La place Saint-Pierre à Rome, vide de monde

Dieu est tout-puissant… mais le coronavirus l’est encore plus !

Jean-François Jacobs

La place Saint-Pierre à Rome, vide de monde

La place Saint-Pierre à Rome, vide de monde

Quelques mois après le début de l’épidémie en Chine, la crise liée au Covid 19 est désormais internationale, personne n’y échappe et partout sur la planète, une consigne prédomine : le confinement. Des milliards d’êtres humains sont invités, parfois manu militari, à rester chez eux, à éviter les déplacements inutiles et surtout les attroupements. Aujourd’hui, se faire la bise, s’assoir sur un banc à côté d’un inconnu, se réunir en groupe, est désormais considéré comme un acte délictueux qu’il faut réprimer. Au nom de quoi ? Au nom de quoi ? Au nom de la science ! De la science qui nous informe, qui nous dicte ce qu’il faut faire si l’on veut rester en vie… La science parle et l’on se tait. Et Dieu dans tout ça ?

Pouvons-nous affirmer que le temps de la punition divine, du moins en mode grand public, est derrière nous ? C’est le credo de cet article…

Il fallut attendre que l’épidémie mute, se transforme en pandémie. Il nous fallut du temps pour prendre au sérieux ce virus, qui inexorablement allait occuper tout l’espace et toutes les pensées. Au commencement, donc, dans le brouhaha du « on dit tout et n’importe quoi », une voix, pourtant d’habitude si volubile, n’avait point d’échos. Comme le souligne l’historienne Anne Morelli

L’épidémie n’a pas été gérée en Europe au gré de forces invisibles. Le divin a quitté le domaine épidémiologique, signe de la sécularisation de notre société[1].

Bien entendu, il y a les irréductibles, les durs des durs, les derniers des mohicans, ceux qui n’en démordent pas et qui préféreraient mourir (ils sont en passe d’y arriver) plutôt que de ne pas user de l’option fourre-tout Dieu, comme cette ministre du Zimbabwe, Oppah Muchinguri, qui n’a pu s’empêcher de déclarer « Le coronavirus est l’œuvre de Dieu qui punit les pays qui nous ont imposé des sanctions »[2] ou encore ce rabbin Mazuz qui s’est laissé aller à un « le coronavirus est une punition divine à cause de l’homosexualité », en n’oubliant pas de nous expliquer avec clairvoyance que « les pays arabes ne sont pas en train de souffrir de cette maladie… et les cas qu’on a vus en Iran s’expliquent par la haine qu’ils ont envers Israël »[3]. Récupération politique ou idéologique, recherche du buzz, ceci restait des exceptions qui laissaient à penser, en ce début de crise, qu’un nouveau paradigme allait s’imposer : « je crois encore en Dieu, mais je pense que je vais suivre les conseils de mon médecin… » Les préceptes divins ne font plus office de loi, ils passent au second plan. Les croyants prient toujours pour les bontés divines, mais rares sont ceux qui s’indignent de l’interdiction des différents rites religieux. La direction de la Grande Mosquée de Bruxelles a décidé de fermer les lieux de culte le jour de la prière du vendredi sans y être obligée, pour le bien de ses fidèles. Les évêques belges, eux aussi, n’y allaient pas de main morte en recommandant à leurs fidèles de ne pas utiliser l’eau bénite[4], parce que le miracle a ses limites… En bon rationaliste qui se respecte, on aurait envie de leur dire : « Encore un petit effort et l’on finira par être d’accord ».

Caramba, encore raté ! On pouvait s’y attendre, ils n’allaient pas lâcher le morceau aussi facilement. Après un silence prudent, les multiples représentants des diverses obédiences, sortirent – chassez le naturel, il revient au galop – l’artillerie de la parole divine, du sacré, cet éternel antibiotique, pour préserver notre santé et nous garantir un salut qui ne serait pas un adieu.

Petit tour d’horizon :

Mgr Aillet, évêque de Bayonne nous prévient : « Dieu utilise les peines qui nous frappent et nous blessent pour que nous en tirions des leçons de conversion et de purification », alors que dans un autre folklore, l’Imam de Brest, Rachid Eljay, nous assure que « toute personne qui dit ces paroles (les invocations) trois fois le matin et trois fois le soir, aucun mal ne le touchera », tandis que Hani Ramadan proclame que le coronavirus est la conséquence du fait que « les hommes se livrent ouvertement à la turpitude, comme la fornication et l’adultère »[5]. Son frère Tariq appréciera.

Les leaders religieux juifs ultra-orthodoxes, malgré les directives du gouvernement, n’ont pas voulu fermer les établissements qui prodiguaient l’enseignement de la Torah. L’éminent rabbin Chaim Kanievsky a soutenu cette démarche en affirmant que « suspendre l’étude la Torah, même pour un seul jour, était un plus grand risque pour la survie du peuple juif que la propagation du nouveau coronavirus »[6]. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur la pertinence de fermer les écoles alors que le pape François a demandé « à Dieu de mettre fin à l’épidémie de sa main »[7], en espérant qu’Il les a bien lavées.

En Iran, Jaafar Ghafouri, militant d’une branche du chiisme rejetant la République islamique, apparaît dans une vidéo en train de lécher la tombe de l’imam Réza à Machhad, en déclarant « Je mange le virus afin de vous rassurer et que vous continuiez de venir au mausolée. »[8]

Ces quelques exemples ne sont que de la poudre aux yeux, des épiphénomènes qui n’arrivent pas (plus) à nous masquer la réalité du terrain. Jaafar Ghafouri s’est fait arrêter[9]. En Israël, dix personnes qui voulaient se rendre à la synagogue pour prier se sont fait embarquer par l’armée[10]. Partout dans le monde, les célébrations religieuses sont interdites de public… Lors de ce week-end pascal, vide est la place Saint-Pierre de Rome, vide est le Saint-Sépulcre à Jérusalem et à ce moment même où je vous écris, l’esplanade de la Kaaba à la Mecque est désertée.

