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La Confession radioactive de Marie Curie

Posté le 31 octobre 2023 Par ABA Publié dans Religion Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession radioactive[1], comme dans les précédentes entrevues fictives [2], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[3]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Marie Curie, née à Varsovie, en Pologne, alors sous domination russe, connue comme chimiste et physicienne. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à la biographie[4] ainsi qu’à d’autres sources[5].

Bonjour, Madame Curie. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [6] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Marie Skłodowska-Curie, née le 7 novembre 1867 à Varsovie (en Pologne) et morte le 4 juillet 1934, à Passy (Haute-Savoie – France).

Oui, je suis Marie Skłodowska-Curie, ou simplement Marie Curie, née Marya Salomea Skłodowska, le 7 novembre 1867 à Varsovie (royaume de Pologne, sous domination russe) et morte le 4 juillet 1934 à Passy, au sanatorium de Sancellemoz (Haute-Savoie), physicienne et chimiste polonaise, naturalisée française par mon mariage avec le physicien Pierre Curie en 1895. Je suis la cadette de cinq enfants. Nous étions quatre filles : Zofia, Bronislawa, Helena et moi et un seul garçon : Jozef.

Est-ce bien vous, Madame Curie, qui avez obtenu pour vos recherches deux prix Nobel ?

Oui, mais il faut préciser les choses. En 1903, avec Pierre Curie, mon mari, nous avons obtenu ensemble le prix Nobel de physique pour nos travaux sur les radiations : un prix qui fut partagé avec le physicien Henri Becquerel. En 1911, j’ai reçu le prix Nobel de chimie pour mes travaux sur le polonium et le radium. Ce qui fait que je suis la première femme à avoir été honorée du prix Nobel et jusqu’aujourd’hui, la seule femme à en avoir reçu deux et qui plus est, la seule personne à avoir été récompensée dans deux domaines scientifiques distincts : la physique et la chimie.

Finalement, vous êtes née en Pologne ou dans l’Empire russe ?

Je suis née dans le royaume de Pologne qui était, comme d’autres fois dans son Histoire, sous domination russe. C’est un des grands drames de la Pologne d’être régulièrement envahie par les uns ou par les autres. Donc, permettez-moi un peu d’humour. Je suis venue au monde sous le règne du célèbre Roi Ubu et comme lui, je dirais en Pologne, c’est-à-dire nulle part[7]. C’est du moins l’impression que les gens avaient de notre pays : un nulle part, mais c’est archi-faux. Sous cette apparence de néant, il y avait un monde très civilisé, très éduqué, très cultivé et très résistant face à l’impérialisme russe et à la politique de russification du pays et de ses populations ; c’est de cette Pologne-là que je suis issue. Le russe était obligatoire et le polonais interdit d’usage public ; à la maison, on parlait polonais et maman et papa nous faisaient connaître les contes et les poètes polonais. À l’école, on suivait un programme polonais clandestin : ces « études germaniques » enseignaient la littérature polonaise et la « biologie » enseignait l’histoire de la Pologne – le tout en polonais.

Je comprends l’importance de tout ça, mais ma mission consiste essentiellement à examiner votre rapport à la religion, à la foi et à Dieu.

Certainement. Tout d’abord, pour ce qui est de la religion, elle était intrinsèquement liée à la nationalité polonaise, donc catholique, et à la forte résistance à tout ce qui était russe ou lié à la Russie, laquelle en matière religieuse était orthodoxe. Comme Polonais, on était forcément catholique. Dans ce débat, Dieu se trouvait au deuxième plan puisque s’il y avait deux religions, elles étaient toutes deux chrétiennes et elles avaient le même Dieu. Quant à la foi et à la croyance, ce sont des choses qui mettent en jeu des sentiments, qui génèrent d’autres engagements plus individuels, plus personnels et, comme vous le savez, pas nécessairement toujours très profonds, ni très sincères, ni très effectifs.

Justement, vous étiez catholique, mais concrètement, aviez-vous une pratique religieuse ?

Bien sûr, dans ma jeunesse, en Pologne, j’étais une catholique fervente. Avec ma cousine Henrietta, on allait tous les dimanches à l’église, on connaissait parfaitement notre catéchisme et on a fait notre communion ensemble. Chaque soir, il y avait la prière. Je priais beaucoup pour ma mère tuberculeuse. Sa mort, quand j’avais dix ans, m’a plongée dans une longue dépression jusqu’à mes seize ans où on m’envoya me reposer un an à la campagne dans la partie austro-hongroise de la Pologne. Lors de ce séjour, je me suis beaucoup amusée : on était tout un groupe de jeunes et on allait ensemble à la messe le dimanche pour rencontrer les deux jeunes curés, des personnages très drôles. C’était la fête et le carnaval et la danse, c’était ma jeunesse et je l’ai aimée follement. Croyez-moi, il est bon d’avoir vécu un été aussi fou dans sa vie.

Oui, j’imagine, il faut bien que jeunesse se passe. Mais ensuite ?

Holà, pas si vite ! Monsieur l’Inquisiteur. Mes parents étaient des enseignants ; maman était institutrice ; papa enseignait les mathématiques et la physique et son esprit diffusait chez nous une ambiance où les sciences et la rationalité scientifique occupaient une place très importante, d’autant qu’à ce moment soufflait sur la Pologne clandestine un vent de positivisme. Ainsi nous, mes sœurs et moi, on voulait faire des études, continuer à apprendre. À Varsovie, on suivait les cours de l’« Université Volante » clandestine et pour les femmes du peuple, on organisait des lectures polonaises qui avaient pas mal de succès en ces temps où il n’y avait ni radio, ni télévision et où l’illettrisme était fort répandu. Comme faire des études supérieures était interdit aux femmes, la seule possibilité était de partir à l’étranger. Dans la famille, nous parlions français et pour nous, au-delà de l’horizon, il y avait la France et Paris, où vivaient les exilés politiques polonais. Ma sœur aînée Bronia m’y précéda pour y faire des études de médecine ; je l’ai rejointe quelques années plus tard. En attendant de pouvoir aller étudier à Paris, j’ai exercé dans la campagne polonaise les fonctions d’institutrice dans une famille fortunée – une anecdote à ce sujet qui pourrait vous intéresser : la vieille Nania racontait au petit Stas de trois ans et demi que Dieu était partout et le petit de répondre : « Est-ce qu’il va m’attraper ? Est-ce qu’il va me mordre ? » – et j’ai passé ainsi trois ans au milieu des betteraves, où j’ai tout appris sur l’industrie sucrière et je me suis initiée à la chimie. En parallèle, j’organisais des cours pour les enfants de paysans. Pour la religion, ma conduite était exemplaire, j’allais à l’église chaque dimanche et aux fêtes.

Dites-moi, Madame Curie, comment ont évolué votre foi et votre attachement à Dieu et à la religion ?

Je me souviens très bien du moment où j’ai rompu avec Dieu et la religion ; j’étais encore en Pologne. Suite à la mort de ma mère en 1878, la réalité de la condition humaine m’est clairement apparue : ni Dieu, ni salut ne se cachent dans le néant. C’est alors que j’ai abandonné la religion, Dieu et la foi.

À partir de là, quelle a été votre vie ?

Poussée par ma volonté, comme aussi ma sœur m’incitait à la rejoindre pour suivre les cours de la Sorbonne et obtenir une licence en sciences, j’avais pris la décision de partir en France. En quittant la Pologne, j’ai laissé Mania, qui était mon petit nom familier, et je suis devenue Marie pour le reste de ma vie. J’ai laissé Mania imprégnée de religion catholique, qui se souvenait d’avoir été quelque temps avant encore croyante et adonnée aux rites et j’ai trouvé Marie, femme de raison, de sciences et sans Dieu. C’est l’époque où la France laïcise son enseignement et où mon esprit acharné se voue à la science. C’est ainsi que s’est creusé plus encore le gouffre avec la religion et où je me suis détachée de Dieu.

Donc, vous avez poursuivi votre vie en France.

Venant de ma Pologne catholique, je suis arrivée en France à 23 ans pour m’immerger dans l’océan de la science et de la raison. J’ai rencontré le physicien Pierre Curie et nous nous sommes mariés en 1895 à la mairie de Sceaux, sans cérémonie religieuse. Du reste, Pierre était libre-penseur comme son père, un homme à l’esprit ouvert et moi, j’avais depuis longtemps arrêté de pratiquer la religion catholique de mon enfance. C’était un mariage simple, sans tralala, même pas un échange d’anneaux. Pas de costume spécial pour Pierre, pas de robe de mariée pour moi. Pas de photo non plus, juste un acte civil. Mon père était venu de Varsovie avec une de mes sœurs ; il y eut un dîner, une partie de boules et ensuite, Pierre et moi, on partit pour notre voyage de noces faire un périple à bicyclette dans la région proche de l’Île-de-France. Ce fut un mariage heureux : nous partagions tout de nos jours et de nos nuits : la vie intime, mais aussi, notre passion pour les sciences, nos travaux, notre goût de la nature, des longues promenades à pied ou à bicyclette ; de plus, on travaillait ensemble et nous nous sentions très heureux. Entretemps, on avait eu la joie de voir venir au monde notre fille Irène, qui m’accompagnera tout au long de ma vie et prolongera notre engagement scientifique ; puis de sa cadette, Ève, musicienne, écrivaine, journaliste, la seule à déroger à notre tradition scientifique.

Quant à la science, les sciences, les prix Nobel, l’uranium, le polonium, le radium, la radioactivité et toutes ces sortes de choses que nous avons élaborées en commun avec Pierre, tout cela faisait partie de notre univers. Pour les détails de ces travaux, je vous renvoie aux ouvrages qui y sont consacrés.

Du jour du mariage le 26 juillet 1895, durant quasiment onze ans, jusqu’à sa mort en 1906, rien n’est venu nous séparer, Pierre et moi. Cependant, à sa mort tragique, malgré l’immense détresse que j’ai ressentie, je n’ai pas eu ne fût-ce que l’idée d’en appeler à Dieu. Avant de poursuivre, laissez-moi vous conter une anecdote qui m’a bien fait rire et qui vous donnera une idée de l’orientation d’esprit de Pierre, que je partageais entièrement. Au moment de la séparation de l’Église et de l’État, Pierre, qui recevait le Président de la République en notre laboratoire, lui dit : « Puisque votre Gouvernement doit désaffecter les églises, on ne saurait mieux faire, en ce siècle scientifique, que de les transformer en laboratoires. Un petit morceau de Notre-Dame me suffirait. »

Cela dit, j’aimerais bien vous parler de quelque chose que j’ai fait de ma vie.

Bien, certainement, faites !

Durant la Grande Guerre, celle de 14-18, j’ai bataillé ferme pour mettre mes découvertes au service des victimes de cette immense boucherie.[8] Que pouvais-je y faire ? Je ne pouvais pas être un poilu, c’était exclu. Je ne pouvais pas être militaire, me mêler directement à la bataille. J’ai donc choisi de faire ce que je savais faire : mettre au service des victimes mes connaissances et mon savoir-faire. À l’époque, la radiologie n’était pas répandue et ses utilisations potentielles mal connues, les équipements n’existaient quasiment pas, ni le personnel formé à cette technique appliquée au domaine médical et à la chirurgie. Bien sûr, je n’étais pas médecin, mais à ceux qui soignaient les blessés, les traumatisés, je pouvais amener cette nouvelle technologie qui permettait de voir et de situer précisément – un apport capital pour la chirurgie – à l’intérieur des corps meurtris, les dégâts dans les poumons gazés, les chairs déchirées, les viscères touchés, les os brisés, les morceaux de métal perdus : les éclats d’obus, les balles. Cependant, en plus de convaincre de l’utilité de la radiologie, il fallait également rassembler et créer le matériel adéquat et les produits radioactifs, mener le tout au plus près des lieux de guerre ; il fallait aussi en montrer par l’exemple l’utilisation – et donc pratiquer nous-mêmes sur place. Pour cela, j’ai mis au point un véhicule laboratoire, mené par mon chauffeur-mécanicien-assistant avec lequel nous avons été au front et j’y ai conduit ma fille Irène, encore adolescente, qui resta des mois dans un hôpital belge du côté d’Ypres à faire tourner le laboratoire et à former du personnel. J’ai passé la guerre à développer ces équipements et ce service. Je pense qu’ainsi, on a pu aider à soigner et peut-être sauver bien des gens.

Oh, Madame Curie, seriez-vous restée chrétienne, on vous aurait béatifiée, on aurait fait de vous une sainte.

Je n’ai pas besoin de ce genre de reconnaissance, ni d’aucune. J’ai simplement fait ce que je pensais le mieux. C’est tout ce qu’on peut exiger de soi, c’est aussi la seule chose qui peut apporter un peu de bonheur. Que chacun file son cocon, sans demander pourquoi et à quelle fin.

Soit. Cependant, j’aimerais connaître votre point de vue sur la religion et bien entendu, Dieu.

Eh bien, examinons la religion et Dieu. La religion, ce sont des tas d’opinions contradictoires. Les chrétiens notamment croient – ou peut-être en sont-ils revenus – que l’univers est vieux de quelques milliers d’années. Les hindous croient que l’univers est infini, qu’il va de créations en disparitions, suivies de recréations et de nouvelles dissolutions en un cycle sans fin. Tout cela, les croyants le tiennent de leur Dieu ou plus exactement, de leurs dieux. Tous ces dieux semblent avoir dit des choses fort différentes et les religions se contredisent formellement entre elles. Dès lors, pour ceux qui voudraient croire, la question est : laquelle a raison ou plus sûrement, lesquelles ont tort ? À mon avis, les religions se trompent toutes.

Ah, mais quand même, vous ne pouvez mettre en cause toutes les prophéties.

Pourquoi non ? Elles sont tellement floues, tellement vagues, invraisemblables et intangibles. Si au moins, c’étaient des prophéties précises et vérifiables, telles celles proposées par une de mes lointaines collègues[9]comme « Le Soleil est une étoile » ; ou bien, « Un corps en mouvement tend à conserver le mouvement » ; ou « Tu ne voyageras pas plus vite que la lumière ». Voilà qui, il y a des milliers d’années aux temps où la science ne les avaient pas encore établies fermement, aurait fait de belles prophéties. Et si Dieu voulait se faire voir des humains, pourquoi n’a-t-il pas mis en orbite autour de la Terre un Crucifix gigantesque ? Ce serait là une réplique divine à la théière céleste de Bertrand Russell. Pourquoi votre Dieu si présent dans vos livres est-il si absent du monde réel ? Je vous accorde qu’il en va de même pour tous les dieux.

Et donc, pour vous, Dieu n’existe pas ?

Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Dieu existe bel et bien dans la tête de certaines gens qui veulent y croire et nulle part ailleurs. Le seul endroit où un dieu ou plusieurs peuvent exister et prospérer, c’est dans le cerveau des gens qui y croient. Le mécanisme est le suivant : le besoin de croire naît d’un sentiment d’insécurité et se doit de trouver un objet auquel appliquer la foi ; cet objet qui doit être sacré, c’est Dieu ; la foi en Dieu engendre le Dieu en question, et en retour, l’idée que Dieu existe renforce la foi. Le nombre des croyants augmente la puissance du Dieu et de la religion, puissance qui en retour augmente la force de la foi. Comme vous le voyez, on tourne en rond et on n’en sort plus. Mais un million d’erreurs ne font pas une vérité ; ça fait juste une erreur renforcée par le nombre.

Tout compte fait, Madame Curie, vous êtes bien une athée, même si vous n’en faites jamais publiquement état.

Je suis en effet discrète vis-à-vis de la religion et de Dieu. Je suis passée d’une foi chrétienne enracinée dans l’attachement à la patrie polonaise à une solide et sereine laïcité athée qui trouve sa cohérence et sa raison dans la démarche scientifique. J’ai la conviction que l’athéisme est une pensée pour soi-même. Je la pratique quotidiennement, mais je n’essaye pas d’en convaincre les autres, ni de les y convertir. Mon athéisme, je le tiens par devers moi et pour moi. Je n’ai aucun sens du prosélytisme et je suis persuadée que l’athéisme est son propre maître ; l’athéisme est sa propre loi et il l’applique de sorte qu’il se propage par lui-même. L’athéisme n’a pas besoin d’ostentation, il va de soi. La découverte de l’athéisme ressemble à la découverte de la pensée scientifique. L’athéisme n’est pas une fin, c’est le début d’une exploration de la vie. J’ai pensé que c’était la bonne voie et comme l’écrivit à mon propos Albert Einstein : « Une fois qu’elle a reconnu une certaine voie comme bonne, elle la suit sans compromis et avec ténacité. » J’ai donc persévéré dans mon athéisme, si discret qu’il n’en existe aucune trace dans les biographies qu’on m’a consacrées.

Madame Curie, je ne peux m’empêcher d’éprouver une certaine tristesse de vous savoir égarée dans cet athéisme par trop matérialiste si loin de la beauté de la foi de votre jeunesse.

Je ne vois pas en quoi reconnaître que le monde est matière et professer la science et l’athéisme pourraient être une cause de tristesse. N’allez pas voir là une chose triste et sans beauté. Un peu avant ma mort, je disais ceci, qui donne le sens à ma vie :

Je suis de ceux qui pensent que la science est d’une grande beauté. Un savant dans son laboratoire n’est pas seulement un technicien ; c’est aussi un enfant placé en face de phénomènes naturels qui l’impressionnent comme un conte de fées. Nous devons avoir un moyen pour communiquer ce sentiment à l’extérieur ; nous ne devons pas laisser croire que tout progrès scientifique se réduit à des mécanismes, des machines, des engrenages qui, d’ailleurs, ont également leur beauté propre.[10]

L’athéisme établit la grandeur et la petitesse de l’homme et il est le fondement nécessaire de l’être humain sur lequel il se construit et vice versa. Voilà, à mon sens, la voie de l’athéisme.


[1] Radioactive et même radieuse : à plus d’un titre, à la fois en raison du caractère et du tempérament de Marie Curie, mais aussi, évidemment, en raison de son « invention » du radium et de sa très longue proximité avec lui.

[2] Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Terry Pratchett

[3] Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).

[4] Janine Trotereau, Marie Curie, Folio Biographies, Gallimard, Paris, 2011, 356 p.

[5] Notamment : Irène Joliot-Curie, Marie Curie, ma mère, Plon, Paris, 2022, 103 p.

[6] OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.

[7] Comme disait Alfred Jarry lors de la présentation de sa pièce UBU ROI, au Théâtre de l’Œuvre à Paris en 1896.

[8] Marie-Noëlle Himbert, Marie Curie. Portrait d’une femme engagée 1914-1918. récit, Actes Sud, Arles, 2014, 220 p.

[9] Il s’agit de Ellie Arroway, une scientifique astrophysicienne, personnage centrale (ben quoi, on doit féminiser !) du roman Contact de Carl Sagan. Voir notamment pp 215 sq. Carl Sagan, Contact, Pocket, Paris, 1997, 570 p.

[10] Janine Trotereau, op.cit., p.295

Tags : athéisme dieu foi humanisme Marie Curie mort Pologne polonium Prix Nobel radioactivité radium religion science

L’Église Universelle du Royaume de Dieu colonise l’Afrique[1]

Posté le 15 juin 2023 Par JF Publié dans Religion Laisser un commentaire
Yves Ramaekers

Il ne s’agit pas ici de faire l’histoire, ni la chronique d’une religion : l’objectif est de dégager une image de la façon dont un mouvement religieux tend à s’étendre jusqu’à s’approprier des parties du monde et dans l’idéal, la planète entière. C’est un discours sur la méthode dont s’opère pareil kidnapping terrestre et là s’arrête notre ambition. On veut attirer l’attention sur la continuelle résurgence de pareilles tentatives ; en quoi l’aventure de l’Église Universelle du Royaume de Dieu[2] est éclairante.

Petit glossaire préalable ou ce dont on parle 

L’Église Universelle du Royaume de Dieu est originaire du Brésil ; son nom originel en portugais est Igreja Universal do Reino de Deus, en abrégé : EURD[3] ou UNIVERSAL ; elle est aussi appelée Centre d’Accueil Universel ou Centre d’aide spirituelle[4]. C’est une Église pentecôtiste brésilienne qui se dit chrétienne évangélique charismatique. Elle a son siège à São Paulo, au Brésil ; son fondateur et dirigeant est Edir Macedo Bezerra[5]. Conçue dans les années septante du siècle dernier, elle se structure en Église en 1977. À partir de là, elle se développe rapidement et vers 1990, elle essaime en Amérique, y compris aux États-Unis, en Europe[6] et en Afrique où elle a trouvé un terrain pour ses ambitions impériales. Elle ne cache d’ailleurs pas sa volonté de s’étendre au monde entier.

L’Empire colonial africain

En Afrique, l’EURD est présente dans une quarantaine de pays, principalement dans le sud du continent, en Afrique du Sud, en Angola et au Mozambique. Ces deux derniers États sont d’anciennes colonies portugaises, assez proches du Brésil par la langue et le corpus religieux catholique, qui y avaient été importés et imposés par le colonisateur lusitanien. Cette implantation de l’EURD a trouvé un terrain favorable dans ces pays en voie de solidification où l’instabilité et les tensions internes poussent les populations à chercher une « rassurance ». C’est sans doute pour cette raison que l’EURD inscrit son approche dans cette logique d’offre de « rassurance » par l’incorporation dans son rituel de croyances locales avec de nouvelles significations, la proximité vis-à-vis des dirigeants politiques locaux et nationaux, l’utilisation de moyens de communication et la réalisation d’initiatives sociales attrayantes.

Tout comme déjà par le passé, quand l’EURD avait été expulsée de certains pays africains, cet essor évangélique a été contrarié par des accusations de corruption et des allégations de blanchiment d’argent, de trafic et d’exportation de capitaux et d’association criminelle. Ce fut le cas notamment en Angola où un certain nombre de ses églises ont été fermées. Tout cela a conduit à l’affaiblissement de l’EURD dans la région sans pour autant tarir ses ambitions.

