par sa magie. Et il cessa d’aller à l’église comme c’était son habitude… Une multitude de croyants s’assembla guidée par Pierre le magistrat – lequel était sous tous aspects un parfait croyant en Jésus-Christ – et ils entreprirent de trouver cette femme païenne qui avait ensorcelé le peuple de la cité et le préfet par ses sortilèges. Et quand ils apprirent où elle était, ils la trouvèrent assise et l’ayant arrachée à son siège, ils la traînèrent jusqu’à la grande église appelée Césarion. On était dans les jours de jeûne. Et ils déchirèrent ses vêtements et la firent traîner (derrière un char) dans les rues de la ville jusqu’à ce qu’elle mourût. Et ils la transportèrent à un endroit nommé Cinaron où ils brûlèrent son corps. Et tous les gens autour du patriarche Cyrille appelèrent celui-ci le nouveau Théophile, car il avait détruit les derniers restes d’idolâtrie dans la cité. » Et comme on peut le comprendre, ils en étaient fiers. Encore tout récemment, deux papes ont glorifié ce voyou de Cyrille – en 1882, Léon XIII le proclama Docteur de l’Église et en 2007, Benoît XVI faisait son éloge en le nommant « père de l’Église »[8].

Cependant, en ce qui me concerne, je vous prie de laisser aux ignorants et aux fanatiques cette accusation malencontreuse ; une fois pour toutes, je suis une personne simple et rationnelle, une femme cultivée qui ne croit pas aux fariboles et ne pratique aucun art faux, pas même, la transsubstantiation[9].

Oh, excusez-moi, Madame Hypatie, ce n’est pas à ça que je pensais. Je voulais juste évoquer votre relation avec Dieu, car c’est ce qui m’importe vraiment. En somme, pour tout dire, comment voyez-vous Dieu ?

Oh, Dieu ?, Monsieur l’Inquisiteur. À dire vrai, je ne le vois pas du tout et même je ne l’ai jamais vu. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir parcouru le ciel et les cieux dans tous les sens, car, il faut y insister, j’ai passé le plus clair de mes nuits à faire de l’astronomie et dans le ciel, j’y suis encore comme je vous l’ai dit tout à l’heure. En vérité, j’aurais beaucoup de mal à vous parler de Dieu ; il ne m’a jamais préoccupée.

Pourquoi, Madame Hypatie ? Pourquoi donc Dieu ne vous a jamais préoccupée ? N’était-il pas une évidence pour vous, comme pour tous les croyants ?

Écoutez, Monsieur Pape, je suis une mathématicienne et je sais fort bien ce qu’est une évidence. Je peux donc vous assurer que Dieu n’en est pas une, sauf pour ceux qui y croient, mais dans ce cas, je parlerais plutôt de postulat. Certes, à mon époque et longtemps après encore, certains philosophes imaginaient un « Un » d’où aurait découlé tout le reste, par émanation, en une sorte d’entropie transcendantale ; c’était à la mode de mon temps. Comme vous le savez peut-être, l’« Un » était le dada du philosophe Plotin, originaire des bords du Nil, plus exactement des environs de la ville actuelle d’Assiout et qui s’en fut enseigner la philosophie dans la capitale de l’Empire, à Rome, environ un siècle avant ma naissance. Par la suite, les croyants se sont emparé de son enseignement et ont voulu identifier Dieu en cet « Un ». Pour ce faire, ils n’ont jamais demandé l’avis de Plotin et pour cause, il n’était plus là. De toute façon, quoi qu’ait pu penser Plotin, pour ce qui me concerne, je ne suis pas croyante, car je pense.

En effet, dit Juste Pape, et qu’en pensez-vous ?

Penser, penser, ce n’est pas sans risque. C’est une activité dangereuse, croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir. Mais pour en revenir à Dieu ou à l’« Un », vous pensez bien, Monsieur l’Inquisiteur, que ce n’était pas là le principal de mes soucis. De toute façon, je n’en ai jamais été persuadée, ni de l’« Un », ni de Dieu. Pour l’« Un », il y avait là – dès le départ – une erreur de sens. Pour faire court, je pense que l’« Un » est infini, j’entends ici l’infini par-devant et par-derrière et dans toutes les dimensions. Donc, cet « Un » est le monde et il est tel à partir du moment où il est émané de la pensée humaine ; sinon, il n’existe pas. Hors l’humain et sa pensée, l’« Un » est inconcevable, du fait d’être inconçu. En ce sens, même si on l’imagine comme équivalent à cet « Un », Dieu sera lui aussi une entropie, une production accessoire destiné à combler l’inconnu, qui inquiète tant certains ; Dieu sera en quelque sorte, un contre-coup, un ressac d’imaginaire, un cataplasme posé sur la peur des hommes face à leur ignorance. Si le « Un » du philosophe est pure désignation du monde, nommé pour combler le vide, à n’en pas douter, c’est bien la peur les monstres invisibles et inconnaissables qui fait surgir du vide la marionnette divine que s’empressent d’animer les prêtres et les religieux de tous genres et de tous ordres ; une idole invisible, inaccessible et indicible qu’ils ont investi du pouvoir suprême et dont ils se revendiquent être les instruments[10]. Mais si vous allez au fond du temple, vous ne trouverez que le néant.

Je vous remercie, Madame Hypatie, d’avoir répondu à mes questions. Je transmettrai mon rapport et le procès-verbal de cet entretien à qui de droit. Enchanté de vous avoir connue. Et sans doute, adieu.

Comme vous dites, adieu, Monsieur l’Inquisiteur. Je vous dis adieu sans trop savoir ce que pareille salutation veut vraiment dire. Pour moi, j’aurais préféré quelque chose comme : « Portez-vous bien ! », ce que je vous souhaite en dépit de l’étrange profession que vous pratiquez. « Vale Inquisitor ! »


