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La Confession optimiste de Jean-Paul Sartre

Posté le 20 novembre 2022 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette « Confession optimiste », comme dans les précédentes entrevues fictives[1]Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de … Continue reading, un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Jean-Paul Sartre, né à Paris en 1905, connu comme essayiste, écrivain, romancier, dramaturge et philosophe. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Jean-Paul Sartre – essentiellement, à ses Entretiens avec Simone de Beauvoir[3]Simone de Beauvoir, La cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre – Août-septembre 1974, Gallimard, Paris 1981, Folio,1995, 625 p., à son essai autobiographique Les Mots[4]Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, 1964, Folio, 1996, 212 p. et à sa conférence « L’existentialisme est un humanisme »[5]Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, Folio, 2002, 111p. Il s’agit du texte sténographié, à peine retouché par Sartre, d’une conférence qu’il a donnée … Continue reading ainsi qu’à d’autres sources.[6]On se reportera avec intérêt au texte nettement plus académique de Vincent de Coorebyter, « L’athéisme de Sartre », in Athéisme et Philosophie, sous la direction de Jacques Teghem, … Continue reading

Bonjour, Monsieur Sartre. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[7]OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Jean-Paul Charles Aymard Sartre, né le 21 juin 1905 à Paris et mort le 15 avril 1980 à Paris.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. C’est bien moi : appelez-moi Sartre, tout simplement.

Nous ferons donc ainsi, dit l’Inquisiteur, c’est commode.

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, il y aura assez de choses difficiles à dire et je dirai ce que je dirai au moment où je le dirai.

Dans notre entretien, Sartre, je ne m’occupe que de votre rapport à la religion, à la foi et à Dieu. Le reste n’est pas de mon ressort.

Pour ce qui est de votre ressort, Monsieur l’Inquisiteur, l’affaire s’est résolue définitivement dans mon enfance. Quand Dieu et moi, nous avons fait monde à part, j’ai rejoint les rivages de l’athéisme.

Ah, dit l’Inquisiteur, vous avez, vous Sartre, commencé sous la bannière de la religion.

Des religions, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis né dans une sorte de no man’s land aux confins de deux christianismes. Après la mort de Jean-Baptiste (Sartre, mon père), j’ai vécu avec ma mère chez mes grands-parents Schweitzer, entre le catholicisme des femmes et le protestantisme luthérien de Charles Schweitzer, lui-même fils de pasteur protestant.

En somme, Sartre, vous aviez une certaine connaissance de la religion ; vous sentiez la présence de Dieu.

D’une certaine manière, Monsieur l’Inquisiteur, je sentais la présence de Dieu, lequel s’incarnait dans mon grand-père, qui fut le Dieu d’Amour avec la barbe du Père et le Sacré-Cœur du Fils ; il me faisait l’imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume. Il m’asseyait sur ses genoux et me regardait dans le fond des yeux et disait : « Je suis homme, je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger. »

Oui, Sartre, c’est une belle déclaration, mais le Dieu de la religion, le Dieu du catéchisme ?

Vers l’âge de huit, neuf ans, je n’avais déjà avec ce Dieu invisible que des rapports de bon voisinage. Il était là, parfois il se manifestait. C’était un regard qui se posait sur moi. Tout ça était très vague, sans grand rapport avec le catéchisme. Et vers l’âge de douze ans, je me suis dit tout d’un coup : Dieu n’existe pas. J’y ai repensé le lendemain ou le surlendemain, et j’ai continué à déclarer que Dieu n’existait pas. Et jamais plus je ne me suis posé la question.

Et ensuite, Sartre, quel a été le résultat de cette révélation dans votre rapport à la religion ?

Pas considérable. De toute façon, je n’étais pas du tout lié à la religion catholique, je n’allais pas à l’église avant, je n’y allais pas après. Je ne me souviens pas de m’être jamais plaint ou étonné que Dieu n’existât pas. J’estimais que c’était une blague qu’on m’avait racontée, une blague dont les gens étaient persuadés et dont moi, j’avais compris que c’était faux.

Vous vous conceviez comme athée ?

Certainement pas, Monsieur l’Inquisiteur. J’ignorais les athées puisque ma famille était honnêtement, honorablement croyante.

À ce sujet, sur ce point si important de la croyance, Sartre, étiez-vous en conflit avec votre famille ?

Ma foi, non. Mes pensées personnelles étaient en opposition étroite avec les pensées de ma famille, mais je pensais pour moi seul et la vérité était ce qui m’apparaissait vrai. Je pensais qu’il fallait retrouver soi-même sa propre pensée. J’avais pourtant une religion : un même souffle modelait les ouvrages de Dieu et les grandes œuvres humaines ; un même arc-en-ciel brillait dans l’écume des cascades, miroitait entre les lignes de Flaubert, luisait dans les clairs-obscurs de Rembrandt : c’était l’Esprit. L’Esprit parlait à Dieu des hommes ; aux hommes, il témoignait de Dieu. J’avais trouvé ma religion : rien ne me parut plus important qu’un livre. La bibliothèque, j’y voyais un temple ; je vivais sur le toit du monde, j’y respirais l’air raréfié des Belles-Lettres, l’Univers s’étageait à mes pieds.

Souvent, Sartre, chez les enfants, la mort induit certains à la religion ou confirme leur croyance.

Je sais cela, Monsieur l’Inquisiteur. Enfant, j’ai vu la mort. À cinq ans : elle me guettait ; le soir, elle rôdait sur le balcon, collait son mufle au carreau, je la voyais, mais je n’osais rien dire. À cette époque, j’avais rendez-vous toutes les nuits avec elle dans mon lit. J’attendais tout tremblant, et elle m’apparaissait, squelette très conformiste, avec une faux. Puis, elle s’en allait et je pouvais dormir. Cependant, ni les enterrements, ni les tombes ne m’inquiétaient. À sept ans, la vraie Mort, la Camarde, je la rencontrais partout, mais je la refusais, de toutes mes forces. Dieu m’aurait tiré de peine. Je pressentais que la religion, c’était le remède.

Et de quelle religion s’agissait-il ? Et vous l’a-t-on refusée, Sartre ?

On ne me la refusa pas ; élevé dans la foi catholique, j’avais appris que le Tout-Puissant m’avait fait pour sa gloire ; c’était plus que je n’osais rêver. Naturellement, tout le monde croyait chez nous. L’incroyance déclarée gardait la violence et le débraillé de la passion. L’athée était un original, un furieux qu’on n’invitait pas à dîner, un fanatique encombré de tabous qui se refusait le droit de s’agenouiller dans les églises, d’y marier ses filles et d’y pleurer délicieusement, qui s’imposait de prouver la vérité de sa doctrine par la pureté de ses mœurs, qui s’ôtait le moyen de mourir consolé, un maniaque de Dieu qui voyait partout Son absence, un monsieur qui avait des convictions religieuses. Le croyant n’en avait pas : deux mille ans de certitudes chrétiennes avaient eu le temps de faire leurs preuves ; c’était le patrimoine commun. La bonne société croyait en Dieu. On m’avait baptisé pour préserver mon indépendance ; en me refusant le baptême, on eût craint de violenter mon âme. Catholique inscrit, j’étais libre, j’étais normal. « Plus tard, il fera ce qu’il voudra. » C’est ce que j’ai fait.

Ainsi, Sartre, vous étiez catholique.

Oui et j’aurais même pu le rester. Ce que je viens de vous raconter, c’est l’histoire de ma vocation manquée. J’avais besoin de Dieu, on me le donna. Faute de prendre racine, Il a végété, puis il est mort. Quand on m’en parle, je dis : « Il aurait pu y avoir quelque chose entre nous. »

Et alors, à partir de là, Sartre, quelle fut votre évolution, l’histoire de votre cheminement ?

Voilà mon commencement : à travers une conception périmée de la culture, la religion transparaissait. On m’enseignait l’Histoire sainte, l’Évangile, le catéchisme sans me donner les moyens de croire. Prélevé sur le catholicisme, le sacré se déposa dans les Belles-Lettres et l’homme de plume apparut, ersatz du chrétien que je ne pouvais être. Protestant et catholique, ma double appartenance me retenait de croire aux Saints, à la Vierge et finalement à Dieu. L’illusion tombait en miettes ; martyre, salut, immortalité, tout s’est délabré, l’édifice est tombé en ruines ; l’athéisme est une entreprise cruelle. Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ; n’importe qui et en même temps, lui-même.

Sartre, avez-vous eu peur de la mort ?

Monsieur l’Inquisiteur, la mort est tout simplement la fin de la vie. Il y a un bilan à faire avant la liquidation. C’est ce bilan qui m’intéresse. En bref : j’ai fait ce que je voulais, c’est-à-dire : j’ai écrit, ça a été l’essentiel de ma vie. Ce que je réclamais enfant, je l’ai réussi. Dans quelle mesure ? Je n’en sais rien, mais j’ai fait ce que je voulais, des œuvres qui ont été écoutées, qui ont été lues. Par conséquent, quand je suis mort, je ne suis pas mort comme beaucoup de gens, en disant : « Ah ! Si la vie était à refaire, je la referais autrement, je l’ai manquée, je l’ai ratée ! » Non. Je m’accepte totalement. Je suis mort satisfait. Et jamais la mort n’a pesé sur ma vie.

Sartre, avez-vous jamais pensé qu’il y avait un quelque chose au-delà ?

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, mais il faut aussitôt préciser les choses. Tout futur qu’on imagine renvoie à la conscience, car l’imagination ne peut se développer que dans la conscience et dans une conscience consciente d’elle-même. La conscience est d’abord conscience de soi. On ne peut pas imaginer un moment où la conscience ne serait plus. On peut imaginer un univers où le corps ne sera plus, mais imaginer ce fait implique la conscience au présent et au futur ; la conscience ne peut se penser au futur sans se penser dans le présent pour se voir elle-même dans le futur. C’est une pensée qui se projette en porte-à-faux dans le néant ; c’est cette projection dans le vide qui anime l’au-delà. En fait, j’ai toujours pensé, comme athée, qu’il n’y avait rien du tout après la mort. On vit, on meurt, point final.

Sartre, tout d’un coup dans votre enfance, Dieu s’est effacé de votre vie, vous êtes devenu athée. Votre athéisme a-t-il évolué à partir de là ?

Je pense qu’il s’est fortifié, qu’il est passé à un athéisme plus matériel, à un athéisme matérialiste. Je suis parti d’un monde qui devait me mettre en liaison avec un paradis où je verrais Dieu à un monde qui était l’unique réalité, où Dieu est une absence, où seules sont les choses et les choses sont seules, et surtout, l’homme est seul. C’est une drôle de chose que l’homme, un être perdu dans le monde et en même temps, capable de le voir comme son objet, à la fois, en dedans et en dehors du monde.

Au fait, Sartre, vous êtes philosophe. Philosophe et athée ?

Philosophe et athée, Monsieur l’Inquisiteur, et donc, au moment des études, absolument assuré de la non-existence de Dieu, j’ai entrepris de me faire philosophe : mon idée était une philosophie pour un monde sans Dieu. Il me semblait qu’une grande philosophie athée, réellement athée, manquait dans la philosophie. Je voulais faire une philosophie de l’homme ancrée dans un monde matériel. C’est un travail de longue haleine de passer de l’intuition athée à un athéisme matérialiste, d’accéder à une nouvelle conception de l’être, qui se fonde dans les choses. Il s’agit d’assumer que la conscience en chacun justifie sa manière d’être et cette conscience est une chose, une réalité qui est là constamment tout entière. La conscience est la conscience du monde et ainsi, on se retrouve dans la réalité.

Pour vous, Sartre, l’athéisme est difficile à mettre en mots, à mettre en place dans la conscience ?

En tout cas, du fait de l’imprégnation religieuse de la conscience et de la société, il est difficile de réaliser d’une manière matérialiste le monde sans Dieu, de sentir le monde dans les objets, dans les choses, dans les gens. En fait, la conscience est en nous, l’objet est dépourvu de conscience. Les objets n’existent pas pour l’homme, pour la conscience. Ils existent sans conscience, d’abord. Une des conséquences est que le monde n’a pas été créé pour l’homme et les consciences n’inventent pas ce qu’elles voient : elles saisissent un objet réel en dehors d’elles, sous des profils divers.

L’athéisme est une des bases de votre vie, mais, Sartre, que pensez-vous des croyants ?

On n’est pas dans un monde athée, Monsieur l’Inquisiteur, il y a encore trop de gens qui croient. La croyance en Dieu, et la croyance tout court, ça me paraît une survivance. Je pense qu’il y a eu un temps où il était normal de croire en Dieu. À l’heure qu’il est, la croyance a quelque chose de périmé, de vieillot. À la base de la croyance, il y a une vision du monde qui est d’une époque passée, mais qui a des avantages : il est beaucoup plus agréable de penser que le monde est bien clos, avec une synthèse faite, non pas par nous mais dehors par un Être suprême. Cependant, pour établir Dieu, il faut tourner le dos à la science, conserver une notion que les sciences de la nature et de l’homme ont sans le dire, sans le vouloir expressément, largement contribué à expulser.

Et vous, Sartre, vous voulez un monde humain athée ?

Les athées introduisent de l’athéisme dans le monde humain et cela mène à un monde humain athée. Ce qu’en effet je souhaite, c’est le rapport direct de l’homme à l’homme, sans nul besoin de passer par l’infini. Les actes constituent la vie ; elle ne doit rien à Dieu, elle est elle-même telle qu’on la veut, et en partie telle qu’on la fait sans la vouloir, telle qu’elle nous fait. Oui, un monde humain athée, évidemment. Le faire advenir, comment ? Je pense que dans la mesure où nous, athées, travaillons tous plus ou moins à constituer un genre humain qui aura ses principes, ses volontés, son unité, sans Dieu, nous sommes tous, réellement dans tous les moments de notre vie, des athées, au moins des athées d’un athéisme qui se développe, qui se réalise de mieux en mieux.

Alors, Sartre, l’existentialisme est-il un athéisme ?

En tout cas, l’existentialisme que je revendique sous le nom d’existentialisme athée est un athéisme. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être, c’est l’homme. Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu’il se définit après. Par l’homme, il faut entendre, à la fois, l’humanité entière et l’homme singulier, enfin, vous, moi. Et l’homme au début n’est rien. Il – l’homme générique comme l’homme singulier – ne sera qu’ensuite, et tel qu’il se sera fait. Il n’y a pas de place pour Dieu dans ce processus contingent. Mais cet athéisme existentialiste est aussi et nécessairement, un humanisme. L’homme se réalise en face des autres. 

Sartre, pouvez-vous situer cet humanisme existentialiste dans son rapport à l’athéisme ? Que reste-t-il des valeurs ?

Si on supprime Dieu le Père, comme créateur des valeurs, il faut bien quelqu’un qui les invente en prenant les choses comme elles sont. Ce qui est central, c’est que la vie n’a pas de sens, a priori. Avant que l’homme, singulier, générique, etc. n’existe, elle n’a pas de sens ; c’est en donnant ce sens à la vie qu’on crée la valeur ; la valeur n’est pas autre chose que ce sens qu’on choisit. Il y a là la possibilité de créer une communauté humaine consciente, une communauté de valeurs, un ensemble de valeurs communes, une cohérence humaine. L’existentialisme ne prend pas l’homme comme fin, car il est toujours à faire, toujours en devenir.

Que reste-t-il, Sartre, après cet abandon de Dieu ? Le désespoir, la désespérance ? 

En ce qui concerne l’abandon de Dieu, que le croyant appelle désespoir – la dissolution de l’espoir, de l’espérance, et je dois vous avouer que l’athéisme est bien cela – un « dés-espoir » ; car il ne peut y avoir d’espoir, d’espérance dans un futur encore à faire. On ne saurait confondre le désespoir (désespérance) des croyants et le nôtre, car pour nous, l’athéisme est un optimisme, il est pensée et action dans le réel. L’athée est désespéré en ce qu’il ne participe plus de l’espoir, qu’il a jeté aux orties cet oripeau qu’est l’espérance. L’espoir, qui se situe dans un avenir forcément indéterminé, est un attrape-nigaud, un ectoplasme, un irréel. Le désespoir de l’athée est une libération du fait qu’il ne se fie plus à une volonté supérieure pour vivre et effectivement, mourir.

Eh bien, Sartre, vous me paraissez décidément un athée invétéré.

C’est ce que je pense aussi, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis athée invétéré et content de l’être. Pour vous donner une idée de ma joie, je pense à cette chanson de Brassens qui donne une vision poétique de l’athéisme :

Il suffit de passer le pont,

C’est tout de suite l’aventure !

Laisse-moi tenir ton jupon,

Je t’emmène visiter la nature ![8]Georges Brassens, Il suffit de passer le pont, 1953 ; Les Chansons d’abord, édition établie par Pierre Saka, Livre de Poche, Libraire Générale Française, Paris, 1993, 287p., p.18.

Références[+]

Références
↑1 Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Simone de Beauvoir.
↑2 Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).
↑3 Simone de Beauvoir, La cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre – Août-septembre 1974, Gallimard, Paris 1981, Folio,1995, 625 p.
↑4 Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, 1964, Folio, 1996, 212 p.
↑5 Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, Folio, 2002, 111p. Il s’agit du texte sténographié, à peine retouché par Sartre, d’une conférence qu’il a donnée à Paris le lundi 29 octobre 1945, publié l’année suivante chez Nagel.
↑6 On se reportera avec intérêt au texte nettement plus académique de Vincent de Coorebyter, « L’athéisme de Sartre », in Athéisme et Philosophie, sous la direction de Jacques Teghem, ABA Éditions, Collection Études athées, Bruxelles, 2017, 185 p., pp.131-154.
↑7 OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.
↑8 Georges Brassens, Il suffit de passer le pont, 1953 ; Les Chansons d’abord, édition établie par Pierre Saka, Livre de Poche, Libraire Générale Française, Paris, 1993, 287p., p.18.
Tags : athée athéisme croyance dieu écrivain existentialisme foi humanisme mort optimisme Philosophie religion Sartre

La Confession pragmatique de Simone de Beauvoir

Posté le 19 septembre 2022 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession pragmatique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1]Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de … Continue reading, un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie — « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Simone de Beauvoir, née à Paris en 1908, connue comme femme, essayiste, écrivaine, romancière, féministe, philosophe. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Simone de Beauvoir — essentiellement, à ses « Mémoires d’une jeune fille rangée »[3]Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Gallimard, Paris, 1972 — Folio, 2011, 473 p., à « Tout compte fait » [4]Simone de Beauvoir, Tout compte fait, Gallimard, Paris, 1978 — Folio, 1989, 634 p. et à d’autres sources.

Bonjour, Madame ou Mademoiselle, comment faut-il dire exactement ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [5]OVRAAR : voir note dans Carlo Levi en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Simone Lucie Ernestine Marie Bertrand de Beauvoir, née à Paris, le 9 janvier 1908.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Simone. Oui, je suis née à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Mon père était avocat et ma mère avait pour mission de s’occuper des enfants — c’est-à-dire ma sœur Hélène, surnommée Poupette, ma cadette de deux ans et moi ; mission qu’elle déléguait volontiers à Louise, la jeune fille qui nous gardait.

Madame de Beauvoir, dit l’Inquisiteur, je ne peux vous appeler Simone, la chose ne convient pas à notre entretien.

Je vous en prie, Monsieur l’Inquisiteur, en ce cas, appelez-moi Mademoiselle de Beauvoir ; j’y tiens : j’ai passé ma vie sans jamais me marier et aussi, sans doute vous l’a-t-on dit, à revendiquer l’égalité entre la femme et l’homme. Il me plaît que cela soit dit et noté. Dans le meilleur des cas, comme la religion, le mariage est un choix quand il est décidé librement. On se marie ou on ne se marie pas ; mais il n’y a pas lieu de camoufler cet état de choses. Non, décidément, Madame de Beauvoir, c’était ma grand-mère, c’était ma mère.