Les Églises pentecôtistes au Brésil

En Amérique latine et en Afrique, la croissance des Églises pentecôtistes s’est déroulée sur quelques décennies. Au Brésil, le boom des années 1950 fut un accélérateur pour le pentecôtisme et dans les années 1970, le courant évangélique a prolongé cette expansion rapide. Par rapport à l’Église catholique, les Églises pentecôtistes ont l’avantage de leur souplesse lorsqu’il s’agit de s’établir dans de nouveaux endroits ou de séduire rapidement des foules peu cultivées. Dominante en Amérique latine, l’Église catholique a une forte structure territoriale et cléricale ; de ce fait, elle est plus statique et plus lente à s’adapter aux évolutions. De surcroît, en raison des exigences de la hiérarchie, il faut beaucoup plus longtemps pour former un prêtre qu’il n’en faut pour désigner un pasteur évangélique. Ainsi, en période de changement rapide, l’Église catholique s’adapte lentement et perd du terrain face aux religions moins exigeantes. De son côté, la mouvance évangélique n’est pas une entité cohérente et se fragmente en Églises concurrentes, qui ont des attitudes différentes vis-à-vis du monde « profane ». Alors que le pentecôtisme était présent au Brésil depuis 1910[7] au travers des Assemblées de Dieu, la première grande Église brésilienne fut l’Igreja Pentecostal Brasil para Cristo — l’Église Pentecôtiste Brésil pour le Christ — fondée en 1956 à São Paulo par Manoel de Mello, un ouvrier immigrant venu du Nordeste du Brésil. L’Église Pentecôtiste Brésil pour le Christ apportait un message optimiste et nationaliste. Surnommé le « Missionnaire », Mello avait lancé un programme radio « La Voix du Brésil pour le Christ » et en bon organisateur, rassemblait ses fidèles dans les parcs publics et les stades ; il se fixa dans les quartiers ouvriers pauvres de São Paulo où se retrouvaient les immigrés du Nordeste brésilien, venus chercher du travail dans cette banlieue où l’industrialisation se développait dans la foulée du boom économique mondial.

Naissance et prospérité de l’EURD

C’est dans ce contexte que s’installe l’EURD ; elle se trouve en position de concurrente et tend à brûler les étapes, à s’affranchir d’une doctrine trop stricte pour favoriser la voie de la séduction par un discours de prospérité où la richesse est un signe de la grâce divine : c’est la Théologie de la Prospérité[8]. En clair, plus on est riche, plus on prouve qu’on est aimé de Dieu. Ces exigences doctrinales réduites, couplées avec un discours optimiste au-delà du réel, ont conquis les fidèles à la périphérie des grandes villes et dans les zones limitrophes agricoles. Ce sont les zones où les gens pauvres, et pour certains carrément dans la misère, éblouis par la promesse divine de richesse, adhèrent à ce nouveau discours. Cette expansion y est facilitée du fait que ses églises sont souvent fondées par des membres de la communauté locale elle-même.

Edir Macedo, 
fondateur et dirigeant de l’EURD 
(Église Universelle du Royaume de Dieu)

L’EURD est née à Rio de Janeiro en 1977. En un demi-siècle, elle s’est étendue à tout le pays, où elle compte des millions d’adhérents. Puis, elle a essaimé en Amérique et dans le reste du monde, elle y a révélé une ambition dévorante et des visées globales. Son fondateur Edir Macedo a créé et développé un véritable empire économique, politique et médiatique. Et que dire de la fortune de cette EURD, qui professe la théologie de la Prospérité, du Bonheur et de l’Espoir avec ses slogans : « Arrêtez de souffrir ! » et « Jésus est la solution », qui perçoit la dîme et affirme le principe : « Donnez d’abord, Dieu vous le rendra cent fois » ? Cette stratégie d’expansion d’une religion ressemble étonnamment aux stratégies commerciales ou politiques dérivées de la « blitzkrieg », pratique éminemment militaire : déstabiliser, conquérir et puis, s’installer à demeure et se renforcer en exploitant les ressources du terrain conquis. Ce schéma est commun à divers pans de la société humaine : c’est le même combat visant l’emprise sur l’humaine nation, même si les fins invoquées sont différentes.

Le débarquement et la conquête évangélique de l’Afrique

L’arrivée sur le continent africain de l’EURD dans les années 1990 a été facilitée par la longue présence des Églises chrétiennes, fers de lance cultuel de la colonisation. Ces Églises traditionnelles (catholique, anglicane, presbytérienne, méthodiste, baptiste), dirigées par les missionnaires blancs et liées aux élites coloniales, assuraient à leurs fidèles l’accès aux soins et à l’éducation. La plupart des dirigeants des mouvements d’indépendance formés dans les écoles des missions ont par la suite souvent dénoncé, renié et rejeté cet héritage. Lors de la décolonisation entre 1950 et 1970, certaines Églises évangéliques tiraient profit de ce que le christianisme installé était considéré comme un produit de l’ère coloniale. Plus tard, un désenchantement se fit jour dans les populations déçues des promesses non tenues de l’indépendance. Elles se sont alors retournées vers les Églises porteuses d’un nouveau message d’espoir. Dans les années 1980 ont commencé à se développer des Églises pentecôtistes indépendantes, fondées par des Africains. Plus en phase avec les traditions religieuses locales en raison de la proximité du pentecôtisme avec la perception traditionnelle africaine, qui révère les forces spirituelles à l’œuvre dans le monde, et n’étant plus marquées par le « péché originel du colonialisme », ces nouvelles Églises avec leurs racines locales ont commencé à prendre auprès des populations la place de l’État. Les Églises arrivées récemment de l’étranger, telles l’EURD, ont été bien accueillies pour les mêmes raisons et l’EURD a su profiter de cet effet d’aubaine pour phagocyter les croyants chrétiens. Par la suite, face à cette évolution, les Églises chrétiennes traditionnelles se sont réinventées.

La colonisation religieuse

Depuis des siècles, l’Afrique faisait l’objet d’une colonisation religieuse. Deux grandes religions s’affrontaient en se partageant le continent : le Nord et l’Est furent islamisés ; l’Ouest et le Sud, christianisés, selon le schéma des routes de colonisation. Si on excepte les régions à majorité musulmane, le reste du continent est christianisé et la concurrence entre les diverses sortes de christianisme a rendu difficile la pénétration de l’EURD. Si l’EURD est présente dans la plupart des pays d’Afrique, ce n’est qu’en Afrique du Sud, en Angola et au Mozambique qu’elle sévit de manière significative.

Les pays lusophones : Angola et Mozambique

L’Angola et le Mozambique, pays lusophones qui étaient le premier choix pour une Église venant du Brésil, furent difficiles d’accès en raison des guerres de libération et ensuite, des guerres civiles où s’affrontaient les deux camps : un de tendance communiste, l’autre plus nationaliste. Ces conflits avaient débuté vers 1975 et se sont atténués à la fin du siècle. L’EURD se présenta comme une institution qui unifierait les peuples de ces pays, divisés après l’épisode colonial et une décolonisation foireuse. Elle se proposa en interlocuteur aux dirigeants dans le but d’aider à construire une identité nationale. Tant au Mozambique qu’en Angola, elle trouva un accord avec le parti au pouvoir ; elle s’est insinuée dans les structures de pouvoir et a renforcé ses réseaux de communication afin de pénétrer la société. Au Mozambique, TV Miramar est propriété de TV Record International, elle-même propriété d’Edir Macedo, le fondateur et dirigeant de l’EURD. Sa société est également présente en Angola et au Cap-Vert. En Angola, l’EURD a acquis un espace sur les chaînes locales de télévision, dans la presse écrite et sur les stations de radio. On retrouve ici la démarche brésilienne de propagande évangélique par les médias de masse, fort prisée des pentecôtistes et pas seulement de l’EURD. C’est un moyen efficace pour peser sur les populations et disposer d’une force vis-à-vis des autres sphères de pouvoir. En la matière, on ne peut que se référer à l’incontournable ouvrage de Tchakhotine au titre plus qu’évocateur : « Le viol des foules par la propagande politique »[9] et en étendre les réflexions au domaine religieux, ce qui donnerait : « Le viol des foules par la propagande religieuse ».

En Afrique du Sud

L’Afrique du Sud présente des similitudes avec le Brésil : c’est une démocratie formelle, avec de grandes inégalités et une population urbanisée, métissée et cosmopolite. Pour cette région anglophone où le portugais est une langue reconnue[10], il a fallu attendre la fin du régime d’apartheid, un apaisement et la « dévaluation » des Églises chrétiennes évangéliques anciennes, accusées de tolérance avec le régime de ségrégation raciale, pour permettre à partir de 1993 à l’EURD de développer son évangélisation. En promouvant l’idée de la prospérité, de la réussite, de la richesse et du bonheur comme preuves de la grâce divine (c’est-à-dire : la Théologie de la Prospérité), elle a attiré des Sud-Africains avides de mobilité sociale et d’intégration raciale. C’est là qu’elle a réussi à installer le plus grand nombre de ses églises en dehors du Brésil. Au dernier recensement, on en dénombrait plusieurs centaines.

L’EURD, ambassadeur officieux du Brésil

L’EURD s’inscrit dans l’axe d’un Brésil, premier pays lusophone en taille et fort de ces deux cents millions d’habitants pour la grande majorité christianisés, qui entend s’imposer comme puissance de son rang dans le monde. Lors des premiers mandats de Lula, le Brésil menait une politique étrangère en accord avec cet objectif. Ces pays africains lusophones ont reçu alors beaucoup de fonds brésiliens et le Brésil encourageait les échanges d’étudiants et d’enseignants et facilitait les mouvements des entreprises et des Églises vers ces pays. Après une diminution sensible de la présence brésilienne en Afrique sous Bolsonaro, avec le retour de Lula, on peut s’attendre à une reprise de la politique de  Sud-Sud et à un renouveau d’intérêt pour l’Afrique ; dans cette perspective, l’EURD et Edir Macedo, personnage central de cette organisation ou de cette entreprise religieuse[11], sont à considérer comme des relais de l’expansionnisme brésilien en Afrique.

Incorporer les croyances locales

En plus de la propagande par les médias et les actions des pasteurs, l’EURD incorpore les croyances locales en leur donnant une autre signification dans un cadre théologique étendu et intègre des pratiques religieuses ancestrales africaines, y compris celles à caractère magique ou messianique, sans souci des incohérences. Elle fait sien ce discours religieux syncrétique en précisant que ces symboles n’acquièrent leur pouvoir que reliés à une croyance biblique. L’EURD, contrairement à l’Église catholique, ne nie pas la croyance aux esprits et l’insère dans son univers. Pour elle, les esprits existent, mais ce sont des démons qu’il faut exorciser pour « aller mieux », comme le préconise sa Théologie de la Prospérité et du Bonheur. Cette récupération est une sorte de colonialisme religieux. On trouverait là l’idée religieuse que les Brésiliens sont spirituellement supérieurs aux populations africaines superstitieuses, craignant la magie et se livrant au péché. Mise ainsi en cause, l’EURD affirme que sur les cinq continents, elle respecte strictement les lois et traditions locales et met en avant son projet social en disant que, partout où elle se trouve dans le monde, elle accueille les personnes qui souffrent.

La stratégie sur le terrain : les actions sociales

Sur le terrain, ce qui favorise l’entrée de l’EURD, ce sont les actions sociales. L’action se déroule selon le schéma suivant : un groupe de l’EURD se rapproche d’une communauté, y pénètre, gagne la confiance et s’impose en fournissant de la nourriture, des soins médicaux ou un soutien émotionnel aux gens délaissés. Ensuite, le groupe parle de son répertoire religieux. On retrouve là le mode d’action, le b.a.-ba de l’action de certains partis politiques. L’action bénévole insidieuse précède le discours ; c’est une stratégie patiente et efficace, quand la réalisation des promesses suit. Cette stratégie s’approfondit par des aides sanitaires ou des formations professionnelles, des cours de langues, des projets pour les jeunes, des sports. Dans chaque lieu, l’EURD s’adapte à la demande. Au Mozambique et en Angola, l’EURD mène des projets de distribution de nourriture et de vêtements, d’aide aux victimes de catastrophes naturelles, de cours d’alphabétisation et d’activités professionnelles, telles que des cours de couture, d’informatique, de coiffure, de boulangerie, de pâtisserie et de décoration.

Comment conquérir le monde

Ce tour d’horizon de l’action de l’EURD visait à découvrir comment cette Église voulait rallier les populations ou conquérir le monde. Quant à savoir ce qui pourrait expliquer que depuis des décennies dans le monde entier, dans des cultures, des races et des langues différentes, tant de chrétiens rallient l’EURD, celle-ci répond que selon la Bible, le salut de l’âme vient à ceux qui acceptent et pratiquent cette foi. Cette politique de générosité évangélique a connu des revers importants et a vu les gens se retourner contre elle, notamment en Angola[12].

Au final, l’EURD a bien un projet impérial — comme la plupart des religions — et a recours aux techniques de propagande, aux structures et aux méthodes du marketing commercial ou politique ; dans le fond, il n’y a que la marchandise qui change. Son expansion est stupéfiante ; elle a réussi à se développer en quelques décennies quand l’Église catholique a mis des centaines d’années pour arriver à se rallier autant de monde en autant de pays. Entre ces deux courants, la lutte est engagée et on ne peut présager du résultat. Les voix de Dieu sont inaudibles et le chemin des religions est aventureux.

Mais s’il existe, Dieu reconnaîtra les siens.


[1]. L’ÉGLISE UNIVERSELLE DU ROYAUME DE DIEU COLONISE L’AFRIQUE : l’essentiel de ce texte est tiré d’un article de Juliana Gragnani, « Évangélisation : l’Église qui a créé un empire en Afrique », BBC News, 22 septembre 2021 et d’autres sources complémentaires, notamment Que sait-on de ? L’Église Universelle du Royaume de Dieu, une secte brésilienne à visée planétaire, UNAFDI., 26 mars 2021.

[2]. Notice Wikipedia : L’Église universelle du Royaume de Dieu

[3]. EURD est l’acronyme du nom brésilien : Igreja Universal do Reino de Deus. UNIVERSAL est la version brésilienne de UNIVERSEL, ce qui est le sens du mot « catholique ». Dans ce texte, on utilise préférentiellement l’abrégé EURD.

[4]. Pour plus de détails sur les aventures de l’EURD — UNIVERSAL, voir notamment  Que sait-on de L’Église Universelle du Royaume de Dieu, une secte brésilienne à visée planétaire ? (op.cit.)

[5]. Notice Wikipedia : Edir Macedo Bezerra

[6]. En Europe, l’EURD est arrivée plus tard qu’en Afrique ; sa pénétration a commencé par le Portugal pour se disséminer jusque dans les pays de l’Est. En Belgique, sa présence est réduite en raison d’une forte concurrence. On lira avec intérêt la petite note de Elisabeth Mareels : Une Église noire qui tourne le dos aux Brésiliens ? L’EURD de Bruxelles.

[7]. Jean-Pierre Bastian, « Pluralité religieuse et scène politique au Brésil », in L’Esprit du temps, « Outre-Terre »,15/1, N° 42, pp 255 à 264.

[8]. Notice Wikipedia : La Théologie de la prospérité

[9]. Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Tel, Gallimard, Paris, 1952, 605 p.

[10]. La Constitution de 1996 accorde néanmoins « protection et respect » aux langues « communément pratiquées par certaines communautés sud-africaines : l’allemand, le grec, le gujarati, le hindi, le portugais, le tamoul, le telegou, et l’ourdou » (Constitution de 1996, chap. 1, art. 6-5-b.-i).

[11]. Organisation ou entreprise religieuse : l’EURD est quasiment un cas d’école où on voit comment les Églises tendent à s’adapter à l’évolution des sociétés et à en prendre opportunément les formes les plus adéquates à leur propre développement ; en l’occurrence : celles de l’entreprise ou de l’organisation, qui transcendent la structure étatique.

[12]. Voir à ce sujet, Fermeture d’églises EURD en Angola, où on apprend aussi l’abandon de l’EURD par plusieurs centaines de ses pasteurs.


Tags : Afrique Brésil colonisation croyance dieu Église EURD (Église universelle du Royaume de Dieu) évangélisme impérialisme religion

La Confession « fantasiste » de Terry Pratchett

Posté le 8 mars 2023 Par JF Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession fantasiste[1], comme dans les précédentes entrevues fictives [2], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[3]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Terry Pratchett, né à Beaconsfield (Buckinghamshire) en 1948, connu comme écrivain, romancier, satiriste, humoriste, fantasiste, science-fictionniste et philosophe. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Terry Pratchett – environ cinquante volumes pour le cycle du Disque-Monde et celui de La Longue Terre –, à sa biographie[4] et à sa conférence « Shaking Hands with Death »[5] ainsi qu’à d’autres sources.

Bonjour, Monsieur Terry Pratchett. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [6] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Terence David John Pratchett, né le 28 avril 1948 en Angleterre à Beaconsfield dans le Buckinghamshire, et mort le 12 mars 2015 à Broad Chalke dans le Wiltshire.

Hello, Monsieur l’Inquisiteur. C’est bien moi, appelez-moi Sir Pratchett, Sir Terry ou Terry, tout simplement.

Nous ferons donc ainsi, dit l’Inquisiteur. Sir Pratchett, ça me convient, ça m’a l’air comme qui dirait très élégant.

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, et c’est civil ; personnellement, je ne m’attendais pas à ce qu’on m’accorde un jour le titre de Sir. Il paraît que la défunte Reine, par ailleurs cheffe de l’Église anglicane, avait insisté pour m’adouber chevalier et me parer de ce titre. Sans doute appréciait-elle mes livres.

Sir Pratchett, dit l’Inquisiteur, ma mission consiste essentiellement à examiner votre rapport à la religion, à la foi et à Dieu.

Monsieur l’Inquisiteur, mon rapport avec votre Dieu est simple. En ce qui me concerne, il est absolument certain et démontré que je suis l’auteur du Disque-Monde. Par contre, on dit de votre Dieu qu’il a créé le Monde – celui que les mages de l’Université de l’Invisible appellent le Globe-Monde –, mais c’est très fortement contestable et d’ailleurs, très fortement contesté, quand ce n’est pas carrément nié. Ainsi par exemple, selon moi, ce sont les mages de l’Université de l’Invisible (U.I.)[7] qui ont créé le Globe-Monde ; en fait, c’est Sort, l’ordinateur de l’U.I., qui a lancé le programme Globe-Monde[8]. Mais n’entrons pas dans les détails, on n’en sortira pas.

Mais enfin, Sir Pratchett, Dieu n’est pas un détail.

Monsieur l’Inquisiteur, il ne faut pas vous désespérer comme ça ; peut-être que finalement, on y arrivera. Donc, moi, je suis un auteur de fantasie, et des dieux, des religions, des fois, des croyances, j’en invente tout le temps. Ainsi, mon rapport à Dieu, la religion, la foi, la croyance et tout ça est celui de créateur à créatures, car en l’occurrence, le créateur, c’est moi. Et comme tous les créateurs, je dépends de mes personnages et de leur façon de considérer les choses ; s’ils voient un Dieu ou se disputent avec lui, je dois accepter pour le récit de créer ces dieux et de les faire vivre eux aussi. Ce sont les effets du narrativium[9] ; c’est le principe même de la création de dieux par les humains. Tenez, prenez Mau, le personnage de mon roman Nation[10], quand il se retrouve tout seul après la disparition de tout son peuple dans un tsunami, pris d’un accès de colère, il dénonce les dieux coupables de cette disparition. Qui plus est, il leur reproche de ne pas exister (ils n’ont rien pu faire). En même temps, il a besoin que ces dieux existent pour qu’il puisse les engueuler, les vilipender, les maudire. Ou bien, toujours Mau, dans le chapitre opportunément intitulé La Pêche aux Dieux, il découvre les dieux : « Voilà ce que sont les dieux ! Une réponse passe-partout ! Parce qu’on doit trouver à manger, mettre des enfants au monde, vivre sa vie et qu’on n’a pas le temps pour de grandes questions compliquées et inquiétantes. » Dans Le Dernier Continent[11], on rencontre un Dieu, unique dans son monde – il sévit sur une petite île quelque part dans le temps –, mais il s’agit d’un vrai Dieu patriarche, en longue robe, avec une grande barbe et des cheveux blancs. C’est le Dieu de l’Évolution (« Pardon ? Est-ce que j’ai bien compris ? Vous êtes un Dieu de l’évolution ? Fit Cogite. – Euh, c’est mal ? S’inquiéta le Dieu. »[12]) qui a créé une sorte d’évolution du modèle classique, mais ultra-rapide ; un Dieu omniprésent, omnipotent dans les limites de son île. C’est un Dieu athée, il ne croit même pas en lui-même.

Oui, je vois, dit l’Inquisiteur, qu’avez-vous à raconter d’autre ? Pouvez-vous détailler un peu, nommer vos dieux ?

Là, Monsieur l’Inquisiteur, vous demandez beaucoup. Il y a trois mille dieux importants connus dans le Disque-Monde et des théologiens chercheurs en découvrent d’autres toutes les semaines. Je vais donner quelques noms à titre d’échantillons : Alohura, déesse de la foudre ; Aniger, déesse des animaux écrasés ; Astoria, déesse de l’amour ; Bilieux, dieu des gueules de bois ; Biturun, dieu du vin ; Cubal, dieu du feu ; Flatulus, dieu des vents ; Hypermétrope, déesse des chaussures ; Io l’aveugle, chef des Dieux ; Jimi, dieu des mendiants ; Kouah, déesse du ciel ; Nuggan, dieu des trombones et des articles de bureau ; Offler, le dieu crocodile ; Patina, déesse de la sagesse ; Pétulia, déesse de l’affection négociable ; Urika, déesse des saunas ; Vometia, déesse du vomi ; Zéphir, dieu des brises légères. Notez que c’est à peu près pareil dans notre monde ; je ne sais pas si on en a établi une liste complète, mais vous pouvez toujours lire celle des dieux de la mythologie grecque – il y en a des pages[13] et il ne s’agit que de divinités de la Grèce d’antan –. Je vous laisse réfléchir au reste du monde et du temps. Dans le Globe-Monde, comme sur le Disque-Monde, il doit y en avoir des milliers au moins.

Enfin, Sir Pratchett, dites-moi un peu d’où ils sortent tous ces dieux de votre Disque-Monde ?

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, comme tous les dieux de tous les mondes et de tous les temps, ce sont des créatures imaginaires sorties d’un cerveau humain ; en l’occurrence, le mien. Dans le Disque-Monde, comme d’ailleurs dans celui-ci, ils vont, ils viennent, ils apparaissent, ils disparaissent, ils pullulent, ils tombent en désuétude. Donc, le Disque-Monde a des dieux comme d’autres ont des bactéries. La plupart ne font jamais l’objet d’un culte, ce sont des petits dieux, car ce qui leur manque, c’est la foi. Une poignée connaissent un destin un peu plus glorieux. N’importe quoi peut favoriser un tel destin. Un berger à la recherche d’un agneau… L’ennui avec les dieux, c’est que si assez de fidèles (en vérité, un seul suffit) se mettent à croire en eux, ils se mettent à exister. On s’imagine que le processus est toujours le même : d’abord, l’objet, puis la croyance. En réalité, ça se passe dans l’autre sens. Les dieux sont manifestement créés par ceux-là même qui croient en eux. Les dieux et les hommes sont inséparables parce que les dieux ont besoin qu’on croie en eux et que les hommes veulent des dieux.