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Parabalanis : Les Parabalanis (du grec ancien : παραβαλανεῖς, les « garçons baigneurs »), ou Parabolanes (forme latine du παράβολοι ou παραβολᾶνοι), étaient les membres d’une confrérie chrétienne qui, dans l’Église primitive, était spécialisée dans les soins aux malades et l’enterrement des morts… Ils furent aussi affectés aux évêques locaux comme gardes du corps et intervenaient comme hommes de main lors des affrontements violents avec leurs adversaires. En somme, c’étaient des bandes et des milices armées. Yamen Manai, écrivain contemporain, décrit un pareil phénomène, dans la Tunisie actuelle ; pour se faire une idée des « choses vues de l’intérieur » d’un pays à population majoritairement musulmane qui se situe parmi les plus sécularisés, il est intéressant de lire son petit roman L’amas ardent, publié récemment chez J’ai Lu, Paris, 2019, 217 p. et les commentaires de presse diffusés par son éditeur tunisien Elyzad (2017). ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  5. Socrate le Scolastique, dans son Histoire ecclésiastique (440) : « Au cours de la fête chrétienne du Carême en mars 415, les parabalani (autrement dit les miliciens chrétiens), sous les ordres du Lecteur nommé Pierre, ont attaqué Hypatie alors qu’elle rentrait chez elle. Ils l’ont traînée au sol jusqu’à une église voisine connue sous le nom de Caesareum, où ils l’ont déshabillée de force, puis l’ont tuée avec des ostraka [ce qui peut être traduit par des « morceaux de poterie » ou des « coquilles d’huîtres » »]. Ils ont ensuite découpé son corps en morceaux puis ont traîné ses membres mutilés à travers la ville jusqu’à un endroit appelé Cinarion, où ils ont mis le feu à ses restes. » Voir Notice Hypatie – Description de l’assassinat. ↑
  6. Isaac ASIMOV, voir Isaac Asimov : un humain, humaniste et athée face au futur de l’humanité ↑
  7. Voir Notice Hypatie, Personnalité. ↑
  8. Benoît XVI, Saint Cyrille d’Alexandrie, Audience générale, mercredi 3 octobre 2007. ↑
  9. Transsubstantiation : transformation d’une matière en une autre; phénomène au cœur de la croyance chrétienne symbolisée dans la messe. Voir Notice Transsubstantiation ↑
  10. Carlo Levi, Paura della libertà, Einaudi, 1947, Torino, 134 p. ; pour la version française : Carlo Levi, La peur de la liberté, trad. de l’italien par Jean-Claude Ibert, Collection Les Essais (n° 79), Gallimard, Paris, 1955, 208 p. ↑
Tags : Alexandrie astronomie athée athéisme dieu femme liberté mathématiques Philosophie planète

La Confession apocryphe de Dario Fo

Posté le 8 août 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

La Confession apocryphe de Dario Fo[1]

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession apocryphe[2], comme dans les précédentes entrevues fictives[3], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’inquisiteur de faire parler les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[4]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Dario Fo, né à San Giano près de Varèse (Lombardie – Italie) en 1926 et mort à Milan en 2016, qui est un des grands dramaturges italiens. De son œuvre, on retient généralement Mystère bouffe (Mistero buffo, 1969) et Faut pas payer ! (Non Si Paga! Non Si Paga!, 1974).

Malheureusement pour cet interrogatoire, l’inquisiteur n’a pu disposer dans son dossier que de vagues extraits de textes épars, mais pour lui, ce n’est pas un inconvénient, il a l’habitude des textes apocryphes[5]. On retiendra sa lecture partielle de Dario e dio (Éd. Guanda)[6].

Bonjour, Monsieur Faux. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [7] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien vous-même, le comédien, le dramaturge, le poète, etc., car vous savez avec les gens de théâtre, on ne sait jamais qui est qui.

Si, si, Monsieur Juste, je suis bien moi-même ; tout comme vous l’êtes vous-même, mais je ne suis pas faux, je suis Dario Luigi Angelo Fo, dit Dario Fo, docteur honoris causa et puis encore, Prix Nobel comme Luigi Pirandello. En tant que metteur en scène de théâtre, je peux vous dire que vous ne connaissez pas votre texte[8], car mon nom exact est, vous auriez pu le voir dans votre dossier, si vous l’aviez lu attentivement, Fo avec un o comme dans vélo, métro, toto. Cela dit, vous avez raison, au théâtre, on ne sait jamais qui est qui. Prenez par exemple Shakespeare : était-il un Anglais qui avait émigré un long temps en Italie ou un Italien émigré en Angleterre ? On ne sait pas trop à lire ses pièces terriblement italiennes. Donc, moi, je suis définitivement Dario Fo, je suis né à San Giano. San Giano, c’est le patron des raconteurs d’histoires, un faux saint celui-là, dont le nom est la récupération déformée de Janus, nom antique du lieu et celui de l’ancien Dieu romain, Janus, dit bifront, celui qui voit en même temps le passé et l’avenir. C’est une ancienne et vilaine pratique de l’Église de tout catholiciser ainsi.

Laissons ça, voulez-vous. De fait, dans mon dossier, je vois votre nom : Dario Luigi Angelo Fo. Enfin, vous savez ce que c’est, il y a tellement à faire ici. Quant à moi, je suis là pour vous poser quelques questions.

Évidemment, des questions, c’est une habitude chez les inquisiteurs. Si je comprends bien, Monsieur Pape, vous êtes un homme de religion et en même temps, une sorte de magistrat instructeur de la police politique du Vatican. Et en plus, vous vous appelez Juste Pape. C’est drôle ça ! Savez-vous que j’ai écrit, dernièrement, l’histoire de « La Fille du Pape »[9], la dénommée Lucrèce Borgia, une charmante enfant, n’est-ce pas ?

Oui, c’est signalé dans le dossier. Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, Monsieur Fo, je dois vous préciser que ma mission consiste principalement à révéler les athées avoués et surtout, à faire avouer les athées cachés. En revanche, je ne suis pas compétent pour débusquer les faux athées, comme ce Scalfari[10] ou encore, comme Pitigrilli[11] ou plus complexe, comme Alighiero Tondi[12]. Dans votre cas, il me semble que les choses sont claires : vous êtes un athée confirmé.

Confirmé ? Certainement pas, j’avais refusé la religion depuis bien longtemps avant même l’âge de la confirmation. Athée ? Je ne m’en suis jamais caché, Monsieur l’inquisiteur : ni dans mes spectacles, ni dans mes livres. D’ailleurs, je m’en vais vous dire clairement ce que je pense : « Dieu, c’est de la pure invention. »

J’en ai entendu parler. Il paraît même, Monsieur Fo, que vous le traitez de faussaire, d’escroc, que sais-je ? C’est pour le moins audacieux.

C’est audacieux, sans aucun doute, Monsieur l’inquisiteur ; mais c’est simple à comprendre et pour tout dire, évident quand on y réfléchit. Dès lors, réfléchissons. Donc, le vivant est. Dès lors, l’homme – individu ou espèce – est et existe dès sa naissance. Juste une question préliminaire : Dieu serait-il sans l’homme ? Y aurait-il un Dieu sans l’homme ? Dieu (un Dieu, des Dieux, tous les Dieux, peu importe) n’est pas, il ne peut qu’exister ; cependant, préalablement à son existence, Dieu doit être créé et sauf erreur, il ne peut être créé que par l’imagination de l’homme ; en somme, Dieu est un fantôme. Une fois créé par l’homme, il existe de façon purement fantasmatique. Dieu est une sorte de fuzzy concept, un concept vague, une évanescence céleste ; c’est une excroissance de rêves ou de cauchemars, une entropie de l’esprit humain, qui est lui-même une émanation du cerveau. Concrètement, pour lui donner une existence dans le monde réel, il faut que quelqu’un le fasse exister ; ainsi, Dieu est une marionnette intersidérale et très spécifiquement, un pantin théorique. On peut donc le voir, l’entendre, même si lui ne peut rien dire et d’ailleurs, ne veut rien dire, dans le sens où lui-même n’a aucun sens. Quand il parle, son discours est toujours l’œuvre d’un illusionniste ventriloque.

