Croire en un Dieu qui n’existe pas par Noël Rixhon

Klaas HENDRIKSE

Manifeste d’un pasteur athée

Athée « croyant »
C’est ainsi que Kl. Hendrikse se définit. Encore faudra-t-il comprendre ce qu’il entend par « croire » ! Il n’est pas d’argument athée, soutient-il, qui empêche de croire en (un)  Dieu (qui n’existe pas).

Cet ouvrage est son histoire, sa pensée athée assez particulière, qui, à ce titre, forcent le respect, un certain intérêt, mais laissent perplexes et ne manquent pas de susciter des questions. Il ne serait pas aisé d’en rendre compte, d’en donner un écho fidèle si ce n’est dans ses termes par des extraits.

Kl. Hendrikse reçut une éducation résolument athée où on lui fit comprendre dans [son] enfance, que Dieu n’existe pas, que croire et aller à l’église, c’était bon pour les autres. Au contact de ces « autres », des parents de ses camarades de classe, des paysans et paysannes, clients du cabinet vétérinaire de son père, il a l’impression qu’il y avait chez eux quelque chose [qu’il ne connaissait] pas dans [son] propre milieu : une espèce d’acceptation de la vie telle qu’elle est. Cette attitude n’allait pas de soi, mais venait d’ailleurs, pense-t-il, tel un « don » (…) : s’il est vrai qu’ils croyaient en un Dieu qui n’existe pas, pourquoi donc faisaient-ils comme si Dieu existe ? Et si ce Dieu auquel ils croient n’existe pas comment peut-il donc avoir un sens pour eux ? Il finit par faire des études de théologie. Cependant la dogmatique ne fait que l’ancrer solidement dans son athéisme. Il suit dès lors des ateliers, « Psychosynthèse et Religion », organisés par un prêtre catholique néerlandais, d’où lui vient la conviction, qui ne le quittera plus, qu’on peut être croyant et même chrétien sans être obligé de croire que Dieu existe. Il est pris alors d’enthousiasme pour le ministère pastoral protestant. Il se trouve qu’il y ait eu des communautés susceptibles de le recevoir, à Zierikzee et Middelburg en Zélande.

Dire que Dieu n’existe pas, c’est, pour un pasteur, une prise de position risquée. C’est pourquoi, déclare-t-il, j’écris ce livre maintenant, et non, comme j’en avais l’intention, après mon départ en retraite. Je ne veux pas dire après coup que j’ai beau jeu de parler parce que je ne peux plus être exclu de l’Église. Il l’écrit aussi avec l’espoir que des pasteurs et des croyants se convertissent à l’athéisme, et qu’à l’inverse – mais sans illusion – que des athées se mettent à croire en Dieu, du moins dans le même sens que lui, cependant avertis de cette mise en garde : ne faites pas de l’expérience de Dieu un Dieu qui existe. L’avant-propos fait apparaître l’ouvrage comme étant notamment, « alors que le vent tourne,  une tentative pour formuler ce à quoi le mot « Dieu » peut servir une fois purgé de toute référence à un Être d’en haut et à tout ce qui va avec ».