Ce n’est pas très clair tout ça, Sir Pratchett. Si je comprends bien, Dieu serait une création humaine.

C’est exactement ça, Monsieur l’Inquisiteur ; un dieu ne peut exister que si au moins un humain l’invente, l’imagine, le crée et lui donne l’existence. Dès lors, il est facile de comprendre la nature d’un dieu : c’est un fantasme.

Au fait, Sir Pratchett, d’après ce que je comprends, vous seriez le créateur du Disque-Monde.

Oui, c’est ce que j’ai dit, Monsieur l’Inquisiteur, mais il serait plus correct de dire que j’ai écrit pendant des décennies Les Annales du Disque-Monde. Ma véritable intention était de raconter des histoires sur le mode de la fantasie, dont j’étais fan depuis la fin de mon enfance. Pour raconter ces histoires, il a bien fallu que j’aie un monde où les situer, un monde où, conformément aux habitus de la fantasie, telle que l’avait quasiment canonisée J.R. Tolkien avec son Seigneur des Anneaux, il y fallait des trolls, des nains, des elfes, des vampires, des loups-garous, des gobelins, des gnomes, des golems, des morts-vivants, des zombies, etc. J’ai commencé à raconter l’histoire de ce monde et puis, tout s’est développé sous mes yeux au fur et à mesure et j’ai découvert un peu avant mes lecteurs que ce monde était plat, rond, qu’il avait ses peuples, qu’il avait ses continents, qu’il avait ses propres lois, ses exigences et bien entendu, ses dieux et ses religions. C’est ainsi que se créent les mondes imaginaires. Mon avis est qu’à partir du moment où il s’est mis à exister, le Disque-Monde a continué à le faire. Moi, je tenais la plume, au début ; ensuite, je me suis tenu au clavier. À la fin, à cause de la progression d’Alzheimer, pendant des années, disons de 2008 à 2015 et jusqu’au bout, j’ai dicté à mon ordinateur grâce à la reconnaissance vocale.

J’aimerais savoir, Sir Pratchett, ce qu’est la « fantasie », pouvez-vous donner un exemple ?

Vous voulez un exemple de fantasie ? Eh bien voilà : Il y a une espèce qui vit sur une planète à quelques kilomètres au-dessus d’une roche en fusion et à quelques kilomètres en dessous d’un vide prêt à lui aspirer l’air des poumons. Elle vit dans une brève période géologique entre des âges glaciaires. Pour ce qu’elle en sait, nulle part ailleurs dans l’univers elle ne resterait en vie plus de dix secondes. Du reste, toute la littérature fait appel à l’imagination, toute la littérature est de la « fantasie » ; il ne saurait en être autrement, c’est même ce qui la constitue. Bien évidemment, l’Odyssée, l’Iliade sont de la « fantasie » et peut-être comprendrez-vous mieux quand je vous dis que la Bible et le Coran et les Upanishad ou la Légende dorée sont de la « fantasie ». Encore un exemple ? Tout Shakespeare en est. En fait, la « fantasie » est à l’origine même de ce fourre-tout qu’est la littérature. Maintenant, considérée plus étroitement, ramenée aux normes éditoriales contemporaines, la fantasie est un genre particulier et une fabuleuse niche commerciale qui se remplit de sorcières, de trolls, de licornes. À propos, je n’écris pas que de la fantasie – comme l’entendent les critiques spécialisés, j’écris aussi de la S.F., de la Science-Fiction, j’en ai même été fan. Jeune, j’ai même assisté à des conventions de la SF. Je rappelle ça, juste pour dire que, à la fin des années septante, je me souviens d’un concours de romans SF où Salman Rushdie était arrivé deuxième. Imaginez qu’il ait gagné – des ayatollahs sur Mars ! – il n’aurait pas eu autant d’ennuis à cause des Versets sataniques, parce qu’il se serait agi de SF et ça n’aurait pas eu d’importance. Notez que ce serait aussi pertinent s’il s’était agi de fantasie. Je vous l’accorde. C’est pareil pour la Bible, le Coran et toutes ces sortes de choses, on aurait – je veux dire l’humanité – évité beaucoup de massacres et d’absurdités, si on avait signalé qu’il s’agissait d’inventions, de récits imaginaires ; pour tout dire, d’élucubrations. À propos, vous fumez quoi, Monsieur l’Inquisiteur ?

Sir Pratchett, dit l’Inquisiteur, revenons au commencement, n’avez-vous pas été informé de religion par vos parents ?

Ah, mes parents ! Ils m’ont élevé avec bienveillance, mais sans aucune éducation religieuse. Pour autant qu’il m’en souvienne, jamais mes parents, à l’âge adulte, ne sont entrés dans une église pour des raisons religieuses. Tout se passait très bien avec eux. Mon enfance fut – aussi loin que je remonte – une période que je ne saurais qualifier autrement que d’« idyllique », une sorte d’été qui n’en finissait pas. C’étaient des gens charmants et ils avaient su acclimater notre relative pauvreté pour en faire un mode de vie agréable. Ils s’étaient mariés jeunes et ont vécu ensemble jusqu’au bout. Mon père était mécanicien automobile et sa conception du monde s’en ressentait ; il m’initia aux techniques, au goût des travaux manuels, des bricolages et aux sciences. Ma mère était secrétaire et très imaginative, elle me guida vers les livres, mais aussi l’écriture, l’invention. Je pense que c’est à elle que je dois mon penchant pour la fantasie. Question religion : on vivait dans un monde anglican, quoique de façon distante. Mon père, qui avait fait la guerre au Pakistan, en avait ramené un Bouddha. C’est ce dernier qui régla nos relations avec l’Église. Un jour, le vicaire de passage chez nous déclara le Bouddha, une « icône païenne ». Ma mère l’a foutu à la porte : le vicaire, pas le Bouddha. Ma mère était d’ascendance catholique, mais elle avait rompu avec cette option quand on lui a reproché son mariage anglican. La seule trace de son passé papiste était un crucifix. Elle a bien ri quand à six ans, je déclarai que ce Christ pendu à la croix était une sorte de trapéziste.

Mais Sir Pratchett, n’avez-vous jamais été interpelé par Dieu ?

À vrai dire, non. Et ça n’a rien d’étonnant, n’est-ce pas ? Et même, ça ne m’a jamais inquiété et je vais vous dire pourquoi. C’est la solution au paradoxe du silence de Dieu, qui a agité pas mal de théologiens au cours des temps. Si Dieu existe, pourquoi ne parle-t-il pas ? Je me suis dit : si on considère que Dieu est omniprésent, omnipotent et de surcroît, omniscient, il ne devrait avoir aucune difficulté à m’interpeler, à me parler, à rendre sa présence évidente, indéniable et clore le bec à tous les mécréants. Il pourrait raisonnablement attester de son existence en se faisant entendre de tous, partout et toujours, il pourrait écrire son nom sur les sables des déserts ou aussi grand que l’horizon dans le ciel. La question, telle qu’elle est posée par ceux qui y croient, est évidemment de savoir pourquoi il ne le fait pas. Et si en plus, on considère toutes les maladies, les catastrophes, les famines, les guerres, il y a de quoi douter de son état mental ou de sa moralité et il vaudrait mieux pour lui qu’on n’imagine même pas qu’il puisse exister. En fait, poser la question de l’existence de Dieu, c’est inutile et sans doute, dangereux.

Et pourquoi donc, Sir Pratchett, serait-il inutile de répondre à cette question essentielle ?

La réponse est toute simple, Monsieur l’Inquisiteur, c’est parce qu’il n’existe pas. C’est aussi la seule réponse que les croyants ne veulent pas envisager. Voyez-vous, un athée n’est pas quelqu’un qui croit que Dieu n’existe pas, c’est quelqu’un qui ne croit pas que Dieu existe. Et ça change tout : l’athéisme, c’est carrément de l’incrédulité. Je suis un incrédule. Pour moi, la question de Dieu n’a pas de sens et il n’y a pas de sens d’en débattre également. Finalement, je suis une espèce d’athée – parce que, ma foi, on ne sait jamais…[14] Comprenez ce « on ne sait jamais » au sens d’une affirmation axiomatique ; on ne sait jamais, car on ne peut jamais savoir quoi que ce soit à propos de ce qui n’existe pas. Voyez-vous, par exemple, on peut imaginer qu’un adepte des OVNI soutienne que ne pas croire aux OVNI constitue une croyance différente, à savoir : croire que les OVNI n’existent pas. Toutefois, quand les prétendues preuves s’avèrent des erreurs d’interprétation ou des falsifications, l’opinion contraire ne relève pas de la croyance. On est au niveau zéro de la croyance et une croyance zéro en les OVNI ou aux dieux ne revient pas à croire à leur inexistence. La croyance zéro désigne une absence de croyance, une incrédulité. Je vous accorde cependant que si vous êtes crédule, vous pouvez croire ce que vous voulez et je ne peux vous en empêcher, mais je vous en prie : n’essayez pas d’insuffler la crédulité aux autres et particulièrement, aux enfants. C’est immoral et c’est dangereux – pour les enfants et pour tous – puisque petits enfants deviendront grands.

Oui mais, Sir Pratchett, les religions croient que l’athéisme est une croyance d’un genre différent, une croyance en négatif et forcément, une erreur.

Monsieur l’Inquisiteur, la mauvaise foi nourrit la foi. La plupart des religieux s’efforcent de rejeter l’athéisme de cette façon en le présentant comme une croyance qu’ils (et d’autres) veulent confondre avec l’agnosticisme, lequel prône la neutralité, une sorte d’armistice, où Dieu aurait cinquante pour cent des chances d’exister de son côté ; autant dire que de leur point de vue, avec une chiquenaude, Dieu sortirait gagnant de la confrontation. Eh bien non, 50/50, ça n’est pas ni l’un, ni l’autre ; 50/50, ça ne peut rien prouver du tout et surtout pas son existence. C’est absurde. Quant aux religions, il y a de quoi désespérer. On nous en rebat les oreilles de mille façons et pendant ce temps, au Moyen-Orient, trois peuples qui vénèrent le même Dieu en sont toujours à se battre entre eux. Croire en Dieu ? C’est à se demander comment une espèce peut être aussi bête.

Soit, Sir Pratchett, mais la Création mérite d’être étudiée en tant que processus divin, ne pensez-vous pas ?

Oh, mais j’ai passé bien du temps à confronter le Disque-Monde et le Globe-Monde en tant qu’univers et à comprendre leur création comme processus. Je ne l’ai pas fait seul, j’ai été épaulé par les professeurs Ian Stewart[15] et Jack Cohen[16]. Ce sont les quatre volumes de la Science du Disque-Monde[17], qui met la science des mages de l’Université de l’Invisible d’Ankh-Morpork en miroir avec celle du Globe-Monde jusque et y compris dans les derniers développements de ce siècle, disons jusque 2012. Je vous invite à les lire et à vous faire ensuite une philosophie. Le dernier volume porte d’ailleurs un sous-titre qui certainement vous semblera familier : « Le Jugement dernier ». [18]

Sir Pratchett, quand même, les athées sont minoritaires dans le monde actuel et les croyants sont majoritaires. Qu’en pensez-vous ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, il y a dans le monde actuel bien plus de croyants en un ou plusieurs dieux ou en n’importe quoi que d’athées. Les croyants sont majoritaires certainement, mais ça revient à mêler des pommes, des poires, des ananas ou n’importe quoi qu’il vous plaira d’imaginer et prétendre que ce sont les mêmes choses. En réalité, ce sont des choses différentes et qu’on ne saurait confondre. Ainsi, si les religions sont toutes des croyances, elles sont chacune minoritaires et n’ont de commun finalement que la foi, sans autre attribut. La foi, c’est le seul lien entre elles, car il n’y en a pas d’autres possibles. Vous admettrez que la foi est le fondement de la croyance au sens religieux. Ceci dit, les croyances des religions sont toutes différentes et exclusives les unes des autres, sinon il n’y aurait qu’une seule religion et pour autant qu’elle soit monothéiste, un seul Dieu. Reste la foi, mais la foi en quoi ? Laquelle ? Et en admettant que ce soit la foi en une religion, quelle religion ? Vous voyez, la foi devient une sorte de concept flou qui s’appuie sur du vent. C’est peut-être ça le souffle divin. D’ailleurs, croire ; il y en a bien qui croient au Père Noël.

Sir Pratchett, vous croyez au Père Noël ?

Ah, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai écrit tout un roman autour du Père Porcher[19], qui dans le Disque-Monde, est quelque chose comme le Père Noël ; le Père Porcher-Noël, c’est le personnage central du solstice d’hiver ; il faut être chrétien fondamentaliste pour ne pas comprendre qu’il existe depuis très longtemps une tradition qui célèbre la renaissance du soleil[20]. Bon, cela dit, je ne suis fidèle d’aucune religion et je ne crois à aucun Père Noël métaphysique, et pourtant, malgré tout ça, j’aime Noël. Entre nous, il vaut mieux demander au Père Noël une paire de pantoufles que la paix sur la Terre. On a plus de chances d’obtenir satisfaction[21]. À ce sujet, par deux fois, alors que je parlais sans détours de sujets comme Alzheimer et la mort assistée, des chrétiens obligeants m’ont dit que je devrais voir dans mon épreuve un cadeau de Dieu. Eh bien, personnellement, j’aurais préféré une boîte de chocolats.

Vous pourriez développer un peu vos réponses, Sir Pratchett, il me semble que c’est un peu court tout ça.

Un peu court ? Vous me tentez, Monsieur l’Inquisiteur, croyez-moi, les Annales du Disque-Monde font comprendre bien des choses et vous y trouverez des réponses à foultitude de vos interrogations. J’ai mis quarante ans, environ cinquante volumes, en tout, plus ou moins vingt mille pages, sans compter le reste, à créer tout ça, qui est ma réponse presque complète à votre demande et si vous voulez, je peux recommencer du début : ça me plairait assez. Voici donc la première phrase de la Huitième Couleur, c’est le Prologue qui parle (comme dans Shakespeare, par exemple) : « Dans un ensemble lointain de dimensions récupérées à la casse, dans un plan astral nullement conçu pour planer, les tourbillons de brumes stellaires frémissent et s’écartent… »[22] Moi, je dois repartir, j’ai à faire ailleurs, mais je vous suggère de prendre le temps de lire tous mes romans.

Sir Pratchett, je vous promets de tout lire et même, deux fois.

Seulement ? Ce sera quand même un bon début, Monsieur l’Inquisiteur. Pour en finir, je vais vous parler de Mort, un personnage (oui, c’est un masculin) que j’avais introduit dans le Disque-Monde dès le premier volume. Il est devenu très populaire. Il s’en explique en disant qu’après tout, ce n’est pas lui qui tue les gens ; la plupart des hommes n’en ont pas peur, mais ils ont peur, du couteau, du naufrage, de la maladie, de la bombe, de tout ce qui précède (de quelques microsecondes, avec de la chance et de plusieurs années quand on n’en a pas) l’instant du trépas. Mort vient ensuite afin de rassurer les nouveaux arrivants qui entament ce nouveau voyage. À propos, mon père ne voulait pas mourir comme une espèce de mort-vivant. Il voulait me faire ses adieux, il voulait me faire une dernière blague et si les infirmières avaient introduit la seringue nécessaire dans la canule, c’est moi qui l’aurais pressée en me disant que c’était mon devoir. Croyez-moi, mon père a eu une bonne mort dans les bras de Morphine.

Sir Pratchett, vous êtes un incurable athée. C’est ce que je dirai dans mon rapport en Haut-Lieu, mais vous avez droit au dernier mot.

Le dernier mot et ce mot était mon dernier message au Globe-Monde – juste un tweet après avoir passé la porte et commencé à marcher dans le désert noir vers la nuit infinie :

« The End »[23] (La Fin).


[1] Fantasiste : Comme il n’existe pas en français de qualificatif pour ce qui relève de la « fantasie » – à l’origine, mot français « fantasie » (en usage encore vers 1450), orthographié ensuite « fantaisie » et depuis le siècle dernier genre littéraire à part entière–, j’ai pris sur moi de créer le néologisme de l’adjectif : « fantasiste », pour désigner ce qui relève de la « fantasie ».

[2] Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Simone de Beauvoir,

[3] Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).

[4] Marc Burrows, The Magic of Terry Pratchett, WHITE OWL, Yorkshire-Philadelphia, 2020, 284 p.

[5] Terry Pratchett, Shaking Hands with Death, Corgi Books, London, 2015, 59 p. On trouve la version française dans Terry Pratchett, Lapsus Clavis sous le titre « Serrer la main de la mort », L’Atalante, Nantes, 2017, 332 p., p.p. 291-311.

[6] OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.

[7] Université de l’Invisible (U.I.) : L’U.I. est le premier collège de magie du Disque-Monde ; elle a été créée, il y a deux millénaires (environ). Voir in Terry Pratchett & Stephen Briggs : Disque-Monde Le nouveau Vade-mecum, L’Atalante, Nantes, 2006, 411 p., p.p. 355-371.

[8] Terry Pratchett, Ian Steward & Jack Cohen, La Science du Disque-Monde, Tome I, L’Atalante, Nantes, 2007, 541p., p.63

[9] Narrativium : « Le narrativium est une substance bigrement puissante… L’homme pense par histoires. », in Terry Pratchett, Ian Steward & Jack Cohen, Tome I de La Science du Disque-Monde, op.cit., p.12

[10] Terry Pratchett, Nation, L’Atalante, Nantes, 2010, 441 p.

[11] Terry Pratchett, Le Dernier Continent, Les Annales du Disque-Monde, L’Atalante, Nantes, 2003, 397 p.

[12] Ibid., p.174

[13] PANTHÉON – liste des dieux, déesses, monstres, daemons et autres esprits de la mythologie grecque.

[14] Terry Pratchett, L’Instant divin, in Lapsus Clavis, op.cit. p.224

[15] Ian Stewart est mathématicien, professeur de mathématiques à l’Université de Warwick ; auteur d’un très grand nombre de publications et notamment, Dieu joue-t-il aux dés ?, Flammarion, Champs, Paris, 1998, 600 p. ; et plus récemment, Les dés jouent-ils aux dieux ?, Dunod, Paris, 2020, 352 p.

[16] Jack Cohen est un biologiste, spécialisé dans la biologie de la reproduction, Université de Warwick, auteur de nombreuses publications et notamment, avec Ian Stewart et Terry Pratchett.

[17] Les quatre volumes de La Science du Disque-Monde (Terry Pratchett, Ian Steward & Jack Cohen) ont été publiés en langue française chez L’Atalante, Nantes, respectivement – I : La Science du Disque-Monde (2007), 541 p. ; II : Le Globe (2009), 493 p. ; III : L’Horloge de Darwin (2014), 435 p. ; IV : Le Jugement dernier (2015), 432 p.

[18] Terry Pratchett, Ian Steward & Jack Cohen, Le Jugement Dernier, Tome IV de La Science du Disque-Monde, L’Atalante, Nantes, 2015, 432 p.

[19] Terry Pratchett, Le Père Porcher, Les Annales du Disque-Monde, L’Atalante, Nantes, 2002, 395 p.

[20] Marco Valdo M.I., Noël est à nous (Cantate de Noël – Chant du solstice d’hiver), 2012 et 2018.

[21] Terry Pratchett, Le Sens de mon Noël, Western Daily Press (Bristol) 24 décembre 1997, in Lapsus Clavis, op.cit. pp 209-211.

[22] Terry Pratchett, La Huitième Couleur, (Premier livre des) Annales du Disque-Monde, L’Atalante, Nantes, 1996, 287 p., p. 9.

[23] In Marc Burrows, The Magic of Terry Pratchett, WHITE OWL, Yorkshire-Philadelphia, 2020, 284 p., p. 259.

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Dieu et la science : les preuves à l’épreuve

Posté le 24 décembre 2022 Par JF Publié dans Athéisme, Religion Laisser un commentaire

Jean-Marc Lévy-Leblond

L’écho médiatique et, hélas, le succès commercial du récent pavé de M.-Y. Bolloré et O. Bonassies, Dieu la science, les preuves[1], ne permettent guère de priver les lecteurs de Ciel et Espace d’un commentaire. C’est que, suivant les mots du Figaro Magazine, qui y consacre plusieurs pages,

[ce] livre fait la synthèse des découvertes scientifiques du dernier siècle pour en conclure à l’existence d’une intelligence supérieure. Les deux auteurs espèrent contribuer à la prise de conscience globale d’un univers traversé par le souffle divin.

Il est indispensable, avant d’aborder le contenu de l’ouvrage, de le replacer dans son contexte, à savoir l’actuelle offensive politique et idéologique de la droite ultra-catholique menée par la multinationale Bolloré avec Eric Zemmour en fer de lance[2]. Le premier auteur du livre n’est autre que le frère de Vincent Bolloré, patron de l’entreprise, et le livre est distribué par Editis. Sa publicité est réalisée par Havas et une série documentaire est en préparation pour Canal +, soit trois filiales de Vivendi, groupe contrôlé par Vincent Bolloré.

Fourvoiements scientifiques 

Passons rapidement sur la médiocrité éditoriale de l’ouvrage, encombré par nombre de redites et de citations répétitives. N’insistons guère sur la faible compréhension par les auteurs (désormais désignés par l’acronyme B&B) des théories scientifiques qu’ils invoquent à partir de lectures trop rapides d’ouvrages de vulgarisation de qualités diverses, mais donnons-en un exemple révélateur. On lit à la page 91 que « le Big Bang ne s’est pas produit à l’instant zéro (t = 0) mais à un instant très petit que les physiciens appellent ”l’instant de Planck”, [soit] 10-43seconde ». Or ce fameux instant zéro n’a de sens que dans la cosmologie classique, dite (malencontreusement) du Big Bang, alors que le temps de Planck marque le moment avant lequel il est nécessaire de prendre en compte la théorie quantique, laquelle n’a pour l’instant pas abouti à énoncer une cosmologie primitive cohérente, et en tout cas pas à corroborer l’idée (préquantique, répétons-le) d’un instant initial. Ainsi donc, la convocation du temps de Planck par B&B aboutit-elle en fait à ruiner leur argumentation, essentiellement fondée sur l’affirmation que la science, ayant établi l’existence d’un instant initial de l’Univers, entraîne ipso facto l’idée d’une création ex-nihilo. Cette faille révèle la méprise épistémologique fondamentale de l’ouvrage. C’est que, comme presque plus personne ne saurait l’ignorer aujourd’hui, toute connaissance scientifique est provisoire, susceptible d’être contredite, ou au moins limitée par de nouveaux développements. Déduire de l’état de la science à un moment donné des affirmations métaphysiques ou théologiques censément universelles et éternelles est donc un pari plus qu’osé et perdant à coup pratiquement certain.