Oui mais, quand même, Monsieur Fo, dans votre enfance, à l’époque, vous viviez dans une ambiance chrétienne, il me semble. Vous avez dû entendre parler de Dieu et y croire, au moins un peu, un petit moment ; y croire comme au Père Noël, en quelque sorte.

De fait, j’ai entendu parler de Dieu dans ma prime enfance ; dans le village où on vivait, il était fort apprécié et on en parlait tout le temps et même plus souvent que du Père Noël, qui comme vous le savez est un travailleur saisonnier, une sorte de réfugié commis aux livraisons nocturnes. Mais moi, même enfant, je n’y croyais pas. Ni à ce Dieu des vieux du village, ni au Père Noël ; pour ce dernier, je faisais semblant d’y croire pour les cadeaux. Tout ça, c’était pour moi une sorte de folklore, un bienheureux mensonge, un jeu de complicité de la légende, de la culture populaire. Maintenant, le Père Noël, c’est devenu une vaste entreprise commerciale, qui étend son empire, qui se démultiplie impudemment en publicité et qui livre à domicile, sans plus passer par les cheminées ; d’ailleurs, il n’y en a plus. Du coup, ça n’a plus le goût de l’enfance. Pour en revenir à Dieu et à la religion, à l’époque, tout le village baignait dedans. On avait droit aux aventures de Jésus, toutes depuis avant sa naissance jusqu’après sa mort, à l’invraisemblable histoire de sa mère vierge, à l’incroyable crédulité de son père putatif, d’ailleurs, vous savez, chez nous, on dit d’un cocu que c’est un Joseph, et puis, cet archange Gabriel qui apportait le message, on se demande quoi, peut-être qu’il était employé à la poste. D’ailleurs, vous savez bien que ce Gabriel est le saint patron des facteurs. On se posait toutes ces questions entre gamins ; toutes ces histoires venues de pays lointains, ça nous amusait beaucoup, mais on ne disait rien aux adultes, c’était trop risqué. On a tous grandi comme ça, avec ce non-dit, dans une atmosphère de dissimulation et de mensonge. À la vérité, le monde se divisait en deux groupes, il y avait ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas[13]. Avec un père socialiste, j’ai toujours fait partie du second groupe.

Oui, je vois, les enfants au village, dit l’inquisiteur. Mais au-delà ?

Oh, c’était pareil dans tout le pays, Monsieur l’inquisiteur. En ce temps-là, il valait mieux ne pas se faire remarquer. Nous étions coincés entre d’un côté, le catéchisme de l’Église et l’Action catholique et de l’autre, la doxa du Parti National Fasciste et les réunions des balillas[14]. C’était l’époque où le concordat avait été signé entre le Vatican et le fascisme : Dieu avait vendu – très, très cher – son âme au Duce et en échange, Mussolini a vendu l’Italie au Vatican. On en est toujours là et le pire, c’est qu’on revitalise ce vieux démon, on l’entretient. Chaque année, ce sont des milliards qui sont extorqués au profit de l’Église catholique, sans compter qu’on intoxique de religion quasiment tous les enfants des écoles. Et puis, tout le reste. À la télévision, on voit sans cesse des curés, des prêtres, des sœurs, des monsignori. Et on y ressert à tout bout de champ le Pape et son double. Vraiment, tout le pays baigne dedans.

Mais Dieu lui-même, Monsieur Fo, qu’en dites-vous ?

Oh, Dieu ! Quelle invention ! C’est la plus grande invention de l’Histoire, de l’Histoire humaine, s’entend, car pour tout le reste, il n’existe même pas. Prenez la planète, notre bonne planète ou tout l’univers ou votre chat. Pour eux, Dieu n’existe tout simplement pas et tous s’en foutent complètement. Mais chez les hommes, enfin, ceux de nos régions, Dieu existe dans une sorte de vide spirituel, un monde particulier, impalpable et depuis lors, il s’invente au jour le jour et il en remet tant et plus. Dieu est une hypertrophie de lui-même, il gonfle, il gonfle comme un Zeppelin. Il abuse et il use de mille et mille subterfuges. C’est un grand illusionniste, un gigantesque enchanteur et de génie encore bien. Dieu, c’est le génie sorti de la théière bleue qui gravite dans l’espace, sauf que c’est Lord Russell[15] qui raconte l’histoire d’Aladin.

Quoi ? Que dites-vous, Monsieur Fo, Dieu serait une baudruche, un faussaire, un illusionniste, une marionnette, un génie des Mille et Une étoiles ? Sorti d’une théière bleue, dans l’espace ? Mais personne n’a jamais vu cette théière…

Oh, Monsieur l’inquisiteur, c’est comme Dieu, personne ne l’a jamais vu non plus. Mais pour la théière, si on ne peut la voir, c’est parce qu’elle est toute petite et qu’elle gravite fort loin. Par ailleurs, on pourrait dire que c’est d’elle qu’est sorti le big bang, et qui pourrait prouver le contraire ? Alors voyez. C’est fantastique, c’est aberrant, n’est-ce pas ? D’accord, c’est une métaphore, une image, une vue de l’esprit, mais enfin, ce n’est pas moins invraisemblable qu’un Père éternel qui nous surveillerait, qui jugerait nos moindres gestes, qui espionnerait nos relations, y compris et surtout, les plus intimes et qui quand on serait dans la merde, nous y laisserait et nous promettrait tout ce qu’on voudrait, mais toujours après.

Mais, Monsieur Fo, il y a quand même le miracle, le miracle de la vie qui est l’œuvre de Dieu.

Mais, Monsieur l’Inquisiteur, quel miracle ? La vie n’est pas un miracle, c’est un fait réel. S’il y a un miracle, le seul et véritable miracle, c’est que l’humanité a trouvé le moyen de sortir indemne de cette tragi-comédie qu’est l’existence. Jusqu’à présent, en tout cas. Pour la suite, au train où vont les choses, je ne mettrais pas ma main au feu.

Alors, dites-moi Monsieur Fo, vous êtes un homme de théâtre et à ce qu’on me dit, vous vous êtes souvent inspiré de la religion, de ce qu’elle a raconté et finalement, de Dieu.