Commençons donc, Mademoiselle de Beauvoir, par le début, je veux dire le temps où vous étiez une petite fille, quand vous étiez une enfant qui découvrait le monde.

Vous savez, Monsieur l’Inquisiteur, j’étais une enfant sage, dans l’ensemble. Parfois, je faisais des caprices ; je désobéissais pour le seul plaisir de ne pas obéir et on disait que j’étais « têtue comme une mule. » Jamais, je ne mettais sérieusement en doute l’autorité. En ce temps-là, j’acceptais sans la moindre réticence les dogmes et les valeurs qui m’étaient proposés. Je croyais au Bien et au Mal. En résumé, j’étais une bonne petite fille, je commettais des fautes et je pensais que ma tante Alice qui priait beaucoup irait sûrement au ciel.

Ah, dit l’Inquisiteur, il y avait le Bien et le Mal ? Comment voyiez-vous l’un et l’autre ?

Pour le Bien, Monsieur l’Inquisiteur, c’est simple, mes parents détenaient le monopole de l’infaillibilité ; le Bien était le climat de la maison, j’habitais la région du Bien. Maman m’amenait à l’église, elle me montrait le petit Jésus, le bon Dieu, la Vierge, les anges. Une épée de feu séparait le Bien et le Mal. Le Mal était à distance, le Méchant péchait ; l’enfer était son lieu naturel. Ogres, sorcières, démons, marâtres et bourreaux symbolisaient cette puissance.

En somme, Mademoiselle de Beauvoir, vous aviez de la religion, n’est-ce pas ?

On peut dire les choses ainsi. La religion élucidait les mystères. Par exemple, on me raconta d’abord que les parents achetaient leurs enfants. Il pouvait bien y avoir quelque part des magasins de bébés, mais je me suis dit : « C’est Dieu qui crée les enfants. » Il avait tiré la terre du chaos, Adam du limon, il pouvait bien faire surgir les enfants dans un moïse. La volonté divine était fort pratique ; elle expliquait tout. Toutefois, j’avais mes limites. Le miracle de Noël passait les bornes. Je trouvais incongru que le tout-puissant petit Jésus descende par les cheminées comme un vulgaire ramoneur. Mes parents ont avoué. Là, le monde commençait à basculer ; il pouvait y avoir des certitudes fausses.

Et à l’école, Mademoiselle de Beauvoir, appreniez-vous la religion ?

Certainement, monsieur l’Inquisiteur ; à l’âge de l’école primaire, on m’avait mise dans l’enseignement catholique au Cours Désir, un endroit, une école privée plutôt sélecte, où les mères assistaient aux cours. J’aimais apprendre et l’Histoire sainte (très estimée en ces lieux) me semblait plus amusante que les Contes de Perrault, car tout ce qu’elle racontait était arrivé pour de vrai. L’année suivante, avec la Guerre, j’ai pu mettre en acte certaine vertu chrétienne en quêtant « Pour les petits réfugiés belges ! » et je me promenai dans la basilique du Sacré-Cœur avec d’autres fillettes en agitant une oriflamme et en priant pour les poilus.

Et puis, dites-moi, Mademoiselle de Beauvoir, vous vous soumettiez volontiers à la confession ?

Bien sûr, Monsieur l’Inquisiteur. Il faut dire qu’on m’y avait encouragée en me disant que grâce à ma piété, « Dieu sauverait la France ». Et je le croyais. Quand l’aumônier m’eut prise en main, je devins une petite fille modèle. Il était jeune, pâle, infiniment suave ; il m’initia aux douceurs de la confession. Il me fit voir ma belle âme que j’imaginais blanche et rayonnante comme l’hostie dans l’ostensoir. J’entrai dans une confrérie enfantine, « Les anges de la Passion », ce qui me donna le droit de porter un scapulaire et le devoir de méditer sur les sept douleurs de la Vierge.

Et la communion, Mademoiselle de Beauvoir, comment cela s’est-il passé ?

Fort bien, Monsieur l’Inquisiteur. J’ai suivi une retraite, j’ai compati aux malheurs de Jésus. Vêtue d’une robe de tulle, coiffée d’une charlotte fleurie, j’ai avalé ma première hostie ; ensuite, maman m’emmena communier trois fois par semaine. Je le faisais en songeant au chocolat chaud qui m’attendait au retour à la maison.

Comment conceviez-vous la vie à cette époque, Mademoiselle de Beauvoir ?

La vie était simple : j’étais convaincue que mes parents ne voulaient que mon bien et puis, c’était la volonté de Dieu : il m’avait créée, il était mort pour moi, il avait droit à une absolue soumission. Tout ça était l’œuvre de ma mère, très croyante et très pratiquante, à qui mon père avait abandonné notre éducation. Elle trouva son guide chez les « Mères chrétiennes » : elle dirigeait mes lectures, m’emmenait à la messe et au salut, on faisait en commun, avec elle et ma sœur, nos prières matin et soir. Elle m’apprit à m’effacer, à contrôler mon langage, à censurer mes désirs. Je ne revendiquais rien et j’osais peu de choses. D’autre part, mon père n’allait pas à la messe, il ne croyait pas. Il m’emmenait au spectacle, il me faisait lire, il guidait ma vie intellectuelle tandis que ma mère surveillait ma vie spirituelle. L’intelligence, la culture étaient d’un autre ordre que la croyance et ne relevaient pas de la religion. Dieu avait son domaine propre ; il vivait à l’écart. J’étais protégée et guidée sur les chemins de la terre comme sur les voies du ciel. Je tenais pour une chance insigne que le ciel m’eût dévolu précisément ces parents, cette sœur, cette vie.

Enfant, vous étiez dans un monde paisible et la religion vous y confortait, me semble-t-il, Mademoiselle de Beauvoir ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur,  peu de choses dérangeaient ma tranquillité. J’envisageais la vie comme une aventure heureuse ; contre la mort, la foi me défendait : je fermerais les yeux et les mains neigeuses des anges me transporteraient au ciel ; un mince tapis d’azur me séparait des paradis où resplendit la vraie lumière ; je me couchais sur la moquette, yeux clos, mains jointes, et je commandais à mon âme de s’échapper. Dieu me promettait l’éternité. Il n’y aurait pas de fin. Je ne cesserais jamais de voir, d’entendre, de parler.

Justement, Mademoiselle de Beauvoir, comment voyiez-vous alors votre vie future ? La religion était-elle votre boussole, Dieu, votre Guide ?

Là, Monsieur l’Inquisiteur, vous interrogez l’imaginaire, c’est très mystérieux. Je me rêvais l’absolu fondement de moi-même et ma propre apothéose. Je me flattais de régner seule sur ma propre vie. Cependant, la religion me suggérait un autre rôle : j’étais Marie-Madeleine aux pieds du Christ ; j’étais une religieuse enfermée dans un cachot, je bafouais mon geôlier en chantant des hymnes. Je pouvais m’y complaire, je savourais les délices du malheur, de l’humiliation dans la nuit du confessionnal devant le suave abbé Martin, je goûtais d’exquises pâmoisons, les larmes coulaient, je sombrais dans les bras des anges. Pour ce qui est de Dieu et de la croyance, les pensées vont et viennent à leur guise dans notre tête, on ne fait pas exprès de croire ce qu’on croit.

Vous aviez, Mademoiselle de Beauvoir, une dévotion particulière pour Jésus ?

J’étais très pieuse ; je me confessais deux fois par semaine ; souvent pendant la journée, j’élevais mon âme à Dieu. Je ne m’intéressais plus à l’enfant Jésus, mais j’adorais éperdument le Christ. Je contemplais avec des yeux d’amoureuse son beau visage tendre et triste. Quand j’avais assez longtemps embrassé ses genoux et pleuré sur son corps, je le laissais remonter au ciel. Il s’y fondait avec l’être le plus mystérieux à qui je devais la vie et dont un jour, et pour toujours, la splendeur me ravirait. Quel réconfort de le savoir là ! Il n’y avait au monde que Lui et moi ; mon existence avait un prix infini. Dieu prenait toujours mon parti, il était le lieu suprême où j’avais toujours raison. Je l’aimais, avec toute la passion que j’apportais à vivre.

Votre croyance était très forte, Mademoiselle de Beauvoir, on dirait un roc flamboyant, inaltérable.

On dirait, Monsieur l’Inquisiteur, et je le sentais ainsi, mais je trouvais bizarre quand les gens venaient de communier, de les voir si vite se replonger dans le train-train habituel ; je faisais comme eux, mais j’en étais gênée. Au fond, ceux qui ne croyaient pas menaient juste la même existence ; je me persuadai de plus en plus qu’il n’y avait pas place dans le monde profane pour la vie surnaturelle. Mais rassurez-vous, le roc restait inaltérable : entre l’infini et la finitude, mon choix était fait. « J’entrerai au couvent », il n’y avait d’autre occupation raisonnable que de contempler à longueur de temps la gloire de Dieu. Je savais qu’une implacable logique me promettait au cloître : comment préférer le rien à tout ? À Meyrignac, en vacances à la campagne, chez grand-père, seule le soir, contre le silence infini, sous l’infini du ciel, la terre faisait écho à cette voix en moi qui chuchotait : je suis là ; mon cœur oscillait de la chaleur vivante au feu glacé des étoiles. Là-haut, il y avait Dieu, et il me regardait ; caressée par la brise, grisée de parfums, cette fête dans mon sang me donnait l’éternité.

En quelque sorte, Mademoiselle de Beauvoir, vous aviez la foi ; était-ce bien ça ? Comment la ressentiez-vous ?

Ah, Monsieur l’Inquisiteur, la foi ? La foi, c’était mon assurance contre l’enfer, que je redoutais. Si on cessait de croire, tous les gouffres s’ouvraient ; un pareil malheur pouvait-il arriver sans qu’on l’eût mérité ? La petite suicidée n’avait pas péché par désobéissance ; elle avait juste lu des livres. Pourquoi Dieu ne l’avait-il pas secourue ? Je ne comprenais pas que la connaissance conduisît au désespoir. En fait, cette enfant avait découvert l’authentique visage de la réalité. L’idée qu’il y a un âge où la vérité tue répugnait à mon rationalisme. Ainsi, alors, je gardais la foi céleste, mais avec des réserves terrestres. Par exemple, à propos de la façon dont naissent les enfants, le recours à la volonté divine ne suffisait plus, car je savais que, les miracles mis à part, Dieu opère à travers des causalités naturelles.

Mademoiselle de Beauvoir, ne vous est-il pas arrivé de rencontrer Dieu dans la nature ?

À ces âges, mon expérience humaine était courte, la nature me découvrait, visibles, tangibles, quantité de manières d’exister dont je ne m’étais jamais approchée. En ville, les façades des immeubles, les regards indifférents des passants m’exilaient, mais aux vacances, dès que j’arrivais à Meyrignac, je me perdais dans l’infini, je sentais autour de moi la présence de Dieu. À Paris, les hommes et leurs échafaudages me le cachaient ; je voyais ici les herbes, les nuages, ils portaient sa marque. Plus je collais à la terre, plus je m’approchais de lui. Cependant, c’est à peu près à cette époque, alors que je conservais cette foi ardente, que mes rapports avec la religion et tout son apparatus commencèrent à s’étioler. J’avais donc, d’un côté, la foi et la croyance en Dieu et presque soudainement, la religion, d’un autre.

Ha ? Mademoiselle de Beauvoir, que voulez-vous dire ? Que s’est-il passé ?

D’abord, pour ce qui est de la foi, de la piété, de la croyance, de la proximité avec Dieu, ma réflexion, très méditative, me transportait hors du monde des humains. Dieu était dans l’infini du ciel, loin des aventures terrestres. Je priais, je méditais, j’essayais de rendre sensible à mon cœur la présence divine. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où je me suis sentie trahie par mon confesseur que je tenais pour le représentant de Dieu et qui quitta soudain sa haute mission pour s’immiscer dans mes démêlés avec la discipline quotidienne. Je quittai le confessionnal avec le soupçon que Dieu lui-même était tracassier, mesquin comme une vieille dévote ; peut-être même était-il bête. Après coup, calmée, je mis la faute sur le compte du traître usurpateur du divin. Je cherchai un autre confesseur ; j’essayai un roux, un brun. Finalement, aucun prêtre ne pouvait représenter Dieu ; personne sur terre n’incarnait Dieu, j’étais seule face à lui. Déjà, comme vous le voyez, la religion se détricotait. Je me rendais compte que la Bible, les Évangiles, les miracles, les visions n’étaient garantis que par l’autorité de l’Église. Les faits religieux n’étaient convaincants que pour les convaincus. Un soir, à Meyrignac, où je priais sur le balcon, une chaude odeur d’étable montait vers le ciel, ma prière retomba. J’écoutai le glouglou de l’eau dans la nuit et je compris que rien ne me ferait renoncer aux joies terrestres. « Je ne crois plus en Dieu », me dis-je, sans étonnement. C’était une évidence. Je n’essayai pas de ruser ; dès que la lumière se fit en moi, je tranchai net et mon incrédulité ne vacilla jamais.

Et après, Mademoiselle de Beauvoir, votre vie a changé ? Vous êtes-vous faite à cette perte de Dieu ?

Quant à la pratique de ma vie, Monsieur l’Inquisiteur, ma conversion ne la modifia pas. J’avais cessé de croire en découvrant que Dieu n’exerçait aucune influence sur mes conduites ; elles ne changèrent donc pas lorsque je renonçai à lui. J’avais imaginé que la loi morale tenait de lui sa nécessité. Elle était si profondément gravée en moi qu’elle demeura intacte après sa suppression. Oh, je me passai très bien de Dieu. Je ne souhaitais pas du tout qu’il existât et si j’avais cru en lui, je l’aurais détesté, Dieu m’aurait volé ma terre, ma vie, autrui, moi-même. Je tenais pour une grande chance de m’être sauvée de lui.

Comme ça, d’un coup, définitivement, sans regret, Mademoiselle de Beauvoir ?

Oui, vous dites juste, il y eut quelques retours de flamme. Il fut un moment où, cherchant la plénitude, je me demandai si une mystique n’était pas possible. Je pensais « Je veux toucher Dieu ou devenir Dieu » et je m’abandonnai par intermittence à ce délire. Je ne songeais pas au Dieu des chrétiens ; le catholicisme me déplaisait de plus en plus ; j’en étais barbouillée. Je sommai Dieu de se manifester, il se tint coi et plus jamais je ne lui adressai la parole. Au fond, j’étais très contente qu’il n’existât pas. J’en avais assez des « complications catholiques », des impasses spirituelles, des mensonges du merveilleux ; je voulais toucher terre.

Et puis, finalement, Mademoiselle de Beauvoir, vous vous êtes résolue à l’athéisme ?

Monsieur l’Inquisiteur, on vient de parcourir ensemble le chemin qui m’a menée de l’enfance religieuse, crédule, à l’adolescence mystique, à la disparition de Dieu, à l’incroyance et oui, en effet, à l’athéisme. Fin du voyage illusoire et retour sur terre. Cela dit, depuis lors, il y a un point sur lequel ma position n’a pas changé : mon athéisme. De bonnes âmes déplorent le hasard malheureux qui m’a fait perdre la foi. On m’écrit : « Ah, si vous aviez lu l’Évangile ! vécu parmi de vrais chrétiens, connu un prêtre intelligent, etc. » Comme on vient de le voir, mon éducation religieuse a été très poussée et je savais par cœur de longs passages de l’Évangile. J’ai connu des chrétiens intelligents. Ils pensaient que la foi dépend de Dieu, c’est sans doute ainsi à leurs yeux ; aux miens, je cherche des facteurs sociaux ou psychologiques pour l’expliquer. La foi est un accessoire qu’on reçoit dans l’enfance avec l’ensemble de la panoplie et qu’on garde, comme le reste, sans se poser de question. Lorsqu’apparaît un doute, le croyant l’écarte pour des raisons affectives, par nostalgie, attachement à l’entourage, crainte de la solitude et de l’exil qui menacent les non-conformistes.  Certains ont besoin d’un être souverain ; chez ceux-là, des intérêts idéologiques sont en jeu, des habitudes de pensée, des systèmes de références, des valeurs dont on est devenu prisonnier.

Oui mais, Mademoiselle de Beauvoir, je vous ai entendue me parler de votre enfance et de la foi qui la nimbait. Ne pourriez-vous y revenir ?

Sartre m’a dit un jour : « Mais après tout, pourquoi privilégierait-on l’enfant ? ». Pourquoi devrais-je retourner aux délires de ma jeunesse ? Athée, je suis ; athée, je reste. On entend souvent le croyant dire à l’athée : « J’en suis sûr, un jour la voix de Dieu vous atteindra », et cette arrogance de certains croyants leur fermerait le ciel, s’il en existait un. Les difficultés – l’ignorance, l’état du monde, la solitude, l’incompréhension, l’angoisse – que l’athée affronte honnêtement, la foi les élude. Qu’un incroyant, autrement dit un athée, se trouve bien dans sa peau, on l’accuse de ne rien comprendre. Ou bien, on lui dit — à qui n’a-t-on pas fait le coup — qu’au fond, il croit en Dieu ou alors, que ses conceptions sont bornées. Face à la vie, face au néant, la foi est une fuite, et la religion, une désertion et je vais sans doute vous scandaliser en souhaitant à tous les croyants d’un jour abandonner toutes ces sornettes.


Références[+]

Références
↑1 Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev,  Edgar Morin
↑2 Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).
↑3 Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Gallimard, Paris, 1972 — Folio, 2011, 473 p.
↑4 Simone de Beauvoir, Tout compte fait, Gallimard, Paris, 1978 — Folio, 1989, 634 p.
↑5 OVRAAR : voir note dans Carlo Levi
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La Confession tranquille de Jean Meslier

Posté le 29 novembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession tranquille, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Jean Meslier ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664, prêtre et curé d’Étrépigny. Il est connu comme auteur d’un Mémoire aux relents sulfuriques d’un athéisme intransigeant et testamentaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Jean Meslier – essentiellement, à son Mémoire des pensées et des sentiments.[3]

Bonjour, Monsieur Jean Meslier, comment faut-il dire exactement : mon Père, mon Révérend, Monsieur le Curé, que sais-je ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Jean Meslier, ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664 et curé d’Étrépigny dans l’archidiocèse de Reims, y décédé en 1729.

Je vous salue, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Jean Meslier ; c’est comme ça que je suis connu depuis ma mort ; avant, on m’appelait Monsieur le Curé ou plus intimement pour certains, Jean. Enfin, ça dépendait des moments et des circonstances. Surtout, ne m’appelez ni mon Père, ni Monsieur le Curé. Le mieux serait finalement, Monsieur ou Monsieur Meslier ou Meslier, tout simplement. Cependant, je veux préciser que j’ai été quarante ans curés de deux paroisses – celle d’Étrépigny et celle de Balaives, distantes de trois kilomètres entre lesquelles j’ai usé bien des semelles[5]. Même si dans l’état où je suis, ça n’aurait plus d’effet, je voudrais savoir si vous torturez, si vous garrottez, si vous usez encore du bûcher.

Sachez, dit l’Inquisiteur, que ce sont là des méthodes abandonnées depuis un certain temps en ce qui nous concerne, même si dans le monde contemporain, en certains pays non-chrétiens, on les pratique encore au nom de prophètes inspirés par Allah ou d’autres dieux. On y lapide principalement les femmes, mais aussi, les homosexuels et bien sûr, on y tue les athées et même, des chrétiens. Cela dit, je voudrais m’assurer que c’est bien vous l’auteur de cet ouvrage testamentaire prônant l’irréligion à pleins poumons, ce brûlot qu’on agite depuis des siècles contre notre Église et contre Dieu lui-même.

