ATHÉISME – AGNOSTICISME  –  MATÉRIALISME par Noël Rixhon

Dieu n’est pas

 

« Dieu », ce n’est qu’une idée qui prend toutes sortes de sens et de formes. Depuis 100.000 ans, depuis que la conscience humaine a commencé à émerger, cette idée a traversé les âges sans qu’elle n’ait jamais désigné aucune réalité objective ni objectivable, c’est-à-dire indiscutablement visible, audible, perceptible… par n’importe qui. Durant tout ce temps, si un ou des dieux avaient réellement existé, ça se saurait ! Qu’avons-nous à faire dès lors de ce qui ne demeure qu’une idée, qui n’engage à rien, ne mène à rien ! Sauf à se complaire dans un doute sans issue possible, parfaitement inutile et dépassé, ou à alimenter un certain jeu intellectuel, métaphysique, est-il bien raisonnable de s’y accrocher obstinément, voire désespérément ? Ne serait-on pas alors inconsciemment prisonnier du fantasme d’éternité  qui taraude les humains, donne lieu à des rêveries surnaturelles, prises finalement comme réalité et enfin comme vérité ?

Parler ainsi, serait-ce de ma part faire preuve de naïveté ?  Eh bien oui, et je la revendique dans son sens premier : de nativus, natif, le terme qualifie l’état d’un esprit revenu à ses origines, à ses débuts, à sa naissance. Or, nous naissons sans aucune imprégnation religieuse, mais nous sommes ensuite instantanément pris, nourris au sein d’une culture foncièrement pénétrée de tradition religieuse, dans une société fût-elle même sécularisée. D’autre part, nous sommes nés dans un monde (univers, multivers…) qui « n’a ni commencement ni fin ni bord » (Stephen Hawking),  n’existe que par lui-même, se suffit à lui-même, ce qui exclut un créateur. Néanmoins, afin de se distraire de ce monde qui n’est pas rose tous les jours, il n’est pas  interdit d’en rêver un autre, mais sans oublier qu’il n’est alors que fiction. Et il n’est pas interdit non plus de se délecter dans de très hautes idées métaphysiques,    sachant toutefois qu’individuellement comme collectivement, personne n’est  rationnellement  capable de saisir la réalité du monde dans son essence et sa totalité.

« Je ne crois pas en Dieu, mais il me manque », ai-je entendu dire une dame au cours d’une émission RTBF-Radio, ce qui est une forme d’athéisme. « Je ne sais pas, mais ça m’intéresse », a déclaré Bernard Werber, voulant définir par là une forme d’agnosticisme. Lorsque l’on ne sait pas quelque chose, on est amené à s’y intéresser : chercher et réfléchir faisant intervenir vécu personnel, philosophie, histoire, sciences… afin de savoir. S’il apparaît clairement qu’il est impossible de savoir, alors normalement on cesse de s’y intéresser. C’est le cas en ce qui concerne le prétendu  “surnaturel”, dénommé  “Dieu(x)”, qu’il soit religieux ou métaphysique. Force est de constater qu’il n’est qu’invention humaine par dépit, tendant à  combler à bon compte ignorances, incertitudes, besoins d’absolu, peur du néant… C’est pourquoi,  “Dieu”  ne manque certes pas  à quelqu’un dans l’état d’esprit, la pensée duquel sa notion même est totalement absente.

Un monde infini sans commencement ni fin

 

À la fameuse question, «pourquoi quelque chose plutôt que rien ? », je réponds : parce qu’il y a toujours eu quelque chose, parce que le monde n’a jamais eu de commencement et n’aura pas de fin. Ne devrions-nous pas sortir du cadre de la pensée dominante judéo-chrétienne confortée par le cartésianisme selon laquelle TOUT a eu un commencement et doit avoir une cause première, où seules des “forces causales” (de quel ordre, de quelle nature ?) peuvent expliquer notre monde physique conçu comme ayant été créé et comme étant caractérisé par sa seule finitude.