Ah, Monsieur l’Inquisiteur, le théâtre. Le théâtre, c’est le lieu de l’invention, c’est la scène du monde, c’est le royaume du masque. Et quand comme moi, vous vous inspirez de la culture populaire pour raconter vos histoires, il vous faut puiser dans le réservoir des récits de fiction dont est imprégné le peuple, des histoires qui lui sont familières et qu’il connaît déjà, qu’il reconnaît au passage. Ce qu’on appelle la tradition. C’est la mécanique, la chimie, la biologie du conte ; c’est ainsi qu’il fonctionne. Alors, évidemment, Dieu, la Bible et toutes ses histoires pleines d’horreurs et de fantaisie, pour le théâtre, c’est du pain bénit. C’est pour ça que j’ai fait appel à tout ce folklore. Pour dire la vérité, Dieu est un masque derrière lequel se tient un tyran grotesque, absurde et sanguinaire, une sorte de Père Ubu intemporel, qui réussit à se faire adorer, haïr, vénérer et qui excelle à raconter des contes improbables, à tromper tout le monde. Au fait, à quoi servirait-il autrement ? Dieu avance masqué ; sinon, on ne pourrait pas le voir. En fait, on ne peut jamais voir que le masque ; quand on veut actualiser Dieu, le rendre réel, il faut lui mettre un masque ; plus exactement, pour l’animer, il faut mettre un masque à un figurant.

Mais, Monsieur Fo, que dissimule ce masque, que cache-t-il ?

Vous voulez dire qu’est-ce que ce masque cache ? Mais, Monsieur l’Inquisiteur, il cache sa propre fatuité, sa vacuité irréductible, son mystère grotesque, tout simplement.

Et quel est, selon vous, ce mystère, Monsieur Fo ?

Vous le savez très bien, Monsieur l’Inquisiteur, ce mystère, c’est le néant, car au fond du temple, il n’y a rien. Tenez, je vous propose d’imaginer un spectacle pour découvrir ce qu’il y a en fin de compte. Donc, Dieu avec son masque arrive en scène et commence une danse lente et sensuelle. Par cette exhibition, il doit convaincre de sa réalité et pas question de subterfuge, pas de tentative d’hypnose ou de suggestion, pas de salamalecs, pas d’effet de foule ; rien, il joue tout seul. Dieu en solo sur la scène, un one God show, en quelque sorte. Il doit le faire comme un magicien avec rien dans les mains, rien dans les poches. Alors, il enlève ses ors, il retire ses brocarts et ses soies, il laisse tomber sa robe, c’est le strip-tease de Dieu. Pour finir, il enlève le masque et on découvre le figurant un peu gêné d’être là : c’est le représentant du pouvoir.

Comment se fait-il que Dieu soit le masque du pouvoir ?, dites-le-moi, Monsieur Fo.

Il n’y a aucune raison au pouvoir à part le pouvoir lui-même et cette réalité est proprement indicible, car il y a là un détournement. À l’origine et logiquement, justement, celui qui détient le pouvoir, c’est celui qui peut – qui a la capacité et pour toute la durée où ce pouvoir précis est en action ; j’ajoute et qui fonctionne réellement. Cependant, pour exercer le pouvoir, il faut pouvoir démontrer cette capacité. Mais ce que peut l’un, l’autre ne le peut pas et avoir le pouvoir parce qu’on sait faire quelque chose n’implique pas d’exercer le pouvoir au-delà de cet acte. C’est le cas quand on délègue les pleins pouvoirs pour une action donnée et que, au-delà de cette action, cette personne prétend le conserver et l’étendre. C’est alors qu’intervient le détournement ; il y a captation du pouvoir. Pour justifier et pérenniser la possession du pouvoir, on en attribue l’origine à un tiers extérieur au commun : en l’occurrence, Dieu et on prend soin de le proclamer intouchable, invisible, incommunicable, etc ; en plus, on lui fait dire ce qu’on veut. C’est en cela qu’un Dieu unique, monopolistique, est particulièrement pratique ; surtout, s’il est masqué. Mais il faut imposer son pouvoir et imposer sa Loi et pour cela, il n’y a rien d’aussi efficace que la terreur et le meurtre, ordonnés par lui et commis en son nom. Ajoutez à ça, son immunité céleste et le tour est joué. Tout ceci est fort théorique et il a fallu faire passer le message par un récit. Ce long récit, c’est la Bible.

Ah oui, vous pouvez m’expliquer ça, Monsieur Fo ?

Bien sûr. Regardez ce qu’elle raconte des relations entre ce Dieu, dont je rappelle qu’il est un masque, et les premiers humains. D’abord, il faut noter le côté vraiment fantasmagorique de ces histoires. Passons sur ce conte infantile de la création, digne d’une école maternelle et regardons comment cet aimable vieillard, vindicatif, autoritaire, traite ses « enfants » Adam et Ève. Je résume : comme ils sont un peu autonomes et qu’ils ne respectent pas la ligne du parti qu’il leur a imposée, il les fout à la porte, il les exclut – eux et toute leur descendance, c’est-à-dire qu’il les écarte de l’organe de direction, du pouvoir. En plus, il les rend mortels et les condamne aux travaux forcés. C’est une belle histoire, pratique pour affirmer la prédominance du porteur du masque du pouvoir et justifier la souffrance, le travail et avec ce dernier, l’exploitation.

Avec tout ça, Monsieur Fo, j’imagine que vous ne pensez pas trop à Dieu et à la vie éternelle.

À dire vrai, Monsieur l’Inquisiteur, en dehors des spectacles, je ne fréquente pas beaucoup Dieu et si ce n’était cette récurrente présence religieuse dans toutes les villes et les villages, s’il n’y avait pas cette occupation obsessionnelle des écrans, des journaux et des radios, je ne m’en soucierais pas ; s’il n’y avait pas cette colonisation des écoles et cette domestication religieuse des enfants, je n’aurais rien à redire. Quoique ce pouvoir occulte par le biais du culte et ce détournement des fonds publics me paraissent étrangement similaires à certaines pratiques mafieuses. Et à en croire les repentis, Dieu, c’est le Parrain des parrains. Dans le fond, me direz-vous, Monsieur l’Inquisiteur, c’est le propre du pouvoir. Mais qu’est donc alors, le sale ? Finalement, vous me le donnez mon certificat d’athéisme ?

Vous savez, Monsieur Fo, je ne peux pas vous décerner un certificat d’athéisme, car ce n’est pas moi qui conclus. Je transmets le dossier à ceux qui ont autorité pour le faire.

Alors, Monsieur l’Inquisiteur, faites ce que vous avez à faire. Quant à moi, je garderai le souvenir de cet étrange entretien. Je vous salue bien bas.