L’autre argument nodal de B&B est fondé sur la notion de « mort thermique de l’Univers » : l’existence d’une fin inévitable exigerait celle d’un début obligé. Mais suivant les mots de l’astrophysicien Hubert Reeves, 

Cette vision du monde est profondément influencée par le développement de la thermodynamique de la fin du XIXe siècle, à partir de la notion d’entropie de Boltzmann. (…). Pourtant nous savons maintenant qu’il existe une autre forme d’entropie qui est reliée à la force de gravité et qui change complètement la donne. Tout au long de l’histoire de l’univers, la gravité engendre de nouveaux écarts thermiques en amenant la matière galactique à se compacter sur elle-même pour former des étoiles. (…) De surcroît, la découverte récente de l’énergie cosmique sombre, composante majeure de la densité cosmique, va encore plus loin dans le même sens. Le scénario de la mort thermique est totalement remis en question.[3]

De fait, la discussion scientifique sur l’applicabilité de la notion même d’entropie à l’Univers tout entier reste largement ouverte : l’entropie d’un système n’est bien définie que si le système est clos et en équilibre, ce qui ne va pour le moins pas de soi concernant l’Univers[4]. Au demeurant, la terminologie même de « mort thermique de l’Univers » que B&B exploitent lourdement est plus que hasardeuse, car cette « mort » ne se produirait, selon ses partisans eux-mêmes, que dans un temps …infini ! Ce ne serait donc nullement une fin de l’Univers qui, pour s’engourdir progressivement, disposerait de l’éternité future. On ne comprend donc pas comment B&B peuvent en tirer argument pour dénier la possibilité d’une éternité passée. Remarquons enfin avec l’astrophysicien Michel Cassé que dans le scénario privilégié par ces auteurs, l’Univers évoluerait d’un état de faible entropie, donc hautement organisé, vers un état désorganisé, autrement dit, de l’ordre vers le chaos, contrairement au récit biblique où Dieu crée d’abord un tohu-bohu initial puis l’agence et le structure. Que penser d’un Créateur qui engendrerait un Univers remarquablement ordonné pour le laisser ensuite se dérégler spontanément et s’assoupir progressivement dans un état de pagaille complète ?

Faiblesses théologico-philosophiques

Mais la faiblesse insigne de l’entreprise apologétique que constitue cet ouvrage est d’ordre à la fois historique, philosophique et religieux plus encore que scientifique, au point que même un physicien ne peut manquer d’en être frappé. 

B&B font simplement fi de la longue histoire qui est celle des preuves scientifiques de l’existence de Dieu. Saint Anselme, au XIe siècle, a proposé une fameuse « preuve ontologique », fondée sur un argument de pure logique, qui inspirera Descartes, Leibniz, Hegel et sera même repris sous une forme mathématique axiomatisée par le grand logicien Gödel[5], mais sera vivement critiquée par Thomas d’Aquin, Kant, Bertrand Russell. Au-delà des démonstrations logiques de l’existence de Dieu, nombre de preuves ont été proposées depuis l’Antiquité à partir d’une vision de la Nature conçue comme ordonnée et harmonieuse et obéissant donc à un plan préétabli. Ce courant, dit de la « théologie naturelle », a été particulièrement important dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles et subsiste aujourd’hui chez les tenants de l’Intelligent Design. Mais cette position se heurte de plein fouet à la constatation que les diverses sciences modernes reconnaissent aujourd’hui à la Nature un caractère largement désordonné et chaotique — même si des poches locales et minoritaires d’organisation y existent.

Pour en revenir à l’idée d’une création temporelle de l’Univers, on ne peut qu’être sidéré par l’absence chez B&B de toute référence à l’intense débat théologique qui, au XIIIe siècle, a été animé par Bonaventure, Thomas d’Aquin, Boèce de Dacie, Guillaume d’Ockham et d’autres[6]. Ce débat a opposé deux conceptions de la création « au début du temps » : l’une suivant laquelle il est possible de démontrer rationnellement que le monde a commencé, l’autre selon laquelle cela est impossible, car ce commencement ne peut relever que de la foi. Cette seconde position, qui avait déjà été celle d’Averroès et de Maïmonide, est celle de Thomas d’Aquin qui met en garde contre la première en ces termes :

Que le monde ait commencé, est objet de foi, non de démonstration ou de savoir. Cette observation est utile pour éviter qu’en prétendant démontrer ce qui est de foi par des arguments non rigoureux, on ne donne l’occasion aux incroyants de se moquer, en leur faisant supposer que c’est pour des raisons de ce genre que nous croyons ce qui est de foi.[7]

Bien plus tard, Spinoza, pour sa part, concevait Dieu comme immanent à la nature, ce qui lui permettait de dire que « il n’a point existé de temps ou de durée avant la création », ajoutant avec profondeur que « le temps n’est rien qu’un mode de pensée », qui « ne présuppose donc pas seulement une chose créée quelconque, mais avant tout les hommes pensants »[8].

Au XVIIIe siècle enfin, Kant, dans sa première antinomie de la raison pure, donne une très classique démonstration que, contrairement aux prétentions de B&B, la thèse d’une temporalité infinie rejetée sommairement par B&B (p. 61) ne peut être philosophiquement établie a priori, non plus d’ailleurs que son antithèse[9]. De fait, la notion de temps est d’une trop grande généralité pour pouvoir être discutée hors d’un cadre conceptuel voire formel qui la restreint et la précise. De ce point de vue d’ailleurs, il est piquant de constater que la cosmologie classique du Big Bang qui donne à l’Univers un âge de 13,7 milliards d’années peut sans contradiction aucune assurer son éternité passée via une temporalité modifiée mais équivalente[10].

L’éternel retour du concordisme[11]

Mais le débat récurrent sur les relations entre science et religion ne cesse de revenir à la mode, réitérant sans trêve le poncif attribué à Bacon, Pascal, Pasteur et bien d’autres, et épinglé par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, selon lequel « un peu de science écarte de Dieu, mais beaucoup y ramène ». Pour nous borner à quelques exemples du vingtième siècle, le respectable mathématicien écossais E. Whittaker a commis dans cette perspective un petit ouvrage, Space and Spirit, dont le sous-titre est explicite : Theories of the Universe and the Arguments for the Existence of God, et qui s’appuyait sur les théories cosmologiques encore fragiles des années 1920 à 1940[12]. Le savant jésuite Teilhard de Chardin, suscitant au demeurant une sérieuse mise en garde du Saint-Office, avait exploré cette voie au milieu du XXe siècle, s’appuyant en particulier sur les sciences de la vie par le biais d’une interprétation créationniste de l’évolution biologique, rejoint par un autre philosophe catholique de l’époque, Claude Tresmontant[13]. Avec bien moins de sérieux, un livre à succès signé en 1991 par un académicien catholique et deux médiaticiens cathodiques avait encore illustré cet éternel retour[14]. Pourtant, dès 1945, le théologien thomiste A. D. Sertillanges avait montré les risques d’une exploitation simpliste de la notion de création[15]. La tentation concordiste n’est d’ailleurs nullement réservée au seul catholicisme : on la retrouve chez l’astrophysicien bouddhiste Trinh Xuan Thuan, et l’on ne compte plus les sites islamo-intégristes qui y cèdent[16]. Mais il faut rappeler que l’abbé Lemaître, l’un des fondateurs de la cosmologie évolutive moderne, avait mis en garde contre toute tentative d’exploitation apologétique des théories scientifiques, visant jusqu’à un discours en ce sens du pape Pie XII en 1951.

Il est évidemment plus intelligent pour les courants spiritualistes, plutôt que de s’opposer à la science et de la dénigrer, de s’essayer à la récupérer. L’inévitable confusion épistémologique qui entoure l’émergence de nouvelles conceptions scientifiques fournit un bouillon de culture assez trouble pour tenter d’en nourrir les visions du monde les plus diverses. Face à cette exploitation empressée, le rappel de la nécessaire prudence méthodologique, l’affirmation de l’indispensable séparation des genres entre science et religion, la référence à la laïcité de la recherche, semblent trop peu efficaces. La critique rationaliste, acculée par définition à la défensive, a toutes les apparences d’une tâche à la Sisyphe. Une autre stratégie cependant est possible dans ce débat d’idées : plutôt que d’affronter de face la lourde alliance (pas si nouvelle) du spiritualisme et du scientisme, il s’agit de la prendre à revers. Cette voie, c’est une fiction littéraire qui l’a illustrée avec virtuosité et intelligence. Un roman trop peu remarqué de John Updike, Ce que pensait Roger[17], a pour narrateur un professeur de théologie confronté à un jeune informaticien qui souhaite préparer une thèse pour « Démontrer à partir des données physiques et biologiques existantes, au moyen de modèles et manipulations sur ordinateur, l’existence de Dieu, c’est-à-dire d’une intelligence agissante et souveraine derrière tout phénomène. » La réponse indignée du théologien vaut d’être citée : 

Tous ces raisonnements à rebours, à partir des conditions actuelles, pour conclure qu’elles sont hautement improbables est-ce que vraiment ça nous donne une telle longueur d’avance sur l’homme des cavernes, qui ne comprenait pas pourquoi chaque mois la lune changeait de forme dans le ciel et en conséquence inventait un tas d’histoires sur les dieux, les blagues et les cabrioles auxquelles ils se livraient là-haut ?

Vous vous imaginez, dirait-on, que par pure obligeance Dieu est disposé à se précipiter pour combler le vide, la moindre lacune de la science. Le savant moderne n’a pas la prétention de tout savoir, il prétend uniquement savoir plus de choses que ses prédécesseurs, et aussi que les explications naturalistes paraissent se vérifier. Impossible d’avoir tout le bénéfice de la science moderne et, en même temps, de s’accrocher à la cosmologie de l’homme des cavernes.

Vous gardez Dieu prisonnier de l’ignorance humaine.

Mais ma foi, dérisoire ou non, me pousse à m’insurger avec horreur contre votre tentative, votre grossière tentative, ai-je failli dire, pour réduire Dieu au statut de fait, un fait parmi tant d’autres, pour L’induire ! J’ai l’absolue conviction que mon Dieu à moi, que le vrai Dieu de n’importe qui, ne sera pas induit, ne sera jamais tributaire de statistiques, de fragments d’ossements desséchés et de vagues lueurs au bout d’un télescope !

et de conclure en citant le théologien protestant Karl Barth : 

Quel genre de Dieu serait-ce, ce Dieu qu’il faudrait démontrer ?

Cet article, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur, a été publié antérieurement dans Les Cahiers rationalistes, n°675, novembre-décembre 2021 et Ciel & Espace, n°581, février-mars 2022 (en version abrégée)

[1] L’ouvrage a été publié fin 2021 chez Trédaniel, éditeur spécialisé dans l’ésotérisme, la parapsychologie, l’astrologie, etc.

[2] Voir R. Bacqué et A. Chemin, « Comment Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle », Le Monde, 16 novembre 2021.

[3] https://www.hubertreeves.info/chroniques/lpt_bbh/20140911.html

[4] Voir la note de Jean Farago et Wiebke Drenkham, « L’entropie de l’Univers est un concept plein de paradoxes », Le Monde, 30 juin 2021. Pour plus de détails : https://en.wikipedia.org/wiki/Heat_death_of_the_universe

[5] Voir Piergiorgio Odifreddi, « Une démonstration divine », Alliage n°43, juillet 2000, pp. 18-26, ainsi que Gilles Dowek : http://www-roc.inria.fr/who/Gilles.Dowek/Philo/licornes.pdf

[6] Voir l’excellente anthologie rassemblée et commentée par Cyrille Michon & al., Thomas d’Aquin et la controverse sur L’Eternité du monde, GF Flammarion, 2004

[7] Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q46, a2. Voir aussi le Æternitate mundi de Thomas, in ref.6.

[8] Baruch Spinoza, Pensées métaphysiques, Deuxième partie, chapitre X.

[9] Emmanuel Kant, Critique de la raison pure (livre III, chapitre II).

[10] Jean-Marc Lévy-Leblond, « Did the Big Bang begin ? », Am. J. Phys. 58, 1990, p. 156, et « L’origine des temps, un début sans commencement », in La Pierre de touche, Gallimard, 1996, pp. 337-350.

[11] Voir Yves Gingras, L’impossible dialogue, PUF, 2016.

[12] Edmund Whittaker, Space and Spirit, H. Regnery Company, 1948. Une critique précise et argumentée des thèses de Whittaker avait été faite immédiatement par le théologien thomiste Fernand van Steenberghen, « La physique moderne et l’existence de Dieu », Revue philosophique de Louvain, 1948, pp. 376-389 ; voir aussi, du même auteur, « Sciences positives et existence de Dieu », Revue philosophique de Louvain, 1959, pp. 397-414.

[13] Claude Tresmontant, Essai sur la connaissance de Dieu, Cerf, 1959 (curieusement réédité récemment en 2017).

[14] Jean Guitton, Igor et Grichka Bogdanov, Dieu et la science, Grasset, 1991.

[15] Antoine-Dalmace Sertillanges, L’idée de création et ses retentissements en philosophie, Aubier, 1945.

[16] Pour une critique de la récupération islamiste des sciences, voir Faouzia Charfi, L’Islam et la science. En finir avec les compromis, Odile Jacob, 2021. 

[17] John Updike, Roger’s Version, A. Knopf, 1986 ; trad. fr., Ce que pensait Roger, Gallimard, 1998.

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La Confession optimiste de Jean-Paul Sartre

Posté le 20 novembre 2022 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette « Confession optimiste », comme dans les précédentes entrevues fictives((Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev, Edgar Morin, Simone de Beauvoir.)), un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »((Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).)). On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Jean-Paul Sartre, né à Paris en 1905, connu comme essayiste, écrivain, romancier, dramaturge et philosophe. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Jean-Paul Sartre – essentiellement, à ses Entretiens avec Simone de Beauvoir((Simone de Beauvoir, La cérémonie des adieux suivi de Entretiens avec Jean-Paul Sartre – Août-septembre 1974, Gallimard, Paris 1981, Folio,1995, 625 p.)), à son essai autobiographique Les Mots((Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, 1964, Folio, 1996, 212 p.)) et à sa conférence « L’existentialisme est un humanisme »((Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, 1996, Folio, 2002, 111p. Il s’agit du texte sténographié, à peine retouché par Sartre, d’une conférence qu’il a donnée à Paris le lundi 29 octobre 1945, publié l’année suivante chez Nagel.)) ainsi qu’à d’autres sources.((On se reportera avec intérêt au texte nettement plus académique de Vincent de Coorebyter, « L’athéisme de Sartre », in Athéisme et Philosophie, sous la direction de Jacques Teghem, ABA Éditions, Collection Études athées, Bruxelles, 2017, 185 p., pp.131-154.))

Bonjour, Monsieur Sartre. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar((OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.)) en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Jean-Paul Charles Aymard Sartre, né le 21 juin 1905 à Paris et mort le 15 avril 1980 à Paris.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. C’est bien moi : appelez-moi Sartre, tout simplement.

Nous ferons donc ainsi, dit l’Inquisiteur, c’est commode.

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, il y aura assez de choses difficiles à dire et je dirai ce que je dirai au moment où je le dirai.

Dans notre entretien, Sartre, je ne m’occupe que de votre rapport à la religion, à la foi et à Dieu. Le reste n’est pas de mon ressort.

Pour ce qui est de votre ressort, Monsieur l’Inquisiteur, l’affaire s’est résolue définitivement dans mon enfance. Quand Dieu et moi, nous avons fait monde à part, j’ai rejoint les rivages de l’athéisme.

Ah, dit l’Inquisiteur, vous avez, vous Sartre, commencé sous la bannière de la religion.

Des religions, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis né dans une sorte de no man’s land aux confins de deux christianismes. Après la mort de Jean-Baptiste (Sartre, mon père), j’ai vécu avec ma mère chez mes grands-parents Schweitzer, entre le catholicisme des femmes et le protestantisme luthérien de Charles Schweitzer, lui-même fils de pasteur protestant.

En somme, Sartre, vous aviez une certaine connaissance de la religion ; vous sentiez la présence de Dieu.

D’une certaine manière, Monsieur l’Inquisiteur, je sentais la présence de Dieu, lequel s’incarnait dans mon grand-père, qui fut le Dieu d’Amour avec la barbe du Père et le Sacré-Cœur du Fils ; il me faisait l’imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume. Il m’asseyait sur ses genoux et me regardait dans le fond des yeux et disait : « Je suis homme, je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger. »

Oui, Sartre, c’est une belle déclaration, mais le Dieu de la religion, le Dieu du catéchisme ?

Vers l’âge de huit, neuf ans, je n’avais déjà avec ce Dieu invisible que des rapports de bon voisinage. Il était là, parfois il se manifestait. C’était un regard qui se posait sur moi. Tout ça était très vague, sans grand rapport avec le catéchisme. Et vers l’âge de douze ans, je me suis dit tout d’un coup : Dieu n’existe pas. J’y ai repensé le lendemain ou le surlendemain, et j’ai continué à déclarer que Dieu n’existait pas. Et jamais plus je ne me suis posé la question.

Et ensuite, Sartre, quel a été le résultat de cette révélation dans votre rapport à la religion ?

Pas considérable. De toute façon, je n’étais pas du tout lié à la religion catholique, je n’allais pas à l’église avant, je n’y allais pas après. Je ne me souviens pas de m’être jamais plaint ou étonné que Dieu n’existât pas. J’estimais que c’était une blague qu’on m’avait racontée, une blague dont les gens étaient persuadés et dont moi, j’avais compris que c’était faux.

Vous vous conceviez comme athée ?

Certainement pas, Monsieur l’Inquisiteur. J’ignorais les athées puisque ma famille était honnêtement, honorablement croyante.

À ce sujet, sur ce point si important de la croyance, Sartre, étiez-vous en conflit avec votre famille ?

Ma foi, non. Mes pensées personnelles étaient en opposition étroite avec les pensées de ma famille, mais je pensais pour moi seul et la vérité était ce qui m’apparaissait vrai. Je pensais qu’il fallait retrouver soi-même sa propre pensée. J’avais pourtant une religion : un même souffle modelait les ouvrages de Dieu et les grandes œuvres humaines ; un même arc-en-ciel brillait dans l’écume des cascades, miroitait entre les lignes de Flaubert, luisait dans les clairs-obscurs de Rembrandt : c’était l’Esprit. L’Esprit parlait à Dieu des hommes ; aux hommes, il témoignait de Dieu. J’avais trouvé ma religion : rien ne me parut plus important qu’un livre. La bibliothèque, j’y voyais un temple ; je vivais sur le toit du monde, j’y respirais l’air raréfié des Belles-Lettres, l’Univers s’étageait à mes pieds.

Souvent, Sartre, chez les enfants, la mort induit certains à la religion ou confirme leur croyance.

Je sais cela, Monsieur l’Inquisiteur. Enfant, j’ai vu la mort. À cinq ans : elle me guettait ; le soir, elle rôdait sur le balcon, collait son mufle au carreau, je la voyais, mais je n’osais rien dire. À cette époque, j’avais rendez-vous toutes les nuits avec elle dans mon lit. J’attendais tout tremblant, et elle m’apparaissait, squelette très conformiste, avec une faux. Puis, elle s’en allait et je pouvais dormir. Cependant, ni les enterrements, ni les tombes ne m’inquiétaient. À sept ans, la vraie Mort, la Camarde, je la rencontrais partout, mais je la refusais, de toutes mes forces. Dieu m’aurait tiré de peine. Je pressentais que la religion, c’était le remède.

Et de quelle religion s’agissait-il ? Et vous l’a-t-on refusée, Sartre ?

On ne me la refusa pas ; élevé dans la foi catholique, j’avais appris que le Tout-Puissant m’avait fait pour sa gloire ; c’était plus que je n’osais rêver. Naturellement, tout le monde croyait chez nous. L’incroyance déclarée gardait la violence et le débraillé de la passion. L’athée était un original, un furieux qu’on n’invitait pas à dîner, un fanatique encombré de tabous qui se refusait le droit de s’agenouiller dans les églises, d’y marier ses filles et d’y pleurer délicieusement, qui s’imposait de prouver la vérité de sa doctrine par la pureté de ses mœurs, qui s’ôtait le moyen de mourir consolé, un maniaque de Dieu qui voyait partout Son absence, un monsieur qui avait des convictions religieuses. Le croyant n’en avait pas : deux mille ans de certitudes chrétiennes avaient eu le temps de faire leurs preuves ; c’était le patrimoine commun. La bonne société croyait en Dieu. On m’avait baptisé pour préserver mon indépendance ; en me refusant le baptême, on eût craint de violenter mon âme. Catholique inscrit, j’étais libre, j’étais normal. « Plus tard, il fera ce qu’il voudra. » C’est ce que j’ai fait.

Ainsi, Sartre, vous étiez catholique.

Oui et j’aurais même pu le rester. Ce que je viens de vous raconter, c’est l’histoire de ma vocation manquée. J’avais besoin de Dieu, on me le donna. Faute de prendre racine, Il a végété, puis il est mort. Quand on m’en parle, je dis : « Il aurait pu y avoir quelque chose entre nous. »

Et alors, à partir de là, Sartre, quelle fut votre évolution, l’histoire de votre cheminement ?

Voilà mon commencement : à travers une conception périmée de la culture, la religion transparaissait. On m’enseignait l’Histoire sainte, l’Évangile, le catéchisme sans me donner les moyens de croire. Prélevé sur le catholicisme, le sacré se déposa dans les Belles-Lettres et l’homme de plume apparut, ersatz du chrétien que je ne pouvais être. Protestant et catholique, ma double appartenance me retenait de croire aux Saints, à la Vierge et finalement à Dieu. L’illusion tombait en miettes ; martyre, salut, immortalité, tout s’est délabré, l’édifice est tombé en ruines ; l’athéisme est une entreprise cruelle. Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ; n’importe qui et en même temps, lui-même.