L’équation est assez simple à comprendre, plus il y a de religieux, moins il y a de science et plus il y a de morts. C’est factuel et malgré la dissonance cognitive qui habite le cerveau des « croyants », voici encore un peu d’eau au moulin du bon sens.

Selon les médias locaux israéliens, la moitié des malades sont issus de la communauté ultra-orthodoxe, qui représente environ 10% de la population[11]. À New York, certains quartiers ont été davantage touchés par le coronavirus, ceux où se concentrent des communautés de juifs hassidiques[12]. Les religions – comme disent les chrétiens, du verbe religare – a pour principe de relier les fidèles entre-eux et c’est cette pratique de base qui aujourd’hui les conduit sur le chemin inéluctable de la mort :

En Malaisie, le point-chaud du coronavirus est une mosquée à Kuala Lumpur, où plus de 16 000 croyants se rassemblent pour prier. La cérémonie s’est ainsi achevée par la contamination de centaines de personnes. En Corée du Sud, la moitié des cas de coronavirus peut être reliée à une cérémonie religieuse ayant eu lieu à l’Église Shincheonji de Jésus.[13]

Alléluia, voici venu le moment où même les croyants (si l’on excepte donc ceux qui n’ont que ça dans leur vie) trouvent normal de ne plus donner à leur religion la primauté des décisions réellement importantes. Voici venu le temps où les États théocratiques s’en remettent aux discours scientifiques et font fi de leurs illusions dogmatiques. Ceux-ci et ceux-là vont-ils pousser plus en avant leur réflexion ? À quoi cela sert-il de servir un Dieu qui n’aurait plus aucun pouvoir sur nous ? Faut-il croire au destin ou aux vaccins ? Si Dieu le veut ? Mais Il ne le peut ! Comme je l’ai dit déjà, la prière a encore la cote, mais là aussi, cela ressemble plus à une supercherie intellectuelle destinée au prêchiprêcha de la bonne conscience plutôt qu’à une conviction gravée dans le marbre. Qui se dit encore : « zut, zut, j’ai oublié de prendre mon médicament, vite, vite, une petite prière… »

Avant que ce maudit virus ne vienne bouleverser nos habitudes, il était devenu presque impossible de critiquer les religions sans risquer d’être taxé de raciste, parce qu’il est raciste de s’en prendre à une minorité surtout si celle-ci est stigmatisée… Le politiquement correct acceptait la critique religieuse, à la condition d’y aller avec des pincettes, de ne pas vexer ceux qui y croient car dans l’urne, une voix est une voix… Le coronavirus, lui, n’y va pas avec le dos de la cuillère, il tue, il contamine, il ne débat pas. Il fait interdire sans se faire contredire. La vérité, dans notre société postmoderne, se voulait relative, changeante au gré des points de vue. La maladie, ne l’est pas, relative. Tu l’as ou tu ne l’as pas et pour ne pas l’avoir, ou pour ne pas en propager le fléau, tu dois respecter les consignes. Que tu sois juif, catholique, musulman ou non-croyant, tu respecteras, à la lettre, le confinement. La vérité n’est pas multiple, celui qui dira : « Oui, mais quand même, quoi ! chacun son avis après tout, s’il a envie d’une grande fête avec ses amis, il y a bien le droit, non ?… » se fera lapider.

Non, ton individualité, ta croyance ne fera pas de l’ombre à l’humanité…


Notes

  1. https://www.lalibre.be/debats/opinions/le-coronavirus-fleau-de-dieu-5e78e2239978e22841382fdc (La Libre).
  2. http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200317-zimbabwe-une-ministre-qualifie-le-coronavirus-punition-divine-contre-les-occidentau (RFI).
  3. https://lecourrier-du-soir.com/un-rabbin-juif-derape-le-coronavirus-est-une-punition-divine-a-cause-de-lhomosexualite-dit-il/ (Le courrier du Soir).
  4. https://www.rtbf.be/info/regions/detail_coronavirus-la-priere-du-vendredi-annulee-a-la-grande-mosquee-du-cinquantenaire-a-bruxelles-jusqu-a-nouvel-ordre?id=10453828 (RTBF).
  5. https://charliehebdo.fr/2020/03/religions/une-petite-priere-pour-lutter-contre-le-coronavirus/ (Charlie Hebdo).
  6. https://charliehebdo.fr/2020/04/religions/coronavirus-dieu-facteur-de-contamination-massif/ (Charlie Hebdo).
  7. Ibid.
  8. https://www.nouvelobs.com/societe/20200302.AFP3928/le-nouveau-coronavirus-rouvre-le-debat-entre-science-et-religion-en-iran.html (Nouvel Obs).
  9. Ibid.
  10. https://www.rtbf.be/info/monde/detail_israel-de-nombreux-ultra-orthodoxes-respectent-la-religion-pas-le-confinement?id=10475567 (RTBF).
  11. https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-les-juifs-orthodoxes-d-israel-defient-les-regles-resultat-les-contaminations-explosent?id=10473207 (RTBF).
  12. https://www.letemps.ch/monde/ravages-coronavirus-chez-juifs-hassidiques-new-york (Le Temps)
  13. Charlie Hebdo, op.cit. (v. note 6).