Notes

  1. Dario Fo ↑
  2. Apocryphe  : selon l’Académie (1986), « textes dont l’authenticité n’est pas établie » ou mieux encore, l’Académie (1798 et 1835) « Terme pris de la langue Grecque, dans laquelle il signifie, Inconnu, caché. Il n’a d’usage dans notre Langue, qu’en parlant des Livres & des Écrivains dont l’autorité est douteuse. » ↑
  3. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac ↑
  4. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  5. Sophie de Villeneuve, interview de Gérard Billon, directeur des Cahiers évangiles, professeur à l’Institut catholique de Paris. Propos recueillis par Sophie de Villeneuve dans l’émission Mille questions à la foi sur Radio Notre-Dame. in « Les apocryphes, qu’est-ce que c’est ? » (site de La Croix) – notamment : « Les livres du Nouveau Testament sont tous attribués à des chrétiens de première ou de la deuxième génération. Parfois, nous le savons aujourd’hui, cette attribution est un peu fictive. La lettre de Pierre, par exemple, n’est probablement pas de l’apôtre lui-même. Et pourtant elle a une très grande valeur. » ↑
  6. Dario Fo et Giuseppina Manin, Dario e Dio, Guanda, Parma, 2016, 171p. ↑
  7. OVRAAR  : voir note dans Carlo Levi ↑
  8. Réplique de Pierre Dac à Francis Blanche : « Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, S’il vous plaît… ? – Oui ! – Euh ! – Quoi ? – Qu’est-ce que vous pouvez me dire ? – Je peux vous dire que vous ne savez plus votre texte. ». dans Le Sar Rabindranath Duval ↑
  9. Dario Fo, La Fille du pape (La Figlia del Papa, Chiarelettere, Milano, 2014), traduction : Camille Paul, Grasset, Paris, 2015, 288 p. ↑
  10. Voir https ://www.athees.net/le-cabinet-du-docteur-scalfari/ ↑
  11. Pitigrilli, alias Dino Segre, indicateur de l’Ovra (police politique fasciste), athée converti par Padre Pio. ↑
  12. Alighiero Tondi, jésuite apostat, communiste, reconverti jésuite. ↑
  13. Louis Aragon, « La Rose et Réséda », in La Diane française, Seghers, 1944 ↑
  14. Balilla : L’Opera Nazionale Balilla (en français l’Œuvre Nationale Balilla) était l’organisation de jeunesse mise en place en 1926 sous le régime fasciste italien. ↑
  15. Bertrand Russell, voir La Théière de Russell. ↑
Tags : athée athéisme comédie Dario Fo dieu écrivain Juste Lipse liberté

La Confession libertaire de Michel Bakounine

Posté le 18 mai 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Comme dans les précédentes entrevues fictives[1] un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier de l’inquisiteur de faire parler les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Michel Bakounine, né Mikhaïl Alexandrovitch Bakounine à Priamoukhino (Russie) en 1814 et mort à Berne (Suisse) en 1876, est un révolutionnaire du XIXe siècle. De son œuvre, on retient ici spécifiquement, « Dieu et l’État. » (1882)[3].

Bonjour, Monsieur Bakounine. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[4] en mission spéciale. Vous êtes bien Michel Bakounine, le révolutionnaire ?

Oui, Monsieur, je suis bien Michel Bakounine, libertaire, révolutionnaire et pour tout dire, anarchiste.

Hum, je vois, dit Juste Pape. Cependant, j’aimerais savoir si c’est bien vous l’auteur de ce brûlot athée qui s’intitule « Dieu et l’État ».

Évidemment, qui d’autre ?

Laissez-moi vous dire, Monsieur Bakounine, qu’ici, je ne vous demanderai pas de me parler comme à votre confesseur, même si je sais que durant votre vie vous avez répondu à pareille sollicitation du Tsar Nicolas Ier et que lui avez-vous dit ?

Cette pseudo-confession m’avait été, en quelque sorte, imposée alors que j’étais enfermé dans la forteresse Pierre et Paul, qu’on quittait rarement vivant ; c’était en 1851. En résumé, le comte Orlov, ministre de l’Intérieur, est venu dans ma cellule et m’a dit : « Écrivez au Souverain comme si vous parliez à votre confesseur », et ainsi, j’avais écrit à l’Empereur : « Je me confesserai à Vous comme à un père spirituel… »[5] Cette confession, qui racontait mes aventures révolutionnaires en Europe les années précédentes, m’a permis d’échapper à la forteresse. On m’exila en Sibérie ; de là, je m’échappai par l’Océan, ensuite, j’ai traversé les États-Unis et par l’autre Océan, je suis revenu en Europe pour reprendre la lutte. Si vous avez le temps, vous pouvez lire cette confession, mais vous n’apprendrez pas grand-chose sur le sujet qui vous intéresse. Il n’y a là que le récit d’une errance en quête de révolutions, qui toutes, de mon point de vue, ont échoué.

Oui, mais cette confession, vous l’avez quand même faite, Monsieur Bakounine.

Certainement et par écrit, encore bien. Mais ne pas la faire, c’était sortir de là les pieds devant en chantant sous mes planches « Merde au Tsar ! »[6] ; ça m’aurait fait une belle fin de martyr, mais j’avais déjà perdu la vocation.

Soit. Monsieur Bakounine, il est dit dans mon dossier que vous êtes né en Russie de famille noble et qu’il y avait parmi les plus proches parents un ministre des Affaires étrangères du Tsar, que votre père lui-même fut un personnage important et termina son existence dans ses propriétés au milieu de ses serfs, en les traitant toutefois avec beaucoup de compassion.

Ce n’est pas inexact.

Alors, Monsieur Bakounine, selon mes informations, dans votre jeunesse à Priamoukhino, quand vous viviez chez votre père, vous étiez fort chrétien et même, dit-on, assez mystique.

En effet, j’ai vécu ma première jeunesse chez mon père dans le grand domaine de Priamoukhino, avec toute la famille, ma mère et mes huit frères et sœurs. La grande maison était entourée d’un parc, de champs, de forêts ; une rivière passait tout près. L’hiver, on vivait en ville à Tver ; pour ce qui est de l’éducation, notre père n’était pas trop sévère, tout comme nos précepteurs. Cependant, malgré le fait qu’il était assez moderne pour l’époque, qu’il avait été diplomate en Europe, notamment à Paris où il avait lu les Encyclopédistes, nous vivions dans une famille patriarcale, théologique et sacrée[7].

Certes, Monsieur Bakounine, mais la religion ?

Oh, la religion, on en avait parce que tel était l’usage à l’époque là-bas en Russie. Évidemment, il s’agit de la religion orthodoxe, mais elle se réfère aussi au Dieu du Christ ; à la maison, tout le monde croyait, mais sans trop se conformer aux rigueurs et aux rites de l’Église ; on était, disons, pieux, comme les Russes de ce temps-là.

