Euthanasie en France : la spiritualité au secours de la religion

Patrice Dartevelle
(photo d’illustration : Paul Ricoeur)

Selon toute apparence, un débat structuré par le Président de la République lui-même va constituer une étape importante vers la légalisation ou non de l’euthanasie (ou du suicide assisté) en France.

Une usine à gaz

Différents organes doivent délibérer en vue de fournir un document comprenant d’éventuelles recommandations aux autorités pour le 19 mars 2023. Vu les oppositions tranchées sur le sujet, le moindre accord relèverait du miracle.

En théorie, on peut difficilement comprendre pourquoi le travail parlementaire ne peut suffire. Des précédents de telles législations existent dans différents pays occidentaux. Elles ont parfois plus de vingt ans d’existence. On peut y puiser la documentation nécessaire.

On sait qu’Emmanuel Macron est réservé sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale française, qu’il y soit majoritaire ou non. Il faut dire que depuis la loi de dépénalisation de l’IVG portée par Simone Veil en 1974-1975, le bilan de l’Assemblée est mince en législation concernant des problèmes éthiques, notamment en bioéthique. Il a fallu 2013 pour autoriser le mariage homosexuel. Au vu des manifestations contre cette loi, on peut comprendre les réticences des derniers présidents à l’élargissement des droits éthiques.

Le projet, en tout cas, rencontre une forte opposition politique et religieuse en France. Cependant si l’on rapporte le nombre des manifestants au nombre d’électeurs, le chiffre n’était pas si élevé, d’autant que le mouvement apparaissait comme une manifestation du « Hollande bashing ».

L’idée de base de la procédure en cours est de réunir 170 citoyens « lambda », sous forme d’un groupe de travail. Ils ont été sélectionnés par tirage au sort sur la base de plus de 100.000 appels téléphoniques (il fallait leur accord, ce qui n’est pas neutre, les opposants étant souvent particulièrement motivés et certaines associations comme ATD Quart Monde ont réussi à y infiltrer des sympathisants) de manière à constituer globalement une image en réduction de la population majeure en France. Le choix confié au hasard d’une sélection de Français était justifié par certains par la non-technicité de la question.

Ensemble ils vont former la « Convention citoyenne sur la fin de vie », qui se réunira au cours de neuf week-ends de trois jours. Ses membres recevront une indemnité quotidienne de 94,60 € (ce qui posera des problèmes aux titulaires de profession libérale)[1].

Prudent non sans raison face à ce genre de groupe, le président Macron a demandé à l’écrivain Éric Orsenna de « concevoir un lexique des mots de la fin de vie », qui doit être livré avant la fin de la Convention citoyenne. Livraison que j’aurais plutôt imaginée avant la première réunion… Eric Orsenna a accepté la mission, pour autant qu’on lui adjoigne neuf personnalités pour l’accompagner dans le travail. Ces personnalités sont déjà connues. On y trouve des sociologues, un psychologue, et même un ancien chef de service d’un centre de soins palliatifs. Tant qu’à faire un travail sur la langue, j’aurais mis un ou deux linguistes ou philologues. Il paraît qu’ils vont même s’occuper de l’étymologie des mots, comme si celle-ci pouvait nous éclairer sur le champ sémantique actuel[2].

Deux des membres sont connus comme partisans de l’euthanasie[3]. En fait, dans cette étonnante préoccupation, il y a anguille sous roche. Lors de sa rencontre avec le pape, le Président Macron lui a déclaré qu’il « n’aimait pas le mot euthanasie » et que « la mort était un moment de vie, pas un acte technique ». L’ancien ministre de la Santé – aujourd’hui ministre du Renouveau démocratique –, Olivier Véran estime que le mot euthanasie « n’est pas un joli mot » et que c’était un mot qui était « connoté dans la langue française ». Il sous-entend que cela renvoie à l’euthanasie des handicapés, des incurables par les nazis.

C’est là une parfaite utilisation de la reductio ad Hitlerum. On se souvient que quand la régionalisation a été décidée en Belgique et qu’on a mis à Namur la capitale de la Wallonie, certains opposants ont utilisé l’argument que l’occupant allemand avait déjà utilisé Namur comme « capitale » de la Wallonie. Lamentable…

Irait-on vers une euthanasie avec un autre mot ? Ce n’est pas si simple. Un membre du groupe Orsenna, ancien directeur des Hôpitaux de Paris et conseiller d’État, a répliqué correctement que « le Parlement saurait écrire un texte avec des termes précis » et qu’il ne croyait pas qu’il soit possible de légaliser l’euthanasie en France en utilisant « une espèce de périphrase. La loi doit être claire, c’est même un objectif constitutionnel ».

Spiritualité et transcendance chez Emmanuel Macron

Le « meilleur » reste à venir.

Le journal Le Monde a entrepris de sonder le Président Macron sur sa pensée à propos de l’euthanasie. À la manière dont fonctionne aujourd’hui la presse française, l’article, au titre évocateur (« La pensée insondable de Macron »), qui s’étale sur près de deux pages[4] reprend des déclarations publiques mais aussi des propos de très proches, identifiés ou non, des propos privés de l’intéressé et de sa femme, en off masqué. Il donne une analyse des hésitations et du flou de la pensée d’Emmanuel Macron.

