Ceux qui ne croient à aucun au-delà par Anne Morelli

Texte d’une conférence prononcée le 5 mars 2016 au 10e colloque international de l’aumisme à Paris, « La vie sur terre et dans l’au-delà ».

Selon l’enseignement aumiste, la vie continue pour l’âme dans l’au-delà. Vous partagez cette croyance en une existence post-mortem avec d’autres religions, comme le christianisme et l’islam.

Mais, à côté de ceux qui croient au paradis, à l’enfer ou à la colonne de Lumière, il y a ceux qui, faute de preuves scientifiques formelles (je ne parle pas ici d’indices) sur l’existence de cet au-delà, ne croient qu’à la vie terrestre. Les athées sont de ceux-là.

Un cheminement vers l’athéisme

La plupart des athées ne sont pas nés dans des familles athées. Au milieu du XXe siècle en Europe la pratique et la foi chrétienne étaient encore très généralisées. Sans y penser, on naissait dans une religion (majoritairement le catholicisme et le protestantisme avec quelques pourcentages seulement pour le judaïsme) ; on était baptisé ou circoncis pour marquer qu’on en était bien membre, les rites de passage (communion, profession de foi ou bath-misvah) confirmaient cette appartenance. Le culte réunissait hebdomadairement la communauté. On y participait sans trop réfléchir et on arrivait à l’adolescence – voire à l’âge adulte – avec l’évidence de faire partie de cette communauté religieuse alors qu’on ne l’avait évidemment pas choisie.

Jusque là je pense que cet itinéraire est aussi celui de nombreux aumistes français car vous devez être rares à être déjà nés dans une famille aumiste. Votre engagement religieux est sans doute le résultat d’un cheminement personnel et d’un choix, comme l’athéisme l’est pour beaucoup d’athées.

Souvent, le détachement par rapport à la religion pratiquée, plus ou moins intensément, par la famille, provient de doutes et questionnements surgis dès la puberté ou l’adolescence.

Pourquoi y a-t-il une multitude de religions ? Pourquoi celle de ma famille serait-elle justement la seule vraie ? Est-ce que ce « Dieu » dont on parle tant à l’église, au temple, à la mosquée ou à la synagogue, existe réellement ?

Ces interrogations se précisent parfois autour des attributs de Dieu, sensé être à la fois tout bon, tout puissant (omnipotent) et omniscient c’est-à-dire sachant tout. L’élève appliqué du cours de catéchisme se pose déjà des questions sur cette omniscience. Dieu sait tout mais on lit dans la Bible qu’il ne trouve plus Adam dans le Paradis terrestre. Il « appelait vers l’homme et lui disait ‘Où es-tu ?’ » (Genèse 3 : 9). Et un peu plus loin ce Dieu omniscient ignore si Adam a, ou non, mangé du fruit défendu (Genèse 3 : 11) : « As-tu mangé de l’arbre dont je t’avais ordonné de ne pas manger ? »

Mais c’est le fait que Dieu soit à la fois tout puissant et tout bon qui écarte le plus souvent les esprits critiques des religions dites du Livre, car la cohabitation de ces deux attributs en Dieu pose en plein la question du Mal. Tout est entre les mains du Dieu omnipotent et donc si un tsunami ou un séisme, entraînant des milliers de victimes innocentes s’abat sur une région, c’est par la volonté de Dieu. C’est un Dieu infiniment bon mais il déclenche des souffrances inutiles.

À cette interrogation, que beaucoup vivent comme essentielle, les théologiens ont des réponses très insatisfaisantes : ce serait parce que le diable intervient lui aussi (mais Dieu n’est-il pas le plus fort ?) ou alors parce que les hommes auraient beaucoup péché (mais qu’ont fait les bébés engloutis, sans parler des vaches tout aussi innocentes ?).

Pourquoi ce Dieu créateur de tout ce qui peuple l’univers a-t-il créé le chromosome qui entraîne le mongolisme ? Pourquoi a-t-il créé le cancer ? le sida ? la leucémie qui frappe aussi de jeunes enfants ?

C’est très fréquemment à partir de ces questions liées à l’existence du Mal dans le monde que, pour beaucoup de croyants par tradition familiale, le concept de Dieu a commencé à se vider de son sens pour ne plus désigner aucune réalité spécifique.

D’autres questions s’y ajoutent rapidement parmi lesquelles les plus fréquentes concernent l’incapacité de Dieu à mettre un terme aux guerres religieuses ou à unifier toutes les formes concurrentes sous lesquelles les êtres humains les vénèrent.

La violence des heurts actuels entre factions religieuses, porte souvent à se poser une question popularisée par une chanson (d’Alain Souchon) « Et si en plus le ciel était vide ? ».