Pour répondre à votre question, Monsieur l’Inquisiteur, je reconnais volontiers être l’auteur de ce Mémoire actuellement recueilli en plusieurs exemplaires de ma main à la Bibliothèque Nationale de France et dont le titre[6] fort long en indique assez bien le but et le contenu. Vous noterez qu’il commence ainsi : Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier… D’abord, vous n’y trouverez aucune prétention universelle, ni aucun messianisme. Cela affirmé, j’insiste et je souligne ces deux mots : pensées et sentiments, qui condensent et expliquent toute ma démarche et donnent sens à ma vie. Ce n’était pas par hasard que je les avais placés là. Ils donnent un portrait assez fidèle de l’être vivant – de l’humain, en particulier et de sa vie. Pensées, sentiments, sensations, émotions, ainsi nous sommes faits, ainsi va la vie.

D’abord, Monsieur Meslier, vous avez fait là un grand ouvrage pour dénoncer Dieu, l’Église, etc, mais vous avez été curé quand même. Expliquez-moi ça, dit l’Inquisiteur.

Certes, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai été curé et ordonné prêtre catholique, par l’archevêque de Reims encore bien, celui-là même qui couronnait les rois de France et je le suis resté jusqu’au bout. Et dans les Ardennes, un pays dur et souvent, fort froid ; mais c’était le mien et l’un dans l’autre, j’y étais bien. Entre nous, quel autre choix m’était accessible ? D’abord, ce n’était pas une vocation, oh non, je n’ai pas vraiment choisi ; c’est mon père qui a choisi et quand j’étais enfant, il m’a collé au séminaire. Oh, je ne lui en veux pas, certes non. Il n’était pas vraiment riche et il y avait trois filles à doter. Alors, pour m’assurer un avenir, c’était être ou militaire ou religieux. Tueur ou menteur ? Et vous-même, Monsieur l’Inquisiteur, qu’auriez-vous choisi ? Dans le fond, curé, ce n’était pas une si mauvaise idée : un travail assuré, un revenu, un logement, un rôle social et civil, une certaine reconnaissance, une place dans un monde.

Soit, Monsieur Meslier, comment avez-vous concilié curé et athée ?

Mal, je dois le dire, Monsieur l’Inquisiteur ; je supportais assez mal le masque, mais qu’y faire ? Cela dit, on peut être curé et athée ou l’inverse. Moi, c’était plutôt l’inverse. Ce n’est qu’une question de situation. On peut être fonctionnaire ou agent de l’État ou commerçant et anarchiste. L’être humain est plein de contradictions, il vit avec elles ; si vous saviez ce que j’ai entendu en confession ! La femme et l’homme vivent en société ; ils s’y adaptent tant bien que mal, selon le cours des choses et leur état. Ils n’héritent pas toujours d’un premier choix.

Dites-moi, Monsieur Meslier, ce fameux Mémoire, qu’en est-il ?

Comprenez ceci, Monsieur l’Inquisiteur, il m’est impossible et en plus, ça me déplaît de dire en quelques mots un travail d’années de réflexion et dont le résumé occupe à lui seul plus de 350 pages. Si vous voulez, vous pouvez le lire ou, à défaut, consulter diverses intéressantes publications qui y sont consacrées.[7] Ainsi, nous éviterons toutes ces références aux Testaments et à certains pesants philosophes qui m’ont bien embêté quand je passais mes soirées à les contredire ; tout cela est dans le Mémoire… , je ne vais pas le répéter. Tout comme je vous épargnerai ces démonstrations de « l’inexistence de l’inexistant », car ainsi, par cette simple expression, tout est dit à propos de Dieu et de toutes ces choses, qui ne sont qu’inventions et menteries. Pourquoi l’ai-je fait ? En grande partie, pour passer le temps ; on m’avait condamné à des nuits solitaires, il fallait bien les occuper. Je ne vous conterai pas non plus l’invraisemblable récit de ma lente déchristianisation, ni celle de mon incroyance maturant lentement, car il n’en a rien été. En réalité, pour ce qui est de la croyance, autant et aussi loin que je me souvienne de mon enfance, je ne lui ai jamais accordé foi.

Justement, Monsieur Meslier, puisque vous parlez de foi et que vous dites que vous ne l’auriez jamais eue. C’est incroyable.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, la foi, je vais vous le dire en toute sincérité. Je n’ai toujours pas compris, après des siècles, à quoi d’autre elle peut correspondre qu’à un sentiment imaginaire, un étrange détour d’un songe. La vie est un songe ? Peut-être pour celui qui sommeille la plupart du temps ou qui s’imbibe de substance distrayante ; moi, j’étais vif et clair d’esprit et de corps et question substance distrayante, j’étais sobre ; du coup, je n’ai jamais été atteint par ces divagations. Enfin, toutes ces histoires de religion et de Dieu m’ennuient profondément. Si on parlait d’autre chose ?

Parlez-moi d’amour, dit l’Inquisiteur, c’est une grande vertu théologale.

Ah, l’amour, vous dites. Toujours l’amour ! Ils n’ont que ça à la bouche : l’amour de Dieu, l’amour du Christ, la mort par amour, mais enfin, tout ça, ce sont des amusettes, des billevesées, des balivernes, des carabistouilles, des fadaises. Certes, l’amour quand ça vous prend, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, ça vous tourneboule les sens et le cœur. L’amour est une grande vertu de la nature. C’est elle qui mène la danse et cet amour a un rôle considérable dans la vie, car il apporte une grande satisfaction et encourage l’existence. Il incite aussi à la reproduction, mais comme curé de campagne, pousser l’amour jusqu’à la paternité, c’était un peu excessif ; alors, on s’arrangeait avec les moyens ancestraux. On ne pouvait pas, comme nos collègues protestants ou anglicans, se marier, avoir des enfants, vivre entourés de sa famille. Strictement interdit ![8] Je vais vous dire, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, je l’ai bien connu et j’en étais satisfait, pleinement. C’était un sentiment, mais fortement planté dans une sensation sensuelle, si vous voyez ce que je veux dire. J’étais bienheureux quand ma cousine ou ma nièce me tenait compagnie. Comme j’avais rué dans les brancards face au seigneur du lieu, le sire de Toully s’en était plaint en haut lieu et on me punit par ce biais en me forçant à vivre en solitaire. On m’avait ainsi fait prisonnier chez moi, mais rassurez-vous, je m’échappais.

Votre nièce, votre cousine, Monsieur Meslier, vous disiez ça, mais l’était-elle vraiment ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, je disais que c’était ma nièce ou ma cousine ; c’est une façon de parler, une manière de protéger certaine intimité. Dans le fond, c’était peut-être même vrai ; à la campagne, on est tous plus ou moins parents, tous plus ou moins cousins à la mode de Bretagne. Et puis, n’est-on pas tous frères et sœurs ? D’abord, Monsieur l’Inquisiteur, avez-vous l’idée de ce que c’est la solitude du curé de campagne face au temps qui passe ? Quarante ans de solitude à tourner en rond dans son église ? Et puis, il est certaine exigence de la nature qui se contrefiche des interdits divins ou canoniques et qui tient l’homme par certain bout. Le militaire a le bordeau, qui l’accompagne jusqu’en campagne. Bref, je nommais la personne qui me tenait compagnie, qui dans les faits était ma compagne, ma nièce (qui, soit dit en passant, chez certains confrères, pouvait tout autant être un neveu). Pour elle, c’était un bon emploi, plus sûr et plus agréable que fille de ferme ; elle m’avait été présentée par sa mère. Il y avait même de l’amour, alors que dans les étables, je ne vous dis pas. En plus, outre de tenir ma maison, celles qui officiaient chez moi savaient lire, écrire et acquéraient les connaissances nécessaires pour accomplir les tâches profanes de mon ministère.

Oui mais, Monsieur Meslier, on dit que ce n’est pas convenable pour un curé ; il y a l’obligation du célibat.

Le célibat, c’est bien joli, mais officiellement, j’ai toujours été célibataire, je ne me suis jamais marié. Pour le reste, je vous ferais bien une fable à la manière de La Fontaine de l’histoire du curé des villes et du curé des champs. Le curé des villes a toutes les facilités, il est bien aise de trouver chaussure à son pied dans certaines maisons spécialisées, mais il n’en va pas de même pour le curé de campagne. D’abord, tout le monde voit, le surveille et puis, si comme moi, il ne veut pas abuser de certaines de ses ouailles, il lui faut mener une double vie et se bâtir un amour ancillaire. La vie dans les Ardennes est dure ; là-bas, croyez-moi, pour être curé et de deux églises, il faut en avoir, et bien trempé, du courage.

Soit, dit l’Inquisiteur. Cependant, vous auriez pu agir dans la discrétion, aller satisfaire vos penchants en dehors de la cure, en dehors du village, que sais-je ?

Évidemment, j’aurais pu trouver une solution, disons ecclésiastique, et recourir aux services de nos bonnes sœurs. Il y avait bien un couvent dans les environs, auquel je reversais la dîme, mais c’étaient des moines. Et la tendresse ? Vous imaginez : mon enfance au séminaire. Mon père et ma mère m’avaient choisi ce destin. Mais l’affection, la tendresse, la chaleur aimable de la famille, ce n’était pas le père supérieur, ni aucun autre, qui a pu – car je n’ai pas voulu – me câliner. Après ça, quarante ans de curé de village. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas user de mes paroissiennes ; alors, j’aurais dû sombrer dans l’ennui sensuel et sentimental ? Pas du tout ! C’était une question de salubrité mentale. Alors, tant que j’ai pu, j’ai partagé ma vie avec une jeune servante. Après il fut trop tard, en rapport à ma santé. La prostate, ça vous achève un homme. Cependant, il faut considérer cette présence féminine sous un autre angle.

Ah, Monsieur Meslier, je voudrais bien savoir ce que vous entendez là.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, je vous suggère de voir cette relation du point de vue de la nièce. Pourquoi a-t-elle choisi d’être la compagne du curé ? Pour une personne un peu douée et sensible, c’est le moyen d’échapper à la dure et fruste vie des fermes, de sortir de l’isolement, de trouver un statut social, d’échapper à la misère, d’ avoir une vie relativement confortable, de trouver un milieu un peu instruit et, pourquoi pas, l’amour. Face à la vision lubrique de l’Église, j’opposerais la réalité de ces « femmes de curé » qui complètent utilement le rôle du prêtre. Chez moi, ma nièce était à la fois sage-femme, infirmière, consolatrice, conseillère familiale et féminine, vulgarisatrice, acopleûse[9], aide aux vieillards, impotents et aux mourants (y compris pour leur donner un passage en douceur, telle l’accabadora en Sardaigne[10]). En fait, ces précieuses collaboratrices apportent à la communauté rurale toutes les qualités des sorcières[11] si injustement décriées et persécutées.

À présent, restons-en là. Monsieur Meslier, on vous dit athée. Que faut-il comprendre ?

Monsieur l’Inquisiteur, en vérité, je le suis, athée. Je précise aussi qu’à mon estime, athée est un mot boiteux, qui fonctionne à l’envers de la réalité. Ce mot athée n’est rien d’autre que la définition de l’homme tel qu’en lui-même, de l’homme nu tel qu’il se trouve dans la nature. On naît tous athées. Tout être vivant est athée pour la simple raison que s’il veut un jour croire, il lui faudra inventer un ou plusieurs objets de croyance. Pour croire en des dieux ou un seul Dieu, il lui faut les inventer. Moi, par exemple, je suis né, j’ai vécu, je suis mort sans jamais cesser d’être rien de plus que moi, celui qui était venu ainsi au jour.

Alors, dit l’Inquisiteur, quel est le sens de la vie ?

À dire vrai, la vie n’a pas de sens ; son sens, elle le trace, elle le définit en avançant. On ne connaît la vie de nos ancêtres (humains ou biologiques) que par les traces qu’ils ont laissées. Pourquoi on vit ? Il n’y a pas vraiment de raison ; le seul but de la vie est sa continuation, même pas son agrément ; pour ce qui nous concerne en tant qu’espèce vivante, elle débouche sur cette obstination à se répliquer. En somme, la vie, c’est un bégaiement, un perpétuel recommencement jusqu’à l’arrêt définitif. Il n’y a pas d’échappatoire.

Ah, vous voyez les choses ainsi, dit l’Inquisiteur ; je n’y avais jamais pensé de cette façon. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Moi, je suis né Jean Meslier et je le suis resté. Je parle ici comme à moi-même, comme dans un de ces soliloques dialogués où on se fait les questions et les réponses, car on est le seul interlocuteur possible. Avec ou sans la chandelle, les nuits sont parfois longues ; ici, dans les Ardennes, certaines heures sont fort vides ; alors, on les comble de pensée. Mais la pensée est très vagabonde et en plus, souvent, elle cherche à avoir raison, à trouver la raison ultime et elle trouve n’importe quoi. Le piège, c’est d’y croire sans y repenser.

On dirait, Monsieur Meslier, qu’à considérer votre vie sur terre, vous ressentez une certaine amertume.

Non, Monsieur l’Inquisiteur, je n’étais pas triste, ni mélancolique, ni amer pour un sou, n’allez pas confondre colère et aigritude[12]. Face à ce monde de mensonges et d’hypocrisie, j’étais en colère, très en colère. Pour tout vous avouer, face au monde actuel, je le suis encore, car les choses n’ont pas vraiment changé : il y a toujours des riches et des puissants qui imposent leur domination aux pauvres et aux faibles afin d’en tirer richesses et avantages. Toujours cette même morgue, toujours cette même arrogance. Sans compter les ersatz de riches et de puissants qui tentent de les imiter et qui se gonflent le cou comme des dindons. Mais voyez-vous, ma colère, car il s’agit bien d’elle, ne m’a pas empêché de vivre.

La colère, oui, Monsieur Meslier, la colère, on la perçoit très bien, mais le bonheur ?

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, certainement, j’ai vécu avec un sentiment de bonheur d’être, d’être là présent au monde, à respirer et penser entre les arbres et les gens et j’aurais volontiers fredonné :

Regardez toujours du côté lumineux de la vie !
Regardez toujours du bon côté de la vie !
(Je veux dire : qu’avez-vous à perdre ?)
(Vous savez, vous venez du néant et vous retournez au néant.)
Qu’est-ce que vous avez perdu ? Néant !)
Regardez toujours du bon côté de la vie ![13].

En clair, on n’a qu’une seule vie, moi, elle me suffisait et je pensais comme Léo Ferré :

On vit, on mange, et puis on meurt,
Vous ne trouvez pas que c’est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements.[14]

Au fait, il me souvient qu’en Italie, Anton Virgilio Savona avait fait une chanson intitulée Il Testamento del parocco Meslier.[15]

On ne dirait pas, Monsieur Meslier, à lire ces écrits qui ont occupé vos dernières années, que vous les ayez passées dans le bonheur.

Là, vous errez, Monsieur l’Inquisiteur ; bien au contraire, j’ai eu la chance, la chance insigne et le bonheur, oui, le bonheur de l’écriture. Entre elle et moi, ce fut une longue aventure amoureuse, ma dernière. C’était comme un beau voyage au goût de moi-même. J’y suis allé, comme on va retrouver une tendre maîtresse jusqu’au dernier soir, le sourire aux lèvres. J’apprivoisais la nuit en la meublant de pensée, de joie et de jouissance. Du reste, si je me souviens bien, j’avais écrit ceci qui me semble conclure heureusement notre entretien de la manière la plus athée qui soit :

Il n’y a plus aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre après la mort ; profitez donc sagement du temps en vivant bien, et en jouissant sobrement, paisiblement et joyeusement, si vous pouvez, des biens de la vie et des fruits de vos travaux car c’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, puisque la mort mettant fin à la vie, met également fin à toute connaissance et à tout sentiment de bien et de mal.[16]

Ainsi, Monsieur Meslier, je ne peux que prendre acte de votre athéisme impénitent comme de votre irréductible tranquillité et vous dire À Dieu.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Jean Meslier, Œuvres complètes. Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier. Préfaces et notes par Jean Deprun, Roland Desné et Albert Soboul, éd. Anthropos, 1970, XXXII. Cependant, le titre complet, choisi par l’auteur, est « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier, prêtre-curé d’Etrépigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes, où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les religions du monde, pour être adressé à ses paroissiens après sa mort et pour leur servir de témoignage de vérité à eux et à tous leurs semblables. ». On lira avec profit la notice que lui consacre Wikipedia : Jean Meslier. ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  5. Yvon Ancelin, Serge Deruette, Marc Genin, Jean Meslier, curé d’Etrépigny, athée et révolutionnaire, Les Cahiers d’Études Ardennaises N° 19 – Société d’Études Ardennaises 2016 – Réédition de l’ouvrage de 2011,280 pages, photos NB. ↑
  6. cf. supra 3. ↑
  7. Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre, Coll. « Opium du peuple », Éditions Aden, Bruxelles, 2008, 415 p. ; Thierry Guilabert, Les aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) ; curé, athée et révolutionnaire, Éditions libertaires, Saint-Georges d’Oléron, 2010, 244 p. ; Jean-François Jacobs, La bonne parole du curé Meslier, Adaptation du Mémoire de Jean Meslier en un monologue théâtral, Éditions Aden, Bruxelles, 73 p. ↑
  8. Le célibat des prêtres est une décision qui remonterait au Concile d’Elvire qui s’était tenu en l’an 306 a.z. (à partir de zéro). ↑
  9. Acopleûse : en wallon de Liège ou de Hesbaye, désigne l’entremetteuse, la marieuse… L’acopleûse était le titre de l’adaptation en wallon par Marcel Hicter de La Célestine – La Celestina, o Tragicomedia de Calisto y Melibea de Fernando de Rojas (1499) – jouée la première fois en 1964, avec Jenny d’Inverno dans le rôle de Célestine. Voir notamment, Marcel Hicter, Cahiers Jeb, 1/83, Bruxelles, 1983, p. 411. ↑
  10. Accabadora : en Sardaigne, le mot désigne une femme chargée (clandestinement) d’aider à la fin de vie ; littéralement, l’accabadora est « la finisseuse ». Voir à ce sujet le roman de Michela Murgia, L’accabadora, traduction Nathalie Bauer, Le Seuil, Paris, 2011, 216 p. ↑
  11. Sur le rôle bénéfique de la sorcière, voir Carlo Levi, Le Christ s’est arrêté à Éboli, édition italienne originale 1945, traduction Jeanne Modigliani, Gallimard, 1977, Folio, 148 p. ↑
  12. Aigritude : le mot existait dans le français médical sous la forme « égritude » ; ici, il s’agit de décrire un « état », caractérisé par une ambiance aigre, une amertume. On aurait pu utiliser tout aussi bien son quasi-synonyme « amaritude ». ↑
  13. Eric Idle, Paroles et musique : Eric Idle, version française – Regardez toujours du côté lumineux de la vie ! – Marco Valdo M.I. – 2012 d’une chanson anglaise – Always Look On The Bright Side Of Life, in The Life of Brian – Monty Python – 1979 ↑
  14. Léo Ferré, Y en a marre, 1967. ↑
  15. Lucien Lane, L’Athéisme dans la Chanson italienne, NL 9, Aba, Bruxelles, 2015 et L’Athée, n°3, ABA éditions, Bruxelles, 2016, p. 177. ↑
  16. Jean Meslier, cf. supra 3, Avant-propos, p. 41. ↑
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La Confession romantique et mystique de Louise Michel

Posté le 9 octobre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession romantique et mystique[1], comme dans les précédentes entrevues fictives [2], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[3]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Louise Michel, née à Vroncourt en 1830, connue comme femme, institutrice, écrivaine, communarde, athée, féministe, anarchiste et déportée. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Louise Michel – essentiellement, à ses Mémoires et à d’autres sources.[4]

Bonjour, Madame ou Mademoiselle, comment faut-il dire exactement ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [5] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Clémence-Louise Michel, née à Vroncourt dans la Haute-Marne, le 29 mai 1830.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Louise. Oui, je suis bien moi-même.