Sartre, avez-vous eu peur de la mort ?

Monsieur l’Inquisiteur, la mort est tout simplement la fin de la vie. Il y a un bilan à faire avant la liquidation. C’est ce bilan qui m’intéresse. En bref : j’ai fait ce que je voulais, c’est-à-dire : j’ai écrit, ça a été l’essentiel de ma vie. Ce que je réclamais enfant, je l’ai réussi. Dans quelle mesure ? Je n’en sais rien, mais j’ai fait ce que je voulais, des œuvres qui ont été écoutées, qui ont été lues. Par conséquent, quand je suis mort, je ne suis pas mort comme beaucoup de gens, en disant : « Ah ! Si la vie était à refaire, je la referais autrement, je l’ai manquée, je l’ai ratée ! » Non. Je m’accepte totalement. Je suis mort satisfait. Et jamais la mort n’a pesé sur ma vie.

Sartre, avez-vous jamais pensé qu’il y avait un quelque chose au-delà ?

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, mais il faut aussitôt préciser les choses. Tout futur qu’on imagine renvoie à la conscience, car l’imagination ne peut se développer que dans la conscience et dans une conscience consciente d’elle-même. La conscience est d’abord conscience de soi. On ne peut pas imaginer un moment où la conscience ne serait plus. On peut imaginer un univers où le corps ne sera plus, mais imaginer ce fait implique la conscience au présent et au futur ; la conscience ne peut se penser au futur sans se penser dans le présent pour se voir elle-même dans le futur. C’est une pensée qui se projette en porte-à-faux dans le néant ; c’est cette projection dans le vide qui anime l’au-delà. En fait, j’ai toujours pensé, comme athée, qu’il n’y avait rien du tout après la mort. On vit, on meurt, point final.

Sartre, tout d’un coup dans votre enfance, Dieu s’est effacé de votre vie, vous êtes devenu athée. Votre athéisme a-t-il évolué à partir de là ?

Je pense qu’il s’est fortifié, qu’il est passé à un athéisme plus matériel, à un athéisme matérialiste. Je suis parti d’un monde qui devait me mettre en liaison avec un paradis où je verrais Dieu à un monde qui était l’unique réalité, où Dieu est une absence, où seules sont les choses et les choses sont seules, et surtout, l’homme est seul. C’est une drôle de chose que l’homme, un être perdu dans le monde et en même temps, capable de le voir comme son objet, à la fois, en dedans et en dehors du monde.

Au fait, Sartre, vous êtes philosophe. Philosophe et athée ?

Philosophe et athée, Monsieur l’Inquisiteur, et donc, au moment des études, absolument assuré de la non-existence de Dieu, j’ai entrepris de me faire philosophe : mon idée était une philosophie pour un monde sans Dieu. Il me semblait qu’une grande philosophie athée, réellement athée, manquait dans la philosophie. Je voulais faire une philosophie de l’homme ancrée dans un monde matériel. C’est un travail de longue haleine de passer de l’intuition athée à un athéisme matérialiste, d’accéder à une nouvelle conception de l’être, qui se fonde dans les choses. Il s’agit d’assumer que la conscience en chacun justifie sa manière d’être et cette conscience est une chose, une réalité qui est là constamment tout entière. La conscience est la conscience du monde et ainsi, on se retrouve dans la réalité.

Pour vous, Sartre, l’athéisme est difficile à mettre en mots, à mettre en place dans la conscience ?

En tout cas, du fait de l’imprégnation religieuse de la conscience et de la société, il est difficile de réaliser d’une manière matérialiste le monde sans Dieu, de sentir le monde dans les objets, dans les choses, dans les gens. En fait, la conscience est en nous, l’objet est dépourvu de conscience. Les objets n’existent pas pour l’homme, pour la conscience. Ils existent sans conscience, d’abord. Une des conséquences est que le monde n’a pas été créé pour l’homme et les consciences n’inventent pas ce qu’elles voient : elles saisissent un objet réel en dehors d’elles, sous des profils divers.

L’athéisme est une des bases de votre vie, mais, Sartre, que pensez-vous des croyants ?

On n’est pas dans un monde athée, Monsieur l’Inquisiteur, il y a encore trop de gens qui croient. La croyance en Dieu, et la croyance tout court, ça me paraît une survivance. Je pense qu’il y a eu un temps où il était normal de croire en Dieu. À l’heure qu’il est, la croyance a quelque chose de périmé, de vieillot. À la base de la croyance, il y a une vision du monde qui est d’une époque passée, mais qui a des avantages : il est beaucoup plus agréable de penser que le monde est bien clos, avec une synthèse faite, non pas par nous mais dehors par un Être suprême. Cependant, pour établir Dieu, il faut tourner le dos à la science, conserver une notion que les sciences de la nature et de l’homme ont sans le dire, sans le vouloir expressément, largement contribué à expulser.

Et vous, Sartre, vous voulez un monde humain athée ?

Les athées introduisent de l’athéisme dans le monde humain et cela mène à un monde humain athée. Ce qu’en effet je souhaite, c’est le rapport direct de l’homme à l’homme, sans nul besoin de passer par l’infini. Les actes constituent la vie ; elle ne doit rien à Dieu, elle est elle-même telle qu’on la veut, et en partie telle qu’on la fait sans la vouloir, telle qu’elle nous fait. Oui, un monde humain athée, évidemment. Le faire advenir, comment ? Je pense que dans la mesure où nous, athées, travaillons tous plus ou moins à constituer un genre humain qui aura ses principes, ses volontés, son unité, sans Dieu, nous sommes tous, réellement dans tous les moments de notre vie, des athées, au moins des athées d’un athéisme qui se développe, qui se réalise de mieux en mieux.

Alors, Sartre, l’existentialisme est-il un athéisme ?

En tout cas, l’existentialisme que je revendique sous le nom d’existentialisme athée est un athéisme. Il déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être, c’est l’homme. Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde et qu’il se définit après. Par l’homme, il faut entendre, à la fois, l’humanité entière et l’homme singulier, enfin, vous, moi. Et l’homme au début n’est rien. Il – l’homme générique comme l’homme singulier – ne sera qu’ensuite, et tel qu’il se sera fait. Il n’y a pas de place pour Dieu dans ce processus contingent. Mais cet athéisme existentialiste est aussi et nécessairement, un humanisme. L’homme se réalise en face des autres. 

Sartre, pouvez-vous situer cet humanisme existentialiste dans son rapport à l’athéisme ? Que reste-t-il des valeurs ?

Si on supprime Dieu le Père, comme créateur des valeurs, il faut bien quelqu’un qui les invente en prenant les choses comme elles sont. Ce qui est central, c’est que la vie n’a pas de sens, a priori. Avant que l’homme, singulier, générique, etc. n’existe, elle n’a pas de sens ; c’est en donnant ce sens à la vie qu’on crée la valeur ; la valeur n’est pas autre chose que ce sens qu’on choisit. Il y a là la possibilité de créer une communauté humaine consciente, une communauté de valeurs, un ensemble de valeurs communes, une cohérence humaine. L’existentialisme ne prend pas l’homme comme fin, car il est toujours à faire, toujours en devenir.

Que reste-t-il, Sartre, après cet abandon de Dieu ? Le désespoir, la désespérance ? 

En ce qui concerne l’abandon de Dieu, que le croyant appelle désespoir – la dissolution de l’espoir, de l’espérance, et je dois vous avouer que l’athéisme est bien cela – un « dés-espoir » ; car il ne peut y avoir d’espoir, d’espérance dans un futur encore à faire. On ne saurait confondre le désespoir (désespérance) des croyants et le nôtre, car pour nous, l’athéisme est un optimisme, il est pensée et action dans le réel. L’athée est désespéré en ce qu’il ne participe plus de l’espoir, qu’il a jeté aux orties cet oripeau qu’est l’espérance. L’espoir, qui se situe dans un avenir forcément indéterminé, est un attrape-nigaud, un ectoplasme, un irréel. Le désespoir de l’athée est une libération du fait qu’il ne se fie plus à une volonté supérieure pour vivre et effectivement, mourir.

Eh bien, Sartre, vous me paraissez décidément un athée invétéré.

C’est ce que je pense aussi, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis athée invétéré et content de l’être. Pour vous donner une idée de ma joie, je pense à cette chanson de Brassens qui donne une vision poétique de l’athéisme :

Il suffit de passer le pont,

C’est tout de suite l’aventure !

Laisse-moi tenir ton jupon,

Je t’emmène visiter la nature !((Georges Brassens, Il suffit de passer le pont, 1953 ; Les Chansons d’abord, édition établie par Pierre Saka, Livre de Poche, Libraire Générale Française, Paris, 1993, 287p., p.18.))

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La Confession pragmatique de Simone de Beauvoir

Posté le 19 septembre 2022 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession pragmatique, comme dans les précédentes entrevues fictives (1) ((Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev,  Edgar Morin)), un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrante ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie — « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »((Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).)). On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, la suspecte Simone de Beauvoir, née à Paris en 1908, connue comme femme, essayiste, écrivaine, romancière, féministe, philosophe. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Simone de Beauvoir — essentiellement, à ses « Mémoires d’une jeune fille rangée »((Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, Gallimard, Paris, 1972 — Folio, 2011, 473 p.)), à « Tout compte fait » ((Simone de Beauvoir, Tout compte fait, Gallimard, Paris, 1978 — Folio, 1989, 634 p.)) et à d’autres sources.

Bonjour, Madame ou Mademoiselle, comment faut-il dire exactement ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar ((OVRAAR : voir note dans Carlo Levi )) en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Simone Lucie Ernestine Marie Bertrand de Beauvoir, née à Paris, le 9 janvier 1908.

Bonjour à vous, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Simone. Oui, je suis née à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc, qui donnait sur le boulevard Raspail. Mon père était avocat et ma mère avait pour mission de s’occuper des enfants — c’est-à-dire ma sœur Hélène, surnommée Poupette, ma cadette de deux ans et moi ; mission qu’elle déléguait volontiers à Louise, la jeune fille qui nous gardait.

Madame de Beauvoir, dit l’Inquisiteur, je ne peux vous appeler Simone, la chose ne convient pas à notre entretien.

Je vous en prie, Monsieur l’Inquisiteur, en ce cas, appelez-moi Mademoiselle de Beauvoir ; j’y tiens : j’ai passé ma vie sans jamais me marier et aussi, sans doute vous l’a-t-on dit, à revendiquer l’égalité entre la femme et l’homme. Il me plaît que cela soit dit et noté. Dans le meilleur des cas, comme la religion, le mariage est un choix quand il est décidé librement. On se marie ou on ne se marie pas ; mais il n’y a pas lieu de camoufler cet état de choses. Non, décidément, Madame de Beauvoir, c’était ma grand-mère, c’était ma mère.

Commençons donc, Mademoiselle de Beauvoir, par le début, je veux dire le temps où vous étiez une petite fille, quand vous étiez une enfant qui découvrait le monde.

Vous savez, Monsieur l’Inquisiteur, j’étais une enfant sage, dans l’ensemble. Parfois, je faisais des caprices ; je désobéissais pour le seul plaisir de ne pas obéir et on disait que j’étais « têtue comme une mule. » Jamais, je ne mettais sérieusement en doute l’autorité. En ce temps-là, j’acceptais sans la moindre réticence les dogmes et les valeurs qui m’étaient proposés. Je croyais au Bien et au Mal. En résumé, j’étais une bonne petite fille, je commettais des fautes et je pensais que ma tante Alice qui priait beaucoup irait sûrement au ciel.

Ah, dit l’Inquisiteur, il y avait le Bien et le Mal ? Comment voyiez-vous l’un et l’autre ?

Pour le Bien, Monsieur l’Inquisiteur, c’est simple, mes parents détenaient le monopole de l’infaillibilité ; le Bien était le climat de la maison, j’habitais la région du Bien. Maman m’amenait à l’église, elle me montrait le petit Jésus, le bon Dieu, la Vierge, les anges. Une épée de feu séparait le Bien et le Mal. Le Mal était à distance, le Méchant péchait ; l’enfer était son lieu naturel. Ogres, sorcières, démons, marâtres et bourreaux symbolisaient cette puissance.

En somme, Mademoiselle de Beauvoir, vous aviez de la religion, n’est-ce pas ?

On peut dire les choses ainsi. La religion élucidait les mystères. Par exemple, on me raconta d’abord que les parents achetaient leurs enfants. Il pouvait bien y avoir quelque part des magasins de bébés, mais je me suis dit : « C’est Dieu qui crée les enfants. » Il avait tiré la terre du chaos, Adam du limon, il pouvait bien faire surgir les enfants dans un moïse. La volonté divine était fort pratique ; elle expliquait tout. Toutefois, j’avais mes limites. Le miracle de Noël passait les bornes. Je trouvais incongru que le tout-puissant petit Jésus descende par les cheminées comme un vulgaire ramoneur. Mes parents ont avoué. Là, le monde commençait à basculer ; il pouvait y avoir des certitudes fausses.

Et à l’école, Mademoiselle de Beauvoir, appreniez-vous la religion ?

Certainement, monsieur l’Inquisiteur ; à l’âge de l’école primaire, on m’avait mise dans l’enseignement catholique au Cours Désir, un endroit, une école privée plutôt sélecte, où les mères assistaient aux cours. J’aimais apprendre et l’Histoire sainte (très estimée en ces lieux) me semblait plus amusante que les Contes de Perrault, car tout ce qu’elle racontait était arrivé pour de vrai. L’année suivante, avec la Guerre, j’ai pu mettre en acte certaine vertu chrétienne en quêtant « Pour les petits réfugiés belges ! » et je me promenai dans la basilique du Sacré-Cœur avec d’autres fillettes en agitant une oriflamme et en priant pour les poilus.

Et puis, dites-moi, Mademoiselle de Beauvoir, vous vous soumettiez volontiers à la confession ?

Bien sûr, Monsieur l’Inquisiteur. Il faut dire qu’on m’y avait encouragée en me disant que grâce à ma piété, « Dieu sauverait la France ». Et je le croyais. Quand l’aumônier m’eut prise en main, je devins une petite fille modèle. Il était jeune, pâle, infiniment suave ; il m’initia aux douceurs de la confession. Il me fit voir ma belle âme que j’imaginais blanche et rayonnante comme l’hostie dans l’ostensoir. J’entrai dans une confrérie enfantine, « Les anges de la Passion », ce qui me donna le droit de porter un scapulaire et le devoir de méditer sur les sept douleurs de la Vierge.

Et la communion, Mademoiselle de Beauvoir, comment cela s’est-il passé ?

Fort bien, Monsieur l’Inquisiteur. J’ai suivi une retraite, j’ai compati aux malheurs de Jésus. Vêtue d’une robe de tulle, coiffée d’une charlotte fleurie, j’ai avalé ma première hostie ; ensuite, maman m’emmena communier trois fois par semaine. Je le faisais en songeant au chocolat chaud qui m’attendait au retour à la maison.

Comment conceviez-vous la vie à cette époque, Mademoiselle de Beauvoir ?

La vie était simple : j’étais convaincue que mes parents ne voulaient que mon bien et puis, c’était la volonté de Dieu : il m’avait créée, il était mort pour moi, il avait droit à une absolue soumission. Tout ça était l’œuvre de ma mère, très croyante et très pratiquante, à qui mon père avait abandonné notre éducation. Elle trouva son guide chez les « Mères chrétiennes » : elle dirigeait mes lectures, m’emmenait à la messe et au salut, on faisait en commun, avec elle et ma sœur, nos prières matin et soir. Elle m’apprit à m’effacer, à contrôler mon langage, à censurer mes désirs. Je ne revendiquais rien et j’osais peu de choses. D’autre part, mon père n’allait pas à la messe, il ne croyait pas. Il m’emmenait au spectacle, il me faisait lire, il guidait ma vie intellectuelle tandis que ma mère surveillait ma vie spirituelle. L’intelligence, la culture étaient d’un autre ordre que la croyance et ne relevaient pas de la religion. Dieu avait son domaine propre ; il vivait à l’écart. J’étais protégée et guidée sur les chemins de la terre comme sur les voies du ciel. Je tenais pour une chance insigne que le ciel m’eût dévolu précisément ces parents, cette sœur, cette vie.

Enfant, vous étiez dans un monde paisible et la religion vous y confortait, me semble-t-il, Mademoiselle de Beauvoir ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur,  peu de choses dérangeaient ma tranquillité. J’envisageais la vie comme une aventure heureuse ; contre la mort, la foi me défendait : je fermerais les yeux et les mains neigeuses des anges me transporteraient au ciel ; un mince tapis d’azur me séparait des paradis où resplendit la vraie lumière ; je me couchais sur la moquette, yeux clos, mains jointes, et je commandais à mon âme de s’échapper. Dieu me promettait l’éternité. Il n’y aurait pas de fin. Je ne cesserais jamais de voir, d’entendre, de parler.

Justement, Mademoiselle de Beauvoir, comment voyiez-vous alors votre vie future ? La religion était-elle votre boussole, Dieu, votre Guide ?

Là, Monsieur l’Inquisiteur, vous interrogez l’imaginaire, c’est très mystérieux. Je me rêvais l’absolu fondement de moi-même et ma propre apothéose. Je me flattais de régner seule sur ma propre vie. Cependant, la religion me suggérait un autre rôle : j’étais Marie-Madeleine aux pieds du Christ ; j’étais une religieuse enfermée dans un cachot, je bafouais mon geôlier en chantant des hymnes. Je pouvais m’y complaire, je savourais les délices du malheur, de l’humiliation dans la nuit du confessionnal devant le suave abbé Martin, je goûtais d’exquises pâmoisons, les larmes coulaient, je sombrais dans les bras des anges. Pour ce qui est de Dieu et de la croyance, les pensées vont et viennent à leur guise dans notre tête, on ne fait pas exprès de croire ce qu’on croit.

Vous aviez, Mademoiselle de Beauvoir, une dévotion particulière pour Jésus ?

J’étais très pieuse ; je me confessais deux fois par semaine ; souvent pendant la journée, j’élevais mon âme à Dieu. Je ne m’intéressais plus à l’enfant Jésus, mais j’adorais éperdument le Christ. Je contemplais avec des yeux d’amoureuse son beau visage tendre et triste. Quand j’avais assez longtemps embrassé ses genoux et pleuré sur son corps, je le laissais remonter au ciel. Il s’y fondait avec l’être le plus mystérieux à qui je devais la vie et dont un jour, et pour toujours, la splendeur me ravirait. Quel réconfort de le savoir là ! Il n’y avait au monde que Lui et moi ; mon existence avait un prix infini. Dieu prenait toujours mon parti, il était le lieu suprême où j’avais toujours raison. Je l’aimais, avec toute la passion que j’apportais à vivre.

Votre croyance était très forte, Mademoiselle de Beauvoir, on dirait un roc flamboyant, inaltérable.

On dirait, Monsieur l’Inquisiteur, et je le sentais ainsi, mais je trouvais bizarre quand les gens venaient de communier, de les voir si vite se replonger dans le train-train habituel ; je faisais comme eux, mais j’en étais gênée. Au fond, ceux qui ne croyaient pas menaient juste la même existence ; je me persuadai de plus en plus qu’il n’y avait pas place dans le monde profane pour la vie surnaturelle. Mais rassurez-vous, le roc restait inaltérable : entre l’infini et la finitude, mon choix était fait. « J’entrerai au couvent », il n’y avait d’autre occupation raisonnable que de contempler à longueur de temps la gloire de Dieu. Je savais qu’une implacable logique me promettait au cloître : comment préférer le rien à tout ? À Meyrignac, en vacances à la campagne, chez grand-père, seule le soir, contre le silence infini, sous l’infini du ciel, la terre faisait écho à cette voix en moi qui chuchotait : je suis là ; mon cœur oscillait de la chaleur vivante au feu glacé des étoiles. Là-haut, il y avait Dieu, et il me regardait ; caressée par la brise, grisée de parfums, cette fête dans mon sang me donnait l’éternité.

En quelque sorte, Mademoiselle de Beauvoir, vous aviez la foi ; était-ce bien ça ? Comment la ressentiez-vous ?

Ah, Monsieur l’Inquisiteur, la foi ? La foi, c’était mon assurance contre l’enfer, que je redoutais. Si on cessait de croire, tous les gouffres s’ouvraient ; un pareil malheur pouvait-il arriver sans qu’on l’eût mérité ? La petite suicidée n’avait pas péché par désobéissance ; elle avait juste lu des livres. Pourquoi Dieu ne l’avait-il pas secourue ? Je ne comprenais pas que la connaissance conduisît au désespoir. En fait, cette enfant avait découvert l’authentique visage de la réalité. L’idée qu’il y a un âge où la vérité tue répugnait à mon rationalisme. Ainsi, alors, je gardais la foi céleste, mais avec des réserves terrestres. Par exemple, à propos de la façon dont naissent les enfants, le recours à la volonté divine ne suffisait plus, car je savais que, les miracles mis à part, Dieu opère à travers des causalités naturelles.

Mademoiselle de Beauvoir, ne vous est-il pas arrivé de rencontrer Dieu dans la nature ?

À ces âges, mon expérience humaine était courte, la nature me découvrait, visibles, tangibles, quantité de manières d’exister dont je ne m’étais jamais approchée. En ville, les façades des immeubles, les regards indifférents des passants m’exilaient, mais aux vacances, dès que j’arrivais à Meyrignac, je me perdais dans l’infini, je sentais autour de moi la présence de Dieu. À Paris, les hommes et leurs échafaudages me le cachaient ; je voyais ici les herbes, les nuages, ils portaient sa marque. Plus je collais à la terre, plus je m’approchais de lui. Cependant, c’est à peu près à cette époque, alors que je conservais cette foi ardente, que mes rapports avec la religion et tout son apparatus commencèrent à s’étioler. J’avais donc, d’un côté, la foi et la croyance en Dieu et presque soudainement, la religion, d’un autre.

Ha ? Mademoiselle de Beauvoir, que voulez-vous dire ? Que s’est-il passé ?