Au retour de Rome, le président français expose son indécision en montrant combien il comprend difficilement la position de ceux qui réclament la libéralisation de l’euthanasie : « Ma mort m’appartient-elle ? C’est une question intimidante. Je ne suis pas sûr d’avoir la réponse ».

Une écrivaine, autrice d’un livre sur les Macron, Gaël Tchakaloff, voit la clé non pas dans des raisons religieuses mais « spirituelles ». On le sait, Emmanuel Macron a été un proche, un familier même du philosophe Paul Ricœur. Ce dernier a écrit sur le sujet et sans argument, en dehors d’interrogations de mauvaise foi, il tranche : « Pour qui la prolongation est-elle insupportable ? » On n’en croit pas ses yeux alors que la réponse est simplissime : pour l’intéressé lui-même ! Et il conclut : « Le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire, même alors le législateur ne saurait donner sa caution ».

L’argumentation est reprise par l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzin. Un député du parti de Macron et ami de celui-ci depuis leurs études déclare pour sa part : « Je pense que sur le sujet de la fin de vie, le rapport d’Emmanuel Macron à la transcendance ne viendra pas déterminer ou surdéterminer les décisions qu’il prendra et qui sont de nature politique ». Le député est optimiste et il aura peut-être raison mais lui aussi désigne la source du problème : le rapport à la transcendance.

Le 12 septembre 2022, Emmanuel Macron s’exprime devant la presse sur les deux modèles qui peuvent servir de référence : le belge et le suisse, avec le suicide assisté. Il trouve des faiblesses aux deux modèles, pourtant aisément compatibles, et revient sur ce qui le chipote : « Est-ce que chacun peut disposer de sa vie ? Il y a une immense difficulté quand l’expression du consentement peut être altérée par des circonstances de souffrance et des troubles psychologiques ». Ne devrait-on pas plutôt dire que l’intéressé pèse le mieux les éléments de sa cause voire que sa situation lui donne une lucidité particulière ? Comment peut-on balayer la question de la souffrance en quelques mots ? Probablement parce que Macron reste dans le dolorisme chrétien.

Ce ne sont là que des excuses pour légitimer des procédures dilatoires que l’état de l’opinion publique ne dicte pas : selon les sondages 94 % des Français sont favorables à l’euthanasie.

On le voit, spiritualité et transcendance aboutissent à la même attitude que les convictions proprement religieuses : ma spiritualité m’amène à faire ceci et donc je l’impose à tout le monde, d’autant qu’elle se fonde sur une transcendance.

Quitte à ne pas me renouveler, je ne puis que rappeler que lors de ma première intervention publique pour l’Association Belge des Athées en 2013, je disais que ce qui pose aujourd’hui le principal problème aux athées européens, c’est, avec l’islam, l’incitation à la spiritualité. C’est la position du second groupe le plus significatif dans les sondages, celui dit des « sans religion » – athées non compris – qui représente 32,6 % des opinions. Lors de différentes conférences, j’ai plus d’une fois expliqué qu’il s’agissait d’un groupe « en recherche », le plus irrationaliste de tous, dont on ne peut savoir ce qu’il va trouver[5].

On voit bien par l’exemple de Macron les dangers que recèle la spiritualité, simplement pour l’acceptation de la diversité éthique dans la population. Chassez le naturel…

La convention citoyenne ne se laisse pas faire

Tout ceci laisse mal augurer de la décision finale. Mais on connaît dès maintenant les résultats des premiers votes intervenus à la convention citoyenne[6]. 84 % de ses membres ont estimé que la législation en vigueur n’était pas « adaptée aux différentes situations rencontrées » et qu’il fallait changer la loi » et 75 % ont voté pour une « aide active à mourir ». Autre point qui semble positif, le Président Macron devait recevoir à diner les représentants des différents cultes – tous hostiles à l’euthanasie, bouddhisme compris – et quelques personnes favorables à l’euthanasie. Le diner a été prestement annulé.

Sur l’intime conviction du Président, j’ai dit ce qu’il fallait dire mais peut-être de là à affronter pareilles majorités… Espérons…


[1] Béatrice Jérôme, « Fin de vie : l’enjeu de la convention citoyenne » in Le Monde du 10 décembre 2022.

[2] Avec une parfaite clarté, la linguiste Véronica Thiéry-Riboulot, interrogée sur son livre Laïcité, histoire d’un mot, répond à la question : « L’histoire du mot “laïcité” aide-t-elle à lui donner un sens aujourd’hui ? » par un très net « Non. Ce que montre l’histoire des mots, c’est que chaque période historique et sociale est marquée par leur utilisation en fonction du contexte particulier qui est le leur » in Le Monde du 28 décembre 2022.

[3] Béatrice Jérôme, « Un groupe d’experts pour mettre des mots sur la fin de vie » in Le Monde des 24-25 et 26 décembre 2022.

[4] Claire Gatinois et Béatrice Jérôme, « Fin de vie : la pensée insondable de Macron » in Le Monde du 9 décembre 2022.

[5] Une fois encore je renvoie au texte de mon intervention « Le retour de la spiritualité, nouveau masque de la religion ? » in La Pensée et les Hommes, N°99, Franc-Parler 2015, pp.59-70 et reproduit dans L’Athée n°9 (2022), pp. 63-79. Il a été mis en ligne le 29 novembre 2021 sur athees.net.

[6] Béatrice Jérôme, « La convention citoyenne favorable à une « aide active à mourir », Le Monde du 21 février 2023.