Mademoiselle, dit l’Inquisiteur, je ne peux vous appeler Louise, la chose ne sied ni à mon rôle, ni à mon état. J’espérais que vous diriez un peu de votre jeunesse et de votre attachement à la religion.

Il suffit de demander, mais je ne dirai rien des secrets de ceux qui m’ont élevée dans la vielle ruine de Vroncourt, où je suis née. La mousse a effacé leurs noms sur les dalles du cimetière ; le vieux château a été renversé. Au nid de mon enfance, les chattes s’appelaient toutes Galta ; les chats se nommaient tous Lion ou Raton. L’été, la ruine s’emplissait d’oiseaux. Quelle paix dans cette demeure et dans ma vie ! (M.49-53)

Oui, Mademoiselle, il se dit que vous êtes fille naturelle et que votre grand-père serait votre père.

Et alors ? Enfant, j’étais heureuse, choyée et bien éduquée chez et par mes grands-parents – j’y appris les Lumières. À vingt ans, tout s’écroula.[6] Mes grands anciens étaient morts, alors, on nous chassa pour vendre le vieux château. Le vieil homme Demahis, mon grand-père, était un personnage ironique comme Voltaire, gai et spirituel comme Molière ; il m’expliquait les livres que nous lisions ensemble. Il a laissé un seul poème où il dit vrai :

Ici, tout est vieux et gothique ;
Ensemble tout s’effacera :
Les vieillards, la ruine antique ;
Et l’enfant bien loin s’en ira.

Quant à ma grand-mère, son épouse, ce qu’elle pensait de la mort laissait comprendre ce qu’elle pensait ; on dirait un écho de Lucien et d’anciens philosophes :

Tout est silence et nuit dans la maison des morts.
Plus de chants, plus de joie, où vibraient les accords.
On murmure tout bas, et comme avec mystère.
C’est qu’on ne revient plus quand on dort sous la terre. (M. 57-58)

De ma mère, j’avais hérité de la foi chrétienne. Cette foi qui m’habitait était une mystique qui, attisée par la lecture du livre Les Paroles d’un Croyant de Lamennais[7], m’a conduite par étapes jusqu’à l’anarchie. Je suis partie des vertus chrétiennes de l’espérance et de la charité et je les ai métamorphosées en vertus laïques de justice, de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité.

Les Paroles d’un Croyant de Félicité de Lamennais ? Expliquez-moi un peu, Mademoiselle.

Comme vous le savez, Lamennais avait été un prêtre et un fervent catholique, un activiste, trop sans doute pour rester dans les limites acceptables par l’institution. Il se radicalisa et se mit à prêcher la révolution sociale à partir de l’Évangile et à dénoncer la collusion de l’Église avec les pouvoirs. Il a fini sa vie hors de l’Église et passe sa mort dans la fosse commune du Père Lachaise avec les pauvres et les déshérités. C’est à partir de ses idées que j’ai conduit ma foi vers la Révolution sociale. (M.58-59)

Vous pensez vraiment ça ? dit l’Inquisiteur.

Un journaliste de l’époque [8] disait : « Née dix-neuf siècles plus tôt, elle eût été livrée aux bêtes de l’amphithéâtre ; à l’époque de l’Inquisition, elle eût été brûlée vive ; à la Réforme, elle se fût noblement livrée aux bourreaux catholiques. » (M.43)

Oh, Mademoiselle, nous ne brûlons plus personne. On n’oserait plus. C’est une des conséquences de l’évolution.

À propos d’évolution, au sens de la théorie de Charles Darwin, dans la même préface de 1886, on lisait de la plume de l’éditeur :

Louise Michel n’est pas moins douée intellectuellement qu’au point de vue moral. Fort instruite, bonne musicienne, dessinant fort bien, ayant une singulière facilité pour l’étude des langues étrangères ; connaissant à fond la botanique, l’histoire naturelle – et l’on trouvera dans ce volume de curieuses recherches sur la faune et la flore de la Nouvelle-Calédonie – elle a même eu l’intuition de quelques vérités scientifiques, récemment mises au jour. (M.43)

Mais enfin, Mademoiselle, jeune, vous étiez croyante et bonne catholique. On vous voyait à l’église du village. Sans doute, alors, vous priiez Dieu.

Oh, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse ont de ces innocences ! Elles croient de bonne foi et la vie entière suit son cours. Ce le fut pour ma grand-mère, pour ma mère ; ce ne le fut pas pour moi. Dieu est une idée fausse. (M.423)

Malgré tout, Mademoiselle, on fait de vous des images contrastées et votre défense par votre ami Rochefort me paraît paradoxale : « Louise Michel, cette « sœur de charité » dont l’impardonnable tort est d’être laïque »[9].

Vous savez, cette sœur de charité est une expression désuète : elle date du temps où la religion était encore une référence et je n’ai jamais pensé qu’être laïque ou athée fut un tort.

Mademoiselle, le recteur d’académie de Haute-Marne, Pierre Fayet s’inquiétait de votre évolution vers l’impiété. (M.20-21)

J’ai répondu à Monsieur Fayet (M.423 – 425) que c’est parce que j’ai cru en Dieu dans mon enfance et dans ma première jeunesse que je sens la nécessité d’ôter de l’éducation cette erreur qui la couvre de ténèbres. Je ne pouvais croire longtemps à un Dieu éternellement tyrannique, tourmenteur et injuste. Je ne pouvais manquer de devenir athée, puisque je cherchais la vérité, la justice et l’idéal d’égalité et du développement humain.

Mademoiselle, vous savez toute l’importance du mariage et son caractère sacré et vous ne vous êtes pas mariée. Pourquoi ?

Pourquoi je n’ai pas voulu me marier ? Je vais vous le dire. (M. 424) La femme qui se marie sans amour se vend, et toute prostitution m’a toujours fait horreur ; je n’ai jamais accepté l’inégalité entre l’homme et la femme, je ne pouvais donc accepter le rôle de l’esclave. Ça, c’est la femme que j’étais devenue qui parlait, mais je vous raconte comment enfant, j’avais reçu mes deux prétendants. Voici donc (M. 93-95) : j’ai le souvenir de deux êtres ridicules qui m’avaient demandée à mes grands-parents dès l’âge de douze à treize ans. Le premier voulait « faire partager sa fortune » (qu’il faisait sonner à chaque parole comme un grelot) à une femme « élevée suivant ses principes ». Pour faire court, – il me couvait d’un œil de verre et je lui dis : « Monsieur, est-ce que l’autre est en verre aussi ? » ; il n’eut plus l’envie de faire de moi sa fiancée. Le second avait la même idée de se choisir une fiancée toute jeune et de la faire repétrir comme une cire molle avant de se l’offrir en holocauste. Et dire qu’il y a de pauvres enfants qu’on eût forcées d’épouser un de ces vieux crocodiles ! – Si on l’eût fait pour moi, je sentais que lui ou moi, il aurait fallu passer par la fenêtre.

Il y a en vous, dit l’Inquisiteur, je ne sais quel vent de mysticisme. D’où cela vient-il ?

Enfant, j’ai baigné dans le mysticisme, c’était le monde intérieur de ma tante. Je participais aux offices en jouant de l’orgue, je prenais note des sermons du curé. J’écrivais à Victor Hugo : « J’ai décidé de vouer ma vie à Dieu », mais devenue athée convaincue, je me suis demandé si j’avais vraiment cru. (F.11)[10] Quand on avait du temps de se dire des vérités les uns aux autres, Ferré [11] me disait que j’étais dévote de la Révolution. C’était vrai ! (M.81)

Dévote, mystique, Mademoiselle, comment vous conciliez ça avec votre apostolat révolutionnaire ?

Apostolat révolutionnaire ? En fait, je suis passée d’une mystique à une autre ; j’ai remplacé Dieu et sa promesse d’une éternité parfaite par la Révolution sociale, par la République universelle, dont je pense qu’elle sera la réalisation de l’Anarchie.

Quand donc, Mademoiselle, vous est venue cette idée d’abandonner Dieu et de changer le monde ?

Changer le monde, je l’avais toujours pensé, car si j’ai voulu être institutrice, c’est parce que je suis persuadée que c’est par l’éducation et l’école qu’on fera changer la société. (F.80)

Mademoiselle, vous croyez, vous avez la foi ?

Croire ? Ai-je jamais cru ? J’aimais l’encens comme l’odeur du chanvre ; l’odeur de la prune comme celle des lianes dans les forêts calédoniennes. La lueur des cierges, les voix frappant la voûte, l’orgue, tout cela est sensation. (M. 202). Avoir la foi, pourquoi pas ? La base de la foi, c’est la croyance et la base de la croyance, c’est l’espoir. Le tout est de savoir en quoi se niche l’espoir. Au début, je l’avais mis dans le catéchisme. J’ai cru et j’ai beaucoup espéré ; là était mon espérance : le paradis, Dieu et tout ce tralala. Mais face aux horreurs de toute cette bonté et de cette fausse justice, mon espoir s’est incarné dans la Révolution.

Et selon vous, Mademoiselle, ça mène où votre profession de foi ?

Ma conception de la vie et du monde ignore Dieu (il n’y a pas de place pour un tel faussaire) et elle ne connaît que le tout dans lequel on vit. C’est avec son époque entière qu’on sent, qu’on souffre, qu’on est heureux ; on n’est rien, et on fait partie du tout. (M.102) N’est-ce pas être matérialiste ? Voici le principe : « Tous doivent avoir part au banquet de la vie. » Mais certains – les riches et leurs affidés – s’y opposent, car à leurs yeux, où serait le plaisir de la richesse s’il n’y avait pas à comparer ? (M.131)

Et la mort, Mademoiselle ?

Pour l’être vivant, il n’y a rien après la mort. (M.203) À propos, aimez-vous ma ballade du squelette, que j’écrivis quand j’étais jeune fille ?

Jeune fille, ouvre-moi.
Viens ; j’ai de blanches mains et des amours fidèles
Et j’aurai des éclairs dans mes yeux sans prunelles
Pour regarder encor la reine du tournoi. (M. 106)

À la fin, la jeune fille aime le squelette et le suit dans l’inconnu.

Il me semble, Mademoiselle, que vous prenez la mort par-dessus la jambe.

Vous savez, quand on est passé par Satory[12], la mort est morte ; c’est de continuer à vivre qui est difficile. À Satory, on appelait pendant la nuit des groupes de prisonniers. Ils se levaient de la boue où ils étaient couchés sous la pluie, et suivaient la lanterne qui marchait devant ; on leur mettait sur le dos une pelle et une pioche pour faire leur trou, et on allait les fusiller. (M.168) Personne ne sait quel courage il faut pour vivre. (M.176) Prisons, mensonges et tout le reste ? Que ferait la mort ? Ce serait une délivrance. (M. 155) Dans sa lettre, adressée à sa sœur Marie avant de mourir, Théophile Ferré ne disait pas autre chose. Comment prendre la mort au sérieux ? La mort est une farceuse, elle m’a prise par surprise à Marseille en janvier 1905 dans un hôtel au nom charmant d’Oasis ; j’y étais de passage.

Que pensez-vous, Mademoiselle, du créateur, de la création ?

Si un être quelconque avait inventé la vie, à quelle horrible chaîne on lui devrait d’être attachés ! Je voudrais bien savoir de quoi ceux qui y croient remercient la providence.(M64) J’y substitue une œuvre certainement plus humaine : la nature domptée servira l’humanité, la science ira en avant et, par les chasseurs de l’inconnu, ouvrira la route, abattra les forteresses, forcera tous les mystères où la bêtise nous maintient. (M. 64-65)

Et que dites-vous, Mademoiselle, du pouvoir de la toute-puissance divine ?

Je dis comme le Vieux de la Montagne[13] : Ni Dieu, ni Maître. (M. 300) ; je dis aux amis : que nul d’entre vous ne soit assez fou pour songer à un pouvoir quelconque. (M.288) Les anarchistes se proposent d’apprendre au peuple à se passer de gouvernement comme il commence déjà à se passer de Dieu. J’avais ma place au procès des anarchistes et j’en partage toutes les idées. (M.309)

Vous imaginez ça, Mademoiselle ? L’avenir de l’humanité sans Dieu ?

L’avenir de l’humanité sans Dieu ? C’est le seul possible, car tant que la divinité obscurcira le monde, l’homme ne pourra ni le connaître ni le posséder ; au lieu de la science et du bonheur, il n’y trouvera que la misère et l’ignorance. Bien des hommes m’ont dit, comme la vieille de l’écrégne[14] : « Faut pas parler comme ça, petiote ; ça fait pleurer le bon Dieu. » (M.193-195). Qu’il pleure donc s’il en est capable, mais la pensée, la pensée libre, roulant à travers la vie, se transforme et grandit. L’homme futur aura des sens nouveaux ! Les arts seront pour tous. L’art pour tous, la science pour tous, le pain pour tous ; l’ignorance n’a-t-elle pas fait assez de mal ? Et alors, le troupeau humain sera l’humanité. (M.198)

Mademoiselle, sans vouloir m’immiscer plus avant dans vos autres activités révolutionnaires, il me revient que vous étiez anticléricale et que dans l’école de la rue Oudot, vous professiez les doctrines de la libre pensée.

Au temps de la Commune, au club de la Révolution, j’ai fait voter une adresse demandant la suppression des cultes, l’arrestation immédiate des prêtres, la vente de leurs biens. (M. 359) Mais nous n’avons jamais voulu prendre ces biens pour nous ; nous ne songions qu’à les donner au peuple pour le bien-être. (M.363)

Comme institutrice, reprend l’Inquisiteur, quels étaient les sentiments de morale et de religion que vous cherchiez à inculquer dans le cœur de vos élèves ?

Comme institutrice, la morale que j’enseignais était celle-ci : le développement de la conscience assez grand pour qu’il ne puisse exister d’autres récompenses que le sentiment du devoir accompli. Quant à la religion, elle était abandonnée à la volonté des parents. (M.395)

Vous aviez des idées bien arrêtées en religion, insiste l’Inquisiteur.

Je professais l’abolition radicale du culte et son remplacement par la morale, qui pour moi, se résumait à n’agir que selon ses convictions et à traiter tous les autres et soi-même avec justice.(M.397) Dans la Révolution, il n’y a pas de place pour le prêtre : toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite.

Mademoiselle, dit l’Inquisiteur, vous avez été franc-maçonne ?

En effet, mais pas longtemps. (M.520) J’ai été reçue quelques mois avant ma mort dans la loge « La Philosophie sociale » ; des amis étaient venus me chercher ; ils voulaient se servir de ma notoriété comme d’un levier pour leur propagande, je n’ai pas voulu les décevoir. (F.71) Depuis, d’autres ont fait pareil. On m’a tirée de tous les côtés, mais je l’affirme avec force : jeune, j’étais devenue anarchiste et je le suis restée et qu’on ne me fasse pas dire autre chose.

Vous avez, dit l’Inquisiteur, collaboré à la revue « L’Excommunié – Organe de la libre pensée » et vous y teniez une opinion terrible pour la religion.

N’y parlais-je pas de la condition de la femme et du prolétaire ? J’y voyais la sainte alliance frapper toujours le serf et la femme. Tout se tient dans le vieux monde qui croule et dans le nouveau monde qui émerge. J’admets mon utopisme : c’est le lot de tous les révolutionnaires, avant qu’ils ne finissent par déchoir au pouvoir. J’y parlais en visionnaire et j’anticipais erronément l’heure du triomphe, mais j’y dénonçais la complicité de la religion et du pouvoir. Tyrannie du ciel et tyrannie de la terre, servage du peuple et servage de la femme. Tout se tient : les tyrannies tombent avec les Zeus tonnants de toutes les mythologies. Aujourd’hui, j’ajoute : et elles se relèvent. (M.439)

Mademoiselle, il faudra bien que je croie que vous étiez athée.

Athée, car l’homme ne sera jamais libre, tant qu’il n’aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison. Dieu est une idée, une sorte de pantin sidéral, fils de l’ignorance, un être monstrueux en dehors du monde et de l’homme, un obstacle à son affranchissement. Expulser Dieu du domaine de la connaissance, l’expulser de la société, est la loi pour l’homme si l’humanité entière veut arriver à la science et veut réaliser le but de la Révolution. Demain, on dira : les religions se dissipent au souffle du vent et nous sommes désormais les seuls maîtres de nos destinées. (M. 185) Il faut être athée pour comprendre et vouloir cet avenir-là.

Finalement, Mademoiselle, il me faut vous saluer convaincu que vous êtes à la fois athée et croyante.

Oui, athée, passionnément et croyante, car je crois avec enthousiasme en la Révolution comme d’autres croient en Dieu. Mon idéal était à vingt ans ce qu’il est à présent : l’humanité haute et libre sur une terre libre[15]. (P. 115) Par-delà notre temps maudit viendra le jour où l’homme, conscient et libre, ne torturera plus ni l’homme ni la bête. Cette espérance vaut bien qu’on s’en aille à travers les horreurs de la vie. (M. 164) Ni Dieu, ni Maître !


Notes

  1. Mystique : voir dans l’article Mystique, notamment : Personne qui adhère avec une passion extrême à un idéal artistique, politique, social. Les mystiques de la Révolution. Croyances, doctrines, thèses, idéologies, etc. qui suscitent une adhésion de caractère passionné. Sentiment exacerbé et absolu centré sur une représentation privilégiée et quasi mythique ; p. ext. tout idéal quel qu’il soit. ↑
  2. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot. ↑
  3. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  4. Louise Michel, Mémoires 1886, édition établie par Claude Rétat, Gallimard, Folio, Paris, 2021, 576 p. Pour tout le texte, les indications entre parenthèses (M…) renvoient aux Mémoires à la page correspondant au numéro. ↑
  5. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  6. Voir Le Maitron (Dictionnaire des anarchistes), MICHEL Louise. ↑
  7. Félicité Robert de Lamennais, Paroles d’un Croyant, Renduel, Paris, 1834, 239 p. – un texte de référence du christianisme social en rupture avec l’Église dénoncée comme complice de la tyrannie. ↑
  8. L’Éditeur Roy, Préface de 1886 (des Mémoires), citant Le Figaro, 11 février 1886, note 3, in « Mémoires », Gallimard, Folio, Paris, 2021, p.43. ↑
  9. Sidonie Verhaege, La jeunesse de Louise Michel : enjeux politiques des récits sur les origines d’une révolutionnaire. ↑
  10. Denise Oberlin, Nicole Foussat et collectif GLFF, Louise Michel, une femme debout, Voix d’Initiées, Les Presses maçonniques, Paris, 2012, 104 p. ↑
  11. Voir le Maitron (Dictionnaire des anarchistes), FERRÉ Théophile, Charles, Gilles. ↑
  12. Satory : il s’agit plus exactement du camp d’internement de Satory (près de Versailles). En 1871, le camp de Satory fut le lieu de détention de milliers de communards qui vécurent plusieurs mois sans abri ni soin. Un grand nombre moururent de maladie, de blessures ou furent abattus et inhumés sur place, entre l’étang de la Martinière et le « Mur des Fédérés » où subsiste une fosse commune, à l’emplacement de laquelle une plaque commémorative a été apposée. ↑
  13. Le Vieux de la Montagne : il s’agit d’Auguste Blanqui – Louis Auguste Blanqui, surnommé « l’Enfermé », né le 8 février 1805 à Puget-Théniers (Alpes-Maritimes) et mort le 1er janvier 1881 à Paris, révolutionnaire socialiste français, fondateur du journal Ni Dieu, Ni Maître. ↑
  14. Écrégne (ou écraigne, escraigne) : « L’écrégne, dans nos villages, est la maison, où, les soirs d’hiver se réunissent les femmes et les jeunes filles pour filer, tricoter, et surtout raconter ou écouter les vieilles histoires », Louise Michel, Mémoires, p. 51. ↑
  15. Pierre Durand, Louise Michel, la passion, Le Temps des Cerises, Paris, 2005, 180 p. ↑
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Confession éclectique de Denis Diderot

Posté le 30 mars 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession éclectique, comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Denis Diderot, né à Langres en 1713 – un des auteurs des Lumières. Athée, éclectique, rationaliste, matérialiste, il était d’une infinie rigueur morale, tenant d’une morale naturelle et d’une tolérance absolue vis-à-vis des croyances. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’ensemble de l’œuvre de Denis Diderot et, plus particulièrement, à divers ouvrages qui seront signalés au fur et à mesure de l’entretien.