D’abord, pour ce qui est de la foi, de la piété, de la croyance, de la proximité avec Dieu, ma réflexion, très méditative, me transportait hors du monde des humains. Dieu était dans l’infini du ciel, loin des aventures terrestres. Je priais, je méditais, j’essayais de rendre sensible à mon cœur la présence divine. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où je me suis sentie trahie par mon confesseur que je tenais pour le représentant de Dieu et qui quitta soudain sa haute mission pour s’immiscer dans mes démêlés avec la discipline quotidienne. Je quittai le confessionnal avec le soupçon que Dieu lui-même était tracassier, mesquin comme une vieille dévote ; peut-être même était-il bête. Après coup, calmée, je mis la faute sur le compte du traître usurpateur du divin. Je cherchai un autre confesseur ; j’essayai un roux, un brun. Finalement, aucun prêtre ne pouvait représenter Dieu ; personne sur terre n’incarnait Dieu, j’étais seule face à lui. Déjà, comme vous le voyez, la religion se détricotait. Je me rendais compte que la Bible, les Évangiles, les miracles, les visions n’étaient garantis que par l’autorité de l’Église. Les faits religieux n’étaient convaincants que pour les convaincus. Un soir, à Meyrignac, où je priais sur le balcon, une chaude odeur d’étable montait vers le ciel, ma prière retomba. J’écoutai le glouglou de l’eau dans la nuit et je compris que rien ne me ferait renoncer aux joies terrestres. « Je ne crois plus en Dieu », me dis-je, sans étonnement. C’était une évidence. Je n’essayai pas de ruser ; dès que la lumière se fit en moi, je tranchai net et mon incrédulité ne vacilla jamais.

Et après, Mademoiselle de Beauvoir, votre vie a changé ? Vous êtes-vous faite à cette perte de Dieu ?

Quant à la pratique de ma vie, Monsieur l’Inquisiteur, ma conversion ne la modifia pas. J’avais cessé de croire en découvrant que Dieu n’exerçait aucune influence sur mes conduites ; elles ne changèrent donc pas lorsque je renonçai à lui. J’avais imaginé que la loi morale tenait de lui sa nécessité. Elle était si profondément gravée en moi qu’elle demeura intacte après sa suppression. Oh, je me passai très bien de Dieu. Je ne souhaitais pas du tout qu’il existât et si j’avais cru en lui, je l’aurais détesté, Dieu m’aurait volé ma terre, ma vie, autrui, moi-même. Je tenais pour une grande chance de m’être sauvée de lui.

Comme ça, d’un coup, définitivement, sans regret, Mademoiselle de Beauvoir ?

Oui, vous dites juste, il y eut quelques retours de flamme. Il fut un moment où, cherchant la plénitude, je me demandai si une mystique n’était pas possible. Je pensais « Je veux toucher Dieu ou devenir Dieu » et je m’abandonnai par intermittence à ce délire. Je ne songeais pas au Dieu des chrétiens ; le catholicisme me déplaisait de plus en plus ; j’en étais barbouillée. Je sommai Dieu de se manifester, il se tint coi et plus jamais je ne lui adressai la parole. Au fond, j’étais très contente qu’il n’existât pas. J’en avais assez des « complications catholiques », des impasses spirituelles, des mensonges du merveilleux ; je voulais toucher terre.

Et puis, finalement, Mademoiselle de Beauvoir, vous vous êtes résolue à l’athéisme ?

Monsieur l’Inquisiteur, on vient de parcourir ensemble le chemin qui m’a menée de l’enfance religieuse, crédule, à l’adolescence mystique, à la disparition de Dieu, à l’incroyance et oui, en effet, à l’athéisme. Fin du voyage illusoire et retour sur terre. Cela dit, depuis lors, il y a un point sur lequel ma position n’a pas changé : mon athéisme. De bonnes âmes déplorent le hasard malheureux qui m’a fait perdre la foi. On m’écrit : « Ah, si vous aviez lu l’Évangile ! vécu parmi de vrais chrétiens, connu un prêtre intelligent, etc. » Comme on vient de le voir, mon éducation religieuse a été très poussée et je savais par cœur de longs passages de l’Évangile. J’ai connu des chrétiens intelligents. Ils pensaient que la foi dépend de Dieu, c’est sans doute ainsi à leurs yeux ; aux miens, je cherche des facteurs sociaux ou psychologiques pour l’expliquer. La foi est un accessoire qu’on reçoit dans l’enfance avec l’ensemble de la panoplie et qu’on garde, comme le reste, sans se poser de question. Lorsqu’apparaît un doute, le croyant l’écarte pour des raisons affectives, par nostalgie, attachement à l’entourage, crainte de la solitude et de l’exil qui menacent les non-conformistes.  Certains ont besoin d’un être souverain ; chez ceux-là, des intérêts idéologiques sont en jeu, des habitudes de pensée, des systèmes de références, des valeurs dont on est devenu prisonnier.

Oui mais, Mademoiselle de Beauvoir, je vous ai entendue me parler de votre enfance et de la foi qui la nimbait. Ne pourriez-vous y revenir ?

Sartre m’a dit un jour : « Mais après tout, pourquoi privilégierait-on l’enfant ? ». Pourquoi devrais-je retourner aux délires de ma jeunesse ? Athée, je suis ; athée, je reste. On entend souvent le croyant dire à l’athée : « J’en suis sûr, un jour la voix de Dieu vous atteindra », et cette arrogance de certains croyants leur fermerait le ciel, s’il en existait un. Les difficultés – l’ignorance, l’état du monde, la solitude, l’incompréhension, l’angoisse – que l’athée affronte honnêtement, la foi les élude. Qu’un incroyant, autrement dit un athée, se trouve bien dans sa peau, on l’accuse de ne rien comprendre. Ou bien, on lui dit — à qui n’a-t-on pas fait le coup — qu’au fond, il croit en Dieu ou alors, que ses conceptions sont bornées. Face à la vie, face au néant, la foi est une fuite, et la religion, une désertion et je vais sans doute vous scandaliser en souhaitant à tous les croyants d’un jour abandonner toutes ces sornettes.


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La Confession complexe d’Edgar Morin

Posté le 27 juin 2022 Par ABA Publié dans Athéisme, Nos articles Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession logique, comme dans les précédentes entrevues fictives((Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier, Alexandre Zinoviev)), un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »((Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959).)). On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 à Paris, sociologue et philosophe. Il est connu comme auteur d’une série d’ouvrages((Edgar Morin est l’auteur de nombreuses publications qui constituent un ensemble fondateur d’une pensée de la pensée complexe. Voir notamment : Edgar Morin – catalogue.)). Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’ensemble de l’œuvre d’Edgar Morin et en particulier à son dernier ouvrage : Leçons d’un siècle de vie((Edgar Morin, Leçons d’un siècle de vie, Paris, Denoël, 2021, 147 p.)).

Bonjour, Monsieur Edgar Nahoum ou Morin. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar((OVRAAR : voir note dans Carlo Levi.)) en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Edgar Nahoum, dit Edgar Morin, né le 8 juillet 1921 à Paris.

Je suis en effet Edgar Nahoum à l’état-civil ou Edgar Morin pour tout ce qui touche à mes publications ; c’est sous ce nom que le public me connaît. Avant d’aller plus loin, je voudrais faire un préambule à cet interrogatoire que vous nommez confession. J’insiste : je n’ai rien à confesser et je n’ai pas plus le goût de l’autocritique, qui est la version athée de la confession. Il y a trop de vilaines traces dans l’Histoire de l’humanité. Ce préambule est celui de mes Leçons d’un siècle de vie et j’y tiens :

Qu’il soit entendu que je ne donne de leçons à personne. J’essaie de tirer les leçons d’une expérience séculaire et séculière de vie et je souhaite qu’elles soient utiles à chacun, non seulement pour s’interroger sur sa propre vie, mais aussi pour trouver sa Voie. 

Comment vous percevez-vous vous-même ?

Qui suis-je ? Je réponds : je suis un être humain. C’est mon substantif. Mais j’ai plusieurs adjectifs : je suis français, d’origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-patrie.

Tant d’identités, comment est-ce possible ?

C’est le cas commun. Chacun a l’identité de sa famille, celle de son village ou de sa ville, celle de sa province ou de son ethnie, celle de son pays, enfin celle plus vaste de son continent. Chacun a une identité complexe, à la fois une et plurielle. Vous y compris.

Oui, mais vous, à titre individuel, qui êtes-vous Monsieur Morin ?

Comme chacun, je suis unique et en même temps, j’ai de multiples identités. Ainsi, pendant la Résistance, sur ma carte d’identité, pour la concierge et les policiers, j’étais Gaston Poncet ; pour mes camarades de la Résistance, j’étais Morin ; et pour ma famille, j’étais Nahoum. Il s’agissait de ne pas l’oublier, sinon, les conséquences se faisaient sentir. Tenez, sous l’Occupation, j’étais allé voir une prostituée et dans l’hôtel, plein d’Allemands, au moment crucial, je me suis rendu compte que j’étais circoncis ; je fus épouvanté et la dame n’a rien pu faire pour moi ; je suis parti la queue entre les jambes. Nahoum avait chassé Morin.

Pour ce qui est de la religion, que pouvez-vous m’en dire ?

Dans la famille, nous sommes peu croyants. Je ne parlerai donc ni de Dieu, ni de religion ; je me référerai plutôt à une conscience juive. Mon grand-père maternel, Salomon Beressi, était libre penseur et nous enseignait une morale sans Dieu. On m’a circoncis sans me demander mon avis et d’ailleurs, sans que je le sache. Ainsi : laïcs, on était juifs. À l’école, dans ma classe, il y avait des catholiques, des protestants, cinq juifs et des enfants de libres penseurs. C’est là que j’ai découvert que j’étais juif. L’antisémitisme, je l’ai rencontré plus tard dans la presse de droite et au temps de Vichy. Ma conscience a connu des variations au long de ma vie ; elle s’est diluée dans une conscience politique humaniste, antifasciste et antistalinienne. Tout en reconnaissant mon ascendance juive, je me définis comme fils de Montaigne et de Spinoza, ce philosophe anathémisé par la synagogue. Pour ce qui est de la foi, j’ai foi en la Terre-mère.

Ah, je vois que vous avez été marié ; que pensez-vous de la famille ?

La famille est prise dans les filets de la complexité. En résumé : j’ai été marié quatre fois et j’ai eu deux filles.

Philosophiquement, comment vous situez-vous par rapport à l’Immensité ?

Il y a cent ans, parmi trois cents millions de spermatozoïdes, un seul a pénétré dans un ovule et l’a fécondé. Je ne suis pas seulement une minuscule partie d’une société et un éphémère moment du temps ; tout en étant à l’extérieur de moi, la société en tant que Tout est à l’intérieur de moi, le temps passe en moi, l’espèce humaine vit en moi. La vie, phénomène terrestre, est en moi ; tout le monde physique et l’histoire de l’univers me traversent dans le même moment où je les traverse. C’est le paradoxe de la vie : je suis un Tout pour moi, tout en n’étant quasi rien pour le Tout. Chacun de nous est un microcosme complexe, qui intègre le tout et qui y est intégré. Avoir conscience de ça aide beaucoup à la santé mentale.

À propos de santé mentale, n’avez-vous jamais rencontré la croyance ? N’avez-vous pas rencontré la foi ?

La croyance en un être supérieur et en une création « intelligente », je ne l’ai jamais eue. J’ai, avec grande conviction, eu foi dans une croyance terrestre : le communisme. Entré à vingt ans en Résistance et en communisme, j’ai connu le doute à l’égard du second dès la Libération puis, le rejet réciproque en 1951 ; je fus alors, pour parler en vos termes, à la fois apostat et excommunié. Mon appartenance au Parti avait duré dix ans, au cours desquels j’avais vu comment l’Appareil pouvait transformer un brave en lâche, un héros en monstre, un martyr en bourreau. C’est le sens de mon livre ironiquement intitulé : Autocritique((Edgar Morin, Autocritique, Paris, Le Seuil, 1959, réédition 2012, 328 p.)). Dans ce détournement de l’exercice tristement célèbre de confession publique que le pouvoir soviétique exigeait de ceux dont il entendait se débarrasser, je ne me suis pas contenté de dénoncer le dévoiement d’une idéologie. En élucidant le cheminement personnel qui m’avait conduit à me convertir à la grande religion terrestre du XXᵉ siècle, je me suis délivré à jamais d’une façon de penser, juger, condamner, qui est celle de tous les dogmatismes et de tous les fanatismes. Il y a un lien très fort entre l’incroyance radicale et l’absence de foi.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une sorte de détermination du monde, du devenir, du destin ?

Toute vie est navigation dans un océan d’incertitude. La vie est, dès la naissance, imprévisible : nul ne sachant ce qu’il adviendra de sa vie affective, de sa santé, de son travail, de ses choix politiques, de sa durée de vie, de l’heure de sa mort. Quant à l’Histoire, c’est pareil : outre les ambitions, les rapacités, les cupidités, elle vit d’absurdité. « It is a tale told by an idiot, full of song and fury, signifying nothing », disait Macbeth((William Shakespeare, Macbeth, Acte V, Scène V, 26-28. « Un conte conté par un idiot, plein de bruit et de furie, ne signifiant rien. »)) et sur ce point, il n’avait pas tort. Une des grandes leçons de ma vie est que j’ai cessé de croire en la pérennité du présent, en la continuité du devenir, en la prévisibilité du futur. Ceci a une signification fort claire en ce qui concerne l’organisation du monde, laquelle ne se détermine qu’a posteriori, par constatation de faits et j’ajoute : pour autant qu’il y ait quelqu’un pour la constater et l’énoncer. Cette impossibilité d’éliminer l’aléa du monde, l’incertitude de nos destins, l’inattendu rend notre vie incertaine et écarte la possibilité d’un plan, d’une détermination, d’une destinée, d’un destin, d’un dessein.

Alors, dit l’Inquisiteur, pour vous, que signifie vivre ?

Vivre ? Vivre a un double sens : le premier est être en vie, exister, se maintenir en vie, survivre ; le second est conduire sa vie, ses chances, ses risques, ses bonheurs, ses malheurs. Ainsi, la survie est nécessaire pour faire vivre la vie. Prenons ma vie. Mon père ne m’a donné aucune culture, aucune conviction religieuse, politique ou éthique. J’ai donc cherché tout seul. J’étais spontanément animé par les questions fondamentales posées par Kant : Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Il me fallait connaître les réalités humaines.

Et l’homme, justement, et le Salut ? demande l’Inquisiteur.

L’homme, comme l’univers où il vit, comme sa pensée, est complexité. À l’homme rationnel, constructeur, faiseur, créateur de biens, de richesses, il faut ajouter un autre plan de la vie humaine où apparaissent la passion, la foi, le mythe, l’illusion, le délire, le jeu. Cette complexité s’exprime par une série de bipolarités : homo sapiens et homo demens (sage et délirant), homo faber et homo fidelis, credens, religiosus, mythologicus (faiseur et croyant) ; homo œconomicus (économique, profiteur, producteur de richesse) et homo ludens (joueur) – homo liber (libre, gratuit). La vie de l’homme est un art incertain où tout ce qui est passion, pour ne pas succomber à l’égarement, doit être surveillé par la raison et où toute raison doit être animée par une passion, à commencer par la passion de connaître. Ainsi, pour concevoir l’Histoire, il faudrait faire copuler Shakespeare avec Marx et je pense que John Florio, cet Italien d’origine juive né en Angleterre, a été l’inspirateur des pièces de Shakespeare pour qui tout Salut est absent((John Florio (Londres, 1553 – Fulham près de Londres, 1625), connu également sous son nom italien de Giovanni Florio, est attesté comme traducteur en anglais de Montaigne et de Boccace ; éminent linguiste, il est depuis des années considéré comme l’auteur des pièces de William Shakespeare – voir à ce sujet, Lamberto Tassinari : « John Florio, alias Shakespeare », Lormont, Éditions Le Bord de l’Eau, 2016, 384 p.)).

Et le Monde ?

Dans notre univers, tout ce qui a quelque consistance est un système. L’atome est un système. Les molécules, les astres, les êtres vivants, les sociétés sont des systèmes ; un système est une chose pour laquelle le tout est à la fois plus ou moins que la somme des parties. Tout système vivant est auto-organisateur, et même auto-éco-organisateur ; un organisme qui vit, travaille et dépense de l’énergie, qui dépend donc de son environnement pour son approvisionnement en énergie et son organisation. À la différence d’une conception déterministe qui n’envisage que l’ordre et une causalité induisant des effets nécessaires, des invariances, des stabilités, des régularités, il y a des aléas, des accidents, des ruptures, des irrégularités. Notre univers vit entre l’ordre et le désordre. La Terre dans son histoire témoigne d’une organisation qui a utilisé le désordre pour progresser et qui a frôlé la destruction en raison du désordre((Edgar Morin, Le Contrebandier d’une pensée complexe, Entretien, in Revue Natures, Sciences, Sociétés, 1996, 4 (3), pp. 252-257.)). Une telle conception frappe de nullité toute tentative de prévoir le futur et dévoile la folie de croire qu’on puisse substituer une prospective à la prédiction des prophètes ou des astrologues. Le futur serait très aisé à prédire si l’évolution dépendait d’un facteur prédominant et d’une causalité linéaire. L’évolution n’obéit ni à des lois ni à un déterminisme prépondérant, l’évolution n’est ni mécanique ni linéaire : il n’y a pas un facteur dominant qui commande l’évolution. Il nous faut, au contraire, partir de l’ineptie de toute prédiction fondée sur une conception évolutive aussi simpliste((Edgar Morin, Où va le monde ?, Edgar Morin – 1981 ; Paris, Éditions de l’Herne, 2011, 54 p.)).

Que dites-vous de l’origine, de la création du monde ?

À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse((Edgar Morin, in Edgar Morin, « La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité », in Revue internationale de systémique, vol. 9, n° 2, 1995.)). C’est tout le sens de la complexité.

Qu’en est-il de la croyance que tant d’hommes partagent ?

Les croyances sont des rêves éveillés ; elles véhiculent des silhouettes de vérités, elles agitent des simulacres de réel, elles projettent dans le futur incertain de fausses certitudes, elles dessinent les avenirs de l’espoir, taillés dans de la brume évanescente. Héraclite disait ainsi : « Éveillés, ils dorment », ce sont des somnambules. Les croyants ont des rêves éveillés et ces rêves-là brouillent la réalité ; ils la réduisent à des formes vagues, insaisissables, impalpables et en effacent les traits et les nuances ; il ne reste plus que des squelettes qui dansent une danse de mort. Pa les dogmes, les mots d’ordre, les unicités de récits, il s’agit de ramener le monde à une étrange et écrasante simplicité. C’est la domestication de la pensée, de la réflexion, du savoir et in fine, de la liberté de l’être et de la vie. Les prédateurs de conscience sont des simplificateurs ; ces rassembleurs sont des chiens de garde des troupeaux. Ils prêchent, ils instituent, ils intiment, ils interdisent, ils imposent des mutilations, ils élisent des alimentations ; il s’agit de façonner les consciences jusqu’au travers du corps ; il s’agit de réguler, d’instaurer des règles unifiantes ; c’est la célèbre et militaire injonction : « Je ne veux voir qu’une seule tête », celle du Guide, celle de Dieu qui est son masque. C’est le discours, le propos, la propagande de la non-pensée qui élimine l’homme en l’homme. Face à ça et à ceux-là, il s’agit de faire émerger les complexités humaines si ignorées par ces simplismes, ces unilatéralismes, ces dogmatismes.

On a connu le cas de non-croyants qui perçurent une illumination ; qu’en dites-vous ?

On connaît les cas du dénommé Saül, alias Paul et du débauché Augustin, qui ont eu une illumination et ont sombré dans la croyance. C’est arrivé à l’athée Paul Claudel, atteint par la grâce, à Charles Péguy et à d’autres encore. Ainsi, les hommes sont possédés par les mythes, les religions, les idéologies, qui, produits de l’esprit humain, deviennent maîtres et dominateurs et exigent adoration et sacrifices.

N’avez-vous pas été croyant vous-même ?

À un moment de ma vie, j’ai été croyant et j’ai suivi un chemin de conversion et j’ai été converti au communisme – c’était au temps de la guerre contre le nazisme. Mes espoirs d’avenir radieux se sont effondrés progressivement. Après ma conversion, ma « déconversion » fut un travail de conscience qui m’a rendu pour toujours allergique aux fanatismes et aux sectarismes. J’ai donc vécu dans un univers religieux absolutiste, qui, comme toute religion, a eu ses saints, ses martyrs et ses bourreaux. C’est un monde qui rend halluciné, qui dégrade et détruit parfois les meilleurs. Mon séjour de six ans en Stalinie m’a éduqué sur les puissances de l’illusion, de l’erreur et du mensonge historique. Depuis, je me suis converti à l’autonomie politique totale.

Que signifie cette autonomie politique totale pour la vie quotidienne ? D’où vous vient-elle ?

Cette autonomie politique totale ne peut pas survivre sans écho dans les autres champs de la vie humaine. Ce scepticisme à l’égard des croyances, quelles qu’elles soient, je l’avais pêché dans la littérature, chez les écrivains, qui, soit dit en passant, sont des chercheurs de complexité et des baroudeurs de l’esprit ; cette complexité de conception du réel humain, je l’ai trouvée chez Anatole France, Montaigne, Rolland, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, Hugo et bien d’autres. Ainsi, je n’ai pu ni voulu échapper à la multipolarité humaine ; j’ai essayé d’intégrer en moi la rationalité et de la lier à la poésie de la vie. Je suis faberen bâtissant la pensée complexe ; je suis religionis – j’ai eu pendant cinq ans la foi dans le salut terrestre par le communisme et j’ai gardé ma religion de la fraternité et de la Terre-patrie ; je suis œconomicus (sans jamais aimer l’argent) – j’ai gagné ma vie par mon travail ; je suis ludens – j’adore jouer, plaisanter, blaguer et je suis liber – par la gratuité de mes actions.

Cependant, il y a la mort : qu’en penser ?

Pour moi, la question s’est posée d’emblée, lors de mon premier travail important, L’Homme et la Mort((Edgar Morin, L’Homme et la mort, Paris, Le Seuil, 1970, 352 p.)). Quiconque s’interrogeait sur les attitudes humaines à l’égard de la mort dans les années cinquante à soixante était renvoyé au mieux à quelques traités philosophiques. Il n’y avait ni thanatologie, ni science de la mort. Il n’y avait rien. Il m’a fallu puiser dans la littérature ethnographique, me plonger dans les coutumes et rites funéraires, prélever dans la psychologie de l’enfant la découverte de l’idée de mort, me tourner vers la psychanalyse, sonder l’histoire des religions, m’attaquer au christianisme, aller à la philosophie de l’Antiquité (qui récuse l’immortalité) jusqu’au traitement de la mort par Heidegger ou Sartre. J’ai été amené à noter les changements de conception, dus notamment au recul des religions et au développement de la laïcité, à considérer l’époque contemporaine qui s’efforce d’effacer la mort. La mort, particularité biologique propre à tous les êtres vivants, différencie radicalement les humains des animaux puisque les premiers, dès les origines, laissent le témoignage de conceptions qui envisagent des formes de survivance, au-delà de la décomposition du cadavre. J’ai dû, pour y parvenir, sillonner du biologique au mythologique. Finalement, la mort est un élément du tout qu’est la vie, elle fait partie de la vie. Son avenir est déjà dans le passé et dans le présent de la vie. La mort vit dans la vie, elle l’achève et la conclut.