D’aucuns évoquent la notion d’énergie du vide. Or, un vide absolu, un espace qui serait vidé de toute matière, ne renfermant donc rien, n’est qu’une vue de l’esprit. Car tout l’univers est en permanence traversé  par des particules, comme l’attestent les détecteurs qui scrutent le ciel sans relâche ; il est constitué à 96% de matière dite « noire » ou fantôme, c’est-à-dire invisible, les 4% restants étant toute la matière qui s’offre à nos yeux. Et il est à noter que toute énergie (y compris celle indispensable à nos activités cérébrales) trouve nécessairement son origine dans la matière (fusion et fission, anabolisme et catabolisme, thermodynamique, etc…). Depuis qu’Einstein a porté la relativité sur les fonts baptismaux, il est d’ailleurs plus correct d’assimiler la catégorie philosophique de matière au concept physique d’énergie plutôt qu’à celui de masse, qui n’est plus qu’une forme possible de l’énergie. Que la matière ne peut provenir de rien, qu’elle ne provienne que de la matière elle-même tombe sous le sens.

Créer de rien, ça n’a pas de sens. On ne peut créer quelque chose qu’à partir de quelque chose. Car s’il y avait eu quelque chose à l’origine du monde, il faudrait se demander ce qui serait à l’origine de ce quelque chose, et ainsi de suite… Et pourquoi voudrait-on, et pourquoi faudrait-il qu’il y ait  un commencement et une fin ?   Il est évident que l’idée selon laquelle notre monde ait été créé de rien a une origine religieuse, irrationnelle, laissant donc supposer l’intervention d’un être immatériel préexistant. De quoi celui-ci serait-il fait ?

Toujours est-il que certains sont cependant tentés de conforter leur a priori d’une création ex nihilo et conséquemment d’un créateur en faisant appel à la théorie du vide quantique telle que la développe Edgard Gunzig (« Le vide. Univers du tout et du rien », Éd. Complexe 1999 ; « Créer l’Univers à partir de rien » sur son site-Internet, repris ci-après partiellement et en résumé) :

 

En théorie des champs classiques, par exemple, un champ magnétique peut être supprimé, annulé. Le vide, c’est l’absence de champ. En théorie quantique, au contraire, un champ est inamovible, on ne peut s’en débarrasser. Le vide ne peut donc être qu’un certain état du champ. Le champ quantique ne connaît pas de repos. Il présente toujours une vibration résiduelle, celle laissée par les particules qui apparaissent, disparaissent, se transforment, à l’image des sons d’une corde musicale, perçus sans voir la corde : tel est le vide quantique ! Cependant le champ quantique ne peut engendrer des phénomènes de création ou d’annihilation de particules que si on lui donne les moyens, c’est-à-dire de l’énergie. Il n’y a pas d’extérieur à l’univers puisqu’il contient tout, par définition. A fortiori, il n’y a pas de source d’énergie extérieure pour doper le champ quantique et lui faire « cracher » des particules. La relativité générale apporte une réponse qui découle du statut dynamique de l’espace-temps : l’expansion de l’univers apparaît tel un réservoir d’énergie interne. Elle joue le rôle qu’aurait joué une source extérieure d’énergie.

 

         La notion du vide est donc toute relative. Vide quantique n’est pas synonyme de « rien ». Ce qu’il se passe dans un champ quantique est bel et bien un phénomène physique en interaction avec d’autres phénomènes constitutifs de l’univers, lequel se suffit à lui-même, et exclut donc une intervention extérieure, tel un Créateur. In fine, la théorie quantique démontre en fait que nous sommes issus et participants d’un Univers qui se crée d’instant en instant et qui, d’un instant à l’autre, n’est plus le même et ce, depuis toujours à l’infini dans le temps et l’espace. Il n’est donc pas du tout insensé de penser que le monde a toujours existé et existera toujours… Précisons en outre que, si le Big Bang peut très bien être conçu comme un événement, une transition qui fait suite à un autre phénomène d’ordre physique, la science (l’astrophysique) limite son propos à ce qui l’aurait suivi, car elle est encore incapable de remonter en-deçà du moment où ses énoncés restent pertinents. Cependant la théorie du Big Bang ne requiert pas que l’extrapolation dont cette théorie est issue soit poussée jusqu’à la singularité que d’aucuns lui associent abusivement (densité, température, pression infinies…), telle que les frères Bogdanov et d’autres la présentent jusqu’à la définir comme étant « l’instant de la Création ».