Bonjour, Monsieur Diderot. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[3] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Monsieur Denis Diderot, né à Langres, le 5 octobre 1713 et baptisé le lendemain en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul de la ville.

Certes, Monsieur l’Inquisiteur, je suis ce Denis Diderot, aîné des six enfants d’un Didier Diderot, coutelier, et d’une Angélique Vigneron, fille de maître tanneur. C’était une famille très catholique.

Vous comprendrez, Monsieur Diderot, je n’ai pas le loisir ni les compétences pour débattre de vos réflexions philosophiques, ni de vous suivre dans vos débats à propos des recherches scientifiques de votre siècle. La seule chose qui m’importe est de cerner votre athéisme, même si, comme je l’espère, vous vous en êtes repenti lors de vos entretiens avec le curé de Saint-Sulpice.

Voilà, Monsieur l’Inquisiteur, une noble mission pour laquelle je vous apporterai tout mon appui, même si les visites répétées du curé de Saint-Sulpice[4] sur la fin de ma vie m’ont mis en garde. On m’a assuré que Voltaire fut l’objet d’un pareil siège et je ne sais si l’opium ne fut pas l’instrument de sa prudente conversion finale.

Monsieur Diderot, vous avez été tonsuré, vous avez porté le titre d’abbé, vous vous êtes marié à l’église Saint-Pierre-aux-Bœufs à Paris et vous avez été enterré en l’église Saint-Roch à Paris. Peut-être vous étiez-vous réconcilié avec le Ciel ? Qui sait ? Ce me semble un parcours de bon catholique.

Monsieur l’Inquisiteur, je vais vous confondre comme la Maréchale qui pensait qu’étant ni voleur ni violeur, je ne pouvais être athée[5]. Quand je fus assiégé par le curé de Saint-Sulpice, qui entendait me faire revenir dans votre troupeau, je n’ai jamais cédé. Je suis mort de bonne humeur ; j’avais pris mon repas méridien et je disais à ma femme : « Il y a longtemps que je n’ai mangé avec autant de plaisir », quand elle vit mes yeux s’éteindre. Et si j’ai été enterré dans une église, avec, à mes côtés, cet autre athée qu’était le baron d’Holbach, c’est que l’argent de Catherine de Russie avait séduit le curé[6]. Mon entourage ne tenait pas à ce que je sois jeté aux chiens, sort infamant réservé aux cadavres d’athées.

Ah ! dit l’Inquisiteur, Monsieur Diderot, on vous disait athée. En admettant que ce soit le cas, si vous étiez actuellement dans un de ces pays sous influence musulmane et qu’on vous menaçait de mort comme infidèle, vous soumettriez-vous aux injonctions du Coran, du Prophète et d’Allah ?[7]

Je n’y manquerais pas[8] ; sans l’ombre d’une hésitation, sans cesser d’être athée. Mon athéisme est une conviction fondée sur un long travail de réflexion et une mise à l’épreuve des faits du monde et de sa réalité ; ce n’est pas une confession, il n’est pas l’objet d’une foi.

Vous dissimuleriez, vous tairiez votre athéisme, en quelque sorte. En cela, demande l’Inquisiteur, ne seriez-vous pas hypocrite ?

Né cinquante ans avant moi, Jean Meslier, par ailleurs curé d’Étrépigny, petit village des Ardennes, qui ne voulait pas risquer d’être sanctionné, pensait de même que moi ; il honora son contrat de travail, fit le curé et se donna le visage d’un bon catholique jusqu’à sa mort ; il révéla son athéisme dans son testament[9] . C’était prudent. Il a fait comme tous les résistants du monde face à toutes les oppressions – à moins d’avoir vocation au martyre. Face aux fanatiques qui pensent qu’un bon athée est un athée mort, je pense, moi, qu’un bon athée est un athée vivant.

Comment peut-on être athée, dites-moi, Monsieur Diderot ?

Monsieur l’Inquisiteur, comment peut-on croire ? La question de la croyance se pose seulement au croyant ; la réponse athée est que ça n’a aucune importance. Dans le réel, tous les êtres vivants sont athées et l’immense majorité ne croit pas ; il se trouve que certains ont un fantasme qu’ils nomment Dieu. Si on veut comprendre le monde, Dieu ne sert strictement à rien et est un obstacle à l’élucidation des choses, des événements, des phénomènes, du chaos. En quelque sorte, sa supposition s’interpose, elle forme écran.

Cependant, Monsieur Diderot, qu’est-ce qui vous a fait ainsi devenir athée ? Serait-ce lié à vos intérêts pour la compréhension des sciences ?

Tout à fait, Monsieur l’Inquisiteur, ça discutait ferme à mon époque : pour ne parler que de chez nous, les croyants en un Dieu chrétien se disputaient entre eux ; les déistes y voyaient un horloger, un architecte ou un ouvrier ; et les athées n’y voyaient rien du tout. Longtemps, j’ai abordé la question de la matière vivante – son apparition, son évolution et sa reproduction – dans le cadre d’une explication créationniste déiste, admise à mon époque. Finalement, ce postulat de l’origine divine du vivant m’empêchait de renoncer à la foi. Or, une expérience biologique m’a fait envisager l’ensemble des phénomènes vitaux à partir des seules propriétés de la matière, en faisant l’économie de toute intervention de Dieu. Le monde était pour moi un univers depuis toujours en autoproduction et même, dirait-on à présent, en autogestion. Je disais ça ainsi : « Qui sait les races d’animaux qui nous ont précédés ? Qui sait les races d’animaux qui succéderont aux nôtres ? Tout change, tout passe, il n’y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque instant à son commencement et à sa fin ; il n’en a jamais eu d’autre, et n’en aura jamais d’autre. »[10]

C’est ce qui vous a conduit à devenir athée ? demande l’Inquisiteur.

Athée ? Oui, je suis devenu athée par étapes. J’ai commencé dans la foi catholique de mes parents – j’ai eu une sœur religieuse, un frère chanoine, moi-même, j’ai été abbé ; puis, j’ai voulu comprendre le monde, le monde physique, naturel, vivant, palpable, intelligible, que sais-je ? Je suis alors passé du Dieu des chrétiens, celui avec sa barbe, ses cheveux longs, ses incompréhensibles péchés, son amour, sa haine, son paternalisme, son patriarchisme, à un Dieu plus rationnel, tenant que « La raison seule fait des croyants » (J, 27)[11], j’étais devenu déiste. C’était très à la mode ; l’Être suprême était un dieu explicatif, un dieu bouche-trou de la connaissance, une sorte de rustine de la science. Impossible de le pratiquer longtemps, je l’ai laissé tomber, c’était une béquille inutile à celui qui marche. Du temps où j’étais déiste, je disais à peu près ceci : « L’Être suprême, sur son penchant à la colère, sur la rigueur de ses vengeances, il serait à souhaiter qu’il n’existât plus, car la pensée qu’il n’y a point de Dieu n’a jamais effrayé personne, mais bien celle qu’il y en a un » (J, 26). Pour en revenir à Dieu : je ne l’ai jamais vu, jamais entendu, jamais rencontré. Aujourd’hui encore, il est aux abonnés absents.

Quand même, athée à cette époque, et surtout, athée proclamé, dit l’Inquisiteur, ce ne devait pas être facile à vivre.

Vous avez raison, Monsieur l’Inquisiteur : athée était une position inconfortable. On ne pouvait pas s’affirmer tel ; il suffisait qu’on vous dénonce pour qu’on vous inquiète. On m’a poursuivi à la suite d’une dénonciation par le curé de Saint-Médard, qui disait notamment : « Diderot, homme sans qualité, demeurant avec sa femme chez le sieur Guillotte, exempt du prévost de l’île, est un jeune homme qui fait le bel esprit et trophée d’impiété. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie, où il attaque la religion. Ses discours, dans la conversation, sont semblables à ses ouvrages. » Deux ans plus tard, on m’enfermait à Vincennes. Lors de mon arrestation en 1749, on m’a intimé de me taire ; j’ai promis « de ne rien faire à l’avenir qui puisse être contraire en la moindre chose à la religion et aux bonnes mœurs. »[12]. À cette condition, j’ai pu être libéré et j’ai autant que possible dissimulé ultérieurement mon athéisme et retardé la publication de certains de mes écrits au-delà de ma mort. L’athéisme révélé aux gens, c’était trop pour le pouvoir. Sous une monarchie de Droit Divin, si vous retirez Dieu, qu’est-ce qui reste comme justification au souverain ? Vous lui enlevez le trône d’en dessous de son cul. Vous êtes un dissident, un dangereux révolutionnaire. Aujourd’hui encore, laisser paraître son athéisme est souvent mal vu. C’est pareil dans toutes les nations et les États qui mettent Dieu dans leur Constitution ou qui mêlent Dieu à la vie publique. La religion est un instrument de domination et de domestication des gens et des populations.

Comment, reprend l’Inquisiteur, votre athéisme se définit-il ?

Monsieur l’Inquisiteur, mon athéisme ne se définit pas, mais je vais vous conter une parabole. J’avais eu connaissance d’une longue discussion[13] entre l’aumônier qui accompagnait Monsieur de Bougainville dans son tour du monde et Orou, un Otaïtien de mes amis. L’aumônier disait : « Ils pèchent contre la loi de Dieu, car c’est ainsi que nous appelons le grand ouvrier ; contre la loi du pays, ils commettent un crime. » Notez que ce religieux, censément catholique, dévoile le droit divin et même, se révèle conciliant avec le déisme. Mais Orou éclaire son athéisme primordial, qui est le mien, en disant : « Ces préceptes singuliers (ceux de la religion), je les trouve opposés à la nature, contraires à la raison, faits pour multiplier les crimes, et fâcher à tout moment le vieil ouvrier qui a tout fait sans tête, sans mains et sans outils ; qui est partout et qu’on ne voit nulle part ; qui dure aujourd’hui et demain et n’a pas un jour de plus ; qui commande et qui n’est pas obéi ; qui peut empêcher et qui n’empêche pas. » Orou se demandait : « Une de ces actions qu’il (le vieil ouvrier) a défendue comme mauvaise, c’est de coucher avec une femme ou une fille. Pourquoi donc a-t-il fait deux sexes ? » (S, 42) Vous voyez dans quelle absurdie ce vieillard barbu nous mène.

Vous y allez fort, Monsieur Diderot, qu’est-ce que Dieu a à voir avec le sexe ?

Beaucoup, Monsieur l’Inquisiteur. Le sexe ? Dieu tient l’homme par le sexe ; il y asservit la femme. Dieu a créé le sexe et s’est empressé d’interdire de s’en servir librement ; Dieu est pour le sexe réglementé. À ce sujet, voici l’agréable mésaventure de l’aumônier – que j’appellerai Jean – lequel était en quelque sorte en pension chez Orou et l’hôte de sa famille. Comme il était d’usage en Otaïti (ce l’est aussi, dit-on, chez les Inuits) d’offrir à l’hôte une compagne pour la nuit, Orou présente à Jean sa femme et ses trois filles, toutes nues, afin qu’il choisisse celle qui lui plairait. Malgré ses réticences (« Mais ma religion ! Mais mon état ! » s’écriait le naïf aumônier), Jean s’active la nuit avec Thia, la cadette et dès l’aube, il est félicité sur le lieu de ses exploits par l’ensemble de la famille (S, 41). Orou, en aparté, lui dit : « Je vois que ma fille est contente de toi, et je te remercie. Mais pourrais-tu m’apprendre ce que ce c’est que le mot religion que tu as prononcé tant de fois et avec tant de douleur ? » (S, 42). De l’avis de Thia, Jean était un homme entier, brave et fort aimable, comme Orou devait le souligner : « Mais, moine, ma fille m’a dit que tu étais un homme et un homme aussi robuste qu’un Otaïtien, et qu’elle espérait que tes caresses réitérées ne seraient pas infructueuses » (S, 68). Et le lendemain soir se présente, auprès de Jean, la puînée des filles d’Orou, Palli, appuyée elle aussi par les supplications du père et de la mère. Et Jean se lance alors bravement dans une nouvelle nuit d’amour ; et le jour suivant se présente Asto, l’aînée et Jean de remontrer ses talents ; puis, sans attendre, le lendemain, arrive la mère, femme de son hôte, que Jean s’obligea à obliger aussi courtoisement que ses filles (S, 69). Toutes se déclarèrent ravies. De retour au pays, Jean jura ses grands dieux qu’il regrettait vivement de n’être pas resté en Otaïti – sans sa religion !, sans son état ! (S, 71).

Monsieur Diderot, dit l’Inquisiteur, on me dit que vous receviez des lettres de ce sulfureux Voltaire ? Et que vous complotiez avec lui contre notre religion et notre État. Qu’en est-il ?

J’ai reçu un jour de Voltaire, à propos de François-Jean Lefebvre, chevalier de la Barre[14], ce jeune homme assassiné par l’intransigeance de la justice qui était, en ce temps-là, odieusement soumise à l’intolérance religieuse, une lettre dont j’extrais ceci : « Cependant le sang du chevalier de La Barre fume encore… et les juges sont en vie. Ce qu’il y a d’affreux, c’est que les philosophes ne sont point unis, et que les persécuteurs le seront toujours.… J’apprends que vous ne vous communiquez dans Paris qu’à des esprits dignes de vous connaître : c’est le seul moyen d’échapper à la rage des fanatiques et des fripons. Vivez longtemps, monsieur, et puissiez-vous porter des coups mortels au monstre dont je n’ai mordu que les oreilles. »[15] Je ne vois là que de la vérité dite par une bonne âme. Et je lui avais répondu : « Illustre et tendre ami de l’humanité, je vous salue et vous embrasse. Il n’y a point d’homme un peu généreux qui ne pardonnât au fanatisme d’abréger ses années, si elles pouvaient s’ajouter aux vôtres. Si nous ne concourons pas avec vous à écraser la bête, c’est que nous sommes sous sa griffe. » Que pensez-vous, Monsieur l’Inquisiteur, de toutes ces manœuvres de prêtres à mon encontre, de ces dénonciations et du silence qui me fut imposé pour le reste de ma vie ? Il est vrai qu’ils ne peuvent plus rien contre moi. Je suis retiré dans les terres d’une alliée puissante et bienveillante, qui m’avait dit :

Ça fait longtemps
Que je t’aime
Et notre hymen à tous les deux
Était prévu depuis le jour de
Ton baptême,
Ton baptême.
Si tu te couches dans mes bras,
Alors la vie te semblera
Plus facile,
Tu y seras hors de portée
Des chiens, des loups, des hommes et des
Imbéciles,
Imbéciles.

C’est là un havre de tranquillité dont on ne se lasse jamais. Et pour ce qui est de la suite des temps, je vous le dis tout net :

O vous, les arracheurs de dents,
Tous les cafards, les charlatans,
Les prophètes,
Comptez plus sur oncle Archibald
Pour payer les violons du bal
À vos fêtes,
À vos fêtes.[16]

Alors, dit l’Inquisiteur, il me faudra conclure que vous voilà athée pour l’éternité.

Eh oui, Monsieur l’Inquisiteur, je suis athée, je l’étais devenu, je le suis resté ; c’est dit, mais je ne cherche nulle part des prosélytes. Je laisse tout un chacun vivre tranquille avec toutes les croyances. Il m’est égal qu’on croie à Dieu ou au Diable, qu’on soit monothéiste, polythéiste, déiste, païen, croyant à quoi que ce soit, même à la théière bleue[17], mais je n’entends pas être inquiété dans ma tranquillité athée par vos envies de convertir les autres. Que chacun garde pour soi ses prophètes, ses préceptes, ses interdits alimentaires et ses mutilations ; abstenez-vous d’en faire profiter les autres et de convertir les enfants, les vôtres y compris. La vie est belle, la vie est courte et il n’y en a qu’une : sachons l’apprécier. Je vous salue bien, Monsieur l’Inquisiteur, avec une dernière citation pour vous et vos semblables :

On vit on mange et puis on meurt,
Vous ne trouvez pas que c’est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements.

Y en a marre[18]


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  4. Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot, par Mme de Vandeul, Texte établi par J. Assézat et M. Tourneux, Garnier, Œuvres complètes de Diderot, I (LXV-LXVII) – notice II. ↑
  5. Denis Diderot, Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de***, GF, Flammarion, Paris, 2009, 107 p. ↑
  6. Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot, par Mme de Vandeul, Texte établi par J. Assézat et M. Tourneux, Garnier, Œuvres complètes de Diderot, I (LXV-LXVII) – notice I. ↑
  7. Dominique Avon, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », dans L’athéisme dans le monde, ABA Éditions, Bruxelles, 2016, 125 p., pp.87-123. ↑
  8. Denis Diderot, Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de***, GF, Flammarion, Paris, 2009, 107 p., p. 64. ↑
  9. Voir à ce sujet notamment : Jean-François Jacobs : « La bonne parole du curé Meslier », adaptation du Mémoire de Jean Meslier en un monologue théâtral, Aden, Bruxelles, s.d., 73 p. ; Serge Deruette : Lire Jean Meslier, Aden, Bruxelles, 2008, 553 p. et Œuvres complètes de Jean Meslier, Anthropos, 1970-72. ↑
  10. Denis Diderot, Le Rêve de d’Alembert, 1769, p. 15.11. ↑
  11. Jean-Paul Jouary, Diderot, la vie sans Dieu Introduction à sa philosophie matérialiste – Livre de Poche, Librairie générale française, Paris, 2013, 238 p. – toutes les citations tirées de cet ouvrage sont marquées (J, numéro(s) de page). ↑
  12. Voir Pièces relatives à l’arrestation de Diderot en 1749. ↑
  13. Denis Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, Belin – Gallimard, Paris, 2011, 128 p., pp. 43-44. – toutes les autres citations tirées de cet ouvrage sont marquées (S, numéro(s) de page). ↑
  14. François-Jean Lefebvre de La Barre (1745-1766 à Abbeville) est un jeune homme français de famille noble condamné à la mort pour blasphème et sacrilège par le tribunal d’Abbeville, puis par la Grand-Chambre du Parlement de Paris. Soumis à la question, il dut faire amende honorable, avant que ces braves chrétiens ne le décapitent. ↑
  15. Correspondance Voltaire –– Diderot à propos du danger que courait L’Encyclopédiste, dans Le Philosophe engagé.16. ↑
  16. Georges Brassens, Oncle Archibald, 1957, in Brassens – Les Chansons d’abord, Livre de Poche, Paris, 1993, 287 p. ↑
  17. La théière bleue renvoie à une réflexion de Bertrand Russell. Voir : La Théière de Russell. ↑
  18. Léo Ferré, Y en a marre !, 1967. ↑
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La Confession rationaliste de James Morrow

Posté le 19 décembre 2020 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession rationaliste, comme dans les précédentes entrevues fictives[1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect James Morrow, né à Philadelphie en 1947 – un des grands auteurs de science-fiction contemporains. Athée, sceptique, rationaliste, il continue son aventure humaine en Pennsylvanie. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’ensemble de l’œuvre de James Morrow[3].

