Athéisme et incroyance

 

Tout d’abord, il faut bien se rappeler que ce sont les croyants qui nous ont appelés « athées ». Personne, à ma connaissance, ne vient au monde en criant : « Dieu n’existe pas, je suis athée ».

Dès la plus haute antiquité, des humains en ont appelé  d’autres « athées», pour la simple raison qu’ils niaient ou mettaient en doute l’existence de leurs dieux, en cette région et à ce moment.

Et ce même motif est toujours en vigueur actuellement. Prétendre que « l’athéisme moderne » serait né au XVIIème ou XVIIIème siècle de notre ère commune est une illusion, ou relève d’une incompréhension totale de l’athéisme.

A chaque époque, l’athéisme a été défini par les croyants, et par conséquent, les croyances évoluant, il est normal que leur définition de l’athéisme évolue.

Le développement des monothéismes a donc aussi fait évoluer la notion « d’athée » et « d’athéisme ».

Pour le croyant soi-disant monothéiste, il n’y a pas « d’autres » dieux, malgré la cohorte d’anges de saints, de diables, de djinns ou d’autres entités imaginaires (en ce sens, Akhnaton était bien plus « monothéiste » que les croyants actuels…), et  exiger que « Tu n’honoreras pas d’autres dieux que moi » relève de la plus haute fantaisie : ce dieu qui se veut unique peut-il seulement supposer qu’il y en ait d’autres ?

En toute logique donc, pour tout croyant en dieu, est athée celui qui nie l’existence de son dieu.

Et il est bien certain que lorsque nous disons « dieu n’existe pas », nous désignons évidemment par là les dieux qui sont fort bien définis par les textes fondateurs des diverses religions.

 

Dans le monde judéo-christiano-musulman, comme dans celui de l’hindouisme, il est facile de dire « ces dieux n’existent pas », ou  « Il n’y a pas de dieux », car ils sont supposés avoir crée la terre plate et tous les êtres vivants en même temps par exemple, et des êtres pareils n’existent pas, parce que la terre n’est pas plate et que des espèces vivantes sont apparues et ont disparu au cours du temps.

Nous expliquer aujourd’hui que ces textes ont été écrits à l’époque par des humains qui n’avaient pas nos connaissances est une opinion qui frôle dangereusement l’athéisme : ces textes sont effectivement humains et n’ont certainement pas été inspirés par un être « omniscient »…

Et nous parler de « création continue » c’est reconnaître que la création originale n’était pas « parfaite », ce qui constitue un grand blasphème.

Combien ont été torturés, exécutés ou massacrés il y a quelques générations à peine (et aujourd’hui encore) pour avoir affirmé ce genre de choses !

Que les croyants qui se justifient aujourd’hui d’une libre interprétation de leurs textes se souviennent et réfléchissent, et admettent alors que l’on puisse aussi tout remettre en question.

 

L’athée donc, ne parle des dieux que ceux que les croyants lui définissent. Mais la manipulation verbale de ceux-ci est infinie,  et certains nous disent : « Dieu ne peut être défini, parce que le définir, c’est le limiter » et dès lors affirmer « dieu n’existe pas » revient à reconnaître que nous aurions nous aussi une « idée » de dieu, et dès lors, pour l’agnostique par exemple, nous serions aussi fanatiques que les fondamentalistes croyants : ils mettent l’athéisme dans le même sac que les convictions parce que nous croirions que dieu n’existe pas ! Voilà une bien curieuse conception de l’athéisme.

 

Nous définir en nous fondant sur la négation de ce qui ce qui pourrait ne pas être défini ne paraît donc pas une bonne solution, parce que non seulement c’est parfaitement dénué de sens, mais aussi parce dès lors  n’importe quel « sophiste » inculte pourrait nous retourner comme une crêpe.

Il serait donc plus correct pour les croyants de nous définir par le terme « incroyant » qui est, lui, bien l’opposé de « croyant », comme ils se définissent eux-mêmes.