Lecture athée de la Bible
Si les livres de la Bible étaient placés dans l’ordre chronologique, la genèse se trouverait ailleurs, plus loin. La Bible devrait s’ouvrir sur l’exode des hébreux hors d’Égypte. Dieu s’étant « représenté » à Moïse depuis un buisson ardant par une expression hébraïque intraduisible, celle-ci fut traduite traditionnellement par « Je suis celui qui suis » ou « Je serai : je suis ». Kl. Hendrikse remarque que nul besoin d’être Dieu pour se définir ainsi ; son voisin peut en dire autant. [Il] opte, quant à [lui], pour : « Allez, et j’irai avec vous ». Par-là, il entend affirmer explicitement que Dieu ne peut être que là où il y a des êtres humains qui se mettent en mouvement. Dans ce récit, se trouvent les intuitions primitives sur lesquelles tout le discours ultérieur de Dieu s’appuie ou devrait s’appuyer (…). En tant qu’athée, il insiste sur ce point : Dieu n’est pas un « libérateur » ; le récit se borne à dire que le nom de Dieu est lié à une « délivrance » qui ne prendra corps que par l’action des hommes. (…) Ce qu’à l’origine on entend par « Dieu », se rapporte à ce qui survient dans la vie des hommes.S’appuyant sur la Bible, [il] représente Dieu comme « ce qui accompagne les hommes en chemin ». C’est là le fil conducteur de son interprétation des Écritures. Les récits, les personnages bibliques sont des mythes, mais ils sont l’expression de ce que l’on vit aujourd’hui. Quand nous nous reconnaissons dans un récit biblique, celui-ci éclate pour ainsi dire en nous ramenant à notre propre existence : les personnages qui s’y rencontrent deviennent nos propres reflets.

Sans aucun doute, son athéisme a orienté et marqué sa connaissance de la mentalité et de la pensée proprement hébraïques et, par conséquent, son interprétation des Écritures. Néanmoins, celle-ci mérite considération, voire adhésion, tant il est vrai que les exégètes catholiques, orthodoxes et autres protestants les interprètent eux-mêmes dans la ligne de leurs propres traditions doctrinales respectives.

Dieu n’est pas Dieu      
Dieu est devenu de plus en plus abstrait, de moins en moins biblique. En déclarant Dieu le Tout-Puissant, ce qui fut une erreur capitale, l’Église a précipité sa perte. Le terme « toute-puissance » est censé rendre l’hébreux shaddaï, mot intraduisible que d’aucuns traduisent plutôt par « le formidable » (énorme, impressionnant…), celui devant lequel on est saisi… Il s’agit donc d’enlever Dieu du piédestal sur lequel on l’a placé pour le retrouver dans le monde terre à terre, dans l’univers où nous vivons nos vies.

Nous sommes tous dépendants de situations incontrôlables. Nous ne maîtrisons qu’en partie notre vie, qui est avant tout vulnérable : il faut la prendre comme elle vient et avec elle, les maux, les échecs, les déceptions. C’est ce que Kl. Hendrikse appelle « dépendance mature », attitude qui commence par la prise de conscience que l’essentiel n’est pas ce que nous faisons, mais ce que la vie fait de nous. (…) La dépendance mature reconnait que ce qui est vraiment porteur de valeur n’est pas en notre pouvoir. (…) Ainsi reconnaissons-nous d’ailleurs que la vie « a son mot à dire ». Dieu est un mot qui renvoie à des expériences humaines inexprimables, non communicables. La révélation ne part donc pas des hommes, mais elle « survient », sous forme de réaction humaine à quelque chose qui ne vient pas de nous. C’est ce qui explique aussi que rien ne se produit sans nous ou sans réaction de notre part. Révélation et expérience sont indissolublement liées.

Une révélation ne l’est que pour celui ou celle qui en fait l’expérience ! Même lorsqu’il est écrit que Dieu lui-même a parlé, il s’agit d’une métaphore. Pour prendre une image plus traditionnelle, Dieu est la dimension verticale des rapports humains horizontaux. (…) Ainsi donc, Dieu peut se produire comme « l’extraordinaire dans l’ordinaire ». Dieu n’ « est » pas ou n’ « existe » pas, insiste Hendrikse, mais devra s’avérer être (…). Je préfère laisser ouverte la possibilité d’une expérience de Dieu où aucun mot n’intervient (…). Et là où il n’y a plus de mots, il n’y a plus du tout de réponses.