Mais, vous, personnellement, vous étiez croyant ?

Ma réponse est nettement oui. Oui, j’étais croyant, pieux et fort confiant dans ce que j’appelais alors le Sauveur. Voici une phrase d’une lettre à mon père qui résume assez bien ce que je pensais alors : « Tout le but de l’éducation chrétienne vise à doter l’homme d’une seconde naissance spirituelle afin, comme l’a dit le Sauveur, de développer en lui une vie autonome et libre qui le préparera à la rude carrière de la vie, à supporter toutes les douleurs et toutes les souffrances qu’il ne manquera pas d’y rencontrer. »[8] J’étais, je pense, ce qu’on pourrait appeler un bon chrétien. En somme, je vivais dans « l’amour pour Dieu » en dehors duquel tout me paraissait « fantomatique » et « insignifiant ».

Monsieur Bakounine, vous avez étudié la philosophie ?

C’est exact. Mon père m’avait envoyé à l’École d’Artillerie de Saint-Pétersbourg, Je suis sorti officier, puis, j’ai démissionné dès que j’ai pu pour faire des études de philosophie, qui m’ont conduit en Allemagne où j’ai fait partie de ces philosophes connus sous le nom d’hégéliens. C’est évidemment là, entre Feuerbach et surtout, Max Stirner, que j’ai quitté les rivages religieux et que j’ai perdu de vue Dieu et tous ses nuages, jusque et y compris, ceux où on le remplace par l’une ou l’autre entité tout aussi mythique. C’est alors qu’a pris forme ma conception du monde, où Dieu est ramené à sa silhouette de fantôme et la religion à une escroquerie.

Nous y voilà, dit Juste Pape. Vous n’êtes pas resté le bon chrétien des origines, vous êtes devenu anarchiste.

C’est vrai, mais je n’ai pas toujours été anarchiste : j’étais démocrate révolutionnaire dans les années 1840, puis partisan de l’émancipation des Slaves d’Europe centrale, je ne me suis converti au socialisme libertaire et à l’anarchisme qu’à partir de 1864 – voire plus tard.[9]

On me dit Monsieur Bakounine que vous seriez devenu matérialiste, que vous considéreriez que l’homme est un produit de la matière ?

Certainement, je suis persuadé que l’homme n’est comme toutes les autres choses qui existent dans le monde, rien que matière, rien qu’un produit de cette vile matière. (7)[10]

Alors, Monsieur Bakounine, dois-je comprendre que vous êtes de ces gens qui pensent que l’homme est un animal, une sorte particulière de primate, de singe anthropoïde, de gorille, que sais-je ?

En effet, je pense à peu près ça et je sais qu’à présent, tous les zoologues sérieux le confirmeront. Oui, nos premiers ancêtres, nos Adams et Èves, furent, sinon des gorilles, au moins des cousins très proches du gorille, des omnivores, des bêtes intelligentes et féroces, douées de la faculté de pensée et de la faculté, du besoin de se révolter (9).

Et Dieu dans tout ça ? Monsieur Bakounine, qu’en dites-vous ?

Oh ! Des Dieux, il y en eut tellement, mais celui qui vous intéresse, votre Dieu, celui de la Bible, Jéhovah, de tous les dieux qui ont jamais été adorés par les hommes est le plus jaloux, le plus vaniteux, le plus féroce, le plus injuste, le plus sanguinaire, le plus despote et le plus ennemi de la dignité et de la liberté humaines (9-10).

Non seulement, vous êtes anarchiste, matérialiste, athée et je suppose que vous avez une opinion positive de Satan, on dit que vous l’appelez l’éternel révolté. J’avais parlé de lui avec Mark Twain[11].

Quand on parle de Satan, il faut être clair et dire primo que tout comme Dieu, Satan ne saurait exister, du simple fait que ni l’un ni l’autre n’existent. Toutefois, si on le considère comme un personnage métaphorique, une entité imaginaire, alors, pour moi, Satan, c’est l’éternel révolté, le premier libre penseur et l’émancipateur des mondes. Il fait honte à l’homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l’émancipe en le poussant à désobéir et à manger le fruit de la science (10).

Ainsi, Monsieur Bakounine, vous qui étiez si chrétien, vous faites fi de la rédemption.

La rédemption ? La rédemption, je vais vous dire la rédemption… dans le Paradis promis par le Christ, ce que j’en pense ? Bof… Tout ça, ce sont des contes absurdes, des doctrines monstrueuses qu’on enseigne dans toutes les écoles populaires sur l’ordre exprès des gouvernements. On appelle ça civiliser les peuples ! (11)

Que pensez-vous du christianisme et de l’Église ?

Pendant des siècles, le christianisme, armé de la toute-puissance de l’Église et de l’État, et sans concurrence aucune de la part de qui que ce fût, put dépraver, abrutir et fausser l’esprit de l’Europe et encore aujourd’hui. L’Église seule pensait, elle seule parlait, écrivait, elle seule enseignait. La croyance en Dieu, esprit pur et créateur du monde, et la croyance en l’immortalité de l’âme restèrent intactes (89). C’est ainsi que cette entreprise de domination et domestication des gens se perpétue.

Et la foi, Monsieur Bakounine, qu’en dites-vous ?

La foi ? C’est une idiotie. En gros, Dieu est mystère et ce mystère est inexplicable, c’est-à-dire qu’il est absurde… Quiconque en a besoin doit renoncer à sa raison et répéter avec Tertullien et tous les croyants : « Je crois en ce qui est absurde ». Alors, toute discussion cesse, et il ne reste que la stupidité triomphante de la foi (14-15). Mais il n’y a pas de mystère divin, Dieu est un pantin inventé par l’homme et encore, par certains hommes et dans leur intérêt. Qui sont ces hommes ? Des riches et des puissants qui pour assurer leur domination, leur pouvoir, leur richesse font depuis tant de temps, la guerre aux pauvres. C’est ainsi que prêtres, monarques, hommes d’État, hommes de guerre, financiers publics et privés, fonctionnaires de toutes sortes, policiers, gendarmes, geôliers et bourreaux, monopoleurs, capitalistes, pressureurs, entrepreneurs et propriétaires, avocats, économistes, politiciens de toutes les couleurs, jusqu’au dernier vendeur d’épices, tous répéteront à l’unisson ces paroles de Voltaire :« Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. » Car, vous comprenez, il faut une religion pour le peuple. C’est la soupape de sûreté (16-17). Dans ces conditions, je suis très hostile à l’idée même de foi.

Inventer Dieu ? Monsieur Bakounine, que dites-vous là ? C’est impossible vu que Dieu est là depuis toujours.