Bonjour, Monsieur Morrow. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Monsieur James Kenneth Morrow, né à Philadelphie, le 17 mars 1947.

Bonjour également, Monsieur l’Inquisiteur. C’est en effet ce qui figure dans le dossier de l’administration de l’état civil où mes parents m’ont fait enregistrer. Exactement, à Germanstown, une ville fondée avant 1700 par des colons venus d’Allemagne, qui avaient fui les persécutions religieuses. Laissez-moi vous dire combien cette curieuse rencontre m’étonne et m’amuse ; c’est comme si je me retrouvais dans une nouvelle de science-fiction. Comme on dit chez vous, « se non è vero, è ben trovato ».

Monsieur Morrow, il semblerait finalement que vous êtes un athée impénitent et assez sarcastique à l’égard de Dieu et de ses religions. Le dossier relève que vous êtes l’auteur d’une impressionnante série de romans à thèse qui tous présentent Dieu sous un angle ironique et destructeur. Il n’y a rien d’étonnant que vous proclamiez votre admiration et votre filiation de Voltaire.

Soit, Monsieur l’Inquisiteur, votre dossier n’a pas tort. Vis-à-vis de Dieu (mort ou vivant), vis-à-vis des dieux de partout et de nulle part, vis-à-vis des religions et des religieux, je me positionnerais dans une prudente retraite, parce que les bûchers ne sont jamais loin, qu’il y a pas mal de fanatiques en liberté et que leur mental n’est pas des plus équilibré. Sous le couvert du secret, je vous avouerais que je me considère comme sceptique et athée. Être discret et secret sur ce qu’on pense est un conseil que je donne aux jeunes filles et aux jeunes gens incroyants ou athées, qui vivent au milieu de croyants. Qu’ils sachent cela ces jeunes que quelle que soit la religion ou la croyance locale, elle finit toujours – dès qu’elle en a l’occasion et les moyens – par persécuter celui qui revendique son indépendance intellectuelle et sa liberté d’individu. Il est dangereux d’être incroyant ou athée du fait même qu’on s’échappe de la doxa commune, qu’on a des pensées dissidentes, qu’on échappe à la comédie envoûtante des maîtres et qu’on s’écarte du troupeau. Les bergers et leurs chiens n’aiment pas ça du tout. Qui dit pensées dissidentes dit danger pour les piliers du système. Je résume la chose par cette antienne : « Au pays des aveugles, les borgnes sont de dangereux intellectuels. »

Vous pensez vraiment ça ? dit l’Inquisiteur.

Certainement, Monsieur l’Inquisiteur. J’insiste : « Au pays des religieux, les athées sont de dangereux intellectuels » et aux yeux des vrais croyants, il convient d’anéantir tous ces mécréants et au besoin, de les éliminer. C’est épouvantablement vrai, car voyez le sort des athées dans les pays, les villes, les quartiers et les communautés sous domination religieuse ! Pour ne pas être accusé de médire ou de calomnier unilatéralement les religions et les prophètes musulmans ou hindous qui assassinent les athées et les incroyants, voyez ce qu’il advint de Giulio Cesare Vanini, auteur des dialogues De Admirandis Naturæ Reginæ Deæque Mortalium Arcanis (Merveilleux Secrets de la nature, la reine et la déesse des mortels), qui y entrevoyait en précurseur les considérations de Darwin sur l’origine des espèces et qui en 1620, finit sur le bûcher à Toulouse en disant : « Allons allègrement mourir en philosophe. Il n’y a ni Dieu, ni Diable ! » ; voyez ce qu’en disait déjà Eschyle dans son Prométhée enchaîné, lequel devait son supplice au fait d’avoir donné à l’homme pour qu’il puisse s’affranchir de Zeus, rien de moins que la connaissance, le feu, le temps, les mathématiques, l’écriture et d’autres savoirs. Autrement dit, d’avoir donné à l’homme la pensée, la raison, la science et les moyens de leur développement et par conséquent, la capacité de se débarrasser de Dieu, de la religion et de tout ce qui s’ensuit. Du point de vue divin, c’était de la haute trahison. Oui, en vérité, je vous le dis, je suis sceptique et athée. À ce sujet, j’aimerais quand même préciser ma position philosophique, car entre l’Europe de culture française et les États-Unis, où je vis, il y a plus qu’un océan et les « fakes » volent en escadrilles.

Je vous en prie, Monsieur Morrow, faites, je n’attends que ça. C’est même le but de notre rencontre : éclairer votre point de vue sur le monde.

Donc, Monsieur l’Inquisiteur, je me décrirai comme un « scientific humanist », un « bewildered pilgrim » et un « child of Enlightenment » ; autrement dit : un humaniste scientifique, un pèlerin égaré et un enfant des Lumières. Disons qu’en français, je me définirais comme un rationaliste scientifique[5] ; j’ai d’ailleurs publié longtemps un blog sous le titre : « The Passionate Rationalist »[6], le rationaliste passionné.

Voilà qui est clair, dit l’Inquisiteur, et qui vous classe en quelque sorte exactement où mon dossier avait envisagé de vous situer. Mais revenons à votre vision du monde, votre Weltanschauung ou votre world view.

De conséquence, Monsieur l’Inquisiteur, enfant des Lumières et du rationalisme, inconditionnel de la science, depuis mes années d’humanités – j’aime beaucoup ce mot d’humanité, il me convient très bien, je dirais même qu’il me caractérise –, ma vision du monde a toujours été « secular », disons séculière, autrement dit, selon moi, laïque et athée. À ce propos, je voudrais rendre à mon professeur de littérature mondiale au lycée d’Abington, Monsieur James Giordano (oui, Giordano comme Giordano Bruno qui mourut sur le bûcher à Rome) ce que je lui dois : mon attachement à la littérature et à la pensée libre. C’était mon âge de raison où j’en suis venu à avoir le sentiment que mes convictions théistes ne tenaient absolument pas compte de la réalité. Le raisonnement chrétien est certes beau et cohérent, mais il se trouve qu’il ne s’applique pas au monde dans lequel nous vivons[7]. C’est ainsi que je suis devenu un athée confirmé et que je pense que, comparé aux options religieuses, le rationalisme qui suivit les Lumières représente toujours le dernier et meilleur espoir de l’humanité[8].

En somme, Monsieur Morrow, vos romans ont suivi votre conversion, dit l’Inquisiteur.

Quant à mes romans, j’aimerais mieux ne pas trop les globaliser, car certains me représentent mieux que d’autres, mais je conseille de les lire et, si possible, tous. Pourtant, si, comme écrivain vivant de sa plume, coincé longtemps par la nécessité éditoriale, j’ai écrit des histoires pour des publics les plus larges possible, il est arrivé un moment où j’ai souhaité faire passer quelque chose de plus, où j’ai senti la nécessité d’affirmer ce pourquoi je voulais écrire.

Là, vous m’intriguez et vous m’intéressez, dit l’Inquisiteur. Si vous pouviez préciser, développer un peu ce point de vue.

Eh bien, voilà, Monsieur l’Inquisiteur. Je départagerais volontiers mes romans en deux périodes : ceux d’avant l’an 2000 et ceux de ce siècle, dans lesquels je relie mon récit et ma réflexion à l’histoire, à l’histoire des idées et à celle de la science, ce qui rejoint totalement mon attachement aux Lumières et à la pensée rationaliste.

Justement, Monsieur Morrow, dites-moi parmi tous vos romans ceux qui ont votre préférence.

Monsieur l’Inquisiteur, parmi tous mes romans, ce sont ceux qui m’ont demandé le plus de recherches, le plus d’études, le plus de lectures, le plus de minutieuses réflexions. Ce sont deux récits fictifs fondés sur des événements historiques : l’un a comme héros l’œuvre d’Isaac Newton, les Principia Mathematica – c’est « Le Dernier Chasseur de Sorcières »[9] (au passage, vous remarquerez qu’encore une fois, c’est une histoire où il apparaît que la pomme a une très grande influence sur le destin du monde) ; l’autre, l’œuvre de Charles Darwin, L’Origine des espèces – c’est « L’Arche de Darwin »[10]. Newton et Darwin sont deux hommes qui ont, volens nolens, emmenés par leurs œuvres, changé le cours des choses et renvoyé tous les dieux au néant, dont à mon sens, ces derniers n’auraient jamais dû sortir.

À quelle forme de littérature vous êtes-vous donc consacré, Monsieur Morrow ? Mon dossier n’est pas très clair à ce sujet.

Ainsi, Monsieur l’Inquisiteur, comme écrivain, au départ, j’avais choisi la fantasy, la littérature fantastique, le monde imaginaire, qui est mieux exprimé par le monde imaginé en lien avec la philosophie rationnelle, car un écrivain ne peut bénéficier d’une telle liberté que dans le cadre apparemment sans prestige de la S.-F. C’est le prix à payer. En franchissant les limites du possible, en entrant dans des mondes imaginaires, on peut mettre à jour certaines vérités. Par exemple, toutes ces histoires concernant la mort de Dieu, l’existence de sa Mère ou de sa Femme, de leur Fils et de leur Fille sont évidemment purement imaginaires et si je les raconte, il ne faut pas en déduire que je crois au surnaturel. En fait, ce sont des contes philosophiques, héritiers d’une tradition qu’on peut faire remonter à la plus haute antiquité, à Lucien et son Âne d’or, par exemple. Vous connaissez Apulée (Lucius Apuleus), écrivain romain d’origine berbère, qui a écrit ce premier roman en prose de langue latine au IIIe e siècle : l’Âne d’Or ou Les Métamorphoses[11] ; c’est le premier roman en prose, mais aussi premier roman fantastique, le premier récit de fantasy[12]. Et croyez-moi, la chose a son importance. Comme le rappelle Marcel Hicter[13], D.-H. Lawrence a écrit : « Le roman est une grande découverte. Bien plus grande que le télescope de Galilée. » La littérature a d’abord et très longtemps été un récit imaginaire, voyez Homère, Dante, Shakespeare, Cervantès, Swift, Voltaire, Cyrano. Ceci est fondamental, du fait que l’éveil de l’imagination entraîne celui de la réflexion, fondement du développement de la pensée et de l’intelligence partagée, qui sont les conditions de la liberté de mouvement intellectuelle, de l’élaboration des sciences, de la mise en cause des dogmes et par conséquent, de l’émancipation de la société et de ses membres.

Pourquoi de telles parodies, pourquoi tant de satire ? demande l’Inquisiteur.

En fait, je pense que la satire est une forme de littérature très sérieuse, car la satire peut mettre les gens en colère et de ce fait, les inciter à réfléchir – évidemment, il y a les irréductibles fanatiques pour qui seule la croyance existe. Il en va de même de la science-fiction que je pratique aussi et ces deux formes littéraires mises ensemble me permettent d’activer les feux de la pensée et croyez-moi, c’est efficacement destructeur des dogmes et des croyances[14] et bien entendu, des pouvoirs abusifs.

Cependant, dit l’Inquisiteur, j’aimerais savoir ce que vous dites de l’âme, de la spiritualité.

L’âme, c’est tout bonnement un gadget, une rustine qui camoufle une ignorance. Quand le lien entre la pensée et le corps sera vraiment compris, s’il l’est jamais, cette connaissance sortira probablement des laboratoires médicaux, pas des élucubrations néoromantiques[15], autrement dit religieuses.

Et alors, Monsieur Morrow, que dites-vous de la mort ?

La mort, j’en ai fait toute une histoire[16]. Vous savez, la mort, quand elle est bien servie, devient une grande et fière religion. Voyez l’Égypte ancienne, voyez le christianisme. (F174) En fait, presque toutes les religions sont nécrophiles. Ceci dit, la mort est une bénédiction. Sans le néant, les humains ne seraient même pas là. Demandez à Charles Darwin : sans la mort, la vie sur la Terre resterait un monde de vase précambrienne, immortel, invariable et ennuyeux. (F183) Pour conclure sur la mort, j’ai décidé d’écrire un livre de blagues avec comme titre : « À mourir de rire » ? (F175)

Et Dieu, quand même, Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Vous savez, au regard de l’histoire du monde, de la Terre et de l’humanité, les dieux sont jeunes, ils n’ont pas plus de cinq mille ans. Quant à votre Dieu, c’est un dieu parmi tous les autres, et on en invente régulièrement de nouveaux ; comme les anciens modèles, ces nouveaux dieux n’existent pas ; c’est juste un jeu de croyances et de croyants ; retirez les croyants, il n’y a plus de Dieu. Dieu ? Il y en a tellement des dieux, même si on s’en tient aux monothéismes. Prenez Amanda, l’éponge, dont je vous informe qu’elle se considère comme Dieu. Que dit-elle ? Elle dit ceci : « Il reste un dernier point de vue qui a mes préférences ; que ce soit moi Dieu ; ce n’est qu’une théorie, mais toutes les données concordent. Suivez bien : sans visage, sans forme, criblée de trous, sans particularités, Juive, indéchiffrable et hermaphrodite, immortelle et infinie. Et j’aimerais bien qu’on me prouve le contraire. »[17] Vos théologies ne disent rien d’autre que « Dieu existe, allez prouver le contraire. » Cette affirmation de l’existence de Dieu, c’est un tour de bonimenteur, une menterie de bonne sœur, c’est une annonce de poker menteur. Un Dieu avec sa religion est une invention amusante, un délire rigolo que j’apprécierais assez, s’il ne servait pas à la domestication des gens. Dans le fond, la religion, c’est une affaire.

La religion, une affaire ? demande l’Inquisiteur.

Une affaire, certainement et fort lucrative. Une bonne affaire pour les religieux, en tout cas. (F207) Car la religion est un vrai commerce et certaines religions sont des multinationales aux dimensions colossales et solidement établies. Ce sont les plus anciennes et les plus tenaces compagnies que l’on connaît. Ce sont aussi des structures politiques – entendons, de pouvoir et de coercition – qui tendent à perdurer bien plus que tous les empires connus. Les religions ont vocation d’accumuler les richesses et à manipuler les populations et aussi les gens au pouvoir. Elles jouent sur les deux tableaux, c’est dans leur nature même.

Et la Bible, les Saintes Écritures, les Évangiles, qu’en dites-vous, vous, Monsieur Morrow ?

Monsieur l’Inquisiteur, c’est de la littérature fantastique, de la fantasy, tout comme les autres livres sacrés ; à peu près toutes les religions se fondent sur des épopées divines toutes plus fantastiques les unes que les autres ; ce sont des miroirs aux alouettes, des récits incantatoires destinés à envoûter, à hypnotiser les gens et de très précieux ouvrages de référence pour les professionnels du prosélytisme dont les entreprises religieuses ont besoin pour s’affirmer et pour se développer. Ce sont des sommes de racontars assez efficaces.

Nous allons en rester là, dit l’Inquisiteur. J’ai assez d’éléments pour conclure et je vous souhaite une bonne fin de journée et que tout aille bien.

Ah, Monsieur l’Inquisiteur, avant de vous laisser, je voudrais vous dire que l’Inquisition n’est plus ce qu’elle était. C’est une chance pour moi, car j’imagine comment j’aurais été traité à votre grande époque et ce que seraient devenus tous mes livres et je visualise avec effroi un chœur d’Inquisiteurs qui tournent autour de moi en chantant comme des enfants : « Tous ses livres au feu et Morrow au milieu ». Sur ce, je vous laisse et saluez Dieu pour moi, si jamais vous le rencontrez.


Notes

  1. . Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley. ↑
  2. . Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. . James Morrow est un auteur dont la bibliographie est assez importante, elle comprend une trilogie qui l’a rendu plus que célèbre La Trilogie de Jéhovah, qui comprend En remorquant Jéhovah, J’ai lu, 1995 (Towing Jehovah, 1994) ; Le Jugement de Jéhovah, J’ai lu, 1998 (Blameless in Abaddon, 1996) ; La Grande Faucheuse, Au diable vauvert, 2000 (The Eternal Footman, 1999) et une série d’autres romans dont Le Vin de la violence, Denoël, « Présence du futur », 483, 1989 (The Wine of Violence, 1981) ; The Adventures of Smoke Bailey, 1983 ; L’Arbre à rêves, La Découverte, 1986 (The Continent of Lies, 1984) ; Ainsi finit le monde, Denoël, « Présence du futur », 458, 1988 (This Is the Way the World Ends, 1986) ; Notre mère qui êtes aux cieux, J’ai lu, 1991 (Only BegottenDaughter, 1990) ; La Cité de vérité, Denoël, « Présence du futur », 530, 1992 (City of Truth, 1990) ; Le Dernier Chasseur de sorcières, Au diable vauvert, 2003 (The Last Witchfinder, 2003) ; L’Apprentie du philosophe, Au diable vauvert, 2011 (The Philosopher’s Apprentice, 2008) ; Hiroshima n’aura pas lieu, Au diable vauvert, 2014 (Shambling Towards Hiroshima, 2009) ; The Madonna and the Starship, 2014 ; L’Arche de Darwin, Au diable vauvert, 2017 (Galápagos Regained, 2015) ; The Asylum of Dr. Caligari, 2017 ; Lazare attend, Au diable vauvert, 2021 (Lazarus Is Waiting, 2020) ainsi que des recueils de nouvelles. ↑
  4. . OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  5. . James Morrow, James K. Morrow, Wikipedia (il existe une traduction française de cette notice biographique : James K. Morrow James K. Morrow). ↑
  6. . James Morrow, Author’s blog, The Passionate Rationalist. ↑
  7. . James Morrow, ITW James Morrow, ActuSF, 31 octobre 2017. ↑
  8. . Ibid. ↑
  9. . James Morrow, Le Dernier Chasseur de sorcières, Au diable vauvert, 2003 (The Last Witchfinder, 2003), La Laune, 686 p. ↑
  10. . James Morrow, L’Arche de Darwin, Au diable vauvert, 2017 (Galápagos Regained, 2015), La Laune, 603 p. ↑
  11. . Lucius Apuleius, L’Âne d’Or (Asinus Aureus) ou Les Métamorphoses, Folio, Gallimard, Paris, 1975, 416 p. ↑
  12. . Marcel Hicter, Apulée, conteur fantastique, Lebègue, Office de Publicité, Bruxelles, 1942, 89 p. ↑
  13. . Ibid, p.6 – Cette double citation de Marcel Hicter se veut un discret hommage à un vieil ami, qui fut aussi un agréable discoureur très au fait des subtilités de la culture. ↑
  14. . James Morrow, interview, ActuSF, 9 avril 2020. ↑
  15. . James Morrow, Cité de Vérité, Gallimard, Paris, 1998, 280 p., p.252. ↑
  16. . James Morrow, La grande Faucheuse, Au diable vauvert, La Laune, 2000, 473 p. ↑
  17. . James Morrow, Notre mère qui êtes aux cieux, J’ai lu, 1991, 383 p., pp. 379-380. ↑
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La Confession romaine de Percy Bysshe Shelley

Posté le 24 novembre 2020 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession romaine, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Percy Bysshe Shelley, né près de Horsham, Sussex en Angleterre – un des grands poètes romantiques britanniques, en rupture totale avec son milieu et avec la société anglaise de son époque. Athée, révolutionnaire et végétarien[3], il se noie à trente ans au large de Viareggio en Toscane, duché de Lucques, qui était à l’époque sous domination autrichienne. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère aux Écrits de combat de Percy Bysshe Shelley[4].