Et d’évoquer la théologie dite « négative ». Dieu est insaisissable, inconnaissable et donc indéfinissable  par des mots. Aussi vaut-t-il mieux se contenter d’exprimer ce que Dieu n’est pas. Si je dis : « il est ceci ou cela », je dois immédiatement retirer ce que j’en ai dit ! Plus l’on sait ce que Dieu n’est pas, moins on est gêné sur la voie qui conduit vers lui. [Nous expérimentons cela concrètement dans notre quotidien…] Ce n’est que lorsque tout se dérobe sous nos pas que nous pouvons constater qu’il y a encore un fond pour nous retenir. C’est seulement en acceptant notre incapacité foncière à faire quoi que ce soit pour autrui, que nous pouvons peut-être faire quelque chose pour lui. Sommes-nous capables de tirer notre espoir et notre confiance des expériences de notre vie, et de ce dont nous l’avons remplie ? Tout dépend, en fin de compte, de notre réponse à cette question. (…) Une telle réponse ne se donne pas, elle se vit.

Croire sans croyance
Croire, c’est être convaincu que la vie exige quelque chose de nous, et que, si une réponse est possible, nous sommes nous-mêmes cette réponse. On prétend que les religions sont, depuis des temps immémoriaux, des tentatives pour apporter une réponse aux questions existentielles de l’Homme. Mais croire, c’est précisément avoir découvert que ça ne se passe pas comme on nous l’a inculqué, que les réponses nous éloignent peut-être plus de Dieu que les questions. Croire : le mot renvoie beaucoup plus à la vie qu’à Dieu ou à la religion. La conduite de vie d’un croyant est caractérisée par la façon dont il se comporte par rapport à ce qui lui arrive et à ce qui se passe autour de lui. C’est dans la mesure où nous parvenons à transformer un événement en une expérience que nous pouvons nous considérer nous-mêmes comme croyants. Il n’y a rien d’évident à cela. Sans ouverture d’esprit, c’est chose impossible. Croire est affaire de qualité du regard. Dieu n’est jamais qu’un mot. Et l’on n’en a pas besoin pour croire, on peut s’en passer. (…) Ce n’est pas ce mot qui importe, mais l’expérience qu’il recouvre. Si nous sommes incapables de nous émerveiller d’être nés et d’exister, il ne reste plus grand-chose à croire. [Croire, c’est] faire confiance. (…) Ce qui caractérise le croyant, c’est peut-être justement son obstination, en dépit du caractère absurde et parfois angoissant de ce qu’il voit autour de lui, à dire oui à la vie, fort de l’expérience qu’il a qu’elle peut avoir du bon. Mais la vie n’est pas ou ne devient pas bonne d’elle-même. C’est à nous qu’il revient d’en faire quelque chose de bon, par nos « choix de vie ».

Pasteur athée
Sa fille lui a écrit : « Tu ne crois pas à l’existence de Dieu, mais tu continues, par contre, à te servir du mot « Dieu ». Peux-tu continuer à employer le verbe « prier » si tu ne crois pas que prier un dieu qui n’existe pas ait un sens ? »

Contrairement à ce qui serait logique de sa part, proscrire ce terme ne le satisferait pas ! Aux temps de l’Ancien Testament, explique-t-il, la prière se confondait avec la vie (…): dans une façon de vivre où la prière est totalement intégrée. Une sorte de vie orante dans laquelle le quotidien se trouve imbriqué avec ce qui lui est sous-jacent. Chez moi, confie-t-il, il y a assez souvent entre ces deux niveaux un dialogue. Je me parle donc à  moi-même ? Bien sûr.

L’église est pour lui un lieu où méditation et silence doivent avoir leur place. En tant que pasteur, il commence le culte par déterminer son sujet et sa teneur et proposer de faire silence, donner à chacun la possibilité de prier, de rentrer en soi-même, de réfléchir… Il cherche à renouveler les formes et le contenu, en partant du principe que dans l’église, les gens « ont des doutes » et qu’à cet égard, on doit les prendre au sérieux. Son travail consiste à « faire bouger de l’intérieur » le langage habituel, les rituels, les évidences non interrogées. Sa pédagogie réside dans son souci de ne pas partir de Dieu, mais de lui-même, de la vie et des expériences des gens quelles qu’elles soient et voir si l’on peut aboutir au Dieu tel que ces gens le vivent. Sa conviction est en outre que, si l’Église refuse de changer, elle n’a plus qu’à fermer ses portes. D’ailleurs la désertification suit déjà invariablement son cours.