Un « athée » au sens des croyants et des agnostiques pourrait bien croire aux revenants, à une vie après la mort ou à la réalité de l’existence de Guillaume Tell sans croire en un dieu, et donc être « athée », sans « dieux ».

Mais un incroyant ne croit ni aux dieux, ni aux trolls, ni à l’astrologie ni aux démons ou autres djinns : il ne « croit » pas. Il ne « croit » pas non plus que le monde est courbe ou fini, il accepte des hypothèses qui se vérifient, mais elles ne constituent jamais sa « vérité ».

En d’autres termes, il n’acceptera jamais pour « vrai » ce qui est défini comme invérifiable ou est invérifié, ou, pire encore, non défini.

Tenter de mettre sur le même pied  « croire » et « ne pas croire » en en tordant le sens pour faire croire ( ! ) que « ne pas croire »  = « croire que non » relève d’une mystification plus que jésuitique.

On pourrait alors aussi demander à l’agnostique douteur s’il a le moindre doute sur la possibilité d’existence d’un être « parfait » qui aurait crée l’homme avant la femme, les végétaux avant de faire pleuvoir, planté des « luminaires » dans le ciel, recommencé au moins trois fois la création et oublié de mettre les stégosaures ou autres mégathériums dans l’arche de Noé…

Croire que, croire à, croire en, toujours le même mot ambigu. L’anglais est plus clair : « croire » au sens de « croire en un dieu » par exemple se dit « to believe », et quand on dit « je crois qu’il va pleuvoir demain », ce « croire »-là n’a pas (toujours) le même sens. On l’utilise à la place de « je pense que » ou « je suppose que », mais la croyance aux dieux n’est pas une supposition.

Bien au contraire, pour le croyant, sa croyance est une conviction, l’existence de leurs dieux est une certitude, sinon il ne serait qu’un simple agnostique !

L’incroyance de « l’athée » aux dieux relève du même domaine que celui de l’incroyance à l’existence d’un cercle carré : ça n’existe pas. Est-ce une autre croyance, une certitude, ou une conviction ? Voyez cela par vous-mêmes. L’incroyant n’a de doutes que sur ce qu’il sait être possible, et de ce qu’il ne connaît pas, ou de ce qui n’est pas défini, il ne parle pas.

 

Grand blasphème : L’athéisme n’est pas une « conviction », ne rien dire n’est pas dire le contraire, ne pas croire ce n’est pas croire autre chose….

 

Pourquoi  une  association « athée » ?

 

Dans le monde d’aujourd’hui, sauf dans les pays où la loi est pas identifiée à la religion et où la moindre expression du doute le plus léger peut être punie de mort, le pourcentage d’incroyants « passifs » est en progression continue, et à moins de l‘installation généralisée de « démocraties religieuses », il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête.

Malgré cela, on constate de plus en plus une recrudescence curieuse de l’exigence du « respect » des croyances. Et des lois sont forgées : certaines formes d’irrespect pourraient facilement tomber sous le coup « d’incitation à la haine religieuse ». Evidemment, dit-on, ne pas « respecter » les croyances d’un individu, serait lui manquer de respect en tant qu’individu ! Mais les textes fondateurs de ces croyances, et les paroles publiques des dignitaires religieux, « respectent »-ils les non croyants ?

Ne comportent-ils pas des litanies entières d’appels à la haine de l’incroyant ? Et ce sont bien ici les individus incroyants qui sont visés, et rarement l’incroyance ou l’athéisme.

Est-il prévu de les interdire ?

Poursuivra-t-on en justice ceux qui disent que « l’incroyant est un homme incomplet » ou qu’un « humanisme sans dieu est inhumain » ?

En vertu de quel étrange principe démocratique pourrait-on obliger au respect des croyances religieuses et permettre l’appel à la haine envers les incroyants ?