Bonjour, Monsieur Shelley. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[5] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien, Monsieur Percy Bysshe Shelley, né près de Horsham, Sussex en Angleterre en 1792.

C’est en effet un excellent résumé de ma biographie, du moins pour le début.

À vrai dire, Monsieur Shelley, mon dossier aussi vous définit comme athée, mais peut-être était-ce une foucade de jeunesse et que vous avez reconsidéré cette aberration et êtes retourné dans les bras du Seigneur, même si vous n’êtes pas revenu dans le giron de la Sainte Église, car ce serait quand même mieux que d’avoir persisté dans cette irréparable erreur – rendez-vous compte : mourir sans Dieu, c’est finir à coup sûr en Enfer ; c’est ce point-là qu’il me faut éclaircir.

Pour ce qui est des flammes de l’Enfer, j’ai devancé l’appel et je suis monté dans les volutes marines d’un feu de bois aromatisé aux herbes de Toscane. C’était chaud et réconfortant de partir ainsi sous les regards de mes amis Georg Byron, Leigh Hunt et Edward Trelawny. C’est lui, Trelawny, qui en 1823 me fit gagner ma retraite du cimetière du Testaccio de Rome[6]. Quant à finir athée, Monsieur l’Inquisiteur, je le suis resté et assez enthousiaste de l’avoir été et de l’être encore – même mort.

L’avoir été et l’être encore ? Même par-delà la mort ?

Athée perinde ac cadaver, certainement, Monsieur l’Inquisiteur romain. Il y a maintenant plus de deux cents ans quand j’étais étudiant à Oxford, c’était en 1811, j’avais (avec mon ami Thomas Hogg) développé un argumentaire concernant la non-existence de Dieu. Il était intitulé The Necessity of Atheism – La Nécessité de l’Athéisme (C73-83)[7]. Ceci me paraissait avoir définitivement réglé la question et depuis, je n’en ai plus démordu. Je cite de mémoire l’avertissement que j’avais lancé à l’époque : « Dieu n’existe pas ! Par défaut de preuve. [signé] Un athée. » Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir sollicité la partie adverse (C73), mais jamais rien n’est venu contredire ce petit pamphlet, qui dès le départ avait énoncé tout simplement la réalité du monde. Par-delà la mort ? Évidemment ! Pourquoi ? Eh bien, car Percy Bysshe Shelley vit encore dans ses écrits : verba volant, scripta manent – Les paroles s’envolent, les écrits restent ; du moins tant qu’il existera quelqu’un pour les lire. Par parenthèse, et personnellement, je ne parierais pas sur l’éternité.

Soit, Monsieur Shelley, mais voulez-vous détailler un peu votre argumentaire.

Pourquoi pas, Monsieur l’Inquisiteur. Il y a une distorsion, une brèche entre le réel et la croyance qu’un ou des dieux puissent exister. En somme, d’une part, il y a le réel, autrement dit le monde, l’univers, le multivers, le cosmos dans lequel nous vivons et d’autre part, il y a la croyance en on ne sait quelle entité polymorphe et insaisissable, dès lors pratiquement inexistante. D’un côté, le réel, c’est-à-dire quelque chose de tangible, qu’on peut atteindre, qu’on peut vérifier, tester, expérimenter et d’un autre côté, même pas un vide, même pas un néant : rien. Rien, la brèche débouche sur du rien que vous remplissez de croyance. Vous comprenez sans peine qu’il est possible de croire à vraiment n’importe quoi et vous savez pertinemment que les exemples ne manquent pas d’animaux légendaires, d’elfes, de lutins, d’anges, de Pères Noël, de divinités, d’anges, de démons, de monstres, de fantômes, d’ectoplasmes, de mondes imaginaires, tels que ceux de Savinien Cyrano[8] ou le « Disque Monde » de Pratchett[9] (et son fabuleux appendice « La Science du Disque Monde » – fabuleusement athée, comme il se doit)[10] – tous purs produits de l’imagination humaine, inventés ou perçus avec ou sans substances hallucinogènes et tous irréfutables à l’égal des dieux.

Oui, dit l’Inquisiteur, mais si vous vouliez un peu simplifier votre discours, le ramener à ses éléments essentiels. J’insiste, car moi, je dois rendre des comptes en haut lieu.

D’accord, Monsieur l’Inquisiteur, je vais présenter mon argumentaire réduit à l’essentiel[11]; vous verrez, c’est assez simple. Il y a deux possibilités de croire en un ou plusieurs Dieux : soit vous-même vous voyez ou vous entendez, en quelque sorte directement, un ou plusieurs Dieux – de préférence, sans substances éclairantes, alors il se peut que vous vous mettiez à croire en un ou plusieurs Dieux ; soit par peur du vide – comme la nature, vous avez horreur du vide, donc, par peur de ce rien que vous hallucinez, l’idée de croire vous chiffonne et vous cherchez des raisons de croire en Dieu. Dès lors, ces raisons ne peuvent être que des arguments logiques, même s’il s’agit d’une logique carrément biscornue et mal établie ou bien, vous vous en remettez au témoignage ou aux affirmations d’autres personnes – ce qui ne fait que déplacer le problème.

Jusque-là, dit l’Inquisiteur, je vous suis, même si je ne puis marquer mon accord sur une telle démarche intellectuelle qui ose parler de Dieu, de la croyance et de la religion comme de choses analysables. Je vous rappelle qu’il est impie de vouloir pareillement les décortiquer. On ne peut quand même pas éplucher le sacré de pareille façon. Mais revenons à votre argumentaire.

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, je disais déjà dans La nécessité de l’athéisme (C79) que toutes les notions religieuses sont fondées uniquement sur l’autorité ; toutes les religions du monde interdisent l’examen de leur fondement et ne veulent pas que l’on raisonne ; c’est l’autorité qui veut qu’on croie en Dieu ; ce Dieu n’est lui-même basé que sur l’autorité de quelques hommes qui prétendent le connaître et venir de sa part pour l’annoncer aux gens de la Terre. Ce Dieu fait par les hommes a sans aucun doute besoin des hommes pour se faire connaître aux hommes. On se demande bien pourquoi il ne le fait pas lui-même.

Mais, Monsieur Shelley, des siècles de théologie ont apporté des arguments qui cautionnent totalement l’existence de Dieu. Vous les contestez comment ?

C’est exact, des arguments séculaires cautionnent l’existence de Dieu et je les conteste. Premièrement, Dieu doit être une bien misérable chose pour avoir besoin de la caution des hommes pour exister. C’est là une situation ridicule. Mais procédons avec ordre dans l’examen. Donc, Monsieur l’Inquisiteur, on pose généralement la cause première comme argument le plus solide en faveur de l’existence d’une divinité. Ça ne tient pas debout ; il n’y a aucune raison de croire que l’univers ait une cause première ou quand bien même il en aurait une, que cette cause soit une divinité, sans compter la mise en abîme de la cause première elle-même. Pourquoi pas une avant-première cause et ensuite, une avant-avant-première cause ? Et ainsi de suite. Pour ce qui est du témoignage d’autrui, c’est juste reculer pour mieux sauter dans vide ; en quoi, l’opinion d’autrui reposerait-elle sur de meilleures bases que la mienne ? Et quand bien même, il faudrait établir ces bases et discuter de ces bases et non de l’opinion elle-même. Croire sur paroles revient à croire la parole, mais la parole de qui ? À cet égard, je vous rappelle ce principe élémentaire de sémantique générale[12], établi je le concède en votre XXe siècle : « la carte n’est pas le territoire » ; ce qui veut dire aussi que le mot n’est pas la chose et que la parole n’est pas le fait. Là comme ailleurs dans la vie, il faut se méfier des charlatans et des escrocs qui disent, promettent, ne prouvent rien et ne tiennent jamais. Se fier à la seule opinion d’autrui en une matière si sérieuse, ce n’est pas sérieux. La situation est pire encore, si on avance l’hypothèse que la croyance serait une injonction ou un don de Dieu, car là, c’est le serpent qui se mord la queue : croire en un Dieu parce que ce même Dieu a dit de croire en lui, c’est vicieux. Sans compter évidemment qu’un autre Dieu ou plusieurs autres divinités peuvent dire la même chose. Non, vraiment, je ne vois pas de raison de croire en Dieu et en vérité, je vous le dis : croire en Dieu sans raison est déraisonnable.

Décidément, Monsieur Shelley, vous n’y allez pas de main morte.

Allons, allons, Monsieur l’Inquisiteur, prenons votre Dieu. S’il est infiniment bon, quelles raisons aurions-nous de le craindre ? Pourtant, selon ses thuriféraires, il donne lui-même expressément l’ordre comminatoire de le craindre. S’il sait tout, pourquoi l’avertir de nos besoins, pourquoi lui adresser des prières ? S’il est juste, comment croire qu’il punisse des créatures qu’il a lui-même remplies de faiblesses ? (C78-82) S’il est tout depuis toujours, qu’aurait-il pu créer de plus ? Et puis, il est impossible de croire que l’esprit qui imprègne cette machine infinie ait enfanté un fils dans le corps d’une femme. Toutes ces pauvres fables sur le Diable, Ève et l’Intercesseur, avec les enfantillages de Dieu sont irréconciliables avec la connaissance des astres. Des millions de soleils nous entourent, tous accompagnés de mondes innombrables et cependant calmes, réguliers et harmonieux, ne s’éloignant pas les voies de l’inaltérable nécessité.

C’est terrible tout ce que vous dites, Monsieur Shelley.

Oh non, Monsieur l’Inquisiteur, car vous n’avez pas tout entendu ; je ne vous ai encore rien dit de la Reine Mab[13] (C.90-189). La reine Mab est cette reine des fées de la tradition celtique fort célèbre et populaire chez nous ; je lui ai consacré un poème philosophique, dont elle est la protagoniste. En substance, ce poème expose que le passé et le présent sont caractérisés par l’oppression, l’injustice, la misère et la souffrance causées par les monarchies, le commerce et la religion. Pour l’avenir, une utopie émergera. Mab avance deux idées-clés : 1) la mort n’est pas à craindre ; 2) l’avenir offre la possibilité de la perfectibilité. L’humanité et la nature peuvent être réconciliées et travailler de concert et en harmonie, et non l’une contre l’autre. Tout un programme d’avant-garde qui a nourri les espoirs et les luttes des pauvres et des déshérités et contribué à l’édification de la pensée socialiste britannique. Donc, la Reine Mab – entendez moi-même – disait : C’est la nature qui a formé ce monde si beau, qui a répandu l’abondance sur le sein de la terre et qui a accordé la plus petite fibre de vie en un immuable unisson. Et elle dénonçait ceci : ce sont les rois, les prêtres et les hommes d’État qui ont flétri la fleur humaine dans son tendre bouton ; leur pouvoir instille un subtil poison dans les veines exsangues de la société avilie ; des propos spécieux, à l’heure insouciante de l’enfance, obscurcissent le brillant soleil de la Raison ; la force et le mensonge sont suspendus sur l’enfant dans son berceau ; la guerre est le jeu des politiques, le délice des prêtres, l’amusement de l’homme de loi, le métier gagé des assassins ; la guerre est le pain qu’ils mangent, le bâton sur lequel ils s’appuient. De graves hypocrites à la tête blanchie, dénués de toute espérance, de toute passion et de tout amour, soutiennent le système qui est la source de leur fortune. Ils n’ont à la bouche que trois mots : Dieu, Enfer et Ciel ! (C108-111)

Vraiment, Monsieur Shelley, en plus d’être athée, vous ou votre Reine Mab, vous tenez des discours d’une rare virulence, vous êtes un danger, on devrait vous bannir de la bonne société.

Rassurez-vous, Monsieur l’Inquisiteur, c’est ce qui s’est produit ; j’ai passé ma vie en exil. Mais poursuivons ce réquisitoire sur le plan de la morale et des relations humaines. L’état de la société où nous vivons est un mélange de sauvagerie féodale et d’imparfaite civilisation. La morale étroite et obscurantiste de la religion chrétienne ne fait qu’aggraver ces travers. Ce n’est que récemment que l’humanité a admis que le bonheur est le but unique de la science de l’éthique, comme de toutes les autres sciences, et que l’idée fanatique de la mortification de la chair pour l’amour de Dieu a été rejetée. La chasteté est une superstition évangélique, bonne pour les moines. Croyez-moi, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour est libre : promettre d’aimer toujours la même femme n’est pas moins absurde que de promettre de croire au même credo – dans les deux cas, un tel engagement nous exclut par avance de toute vérification. Comme vous voyez, Monsieur l’Inquisiteur, le système actuel ne fait rien d’autre que produire des hypocrites. (C151-154)

Au fait, Monsieur Shelley, comment êtes-vous devenu athée ?

J’étais enfant quand ma mère alla voir brûler un athée. Elle m’y conduisit. Les prêtres vêtus de noir étaient réunis autour du bûcher ; la multitude regardait en silence ; le coupable monte au bûcher, le feu rampe autour de ses membres ; la foule insensée pousse un cri de triomphe, et moi, je pleure. Ne pleure pas, enfant, m’ordonne ma mère, car cet homme a dit : « Il n’y a pas de Dieu ! » Il n’y a pas de Dieu ! L’infini, au-dedans comme au-dehors, dément la création divine. L’orgueil humain invente les termes les plus solennels pour dissimuler son ignorance. La sainteté du nom de Dieu a justifié tous les crimes. Ses noms – Shiva, Bouddha, Jéhovah, Allah, Dieu ou Seigneur –, ses attributs et ses passions varient avec les dupes humaines qui lui élèvent des sanctuaires. Ces noms servent toujours, sur l’univers souillé par la guerre, de mot d’ordre à la désolation ; la terre gémit sous l’âge de fer de la religion et les prêtres osent bégayer le nom de Dieu de paix en faisant de la terre une immense boucherie. (C121-122) Voilà ce qui m’a fait athée : la cruauté et l’avidité de la religion et de ses prosélytes.

Décidément, Monsieur Shelley, je n’irai pas plus loin dans cet interrogatoire, je veux dire, dans cette confession et je ne me vois vraiment pas vous donner l’absolution. De toute façon et malheureusement, nous ne pouvons plus rien pour vous, ni contre vous. Néanmoins, allez-en paix !

Je vous salue bien, Monsieur l’Inquisiteur, et je retourne à mon domicile éternel, qui se trouve être à Rome. Cependant, ma fin et sa suite pourraient vous intéresser. On était en 1822, j’étais parti avec deux amis – le lieutenant Edward Williams et le mousse, Charles Vivian – faire une ballade maritime dans le golfe de La Spezia. Mon voilier, nom prémonitoire s’il en est, se nommait Ariel ; Ariel, un esprit ou d’une fée qui hante La Tempête, la plus italienne des pièces de William Shakespeare ; une pièce tellement italienne qu’on pourrait croire que son auteur était originaire de la Péninsule. Mais passons, ça nous emmènerait beaucoup trop loin, notamment à devoir parler de John Florio[14]. On était au milieu du golfe quand la tempête est arrivée et nous a noyés ; nos corps s’échouèrent sur la côte toscane. Les amis nous incinérèrent sur la plage de Viareggio et ensuite, nous portèrent à Rome. Comme vous le voyez, mon chemin m’a mené à Rome dans ce cimetière acatholique où se regroupent tant d’hérétiques. Depuis, j’ai le plaisir d’y résider en bonne compagnie, avec notamment : John Keats – qui m’y précéda (1821), et par la suite, mon ami Edward John Trelawny (1881) m’y rejoignit, puis, il y a là aussi, Antonio Gramsci (1937), Carlo Emilio Gadda (1973), Amelia Rosselli (1996) et Andrea Camilleri (2019). J’attends avec beaucoup de curiosité les suivants. Et pour répondre à votre inquiétude, je vis ma mort rigoureusement sans aucun Dieu.


Notes

  1. . Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet. ↑
  2. . Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. . En 1886, lors de la première rencontre de la Shelley Society au Botany Theatre, Bernard Shaw aurait déclaré : « I am, like Shelley, a Socialist, an Atheist and a Vegetarian. » – « Je suis comme Shelley, un Socialiste, un Athée et un Végétarien. » – https://ivu.org/history/shelley/shaw-shelley.html ↑
  4. . Percy Bysshe Shelley, Écrits de combat, trad. Félix Rabbe et Philippe Mortimer, éditions de L’Insomniaque, Montreuil, 2012, 286 p. – toutes les références à cet ouvrage sont notées entre parenthèses : C suivi du numéro de la page ou des pages considérées. ↑
  5. . OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  6. . Cimetière du Testaccio à Rome : Cimitero acattolico di Roma. ↑
  7. . Voir note 4 ci-dessus. ↑
  8. . Voir à ce sujet : Savinien Cyrano de Bergerac, in Newsletter ABA (Association Belge des Athées) n°23, décembre 2018 et L’Athée, n°6, Revue de l’Association Belge des Athées, 2019, pp. 161-170. ↑
  9. . Terry Pratchett, Annales du Disque Monde, 41 volumes – au moins ! : ça dépend comment on compte et ce qu’on compte – Éditions françaises L’Atalante (Nantes) et Pocket (Paris) depuis 1993 – entre 15 et 20 000 pages. (à lire et relire – si, si, il y en a qui le font ; moi, par exemple). ↑
  10. . Terry Pratchett, Jack Cohen (biologiste, Université de Warwick), Ian Steward (mathématicien, Université de Warwick) – édition française : La Science du Disque Monde I, 544 p, 2007 ; La Science du Disque Monde II, Le Globe, 496 p., 2009 ; La Science du Disque Monde III, L’Horloge de Darwin, 448 p, 2014 ; La Science du Disque Monde IV, Le Jugement dernier, 432 p, 2015, L’Atalante (Nantes). ↑
  11. . Andrew Copson, Atheism’s aesthetic of enchantment (« L’esthétique de l’enchantement de l’athéisme »), Guardian, 2 avril 2011, London. (Andrew James William Copson, leader humaniste et écrivain né en 1980, est directeur général d’Humanists UK et le président d’Humanists International.) ↑
  12. . Ce principe de sémantique générale fonde une logique non-aristotélicienne et a été proposé et développé par Alfred Korzibsky, voir notamment Science and Sanity, première édition 1933. ↑
  13. . Percy Bysshe Shelley – Queen Mab ; A Philosophical Poem ; With Notes (La Reine Mab ; un poème philosophique ; avec 17 notes), éditeur Percy Bysshe Shelley, London, 1813, 156 p. ↑
  14. . Lamberto Tassinari, John Florio alias William Shakespeare, Le Bord de l’eau, 2016, Lormont (Gironde), 381 p. ↑
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La Confession camique d’Henri Cami

Posté le 17 décembre 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession camique, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Henri Cami, né à Pau en 1884 et mort à Paris en 1958, qui est une des grandes figures du mouvement loufoque et plus généralement, comique du siècle dernier et de l’Histoire – pour la préhistoire sans doute aussi, mais on manque d’éléments de comparaison. De son œuvre d’homme de lettres, on connaît des romans, des pièces de théâtre, des scénettes, des chansons, des opérettes et aussi, comme dessinateur, des caricatures. Malheureusement pour cet interrogatoire, l’inquisiteur n’a pu disposer dans son dossier que de vagues renseignements, mais pour lui, ce n’est pas un inconvénient, il a l’habitude ; au besoin, il invente – l’essentiel étant de satisfaire aux exigences supérieures.

Bonjour, Monsieur Cami. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [3] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien l’écrivain, dessinateur français, « le plus grand humoriste in the world », disait Charlie Chaplin.