La pensée humaine gagnerait très avantageusement à retrouver le sens de la pensée pascalienne (XVIIe siècle !) que revalorise et réactualise Edgar Morin lorsqu’il écrit : « La rationalité défendue par Pascal est d’un caractère supérieur à celle de Descartes. Elle introduit une causalité interactive, rétroactive et en boucle [ainsi même que] Pascal écrit : “toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates(…)”. (…) Cette formule pascalienne rompt avec la causalité linéaire et la pensée simplificatrice qui règnent encore au XXIe siècle »

Enfin, les cosmologies scientifiques contemporaines autorisent la possibilité que nous vivons dans un univers en parallèle avec d’autres univers, dans un monde infini. Il ne faudrait pas tirer prétexte de ce caractère infini pour lui donner une dimension divine : l’infini n’est pas l’apanage du divin, pas plus que le fini n’est celui de la matière. Nous nous rendons de mieux en mieux compte de l’infinitude de l’univers, voire des univers ; nous nous émerveillons de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand, qui d’ailleurs ne sont pas indissociables : il y a continuité entre le fini et l’infini. La notion d’infini s’applique absolument à la matière et donc à la nature, et est donc bel et bien concevable par l’esprit humain lui-même, produit et composante de la nature.

 

Tout est matière

 

Le matérialisme philosophique considère que tout est matière, que la matière est elle-même à l’origine de la vie et même de nos facultés mentales. D’aucuns lui préfèrent l’agnosticisme, jugeant qu’en écartant le doute ontologique de l’existence  d’un créateur, la position matérialiste serait trop « confortable ». C’est oublier ou ignorer qu’elle ne va pas de soi mais est l’aboutissement d’une démarche intellectuelle tout à fait personnelle, laquelle a évolué à contre-courant d’idées reçues, philosophiques et religieuses et en dépit de ce que j’appelle volontiers notre fantasme d’éternité, c’est-à-dire notre désir profond, tout à fait compréhensible,  d’immortalité, notre difficulté à admettre et accepter nos limites humaines, notre finitude… Et si, dans le chef de certains croyants et agnosiques, le réalisme du matérialisme athée semble souffrir d’un manque de perspective existentielle, voire de chaleur humaine, il n’exclut pourtant pas l’idéalisme, la poursuite d’une utopie : le rêve par exemple d’une humanité plus humaine, que l’on s’applique dès lors à réaliser avec les moyens du bord.  De même la rationalité apparemment froide d’une telle position n’exclut ni la poésie ni l’expression en profondeur, toute personnelle, sentie, colorée, imagée de ce que sont les réalités en leur essence, autant qu’il soit possible… !

 

Être athée

 

On est athée non par facilité ni par tradition… Car être athée, c’est être comblé par son expérience, sa conscience, son plaisir d’être et d’être intégralement (corps et esprit) issu du seul univers, d’être de ce monde dont tout humain  porte en soi « toute l’Histoire, les caractères chimique, physique, biologique » (E. Morin) et au sein duquel il est comme une infime minuscule “cellule vivante” parmi des myriades d’autres, ce monde qu’il vaut la peine de toujours mieux connaître, scruter sans répit et sur lequel agir au mieux avec les moyens du bord. Et enfin, être athée, c’est être comblé par sa conscience et son plaisir d’être soi-même ni plus ni moins, d’oser se retrouver face à soi-même, dans son essentielle solitude, celle-là même qui est le lot de chaque être humain, car chaque être est unique (biologiquement, psychologiquement, substantiellement) et devrait être respecté, se respecter et respecter autrui comme tel. Ne serait-ce pas là le fondement d’une éthique, un paradigme éminemment athée, combien positif et libérateur ?

Noël Rixhon