À ces interrogations qui poussent les hommes comme les femmes vers l’incroyance, s’ajoute une question spécifiquement féminine : « Pourquoi toutes les religions nous traitent-elles si mal, nous les femmes ? ». Pourquoi, selon les livres sacrés et les traditions religieuses, le Mal vient-il des femmes (Eve, Pandore…) ? Pourquoi sont-elles un complément, une aide, prévues en fonction des hommes ? Pourquoi l’Ancien Testament présente-t-il comme modèles des polygames ? Pourquoi saint Paul nous interdit-il de parler dans les assemblées et nous impose-t-il de nous couvrir la tête en signe de soumission ? Pourquoi le plus haut dignitaire religieux (qu’il soit pape ou dalaï-lama) doit-il être un homme ?

Si des croyantes vivent ces contradictions à l’intérieur de leur religion et y luttent pour la parité (je pense que c’est votre cas), d’autres y ont vu une raison de plus de se détacher des croyances familiales et sont devenues totalement incroyantes.

L’incroyance existait-elle autrefois ?

L’athéisme est-il une nouveauté de notre époque ? Même si c’est récemment que l’athéisme connait en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord et en Asie une croissance exponentielle (33 % d’athées en France, 34 % de croyants en Dieu, et 27 % de croyants en une force vitale), l’incroyance a existé de tout temps mais il était dangereux voire suicidaire de l’exprimer. Ce fut le cas pendant toute l’époque du triomphe du christianisme en Europe. S’afficher athée vous coûtait normalement la vie jusqu’à la Révolution française et l’incroyance a donc été longtemps voilée.  On retiendra à ce sujet le cas du curé Meslier, devenu athée au XVIIe siècle mais qui ne le révèlera que dans son « Testament ».

Mais si l’on remonte plus haut dans le temps, les Grecs (avec Epicure) et les Romains (avec Lucrèce) ont eu leurs matérialistes. Et déjà dans l’Égypte ancienne des sceptiques remettaient en doute le scénario religieux officiel de la vie après la mort. Ainsi l’actuel conservateur du département « Égypte » des Musées royaux du Cinquantenaire à Bruxelles, Luc Delvaux, m’a signalé qu’un cartouche particulier se retrouvait dans nombre de tombes, mastabas ou pyramides égyptiens. Il représente un joueur de harpe aveugle qui pose au spectateur une question essentielle face au sarcophage et à toute la mise en scène préparée pour la deuxième vie : « Tout cela est-il vrai ? Personne n’est jamais revenu pour en témoigner… ».

Ainsi le scepticisme n’est pas neuf. Il a sans doute, discrètement, accompagné toutes les croyances.

Pour un Épicure grec et un Lucrèce latin ayant assumé leur incroyance, combien de pratiquants apparemment dévots, ont en réalité douté ou nié les croyances de leur milieu, mais en leur for intérieur seulement. Comme aujourd’hui sans aucun doute, nombre de musulmans apparents doivent le faire, discrètement pour éviter l’opprobre, la torture ou la mort.

Le sens de la vie et de la mort pour un(e) athée

Pour en revenir au thème de l’au-delà et conclure, je voudrais préciser qu’être athée, être matérialiste ne veut pas dire bien sûr que nous soyons privés d’émotions. Notre activité cérébrale et nos émotions elles-mêmes trouvent pour nous leur origine dans la seule matière. Nous sommes une part infime d’un univers sans commencement ni fin. Cela n’entraîne une absence ni de perspectives existentielles, ni de poésie, ni de rêves et d’utopies. Nous pouvons ainsi pleinement partager avec vous le projet d’une humanité plus pacifique à construire ensemble, concrètement. Pour nous non pas par la prière mais en protestant vigoureusement lorsque nos gouvernants entendent nous entraîner, comme c’est le cas aujourd’hui, vers de nouvelles guerres et leur cortège de violences contre les innocents.

Quant au sens qu’a la mort pour un athée, elle est avant tout le terme naturel d’un cycle. Mais c’est la fin absolue de cet individu, il n’y a rien pour nous ensuite. Pas plus qu’il n’y a un au-delà pour le lapin ou les carottes qu’il a mangées.

L’idéal de la « bonne mort » serait que chacun puisse mourir en douceur, comblé par le plaisir d’avoir été intégralement issu de l’Univers, et comblé par la vie qui a été la sienne. Sans se faire d’illusions sur la souffrance que toute mort d’un être aimé suscite, lorsque ses proches en sont séparés… Cette souffrance-là est commune à ceux qui ne croient pas à l’au-delà et à ceux qui espèrent ou croient fermement qu’un au-delà existe.

 

Anne Morelli