On vous a dit « contrebandier ». Quel est votre avis ?

On a dit que je suis un contrebandier d’une pensée complexe : je ne pense pas que ce soit faux, mais cette position sociale qu’implique l’image du contrebandier a été la mienne dans bien des domaines de ma vie. Finalement, je suis assez fier d’être à plus de cent ans, un contrebandier de la vie.


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La Confession logique d’Alexandre Zinoviev

Posté le 22 décembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession logique, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire, d’athéisme – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve, face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né à Pakhtino en Russie le 29 octobre 1922, philosophe, écrivain et logicien. Il est connu comme auteur d’une série de romans et d’essais sur la Russie post-révolutionnaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre littéraire et philosophique de Zinoviev – essentiellement, Les Hauteurs béantes[3], Va au Golgotha[4], Vivre[5], Les Confessions d’un homme en trop[6].

Bonjour, Monsieur Alexandre Zinoviev. Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar[7] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, né en Russie à Pakhtino, le 29 octobre 1922 et mort en Russie à Moscou, le 10 mai 2006.

Bonjour, Monsieur l’Inquisiteur. Je suis bien Alexandre Zinoviev. En Occident, on m’appelle Monsieur Zinoviev ou Zinoviev, tout simplement. Je suis né à Pakhtino, dans l’oblast de Kostroma dans ce qui s’appelait alors la république socialiste fédérative soviétique de Russie (en abrégé RSFS de Russie ou RSFSR), c’est-à-dire en Russie. Pakhtino était un trou perdu, entre Tchoukhloma et Antropovo, à environ 500 km de Moscou. Pakhtino devait rassembler une dizaine de maisons ; à ma dernière visite en 1946, il ne restait presque plus rien et la forêt reprenait ses droits sur les champs. Et en effet, je suis bien mort à Moscou à 83 ans en 2006. Mais qu’attendez-vous de moi qui viens d’un monde orthodoxe et communiste ?

Ce que j’attends, précise l’Inquisiteur, c’est une confession. Je pense que dans la religion de votre pays, c’est une pratique connue et vous devez connaître la confession de Bakounine au Tsar de Russie[8].

Il m’est arrivé de me confesser dans mon enfance. Là, tout était simple. Je devais répondre à toutes les questions du pope : « J’ai péché, mon père. » À la fin, il disait : « Dieu te pardonnera », et je rentrais à la maison, illuminé et heureux, sachant que j’obtiendrais un bonbon. Cette fois, je ne veux pas obtenir un bonbon après ma mort, je n’en aurais eu aucun usage. Par contre, j’aurais aimé que mes cendres soient dispersées à l’endroit où se trouvait mon Pakhtino, pour que je devienne à nouveau une particule de ma terre. Et puis, même les gens qui n’ont pas commis de grands péchés éprouvent le besoin de se confesser. Les croyants se confessent aux prêtres et, à travers eux, à Dieu. Les athées se confessent à leurs proches, à leurs collègues, à leurs amis, voire à des compagnons de beuverie ou de route. Chez nous, ce sont les organisations sociales qui remplissent cette fonction ; en Occident, on a inventé la psychanalyse. La confession de Michel Bakounine était une opération policière, une manœuvre tsariste qui a inspiré les services russes ultérieurement.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, pouvez-vous me parler un peu plus de votre enfance et du milieu où vous avez grandi ; y avait-il là de la religion ?

Bien sûr qu’il y en avait, Monsieur l’Inquisiteur, et ne croyez pas que j’ai grandi dans l’ignorance de Dieu et de la religion. Nous là-bas au fin fond de la Russie, nous avions la religion orthodoxe, un pope nous enseignait le catéchisme et tout le toin-toin. À cause de ma grand-mère, il venait chez nous et il a embrigadé tous les enfants de la famille ; comme les autres, j’allais à l’église. Ainsi, je n’ai pas besoin d’explication pour comprendre ce qui vous tracasse. Quant à Dieu, il y faut un peu de logique. Vous et moi, par exemple, en supposant que je sois réellement rallié à l’idée de Dieu et à une religion – disons, l’orthodoxe russe – on aurait un même Dieu, mais deux religions. À supposer que je sois sectateur d’Allah et musulman, vous et moi, on aurait non seulement deux religions, mais également deux dieux différents. Je peux continuer le raisonnement pour tous les dieux de la terre et toutes les religions, sans compter qu’il y a des religions sans dieu et des dieux sans religion. Ainsi, on se retrouve avec des tas de religions et des tas de dieux, c’est un vrai capharnaüm.

Et puis tout de même, dit l’Inquisiteur, qu’en était-il de Dieu ?

Dieu, Dieu, c’est vite dit ça, Monsieur l’Inquisiteur. Allez savoir ce que c’est Dieu. Ce qui était vraiment là au-dessus de nous, c’était Staline. Staline, on peut en penser ce qu’on veut, mais c’était une évidence. J’ajoute que moi, dès les années 30, j’étais antistalinien et même que j’avais dans l’idée d’aller le tuer de mes propres mains. Voici le scénario imaginé : lors du défilé sur la Place Rouge, nous nous infiltrerions, Ina et moi, dans la colonne de l’école de Boris. À hauteur du mausolée, on provoquerait une confusion et armé d’un pistolet et de grenades, je me ruerais sur les dirigeants. Je lancerais les grenades et je ferais feu sur Staline. L’attentat aurait dû se faire le 7 novembre 1939, mais en raison des difficultés de nous procurer des armes, on reporta l’opération. Puis, ce fut la guerre. Donc, Staline, c’était une évidence, mais Dieu ?

Oui, mais quand même, Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, mon héros Laptiev, qui est une des figures de ma personne et dont je vous rappelle qu’il est Dieu, répond ceci à ses interlocuteurs : « Le plus dur dans ma situation, dit Dieu, c’est que je suis athée. Dieu ne saurait s’appréhender comme extérieur à lui-même. » C’est une impossibilité formelle du point de vue de la logique et donc pour le logicien, Dieu n’est pas et n’existe pas, sauf dans l’imagination de certains.

Au fait, dit l’Inquisiteur, dites-moi Monsieur Zinoviev, comment les gens pouvaient-ils bien vivre entre les croyants à l’ancienne mode et les athées du nouveau régime révolutionnaire ?

Au cours des années 1920, dans notre région, la population baignait dans la religiosité, sans fanatisme ; les croyants étaient tolérants à l’égard de la propagande athée et les athées tolérants à l’égard de la croyance. Mes grands-parents et ma mère étaient pratiquants ; mon père était athée depuis sa jeunesse. Nous avions comme convives le prêtre et des membres du parti, côte à côte. L’isba tout entière était couverte d’icônes. Dans la famille, on nous inculquait les convictions religieuses sous forme de principes moraux. Quand les églises furent fermées avec la collectivisation, au début des années trente, la population réagit avec indifférence. Les villages se vidaient, les croyants se faisaient plus rares et l’Église perdait ses soutiens. N’ayant plus d’église, notre prêtre vécut un temps comme un citoyen ordinaire. La conviction que Dieu n’existait pas pénétrait les enfants et les croyants adultes ne punissaient pas les petits mécréants. La foi devenait de plus en plus instable. En quatrième, à la visite médicale, j’ai ôté et caché la croix que je portais au cou. C’est à ce moment que je suis devenu athée. Ma mère m’a dit « que Dieu existe ou non, ce n’est pas très important. Ce témoin absolu de ton existence et ce juge doit se trouver en toi. Efforce-toi de conserver ta dignité à ses yeux. » J’ai assimilé cette morale maternelle, j’ai vécu en athée comme si Dieu existait. En renonçant à la religion, j’ai dû m’inventer une religion nouvelle et situer Dieu ou le juge suprême en moi-même ; comme Laptiev l’explique, il me fallut devenir Dieu moi-même, mais à la différence de Laptiev, je n’étais Dieu que pour moi-même. Je suis donc devenu un athée croyant.

Il n’empêche, dit l’Inquisiteur, que dans votre pays au temps de votre jeunesse, on mena un combat opiniâtre contre la religion qui était chrétienne, même si elle était orthodoxe et il fut question d’athéisme.

En effet, répond Zinoviev, mais ce n’était pas une erreur de la nouvelle société d’opérer une répression à l’encontre de la religion et de l’Église et pas seulement parce qu’elles avaient pris le parti de la contre-révolution ; ce fut aussi parce que les gens accueillirent avec joie l’athéisme comme s’il annonçait le paradis sur terre, même s’ils étaient persuadés que ce paradis n’existerait jamais. C’était une fête sans précédent dans l’histoire humaine : les gens se libéraient de la religion. Comme ils avaient rejeté la dépendance sociale ancestrale, ils rejetaient l’oppression religieuse. Sans ce soutien populaire, le pouvoir n’aurait pu l’emporter contre la religion. Du point de vue communiste, la religion et l’Église étaient des obstacles et si la religion et l’Église ont survécu, c’est parce qu’elles se sont ralliées. D’un autre côté, le pouvoir avait intérêt à conserver l’Église orthodoxe. Il s’agissait d’affirmer la liberté religieuse et faire de l’Église un rouage de l’État.

Monsieur Zinoviev, dit l’Inquisiteur, vous avez eu une vie tumultueuse, vous avez connu l’errance intérieure et l’exil à l’étranger.

C’est vrai, Monsieur l’Inquisiteur, ma vie a été mouvementée. Je suis parti de très bas et mes débuts furent très difficiles. Dans ma jeunesse, au prix d’immenses efforts et d’une misère chronique, j’étais arrivé à atteindre l’enseignement supérieur, où, à cause de mes réflexions, on m’a dénoncé aux organes ; alors, pour échapper à la répression, qui chez nous était terrible (et ça n’a pas beaucoup changé), j’ai plongé dans la clandestinité, j’ai été paria et sous une fausse identité, j’ai fui durant des années les services à l’intérieur de l’immense Russie. Pour cesser cette errance et retrouver une vie moins chaotique, je me suis engagé dans l’armée soviétique en 1940. Ensuite, héros de la guerre, j’ai réintégré la société et je suis devenu chercheur et enseignant de logique et de philosophie. J’étais arrivé à un niveau tel que si j’avais joué le jeu, j’aurais atteint des sommets. Cependant, comme j’ai toujours porté en moi une forme de refus de la lutte à mener pour réussir socialement, j’ai été tenu à l’écart. C’est ainsi qu’en voulant respecter mes principes de vie, je suis devenu un « renégat » dans mon propre pays.

Comment ça se passe chez vous pour le renégat ? demande l’Inquisiteur.

En Russie, un renégat est un individu isolé qui se révolte pour quelque raison contre la société qui l’entoure. On le punit soit en l’anéantissant comme personne civile, soit en le frappant d’ostracisme. Ce châtiment est une sorte de sacrifice rituel qui sert à l’édification des autres, des « normaux ». La transformation en renégat passe par plusieurs étapes. D’abord, l’entourage de l’hérétique fait preuve vis-à-vis de lui d’une vigilance croissante. Puis, on prend des mesures préventives tout en essayant encore de l’apprivoiser et de l’associer à la collectivité. Si cela ne donne pas de résultat, des mesures restrictives, puis punitives sont adoptées. À propos, tout cela ne vous rappelle-t-il rien, Monsieur l’Inquisiteur ?

Soit, dit l’Inquisiteur, comment en êtes-vous venu à écrire des ouvrages littéraires ?

Pour moi, la littérature n’était guère une fin en soi, mais d’abord un moyen d’exprimer mon indignation. Mon entrée en littérature était un choix, c’était la voie pour faire entendre ma voix et développer ma philosophie. Sacrifiant toute autre occupation, j’ai commencé à écrire Les Hauteurs béantes pendant l’été 1974. Je voulais décrire la vie réelle de la société communiste. La conclusion, parfumée d’athéisme, en était formulée sous forme d’un petit poème de ma façon :

C’était un peu vexant, sans conteste,
D’être à jamais privé du Jugement Dernier.
Les hommes ne se lèveront pas des tombes,
L’âme défunte ne cherchera pas son corps.
Ils ne ressentiront ni fierté, ni honte.
Bref, il n’y aura rien d’autre que la mort.
Je sais que les morts n’ont ni douleur, ni honte
Et la conscience à ce qu’on dit ne les tourmente pas.
Mais surtout les morts ne peuvent ni voir, ni entendre
Ce qu’on peut faire aux hommes ici-bas.

Quand même, Monsieur Zinoviev, parlez-moi un peu de votre Laptiev, qui dit être Dieu. Lui et sa religion me paraissent bien hérétiques et blasphématoires.

Vous avez raison, Monsieur l’Inquisiteur, d’après lui-même, Laptiev est Dieu et parfois, le Christ et de ce fait, ce Dieu et cette religion doivent vous paraître fort hérétiques et blasphématoires. Cette parodie est la méthode par laquelle Laptiev exprime son athéisme. Laptiev dit :

Le boui-boui est le grand temple où je prêche mon enseignement et trouve des disciples. Pour eux, j’invente prières et sermons, le plus souvent en vers. Le Christ aussi s’exprimait en vers. Bouddha s’accompagnait à la guitare. Mahomet beuglait avec une force incroyable.

Dans l’Évangile selon saint Jean (à ne pas confondre avec mon Évangile pour Ivan), le Christ a commencé sa carrière en changeant l’eau en vin. Alors, ses disciples ont cru en lui. Ben, je veux ! Si je pouvais changer l’eau en vodka, j’aurais toute la Russie derrière moi.

La parodie, c’est bien, mais que propose ce nouveau Dieu ? demande l’Inquisiteur.

Laptiev dit :

Une religion ne doit pas être ennuyeuse et triste. Ni grégaire. Elle doit être individuelle, irradier la joie de vivre, être vivifiante. Elle ne doit pas être humiliante. Pas de génuflexions, pas question de se traîner à quatre pattes ou sur le bide ! On se tient sur ses deux jambes et on marche la tête haute ! À bas la soumission ! Vivent la révolte, la témérité, la hardiesse, l’insouciance !

Laptiev dit encore :

Le réveil faisait tic-tac. Les souris grattaient. Et d’un coup, l’illumination : Dieu ne servait à rien pour la vie dans l’au-delà – une vie qui, d’ailleurs, n’existait pas et n’existerait jamais. Dieu ne comptait que pour cette vie-ci, la vie terrestre. Dieu n’avait d’importance que pour permettre à l’homme de vivre dignement l’instant de sa vie et disparaître.

Enfin, je vous propose quelques préceptes de Laptiev :

Tu n’adoreras personne ; si tu jures, tiens ta parole ; Résiste ! ; Amasse des trésors en toi-même ; Ne demandez rien ; N’oblige personne à te suivre ; le paiement de la vie est la vie elle-même ; tu es le juge suprême de tes actes. Si j’avais à choisir entre créer une religion et posséder ma Déesse ne fût-ce qu’une nuit, je choisirais ma Déesse.

Et Laptiev se dit athée, demande l’Inquisiteur. Que fait-il finalement de la déitude ?

Quant à la situation de l’athée, Laptiev la résume en un petit poème, où il rejette totalement l’existence de déités.

Un regard sec et froid, jette
Sur notre belle planète !
Ici, de déesse point
Et de Dieu encore moins.
Et si rongé par le doute,
Tu te lances sur les routes,
Tu pourras chercher mille ans,
Y en aura pas pour autant.

Qu’en est-il de l’athéisme ? Quel est votre sentiment, quel est son rôle dans la société ?

Ah, grandes questions, Monsieur l’Inquisiteur, mais la réponse est pourtant simple. Une fois posé le principe, c’est-à-dire l’athéisme comme point de départ de la réflexion, tout coule de source. Donc, l’axiome est : au commencement était le monde dans lequel se déroule la vie ; on peut le nommer le réel. Il en découle forcément que Dieu et la religion sont des éléments seconds surajoutés artificiellement au réel par l’homme. En ce sens, ce sont des éléments parfaitement superfétatoires. Ainsi, en bonne logique, il est raisonnable de laisser ces éléments parasites[9] de côté quand on veut vivre, penser et agir dans ce monde.

Que faites-vous alors de l’espérance, Monsieur Zinoviev ?

L’espérance, Monsieur l’Inquisiteur, c’est le paradis. Les popes et l’Église nous avaient donné l’horizon post-mortem du Paradis qui ouvrait un espace pour l’espérance. C’était une capitulation devant la réalité de la misère humaine. Après la révolution, le régime communiste, qui avec son espoir de l’avenir radieux[10] se voulait l’antichambre du paradis[11], proposait la même recette de l’espérance, mais ramenée sur terre, et toutefois, expatriée dans un temps indéterminé et assurément lointain. Pourtant, sur le terrain, pour la grande masse de la population, le régime soviétique avait apporté un immense progrès matériel. On partait de très bas et au début, ce progrès avançait vite ; par la suite, il s’est enlisé ; il ne resta plus que l’horizon paradisiaque. En somme, avec ce nouveau paradis[12], on n’avait fait que déplacer le curseur ; c’était toujours un tour de passe-passe, un avenir Potemkine. Ceci pose la question essentielle de l’espérance ou de l’espoir. En fait, comme athée, la seule position possible est le refus des idoles, des croyances, des espoirs, des espérances, des paradis et des avenirs radieux à venir (toujours à venir) avec simultanément, la prise en compte sérieuse du réel, avec lequel il faut vivre. Nous sommes des hommes, tâchons de le rester.


Notes

  1. . Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel, Jean Meslier ↑
  2. . Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. . Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1977, 559 p. ↑
  4. . Alexandre Zinoviev, Va au Golgotha, Paris, Juillard − L’Âge d’Homme, 1986, 225 p. ↑
  5. . Alexandre Zinoviev, Vivre – La confession d’un robot, Paris, Éditions de Fallois – L’Âge d’Homme, 1989, 247 p. ↑
  6. . Alexandre Zinoviev, Les Confessions d’un Homme en trop, Paris, Olivier Orban, 1990, 504 p. ↑
  7. . OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  8. . Marco Valdo M.I., La Confession libertaire de Michel Bakounine, Newsletter 24, ABA, Bruxelles, 2019 et L’Athée 7, ABA Éditions, Bruxelles, 2020, p.147 ↑
  9. . Parasite : il est amusant de relever que ce mot provient du vocabulaire religieux (je reprends ces éléments de définition au mot « parasite » du CNRTL) et d’apprendre qu’à l’origine, il s’agissait de l’assistant d’un prêtre, qui prenait soin des provisions des dieux et qui était invité à prendre part aux repas communs. Quant à la définition plus usuelle, toujours selon la même source, elle dit : Personne qui vit, prospère aux dépens d’une autre personne ou d’un groupe de personnes. ↑
  10. . Alexandre Zinoviev, L’Avenir radieux, Lausanne, L’Âge d’Homme,1979, 280 p. ↑
  11. . Alexandre Zinoviev, L’Antichambre du Paradis, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, 897 p. ↑
  12. . Marco Valdo M.I., Le Paradis sur Terre (2021) : voir dans le site très international et polyglotte des Chansons contre la Guerre et/ou voir le blog de l’auteur uniquement en langue française, Le Paradis sur Terre (2021), qui est un épisode de La Zinovie – voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle, à l’exploration du Disque Monde, longuement menée par Terry Pratchett. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature. ↑
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La Confession tranquille de Jean Meslier

Posté le 29 novembre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Marco Valdo M.I.

Dans cette Confession tranquille, comme dans les précédentes entrevues fictives [1], un Inquisiteur tente de cerner l’athéisme de l’impétrant ; c’est le métier d’Inquisiteur de faire parler les suspectes et les suspects d’hérésie ou pire – « Parlez, parlez, nous avons les moyens de vous faire parler »[2]. On trouve face à l’enquêteur Juste Pape, le suspect Jean Meslier ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664, prêtre et curé d’Étrépigny. Il est connu comme auteur d’un Mémoire aux relents sulfuriques d’un athéisme intransigeant et testamentaire. Pour constituer son dossier, l’Inquisiteur se réfère à l’œuvre de Jean Meslier – essentiellement, à son Mémoire des pensées et des sentiments.[3]

Bonjour, Monsieur Jean Meslier, comment faut-il dire exactement : mon Père, mon Révérend, Monsieur le Curé, que sais-je ? Je suis Juste Pape, enquêteur de l’Ovraar [4] en mission spéciale. Je voudrais tout d’abord m’assurer que vous êtes bien Jean Meslier, ou Mellier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664 et curé d’Étrépigny dans l’archidiocèse de Reims, y décédé en 1729.

Je vous salue, Monsieur l’Inquisiteur. Appelez-moi Jean Meslier ; c’est comme ça que je suis connu depuis ma mort ; avant, on m’appelait Monsieur le Curé ou plus intimement pour certains, Jean. Enfin, ça dépendait des moments et des circonstances. Surtout, ne m’appelez ni mon Père, ni Monsieur le Curé. Le mieux serait finalement, Monsieur ou Monsieur Meslier ou Meslier, tout simplement. Cependant, je veux préciser que j’ai été quarante ans curés de deux paroisses – celle d’Étrépigny et celle de Balaives, distantes de trois kilomètres entre lesquelles j’ai usé bien des semelles[5]. Même si dans l’état où je suis, ça n’aurait plus d’effet, je voudrais savoir si vous torturez, si vous garrottez, si vous usez encore du bûcher.

Sachez, dit l’Inquisiteur, que ce sont là des méthodes abandonnées depuis un certain temps en ce qui nous concerne, même si dans le monde contemporain, en certains pays non-chrétiens, on les pratique encore au nom de prophètes inspirés par Allah ou d’autres dieux. On y lapide principalement les femmes, mais aussi, les homosexuels et bien sûr, on y tue les athées et même, des chrétiens. Cela dit, je voudrais m’assurer que c’est bien vous l’auteur de cet ouvrage testamentaire prônant l’irréligion à pleins poumons, ce brûlot qu’on agite depuis des siècles contre notre Église et contre Dieu lui-même.