Il y a des jours où le temple tient davantage du café-restaurant : lieu où tout individu ayant faim de nourriture spirituelle peut entrer. L’offre est riche et variée : conférences, réunions de réflexion, cours, musique, méditation, silence, discussions débats sur des livres et des films, art, histoires pour grands et petits, poésie, bricolage spirituel, et ainsi de suite. (…) La Bible est posée sur la table de lecture à côté du Coran, des Védas, de livres du Dalaï Lama, du journal.

Il y a un gigantesque fossé entre ce qui se passe au sein de l’Église et ce qui se manifeste dans le monde. C’est du dehors, affirme Kl. Hendrikse, que devra venir le changement de l’Église. Disant cela, il pense en fait à  l’athéisme pur et sans mélange. À [son] avis, personne n’est mieux à même de faire tomber les oeillères de l’Église qu’un athée, car il sera le dernier à qui cette dernière fera prendre des vessies pour des lanternes. Que peut apporter la discussion avec les athées ? Une représentation de Dieu exempte de tout théisme : Dieu n’existe plus et peut, par là même, recommencer à être Dieu.
Questions…
Mais qu’entend-il donc par un athéisme pur et sans mélange ? Pense-t-il que le sien l’est vraiment ? Interprétant les textes bibliques à l’aune de sa propre pensée athée, il écrit : les athées ont raison : Dieu n’existe pas. L’idée d’un Dieu existant n’est, à la base, pas biblique, mais païenne. Un athée ne croit pas à l’existence de Dieu. Il ne croit pas en une chose, à savoir en l’existence de Dieu. Ou bien il croit bel et bien en quelque chose, à savoir en la non-existence de Dieu. Prétendre que l’athée serait plus rationnel que le croyant me paraît être une méprise irrationnelle : l’athéisme est, lui aussi, un choix impossible à justifier par des arguments rationnels. Kl. Hendrikse ne  ramène-t-il donc pas l’athéisme  à une croyance, position que, parmi les athées, d’aucuns seraient bien en peine de partager ?!

Sans doute son mérite est-il de vouloir changer l’Église de l’intérieur ! Ne se condamne-t-il pas à l’impossible ? La question est tout d’abord celle-ci : si Dieu n’existe pas, pourquoi en créer un autre, gardant le même nom, lui conférant une “substance” (?) plus réaliste, plus existentielle, plus humaine… ? Pourquoi s’obstine-t-il à tout prix à sauver le nom de « Dieu », d’autant qu’il  ne le considère plus que comme un mot en soi insignifiant, mais qui, dans la plupart des esprits, continue à évoquer un Être éternel, transcendant, surnaturel… ? N’est-ce pas entretenir une ambiguïté, voire une certaine confusion ? Et cela ne ressemblerait-t-il pas à une tentative de « laïciser » Dieu ou de créer une Église ou une religion nouvelle plus à taille humaine ? En quoi l’appellation « Dieu », éminemment douteuse, peut-elle accorder une plus-value à une expérience personnelle, qu’elle soit extraordinaire, signifiante, revigorante ou éprouvante… ?

Est-il vraiment impératif pour le bien de l’Humanité de vouloir changer les Églises, qui d’ailleurs ne renonceront jamais à leur fondement religieux, ne prendront certes pas le risque de se renier et se saborder ? Ne s’agit-il pas au contraire de dépasser purement et sans mélange le religieux, ses concepts, ses mythes, ses rites et s’appliquer, avec les réels et seuls moyens du bord, à la réalisation d’une Humanité plus humaine, dans laquelle chaque être humain, quel qu’il soit et où qu’il soit, puisse arriver dans une démarche personnelle et consciente à se découvrir unique et responsable et mener une existence qui en vaut la peine ?

                                                                                                        Noël Rixhon

                Administrateur de l’Association Belge des Athées