D’abord, Monsieur l’Inquisiteur, juste une question, pour y voir clair : êtes-vous juste Pape ou juste inquisiteur ou les deux ? Vous avez un étrange patronyme, mais, comme qui dirait, adapté à votre emploi. Pour moi, c’est plus net : je suis juste Pierre Louis Adrien Charles Henry Cami, fils d’un voyageur de commerce et grand comique voyageur moi-même. Et voyez comme est la vie, je voulais être matador prestigieux et j’ai fini matamore loufoque. Ensuite, j’ai gagné ma vie comme journaliste comique, disons plutôt chroniqueur et écrivain, car j’ai beaucoup écrit et publié[4]. Pour ce qui est de Charles Chaplin[5], vous êtes bien renseigné. Il est vrai qu’il me prenait pour le plus grand humoriste du monde et j’ajouterais d’outre-monde. Quand il est venu d’Amérique à Paris, pour la première fois, il n’a eu de cesse de me rencontrer. Quand il y est arrivé, on est tombé dans les bras l’un de l’autre. C’était très émouvant, mais l’ennui, c’est qu’on ne pouvait pas se comprendre sans un intermédiaire, sauf par gestes évidemment.

Voyons, Monsieur Cami, procédons dans l’ordre et avec précision. Vous êtes bien né à Pau en 1884 et mort à Paris en 1958.

Oui, comme Henri IV, je suis né à Pau et mort à Paris. Comme vous le savez, la Mort farce et attrape ; moi, la Mort m’avait rattrapé – par les basques – dans mon domicile parisien du 14, rue Étex. Rue Étex, voyez-vous ça, quelle coïncidence loufoque, une rue qui porte le nom d’un de mes émules : le grand comédien comique Pierre Étaix – « était », car il n’est plus non plus. Nous avons eu tous les deux, mais moi bien avant lui, une carrière inaboutie de comédien-comique-incompris, sérieux et paré d’un solide costume noir. Je traitais la Mort par le mépris et tel le Fils des Trois mousquetaires[6], je défiais le sérieux par le rire, je roulais le sacré dans la farine. Ma parenté, ma descendance cinématographique est plurielle et internationale ; vous avez dû en entendre parler : Charlot, Buster Keaton, Harold Lloyd, Laurel et Hardy, les frères Marx, Toto, Jacques Tati et bien d’autres encore.

Trêve de plaisanterie, Monsieur Cami, vous ridiculisez la Mort, vous vous moquez, vous blasphémez tout, même le plus sacré ; vous n’êtes que dérision des choses les plus sublimes et vous avez créé ce P.C.I. qui était tout à fait licencieux.

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai créé le P.C.I., cependant entendons-nous bien, il ne faut pas vous égarer, c’était le Petit Corbillard Illustré, un périodique qui se riait de la Mort. C’était une publication d’intérêt professionnel destinée aux croque-morts. Il avait son succès chez les gens du métier, mais cet organe quasi-officiel des pompes funèbres est mort après six numéros. C’est pourtant, dans toute l’Histoire, le seul journal qui ne reconnaissait pas les Immortels ; chose qui n’a pas plu non plus à l’Académie. Pour distraire ces familiers de la tombe et du cercueil, j’avais créé une clique : « Les Amis de la Bière, fanfare des croque-morts » ; on n’a pas goûté sa musique. En substance, j’étais un animateur des pompes funèbres, je mettais du plaisir dans le deuil, je combattais la Mort par la joie[7]. J’avoue volontiers tout ça et je dirais que j’en suis fier. Tenez, j’ai – en 1911 – lancé le concours du plus bel enterrement avec des concurrents fameux, dont : Émile Loubet, Président de la République ; Pie X, Pape ; François-Joseph, Empereur d’Autriche-Hongrie, Guillaume, Empereur d’Allemagne, Nicolas, Empereur de Russie. Malheureusement, ils ont tous déclaré forfait.

Bref, Monsieur Cami, vous aviez vis-à-vis de la Mort, cette exigence divine, cette fin sublime imposée par Dieu, cette sanction sacrée du péché originel, des attitudes et des intentions ironiques, irrespectueuses et pour tout dire, irréligieuses, peccatrices et blasphématrices.

Ah oui, la Mort !, Monsieur l’Inquisiteur, vous osez dire que je ne la respectais pas. Comment pouvez-vous soutenir ça ? C’est absurde. D’abord, je vous ferai remarquer que comme pour votre Église, c’est en quelque sorte, l’objet de mon commerce. En vérité, je vous le dis : La Mort est « corps bizness ».

Ainsi, Monsieur Cami, vous êtes l’auteur véritable d’une pièce qui se gausse rudement de la Sainte Église en s’en prenant à une de ses figures les plus respectées : Monseigneur Félix-Antoine-Philibert Dupanloup, évêque d’Orléans, chaud partisan de l’enseignement catholique, auteur de « Lettres sur l’éducation des filles et sur les études qui conviennent aux femmes dans le monde »[8]. Dans cette œuvre théâtrale, vous reprenez les éléments de la célèbre chanson Le Père Dupanloup[9], faisant passer le vénérable homme d’Église pour un champion quasiment olympien de la pornographie, se livrant à ses généreux exercices dans son berceau, à l’Institut, à l’Opéra, en wagon, en ballon, à Zanzibar, à la Bérésina, à la cuisine, à la prise de la smala, dans un tonneau, à l’Assemblée, au Vatican et jusqu’au paradis. Au fait, Monsieur Cami, je vous dispense de me chanter cette rengaine, je la connais.

Certainement, Monsieur l’Inquisiteur, je suis l’auteur de cette pièce au titre évocateur « Père Dupanloup ou les Prodiges de l’Amour »[10], dans laquelle mon alter ego, le dénommé Fêlure, alias au théâtre : Férule – le bien nommé –, fustige les productions faisandées des théâtres parisiens ; ce qu’on appelle communément le vaudeville ou le théâtre de boulevard. Comme tout ce théâtre moderne n’a plus d’autre sujet que l’amour physique et la peinture de nos instincts les plus bas et de nos passions les plus bestiales, j’ai adapté à la scène les exploits prodigieux du Père Dupanloup, ce formidable héros de notre nation gauloise. Je vous ferai remarquer au passage que si l’on se souvient encore du Monseigneur, c’est à cause des exploits du Père qui sont sur toutes les bouches de la jeunesse de France. Il paraît qu’en Belgique, c’est le très Saint Nicolas[11] qui accomplit de pareilles prouesses. En ce qui me concerne, vous comprendrez, Monsieur l’Inquisiteur que le passage que je préfère, c’est quand Dupanloup et Saint Nicolas sont dans leur cercueil.

Voilà-t-il pas maintenant, Monsieur Cami, que vous moquez le grand Saint Nicolas et dès son berceau jusque dans son cercueil et même au-delà, encore bien. Peut-être qu’en cherchant un peu vous mettrez également en scène burlesque l’un ou l’autre saint passage de la Bible ? Il me semble que j’ai entendu parler des filles de Loth[12], le noble vieillard qui sous l’injonction du Seigneur dut fuir de Sodome. Comment expliquer vous ça ?

Oh, Monsieur l’Inquisiteur, la chose est toute simple. Comme vous n’êtes pas sans le savoir, Loth, sa femme et ses deux filles fuyaient la ville maudite de Sodome quand Madame Loth s’est malencontreusement retournée et fut changée en statue de sel. Loth, dans sa grande douleur, chaque jour embrassait la statue de sel et plus il l’embrassait, plus il avait soif et plus, il se désaltérait – de vin. Mais si on en croit la Bible, les Loth se retrouvèrent père et filles, seuls humain(e)s encore vivant(e)s. Alors, les filles afin de perpétuer l’espèce n’eurent d’autre solution que d’user de leur père par le vin assoupi et la cadette concluait ainsi[13] :

C’est notre seul moyen pour avoir des enfants.
La race d’Abraham, avant tout, doit survivre !
Et puisque le vieux Loth, toutes les nuits, est ivre,
Il nous faut profiter de son égarement,
Nous glisser dans son lit, tour à tour, chastement,
Et l’inciter d’une main pieuse
En vraies filles respectueuses
À retrouver soudain un restant de vigueur
Pour que, sans le savoir, il fasse
Le geste qui devra perpétuer la race :
Le geste auguste du Semeur ![14]

Je vous ferai simplement remarquer que je n’ai fait – en donnant la parole aux filles de Loth – qu’éclairer d’un jour nouveau cet épisode particulier de la Bible et du Coran. Entre nous, il se trouve dans ces livres sacrés d’autres épisodes tout aussi scabreux.

Il ne vous reste plus, Monsieur Cami, qu’à vous en prendre directement au Seigneur comme le fit ce Jarry et sa Passion considérée comme une course de côte[15].

Si ce n’est que ça, Monsieur l’Inquisiteur, je vous signale que j’ai publié, en quelque sorte comme la suite de ce remarquable reportage cycliste, une vraie histoire d’un ressuscité aux prises avec les croque-morts qui viennent de l’enterrer. C’est un peu théâtral, mais un miracle qui ne serait pas théâtral ne serait pas connu et de ce fait, pas reconnu. À la différence de la résurrection aussi ancienne que légendaire que certains témoignages par ouï-dire, sans doute pieux, mais peu dignes de foi, ont rapportée des années plus tard, celle que je raconte est contemporaine et mon ressuscité, à peine sorti de son cercueil, chante comme un bienheureux à ses deux anges-gardiens-croque-morts, qu’il a invités, pour qu’ils se remettent de l’émotion du miracle, à prendre un verre à son bistrot habituel :

« Messieurs, quand je ressuscite
Je prends la cu, je prends la cu, je prends la cuite. »[16]

Comme vous le devinez, il y a là une allusion à la Dernière Cène et au fameux : « Ceci est mon sang ».

Il semble même, Monsieur Cami, toujours selon mes informateurs, que déjà en 1910, dans votre petite publication, vous vous en preniez à Mohamed et me dit-on, vous concluiez à la folie de cet estimable prophète.

En effet, Monsieur l’Inquisiteur. Cependant, il me semble que la chose devrait vous plaire s’agissant d’un représentant d’une secte concurrente de votre Église. En y repensant, cette histoire – elle s’intitule « Les Rats »[17] (il s’agit de vrais rats, comme vous le verrez) – est vraiment terrifiante. Je vous la résume : Mohamed a su sa femme infidèle. Mohamed exerce sa vengeance. Mohamed enterre sa femme vivante, mais debout et seule la tête de la malheureuse dépasse du sol ; Mohamed la saupoudre abondamment de fromage râpé, puis viennent les rats qui font un grand festin et pas seulement de fromage. Alors, Mohamed est devenu fou et c’est ce qu’il avait de mieux à faire. Telle est la terrible conclusion. C’est une histoire très morale, un peu rude, mais beaucoup moins que de nombreux passages des livres saints ; et puis, je ne fais que conter un récit, une chose imaginaire, ce qui est très différent de la réalité brute des bûchers et des autres exactions religieuses.

Monsieur Cami, je vous somme de me répondre devant Dieu : est-ce que votre « Vierge quand même » ne serait pas une allusion à l’Immaculée Conception de la Mère du Seigneur ?

Oh, Monsieur l’Inquisiteur, tout est dit dans les Évangiles. Cette Immaculation, c’est la faute d’un ange qui est passé, paraît-il ; dans nos campagnes, on disait que c’était le facteur et à New-York, ils évoquent le plombier. Enfin, moi je veux bien croire que vous croyez – et même, je vous comprends ; parfois, pour garder sa place, il vaut mieux dire qu’on croit ; pour le reste, en soi-même, dans son for intérieur, on pense ce qu’on veut ; entre nous, vous par exemple, vous pourriez très bien être athée, mais, croyez-moi, si vous tenez à votre emploi, gardez secrète votre conviction, restez un athée discret. Nonobstant, au sujet de tous ces récits nébuleux, ma grand-mère disait toujours : « Dépêche-toi de croire celle-là, sinon on t’en fera croire une autre. De force ! » C’est comme cette histoire du Paradis et d’Adam et Ève.

Oui, justement, dit l’Inquisiteur, parlez-moi de ce que vous avez raconté du Paradis et de nos père et mère originels.

Eh bien, autant vous dire tout de ce drame biblique, de cette histoire de feuille de vigne et de paradis. [18] Comme dans la légende religieuse, les acteurs sont Dieu, des anges, le serpent, Adam et Ève. Dieu a nanti Adam et Ève d’une feuille de vigne pour tout vêtement. Vous voyez où elle est placée, Monsieur l’Inquisiteur ? Ou dois-je préciser ? Enfin, c’est le point important, l’élément essentiel : Dieu interdit d’enlever la feuille de cet endroit (entre nous soit dit : « Bravo l’hygiène ! »). Le serpent, la chose est prévisible, entend bien contrarier les plans divins. Il va user d’un stratagème scientifique, un peu comme firent les Australiens quand ils ont introduit la myxomatose pour se débarrasser des lapins ; il va remettre à Ève, avec une petite explication mensongère, une boîte contenant des insectes d’une espèce spécialisée : le phylloxera. À peine libérés par Ève sous la couette, ces petits animalcules s’empressent de manger ce qui se trouve à leur portée ; en l’occurrence, les feuilles de vigne. Au matin, le Dieu suspicieux et jaloux qui surveille tout découvre le pot aux roses et s’encolère beaucoup. À la suite de quoi, Dieu punira la femme impudique et l’homme complice en envoyant le phylloxera dévorer les vignes du monde entier. Et cet implacable ennemi du vin sévit encore.

Là tout de même, Monsieur Cami, vous n’avez pas épargné de vos sarcasmes notre bonne Inquisition. Laissez-moi vous dire que notre Inquisition peut être magnanime avec ceux qui la comprennent et qui l’aident dans sa lourde tâche de combattre l’hérésie. Pour ceux-là, elle recommande à l’Église la plus grande indulgence envers le coupable ; mais elle peut aussi être très sévère avec ceux qui s’en prennent – même avec humour, cette arme fatale et perverse du grotesque et du loufoque – à notre Très Sainte et Très Sérieuse Institution. C’est de cette façon que nous considérons votre pièce comme une attaque pernicieuse contre nos Magistrats qui sont les voies de Justice du Seigneur lui-même. Vous avez bien écrit un drame de l’Inquisition, n’est-ce pas ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, je ne saurais le nier. J’ai écrit et publié une pièce en quatre tableaux, intitulée : « Un Drame de l’Inquisition »[19]. Un vrai drame pour l’Inquisition puisque le condamné en réchappe à toute vapeur. Je résume les faits : un cul-de-jatte est poursuivi comme hérétique en raison du fait qu’il ne croit qu’à moitié. Prenant de vitesse ses poursuivants (les limiers de l’Inquisition) et sa potentielle condamnation au bûcher, il se fait ignifuger. C’est le tableau I de la pièce. Au tableau II, le tribunal de l’Inquisition, par la voix du Grand Inquisiteur, condamne le cul-de-jatte aux supplices successifs de l’eau et du feu. Le tableau III, c’est le supplice de l’eau ; on entonne cinquante litres dans le pauvre homme. Le supplicié exprime sa gratitude et remercie le bourreau pour cet excellent lavage d’estomac, que le médecin lui avait recommandé. Le tableau IV se conclut sur la fuite du cul-de-jatte-dans-sa-chaise-roulante, transformé en machine à vapeur par les cinquante litres d’eau filtrée du supplice et les flammes du bûcher.

Bien entendu, Monsieur Cami, vous pouvez toujours dire que tout ça, ce ne sont que des histoires et des histoires pour rire au soleil ou sous la douche, peu importe finalement. Pour ma part, je retiens ce que disait votre préfacier Michel Laclos[20]. Je le cite : « … l’humoriste ne respecte pas grand-chose. Ni la mort…, ni la vie…, ni les beaux et bons sentiments qu’ils soient d’ordre familial, d’ordre religieux voire patriotique. Le rire fait passer le poison. » En l’affaire, l’humoriste, c’est vous assurément. Je dois constater que vous ne respectez pas les beaux et bons sentiments d’ordre religieux et envisagée de cette façon, la chose n’est plus drôle du tout. Toutes ces anecdotes anodines, toutes ces histoires sans histoire sont à mes yeux et plus encore, à ceux de ceux qui sont plus haut et dont nous dépendons tous, des indices d’une forma mentis, d’une conformation de l’esprit que je qualifierai volontiers d’hérétique. Il ne manquerait plus que vous vous moquiez directement du Tout-Puissant, mais heureusement pour vous, on m’a signalé que vous avez eu l’heureuse idée de recueillir ses mémoires et d’établir en quelque sorte, sa biographie. Ce sera l’objet de notre prochain entretien que ces mémoires de Dieu le Père[21].

Je vous remercie très chaleureusement, Monsieur l’Inquisiteur, de votre attention. Je reviendrai vous voir et ensemble, nous entendrons donc la confession de Dieu le Père. Ainsi soit-il !


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi. ↑
  4. On n’a pas de bibliographie complète de Cami, mais ce qui s’en approche le plus est la notice Wiki consacrée à Pierre Henri Cami, qui ne recense qu’une (petite) partie de ses publications. ↑
  5. Cami, Les Exploits galants du Baron de Crac, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 188 p., p.p.9-10. ↑
  6. Cami, « Le Fils des Trois Mousquetaires », Pour lire sous la Douche, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 245 p., p.p. 147-154. ↑
  7. La Mort par la joie : allusion de Cami au mouvement Kraft durch Freude (KdF, en français La force par la joie), organisation de loisirs de l’État nazi ; un slogan fort proche de la fameuse devise : Arbeit macht frei !, qui ornait l’entrée des camps. Par ailleurs, Cami est l’auteur de la conjugaison du verbe nazir : « Je nazis, tu nazis, il nazit, nous nazillons, vous nazillez, ils nazillent ». ↑
  8. Félix Dupanloup, Lettres sur l’éducation des filles et sur les études qui conviennent aux femmes dans le monde, éd. C. Douniol, 1879. ↑
  9. Pour la chanson « Le Père Dupanloup », voir notamment PereDupanloup/TtZobologie.pdf ou la version de Pierre Perret et son interprétation. ↑
  10. Cami, Dupanloup ou les Prodiges de l’Amour, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 202 p., p.p. 11-34. ↑
  11. Pour la version « belge » de Saint nicolas, voir « Saint Nicolas », in Codex Studiorum bruxellensis. ↑
  12. Cami, Les Exploits galants du Baron de Crac, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 188 p., p.p.123-127. ↑
  13. Ibidem, p.125 Voir notamment le tableau de Noël Coypel – Loth et ses filles. 1707. Musée de Rennes. ↑
  14. « Le geste auguste du Semeur » : en bon libre-exaministe, je ne résiste pas à souligner tout le sel de l’expression en cette acception. ↑
  15. Alfred Jarry, La Passion considérée comme Course de Côte, in Le Canard Sauvage, 11-17 avril 1903. ↑
  16. Cami, « Résurrection », Pour lire sous la Douche, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 24 p., p.p. 159-166. ↑
  17. Cami, « Les Rats », Vierge quand même, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 180 p., p.p. VII-X. ↑
  18. Cami, « Le Paradis perdu ou Ne touche pas à ma Feuille de Vigne », Dupanloup ou les Prodiges de l’Amour, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 202 p., p.p.83-86 ↑
  19. Cami, « Un Drame de l’Inquisition », Pour lire sous la Douche, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 245 p., p.p.97-101 ↑
  20. Michel Laclos, préface de Cami, Pour lire sous la Douche, Jean-Jacques Pauvert, Paris, 1972, 245 p., p.15 ↑
  21. Cami, Les Mémoires de Dieu-le-Père, Éditions Baudinière, Paris, 1930, 302 p. ↑
Tags : athée athée discret athéisme Cami camique comique confession loufoque mort pompes funèbres

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