Monsieur l’Inquisiteur, ce Dieu qui est là depuis toujours, c’est le vieux tour de passe-passe de la preuve par l’ancienneté, par l’universalité de cette croyance en Dieu. Car le consentement universel, l’adoption universelle et antique d’une idée ont été considérés comme la preuve la plus victorieuse de sa vérité. Et puisqu’il a été constaté que tous les peuples croient en l’existence de Dieu, il est évident que ceux qui ont le malheur d’en douter sont des exceptions anormales, des monstres. Et pourquoi ? Pourquoi l’antiquité d’une croyance serait contre toute science et contre toute logique, une preuve de sa vérité. Jusqu’au siècle de Galilée et de Copernic, tout le monde croyait que le soleil tournait autour de la Terre. Tout le monde ne s’était-il pas trompé ? Qu’y a-t-il de plus antique et de plus universel que l’esclavage ? Que l’anthropophagie ? L’argumentation des avocats de Dieu ne vaut rien (18-20).

Et alors ? Monsieur Bakounine, si Dieu ne vaut rien, quoi d’autre ?

Du moment qu’on accepte l’origine animale de l’homme, tout s’explique. (21) L’homme, comme toute chose dans le monde, est un être complètement matériel. L’esprit, la faculté de penser, l’intelligence en un mot, cet unique créateur de tout notre monde idéal, est une propriété du corps animal et notamment de l’organisation toute matérielle du cerveau. (79) Mais il nous faut comprendre d’où est venue cette idée de Dieu. C’est dans l’intérêt de la santé de notre propre esprit qu’il faut comprendre comment l’idée de Dieu a germé dans la conscience des hommes, car nous aurons beau nous dire et nous croire athées, nous courrons toujours le risque de retomber tôt ou tard dans l’abîme de l’absurdité religieuse. (23)

Que dites-vous de la religion, de Dieu et de l’homme ?

Prenez un fou : quel que soit l’objet spécial de sa folie, vous trouverez que l’idée obscure et fixe qui l’obsède lui paraît la plus naturelle du monde. Eh bien, la religion est une folie collective, d’autant plus puissante qu’elle est une folie traditionnelle et que son origine se perd dans l’antiquité la plus reculée. Comme folie collective, elle s’est incarnée dans la société. Tout homme en est enveloppé depuis sa naissance, il la suce avec le lait de sa mère, l’absorbe avec tout ce qu’il entend, tout ce qu’il voit. Il en a été si bien nourri, empoisonné, pénétré dans tout son être que plus tard, il a besoin de faire des efforts inouïs pour s’en délivrer (82). Car, une fois le monde surnaturel, le monde divin, bien établi dans l’imagination traditionnelle des peuples, le développement des différents systèmes religieux suit son cours naturel et logique. C’est ainsi que la folie collective et historique qui s’appelle religion s’est développée depuis le fétichisme, en passant par tous les degrés du polythéisme, jusqu’au monothéisme chrétien (83). Cette divine folie fut passionnément acceptée par les simples, les ignorants et les pauvres d’esprit. En effet, il fallait un bien profond mécontentement de la vie, une bien grande soif du cœur et une pauvreté à peu près absolue de l’esprit pour accepter l’absurdité chrétienne, de toutes les absurdités religieuses la plus monstrueuse (86). Est-il besoin de rappeler combien et comment les religions abêtissent et corrompent les peuples ? Elles tuent en eux la raison et les réduisent à l’imbécillité. Elles tuent l’humaine fierté et l’humaine dignité (26). Toutes les religions sont cruelles, toutes sont fondées sur le sang et dans ce sanglant mystère, l’homme est toujours la victime et le prêtre est le divin bourreau (27).

Et que dites-vous des rapports de Dieu et de l’homme ?

C’est une manière biaisée de poser la question. Vous semblez poser comme principe que Dieu existe, mais ce n’est pas le cas dans le réel. Cependant, je vais montrer où mène votre question. Si on suppose que Dieu existe, alors, Dieu étant le maître, l’homme est l’esclave. Esclaves de Dieu, les hommes doivent l’être aussi de l’Église et de l’État, en tant que ce dernier est consacré par l’Église (25). Mais si Dieu est, l’homme est esclave ; or, l’homme peut, doit être libre, donc Dieu n’existe pas (26) et si Dieu existait, il n’y aurait pour lui qu’un seul moyen de servir la liberté humaine, ce serait de cesser d’exister ; sinon, il faudrait le faire disparaître. (29)

Mais enfin, Monsieur Bakounine, si Dieu n’existe pas, que devient l’Autorité ?

La liberté de l’homme consiste uniquement en ceci qu’il obéit aux lois naturelles parce qu’il les a reconnues lui-même comme telles, et non parce qu’elles lui ont été imposées par une volonté étrangère, divine ou humaine, collective ou individuelle, quelconque. (32) Dès lors, je rejette l’autorité pour l’autorité. Est-ce à dire que je repousse toute autorité ? Loin de moi cette pensée. Lorsqu’il s’agit de bottes, j’en réfère au cordonnier et si je m’incline devant l’autorité des spécialistes, c’est parce que cette autorité ne m’est imposée par personne, ni par les hommes ni par Dieu. Autrement, je les repousserais avec horreur et j’enverrais au diable leurs conseils, leur direction et leur science, certain qu’ils me feraient payer par la perte de ma liberté et de ma dignité humaines les bribes de vérité qu’ils pourraient me donner. (35) En somme, si je reconnais l’autorité de la science, je repousse l’infaillibilité et l’universalité des représentants de la science. (37)

Ce serait donc la science en lieu et place de la religion et de Dieu ?

Vous avez, Monsieur l’Inquisiteur, de ces manières de présenter les choses ; vous déformez d’avance mes réponses. En un mot, la science est la boussole de la vie. La vie est toute fugitive et passagère, mais aussi toute palpitante de réalité et d’individualité, de sensibilité, de souffrances, de joies, d’aspirations, de besoins et de passions. C’est elle seule qui, spontanément, crée les choses et tous les êtres réels ; il en résulte que la science a pour mission unique d’éclairer la vie, non de la gouverner. (64-65) Dès lors, il faut répandre à pleines mains l’instruction et transformer toutes les églises, tous ces temples dédiés à la gloire de Dieu et à l’asservissement des hommes, en autant d’écoles d’émancipation humaine. Pour qu’elles deviennent d’émancipation, il faudra en éliminer avant tout cette fiction de Dieu, l’asservisseur éternel et absolu ; et il faudra fonder toute l’éducation sur le développement scientifique de la raison, non sur celui de la foi, sur le développement de la dignité et de l’indépendance personnelles non sur celui de la piété et de l’obéissance et avant tout, sur le respect humain qui doit remplacer en tout et partout le culte divin (46).