Et qu’est-ce que cette identification entre croyances et croyants ?

Au sein d’une même religion, il n’y a pas deux croyants identiques. Si tous les croyants d’une même religion se comportaient d’une manière identique et conforme à leur foi, ils seraient tous des fanatiques fondamentalistes, ce qui n’est pas le cas : ces mauvais croyants sont nos « bons » croyants, les « modérés,  les « tolérants ».

Mais qu’est-ce qu’un « croyant modéré » ? Celui qui ne croit qu’un peu, pas tout, ou juste ce qu’il a envie de croire ?

Cela s’appelle un hérétique, dans toutes les religions.

Et aussi qu’est-ce qu’une « religion » ? Seule une croyance acceptée et reconnue comme religieuse par l’Etat ? Qui a le droit de décréter qu’une croyance est « religieuse » ou non ? Quand il y a suffisamment d’individus qui s’en prévalent ? Serait-ce les plus violents ou les plus nombreux qui décident ?

 

Nous le savons, les associations de pépé ne sont plus à la mode, et en ce début déjà bien entamé du XXIème siècle de notre ère, les plus jeunes comptent sur une toute puissance supposée des « réseaux sociaux ».

Mais d’une part, nous voyons de plus en plus d’associations créées spécialement pour défendre et protéger les croyances religieuses, et d’autre part apparaissent des lois qui les protègent : toute critique, moquerie ou dérision un peu acerbe d’une croyance religieuse peut être interprétée comme «incitation à la haine religieuse», et des plaintes tout à fait stupides considérées comme recevables par les tribunaux.

Mais celles que l’incroyant pourrait introduire contre l’enseignement dans les écoles publiques de textes religieux « incitant – en toutes lettres – à la haine des non croyants » seront déclarées non recevables, ce délit n’étant pas prévu.

N’oublie-t-on pas un peu vite que tout texte religieux est sinon directement, du moins implicitement, une incitation à la haine de toute autre religion, et bien entendu de toute forme d’incroyance ?

Il en a toujours été ainsi et si quelques pays répriment l’outrage ou l’incitation à la haine à l’encontre des athées (les textes parlent pudiquement de convictions philosophiques), ce n’est certainement pas à la demande des athées. Habitués de longue date aux insultes pontificales – et pire, aux discriminations de tous genres qui font d’eux des parias dans les « bonnes sociétés » – ils savent bien que nul ne condamnera ces « insulteurs professionnels » sur base de ces textes ainsi complétés pour donner une illusion de symétrie, d’égalité et de non-discrimination.

 

Nous pensons que des sociétés qui protègent les religions et condamnent l’incroyance ne sont pas viables, et l’histoire, aussi bien que l’actualité, le confirme. Dans un tel cas, finalement une religion devient dominante, et la loi étant religieuse, plus aucune démocratie réelle n’est possible.

Aussi nous pensons qu’une association pourvue d’un statut légal peut être utile.

Une démocratie digne de ce nom ne se conçoit que composée d’individus libres, dans leurs pensées, leurs croyances et dans l’expression de celles-ci.

L’article 4 de nos statuts est particulièrement clair à ce sujet :

« L’association affirme la nécessité d’une société laïque dans laquelle tous les individus jouissent de la même considération, quelles que soient leurs convictions, leurs croyances, leurs idées et où la tolérance n’exclut pas la libre critique : la tolérance impose le respect des individus mais pas celui de leurs opinions, de leurs traditions ou de leurs croyances. »

On ne saurait mieux dire.

Mais ces objectifs ne vont plus de soi, et de moins en moins, malgré, comme rappelé, la désaffection de plus en plus grande des lieux de culte traditionnels.

Mais nos media et nos philosophes, en général, pensent toujours qu’il est inconvenant de promouvoir l’athéisme, et si nous conservons la dénomination d’athée, c’est précisément parce que le terme est plus provocateur que non croyant ou libre penseur.

 

Johannès Robyn