Monsieur Bakounine, à propos d’éternité, comment voyez-vous l’avenir de l’homme ?

Ce qu’il y a de permanent ou de relativement éternel dans les hommes réels, c’est le fait de l’humanité qui, en se développant constamment passe, toujours plus riche, d’une génération à l’autre. Je dis relativement éternel, parce qu’une fois notre planète détruite – et elle ne peut manquer d’être détruite ou de se détruire tôt ou tard ; une fois que notre planète se sera décomposée et dissoute, pour servir sans doute d’élément à quelque formation nouvelle dans le système de l’univers, le seul réellement éternel, qui sait ce qu’il adviendra de tout notre développement humain ? Comme cette dissolution est immensément éloignée de nous, nous pouvons bien considérer relativement à la vie humaine si courte, l’humanité comme éternelle (63).

J’en ai fini, Monsieur Bakounine. Je ne peux évidemment pas vous communiquer mes conclusions. Elles sont pour ma hiérarchie. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Monsieur l’Inquisiteur, j’ai pitié de vous et je vous souhaite « ni Dieu, ni Maître »[12].


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac.↑
  2. Blanche Francis, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).↑
  3. On lira avec intérêt la biographie : Kaminski Hanns-Erich, Michel Bakounine, La vie d’un révolutionnaire, Les Belles Lettres, Paris, 2014, 312 p.↑
  4. OVRAAR : organisme secret à vocation de police politique, dont le nom est un sigle dont le nom de baptême est calqué pour partie sur celui de l’Ovra, dont l’historien Luigi Salvatorelli indique qu’il pourrait signifier : « Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d’en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu’ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois », et pour la fin sur celui de l’UAAR (Unione degli Atei e Agnostici razionalisti – Union des Athées et Agnostiques rationalistes italiens), gens qu’il s’agit de surveiller et éventuellement, de réprimer.↑
  5. Michel Bakounine, Confession, Le Passager clandestin, Neuville-en-Champagne, 2013, 211 p., p.31.↑
  6. « Merde au Tsar ! » renvoie au poème de Pierre Seghers, mis en musique et chanté par Léo Ferré : « Merde à Vauban ! ».↑
  7. Jean-Christophe Angaut, Amour et mariage chez Bakounine, Un blog de l’Atelier de création libertaire V2, 2010.↑
  8. Ibid.↑
  9. Jean-Christophe Angaut, Petit, Bakounine était-il de droite ?, Un blog de l’Atelier de création libertaire V2, 2017.↑
  10. Michel Bakounine, Dieu et l’État, Mille et une Nuits, Arthème Fayard, Paris, 2000, 119 p., les chiffres entre parenthèses renvoient au numéro de page dans l’ouvrage.↑
  11. Valdo, Marco M.I., La Plume de Satan, ABA, 2018.↑
  12. Léo Ferré, Ni Dieu ni Maître, 1964.↑
Tags : anarchisme athée athéisme Bakounine dieu écrivain État Juste Pape liberté révolution

Dernière Newsletter
10/03/2023 - Newsletter N°40
31/10/2022 - Newsletter N°39
23/10/2022 - Newsletter N°38
26/09/2022 - Newsletter N°37
30/06/2022 - Newsletter N°36

Articles récents

  • VERS UNE BIBLIOTHÈQUE ATHÉE !
  • Le bouddhisme est une religion
  • Euthanasie en France : la spiritualité au secours de la religion
  • La méditation en pleine conscience : une religion qui ne dit pas son nom
  • Jésus

Notre chaine YouTube

https://www.youtube.com/c/Atheesdebelgique/playlist

« Surréalisme et athéisme en Belgique », une conférence de Christine Béchet

https://www.youtube.com/watch?v=0DmbhFp-3nY&t=732s

« Laïcité et ré-islamisation en Turquie » par Bahar Kimyongür (avec illustrations et questions/réponses)

https://www.youtube.com/watch?v=eg4oVSm322Y&t

L’athéisme est il une religion ? Par Jean-Michel Abrassart

https://www.youtube.com/watch?v=1exjhF1LaFw&t

« Laïcité et athéisme » une conférence de Véronique De Keyser

https://www.youtube.com/watch?v=I1wByrcVbaA&t

« Athéisme et (in)tolérance » une conférence de Patrice Dartevelle

https://www.youtube.com/watch?v=hzgWQoOtsqI

« Athéisme et enjeux politiques » une conférence de Serge Deruette

https://www.youtube.com/watch?v=bYTzQOLBO9M&t=3s

Catégories

  • Agnosticisme
  • Anticléricalisme
  • Arts
  • Arts, Culture
  • Athéisme
  • Autres
  • Communiqué de presse
  • Conférence
  • Coronavirus
  • Croyances
  • Direct
  • Edition
  • Enseignement
  • Evenements ABA
  • Histoire
  • Humanisme
  • Irrationalisme
  • Laïcité
  • Libre arbitre
  • Libre pensée
  • Littérature
  • Livre
  • Lois divines
  • Matérialisme
  • Modernité/Postmodernité
  • Nécrologie
  • Non classé
  • Nos articles
  • Pandémie
  • Philosophie
  • Pseudo-sciences
  • Religion
  • Revue
  • Sciences
  • Section ABA en Belgique
  • Sociologie
  • Vidéos

Mots-clés

ABA anticléricalisme Association athée athée athée caché athéisme Big Bang Caroline SÄGESSER catholicisme chansons athées chants athées conférence coran croyance croyances création Darwin dieu foi histoire des idées humanisme islam ISLAMOPHOBIE Italie Juste Pape laïcité libre-pensée Lumières mort Paradis patrice dartevelle Philosophie physique Pierre Gillis rationalisme religion religions révolution science Science-fiction sens de la vie serge deruette spiritualité États-Unis écrivain

Libre pensée

  • Fédération nationale de la libre pensée
  • Libres penseurs athées

Lien Scepticisme

  • Lazarus Mirages
  • Observatoire zététique de Grenoble
  • Scepticisme Scientifique
  • skeptico.blogs.com

Liens Atheisme

  • Amicale athée
  • Atheisme Canada
  • Athéisme internationale
  • Atheisme.free.fr
  • Atheisme.org
  • Dieu n'existe pas
  • Fédération nationale de la libre pensée
  • Front des non-croyants
  • Libres penseurs athées
  • Union des athées

Liens Science

  • Lazarus Mirages
  • Observatoire zététique de Grenoble
  • Scepticisme Scientifique
  • skeptico.blogs.com

Philosophie

  • Atheisme.org
  • Libres penseurs athées

Méta

  • Inscription
  • Connexion
  • Flux des publications
  • Flux des commentaires
  • Site de WordPress-FR
© Les Athées de Belgique