Pour répondre à votre question, Monsieur l’Inquisiteur, je reconnais volontiers être l’auteur de ce Mémoire actuellement recueilli en plusieurs exemplaires de ma main à la Bibliothèque Nationale de France et dont le titre[6] fort long en indique assez bien le but et le contenu. Vous noterez qu’il commence ainsi : Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier… D’abord, vous n’y trouverez aucune prétention universelle, ni aucun messianisme. Cela affirmé, j’insiste et je souligne ces deux mots : pensées et sentiments, qui condensent et expliquent toute ma démarche et donnent sens à ma vie. Ce n’était pas par hasard que je les avais placés là. Ils donnent un portrait assez fidèle de l’être vivant – de l’humain, en particulier et de sa vie. Pensées, sentiments, sensations, émotions, ainsi nous sommes faits, ainsi va la vie.

D’abord, Monsieur Meslier, vous avez fait là un grand ouvrage pour dénoncer Dieu, l’Église, etc, mais vous avez été curé quand même. Expliquez-moi ça, dit l’Inquisiteur.

Certes, Monsieur l’Inquisiteur, j’ai été curé et ordonné prêtre catholique, par l’archevêque de Reims encore bien, celui-là même qui couronnait les rois de France et je le suis resté jusqu’au bout. Et dans les Ardennes, un pays dur et souvent, fort froid ; mais c’était le mien et l’un dans l’autre, j’y étais bien. Entre nous, quel autre choix m’était accessible ? D’abord, ce n’était pas une vocation, oh non, je n’ai pas vraiment choisi ; c’est mon père qui a choisi et quand j’étais enfant, il m’a collé au séminaire. Oh, je ne lui en veux pas, certes non. Il n’était pas vraiment riche et il y avait trois filles à doter. Alors, pour m’assurer un avenir, c’était être ou militaire ou religieux. Tueur ou menteur ? Et vous-même, Monsieur l’Inquisiteur, qu’auriez-vous choisi ? Dans le fond, curé, ce n’était pas une si mauvaise idée : un travail assuré, un revenu, un logement, un rôle social et civil, une certaine reconnaissance, une place dans un monde.

Soit, Monsieur Meslier, comment avez-vous concilié curé et athée ?

Mal, je dois le dire, Monsieur l’Inquisiteur ; je supportais assez mal le masque, mais qu’y faire ? Cela dit, on peut être curé et athée ou l’inverse. Moi, c’était plutôt l’inverse. Ce n’est qu’une question de situation. On peut être fonctionnaire ou agent de l’État ou commerçant et anarchiste. L’être humain est plein de contradictions, il vit avec elles ; si vous saviez ce que j’ai entendu en confession ! La femme et l’homme vivent en société ; ils s’y adaptent tant bien que mal, selon le cours des choses et leur état. Ils n’héritent pas toujours d’un premier choix.

Dites-moi, Monsieur Meslier, ce fameux Mémoire, qu’en est-il ?

Comprenez ceci, Monsieur l’Inquisiteur, il m’est impossible et en plus, ça me déplaît de dire en quelques mots un travail d’années de réflexion et dont le résumé occupe à lui seul plus de 350 pages. Si vous voulez, vous pouvez le lire ou, à défaut, consulter diverses intéressantes publications qui y sont consacrées.[7] Ainsi, nous éviterons toutes ces références aux Testaments et à certains pesants philosophes qui m’ont bien embêté quand je passais mes soirées à les contredire ; tout cela est dans le Mémoire… , je ne vais pas le répéter. Tout comme je vous épargnerai ces démonstrations de « l’inexistence de l’inexistant », car ainsi, par cette simple expression, tout est dit à propos de Dieu et de toutes ces choses, qui ne sont qu’inventions et menteries. Pourquoi l’ai-je fait ? En grande partie, pour passer le temps ; on m’avait condamné à des nuits solitaires, il fallait bien les occuper. Je ne vous conterai pas non plus l’invraisemblable récit de ma lente déchristianisation, ni celle de mon incroyance maturant lentement, car il n’en a rien été. En réalité, pour ce qui est de la croyance, autant et aussi loin que je me souvienne de mon enfance, je ne lui ai jamais accordé foi.

Justement, Monsieur Meslier, puisque vous parlez de foi et que vous dites que vous ne l’auriez jamais eue. C’est incroyable.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, la foi, je vais vous le dire en toute sincérité. Je n’ai toujours pas compris, après des siècles, à quoi d’autre elle peut correspondre qu’à un sentiment imaginaire, un étrange détour d’un songe. La vie est un songe ? Peut-être pour celui qui sommeille la plupart du temps ou qui s’imbibe de substance distrayante ; moi, j’étais vif et clair d’esprit et de corps et question substance distrayante, j’étais sobre ; du coup, je n’ai jamais été atteint par ces divagations. Enfin, toutes ces histoires de religion et de Dieu m’ennuient profondément. Si on parlait d’autre chose ?

Parlez-moi d’amour, dit l’Inquisiteur, c’est une grande vertu théologale.

Ah, l’amour, vous dites. Toujours l’amour ! Ils n’ont que ça à la bouche : l’amour de Dieu, l’amour du Christ, la mort par amour, mais enfin, tout ça, ce sont des amusettes, des billevesées, des balivernes, des carabistouilles, des fadaises. Certes, l’amour quand ça vous prend, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, ça vous tourneboule les sens et le cœur. L’amour est une grande vertu de la nature. C’est elle qui mène la danse et cet amour a un rôle considérable dans la vie, car il apporte une grande satisfaction et encourage l’existence. Il incite aussi à la reproduction, mais comme curé de campagne, pousser l’amour jusqu’à la paternité, c’était un peu excessif ; alors, on s’arrangeait avec les moyens ancestraux. On ne pouvait pas, comme nos collègues protestants ou anglicans, se marier, avoir des enfants, vivre entourés de sa famille. Strictement interdit ![8] Je vais vous dire, Monsieur l’Inquisiteur, l’amour, je l’ai bien connu et j’en étais satisfait, pleinement. C’était un sentiment, mais fortement planté dans une sensation sensuelle, si vous voyez ce que je veux dire. J’étais bienheureux quand ma cousine ou ma nièce me tenait compagnie. Comme j’avais rué dans les brancards face au seigneur du lieu, le sire de Toully s’en était plaint en haut lieu et on me punit par ce biais en me forçant à vivre en solitaire. On m’avait ainsi fait prisonnier chez moi, mais rassurez-vous, je m’échappais.

Votre nièce, votre cousine, Monsieur Meslier, vous disiez ça, mais l’était-elle vraiment ?

En effet, Monsieur l’Inquisiteur, je disais que c’était ma nièce ou ma cousine ; c’est une façon de parler, une manière de protéger certaine intimité. Dans le fond, c’était peut-être même vrai ; à la campagne, on est tous plus ou moins parents, tous plus ou moins cousins à la mode de Bretagne. Et puis, n’est-on pas tous frères et sœurs ? D’abord, Monsieur l’Inquisiteur, avez-vous l’idée de ce que c’est la solitude du curé de campagne face au temps qui passe ? Quarante ans de solitude à tourner en rond dans son église ? Et puis, il est certaine exigence de la nature qui se contrefiche des interdits divins ou canoniques et qui tient l’homme par certain bout. Le militaire a le bordeau, qui l’accompagne jusqu’en campagne. Bref, je nommais la personne qui me tenait compagnie, qui dans les faits était ma compagne, ma nièce (qui, soit dit en passant, chez certains confrères, pouvait tout autant être un neveu). Pour elle, c’était un bon emploi, plus sûr et plus agréable que fille de ferme ; elle m’avait été présentée par sa mère. Il y avait même de l’amour, alors que dans les étables, je ne vous dis pas. En plus, outre de tenir ma maison, celles qui officiaient chez moi savaient lire, écrire et acquéraient les connaissances nécessaires pour accomplir les tâches profanes de mon ministère.

Oui mais, Monsieur Meslier, on dit que ce n’est pas convenable pour un curé ; il y a l’obligation du célibat.

Le célibat, c’est bien joli, mais officiellement, j’ai toujours été célibataire, je ne me suis jamais marié. Pour le reste, je vous ferais bien une fable à la manière de La Fontaine de l’histoire du curé des villes et du curé des champs. Le curé des villes a toutes les facilités, il est bien aise de trouver chaussure à son pied dans certaines maisons spécialisées, mais il n’en va pas de même pour le curé de campagne. D’abord, tout le monde voit, le surveille et puis, si comme moi, il ne veut pas abuser de certaines de ses ouailles, il lui faut mener une double vie et se bâtir un amour ancillaire. La vie dans les Ardennes est dure ; là-bas, croyez-moi, pour être curé et de deux églises, il faut en avoir, et bien trempé, du courage.

Soit, dit l’Inquisiteur. Cependant, vous auriez pu agir dans la discrétion, aller satisfaire vos penchants en dehors de la cure, en dehors du village, que sais-je ?

Évidemment, j’aurais pu trouver une solution, disons ecclésiastique, et recourir aux services de nos bonnes sœurs. Il y avait bien un couvent dans les environs, auquel je reversais la dîme, mais c’étaient des moines. Et la tendresse ? Vous imaginez : mon enfance au séminaire. Mon père et ma mère m’avaient choisi ce destin. Mais l’affection, la tendresse, la chaleur aimable de la famille, ce n’était pas le père supérieur, ni aucun autre, qui a pu – car je n’ai pas voulu – me câliner. Après ça, quarante ans de curé de village. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas user de mes paroissiennes ; alors, j’aurais dû sombrer dans l’ennui sensuel et sentimental ? Pas du tout ! C’était une question de salubrité mentale. Alors, tant que j’ai pu, j’ai partagé ma vie avec une jeune servante. Après il fut trop tard, en rapport à ma santé. La prostate, ça vous achève un homme. Cependant, il faut considérer cette présence féminine sous un autre angle.

Ah, Monsieur Meslier, je voudrais bien savoir ce que vous entendez là.

Eh bien, Monsieur l’Inquisiteur, je vous suggère de voir cette relation du point de vue de la nièce. Pourquoi a-t-elle choisi d’être la compagne du curé ? Pour une personne un peu douée et sensible, c’est le moyen d’échapper à la dure et fruste vie des fermes, de sortir de l’isolement, de trouver un statut social, d’échapper à la misère, d’ avoir une vie relativement confortable, de trouver un milieu un peu instruit et, pourquoi pas, l’amour. Face à la vision lubrique de l’Église, j’opposerais la réalité de ces « femmes de curé » qui complètent utilement le rôle du prêtre. Chez moi, ma nièce était à la fois sage-femme, infirmière, consolatrice, conseillère familiale et féminine, vulgarisatrice, acopleûse[9], aide aux vieillards, impotents et aux mourants (y compris pour leur donner un passage en douceur, telle l’accabadora en Sardaigne[10]). En fait, ces précieuses collaboratrices apportent à la communauté rurale toutes les qualités des sorcières[11] si injustement décriées et persécutées.

À présent, restons-en là. Monsieur Meslier, on vous dit athée. Que faut-il comprendre ?

Monsieur l’Inquisiteur, en vérité, je le suis, athée. Je précise aussi qu’à mon estime, athée est un mot boiteux, qui fonctionne à l’envers de la réalité. Ce mot athée n’est rien d’autre que la définition de l’homme tel qu’en lui-même, de l’homme nu tel qu’il se trouve dans la nature. On naît tous athées. Tout être vivant est athée pour la simple raison que s’il veut un jour croire, il lui faudra inventer un ou plusieurs objets de croyance. Pour croire en des dieux ou un seul Dieu, il lui faut les inventer. Moi, par exemple, je suis né, j’ai vécu, je suis mort sans jamais cesser d’être rien de plus que moi, celui qui était venu ainsi au jour.

Alors, dit l’Inquisiteur, quel est le sens de la vie ?

À dire vrai, la vie n’a pas de sens ; son sens, elle le trace, elle le définit en avançant. On ne connaît la vie de nos ancêtres (humains ou biologiques) que par les traces qu’ils ont laissées. Pourquoi on vit ? Il n’y a pas vraiment de raison ; le seul but de la vie est sa continuation, même pas son agrément ; pour ce qui nous concerne en tant qu’espèce vivante, elle débouche sur cette obstination à se répliquer. En somme, la vie, c’est un bégaiement, un perpétuel recommencement jusqu’à l’arrêt définitif. Il n’y a pas d’échappatoire.

Ah, vous voyez les choses ainsi, dit l’Inquisiteur ; je n’y avais jamais pensé de cette façon. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Moi, je suis né Jean Meslier et je le suis resté. Je parle ici comme à moi-même, comme dans un de ces soliloques dialogués où on se fait les questions et les réponses, car on est le seul interlocuteur possible. Avec ou sans la chandelle, les nuits sont parfois longues ; ici, dans les Ardennes, certaines heures sont fort vides ; alors, on les comble de pensée. Mais la pensée est très vagabonde et en plus, souvent, elle cherche à avoir raison, à trouver la raison ultime et elle trouve n’importe quoi. Le piège, c’est d’y croire sans y repenser.

On dirait, Monsieur Meslier, qu’à considérer votre vie sur terre, vous ressentez une certaine amertume.

Non, Monsieur l’Inquisiteur, je n’étais pas triste, ni mélancolique, ni amer pour un sou, n’allez pas confondre colère et aigritude[12]. Face à ce monde de mensonges et d’hypocrisie, j’étais en colère, très en colère. Pour tout vous avouer, face au monde actuel, je le suis encore, car les choses n’ont pas vraiment changé : il y a toujours des riches et des puissants qui imposent leur domination aux pauvres et aux faibles afin d’en tirer richesses et avantages. Toujours cette même morgue, toujours cette même arrogance. Sans compter les ersatz de riches et de puissants qui tentent de les imiter et qui se gonflent le cou comme des dindons. Mais voyez-vous, ma colère, car il s’agit bien d’elle, ne m’a pas empêché de vivre.

La colère, oui, Monsieur Meslier, la colère, on la perçoit très bien, mais le bonheur ?

Oui, Monsieur l’Inquisiteur, certainement, j’ai vécu avec un sentiment de bonheur d’être, d’être là présent au monde, à respirer et penser entre les arbres et les gens et j’aurais volontiers fredonné :

Regardez toujours du côté lumineux de la vie !
Regardez toujours du bon côté de la vie !
(Je veux dire : qu’avez-vous à perdre ?)
(Vous savez, vous venez du néant et vous retournez au néant.)
Qu’est-ce que vous avez perdu ? Néant !)
Regardez toujours du bon côté de la vie ![13].

En clair, on n’a qu’une seule vie, moi, elle me suffisait et je pensais comme Léo Ferré :

On vit, on mange, et puis on meurt,
Vous ne trouvez pas que c’est charmant
Et que ça suffit à notre bonheur
Et à tous nos emmerdements.[14]

Au fait, il me souvient qu’en Italie, Anton Virgilio Savona avait fait une chanson intitulée Il Testamento del parocco Meslier.[15]

On ne dirait pas, Monsieur Meslier, à lire ces écrits qui ont occupé vos dernières années, que vous les ayez passées dans le bonheur.

Là, vous errez, Monsieur l’Inquisiteur ; bien au contraire, j’ai eu la chance, la chance insigne et le bonheur, oui, le bonheur de l’écriture. Entre elle et moi, ce fut une longue aventure amoureuse, ma dernière. C’était comme un beau voyage au goût de moi-même. J’y suis allé, comme on va retrouver une tendre maîtresse jusqu’au dernier soir, le sourire aux lèvres. J’apprivoisais la nuit en la meublant de pensée, de joie et de jouissance. Du reste, si je me souviens bien, j’avais écrit ceci qui me semble conclure heureusement notre entretien de la manière la plus athée qui soit :

Il n’y a plus aucun bien à espérer, ni aucun mal à craindre après la mort ; profitez donc sagement du temps en vivant bien, et en jouissant sobrement, paisiblement et joyeusement, si vous pouvez, des biens de la vie et des fruits de vos travaux car c’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, puisque la mort mettant fin à la vie, met également fin à toute connaissance et à tout sentiment de bien et de mal.[16]

Ainsi, Monsieur Meslier, je ne peux que prendre acte de votre athéisme impénitent comme de votre irréductible tranquillité et vous dire À Dieu.


Notes

  1. Carlo Levi, Raoul Vaneigem, Clovis Trouille, Isaac Asimov, Jean-Sébastien Bach, Bernardino Telesio, Mark Twain, Satan, Savinien Cyrano de Bergerac, Michel Bakounine, Dario Fo, Hypatie, Cami, Dieu le Père, Émilie du Châtelet, Percy Byssche Shelley, James Morrow, Denis Diderot, Louise Michel. ↑
  2. Francis Blanche, in Babette s’en va-t-en guerre (1959). ↑
  3. Jean Meslier, Œuvres complètes. Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier. Préfaces et notes par Jean Deprun, Roland Desné et Albert Soboul, éd. Anthropos, 1970, XXXII. Cependant, le titre complet, choisi par l’auteur, est « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier, prêtre-curé d’Etrépigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes, où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les religions du monde, pour être adressé à ses paroissiens après sa mort et pour leur servir de témoignage de vérité à eux et à tous leurs semblables. ». On lira avec profit la notice que lui consacre Wikipedia : Jean Meslier. ↑
  4. OVRAAR : voir note dans Carlo Levi ↑
  5. Yvon Ancelin, Serge Deruette, Marc Genin, Jean Meslier, curé d’Etrépigny, athée et révolutionnaire, Les Cahiers d’Études Ardennaises N° 19 – Société d’Études Ardennaises 2016 – Réédition de l’ouvrage de 2011,280 pages, photos NB. ↑
  6. cf. supra 3. ↑
  7. Serge Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre, Coll. « Opium du peuple », Éditions Aden, Bruxelles, 2008, 415 p. ; Thierry Guilabert, Les aventures véridiques de Jean Meslier (1664-1729) ; curé, athée et révolutionnaire, Éditions libertaires, Saint-Georges d’Oléron, 2010, 244 p. ; Jean-François Jacobs, La bonne parole du curé Meslier, Adaptation du Mémoire de Jean Meslier en un monologue théâtral, Éditions Aden, Bruxelles, 73 p. ↑
  8. Le célibat des prêtres est une décision qui remonterait au Concile d’Elvire qui s’était tenu en l’an 306 a.z. (à partir de zéro). ↑
  9. Acopleûse : en wallon de Liège ou de Hesbaye, désigne l’entremetteuse, la marieuse… L’acopleûse était le titre de l’adaptation en wallon par Marcel Hicter de La Célestine – La Celestina, o Tragicomedia de Calisto y Melibea de Fernando de Rojas (1499) – jouée la première fois en 1964, avec Jenny d’Inverno dans le rôle de Célestine. Voir notamment, Marcel Hicter, Cahiers Jeb, 1/83, Bruxelles, 1983, p. 411. ↑
  10. Accabadora : en Sardaigne, le mot désigne une femme chargée (clandestinement) d’aider à la fin de vie ; littéralement, l’accabadora est « la finisseuse ». Voir à ce sujet le roman de Michela Murgia, L’accabadora, traduction Nathalie Bauer, Le Seuil, Paris, 2011, 216 p. ↑
  11. Sur le rôle bénéfique de la sorcière, voir Carlo Levi, Le Christ s’est arrêté à Éboli, édition italienne originale 1945, traduction Jeanne Modigliani, Gallimard, 1977, Folio, 148 p. ↑
  12. Aigritude : le mot existait dans le français médical sous la forme « égritude » ; ici, il s’agit de décrire un « état », caractérisé par une ambiance aigre, une amertume. On aurait pu utiliser tout aussi bien son quasi-synonyme « amaritude ». ↑
  13. Eric Idle, Paroles et musique : Eric Idle, version française – Regardez toujours du côté lumineux de la vie ! – Marco Valdo M.I. – 2012 d’une chanson anglaise – Always Look On The Bright Side Of Life, in The Life of Brian – Monty Python – 1979 ↑
  14. Léo Ferré, Y en a marre, 1967. ↑
  15. Lucien Lane, L’Athéisme dans la Chanson italienne, NL 9, Aba, Bruxelles, 2015 et L’Athée, n°3, ABA éditions, Bruxelles, 2016, p. 177. ↑
  16. Jean Meslier, cf. supra 3, Avant-propos, p. 41. ↑
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Pourquoi l’athéisme et pas l’agnosticisme ?*

Posté le 9 octobre 2021 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Patrice Dartevelle

Au plan historique, athéisme et agnosticisme ont une origine commune : l’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ. Cependant, si le mot « athée » est bien créé à cette époque, pour l’agnosticisme, seul le concept existe indubitablement, mais pas le mot.

Protagoras

C’est Protagoras (environ 490-420 avant Jésus-Christ) qui propose très tôt une théorie de la connaissance qui fonde son agnosticisme.

Le premier des sophistes, célèbre en son temps (Platon décrit l’effervescence lors d’un retour de l’Abdéritain à Athènes), a écrit une phrase, qui est le paradigme de départ de l’agnosticisme.

Elle provient de son ouvrage Sur les dieux, qui est perdu, mais qui est cité par plusieurs sources avec parfois de légères différences (Platon, Théétète 162 d ; Cicéron, De Natura deorum, I, XXIII, p. 63 ; Eusèbe, Préparation évangélique, XIV, p. 3, p. 7 ; Sextus Empiricus, Contre les physiciens, I, pp. 55-56).

Suivons Sextus Empiricus et Eusèbe qui ajoute la seconde phrase :

Des dieux je ne puis dire ni qu’ils existent ni qu’ils n’existent pas, ni quels ils sont quant à leur forme. Car nombreux sont les obstacles à ce savoir, leur invisibilité et la brièveté de la vie humaine.[1]

Au lieu de « invisibilité », on traduit parfois par « l’obscurité de la question ».

La formule s’inscrit dans la philosophie des sophistes.

Le livre Sur les dieux est le premier des Antilogies. Les Antilogies sont l’expression de la théorie sophistique sur l’existence de deux discours sur toutes choses, deux discours qui se contredisent ou s’annulent.

Cette position se concrétise par l’autre formule protagoréenne célèbre, utilisée par Sextus Empirucus et reprise par Platon qui, en outre dans Les Lois, 716 C, la reprend sous la forme d’une contradiction trait pour trait : « Or, pour nous la divinité doit être la mesure de “toutes choses” ».

Protagoras veut que l’homme soit mesure de toutes choses, de l’existence de celles qui existent et de la non-existence de celles qui n’existent pas[2].

Un commentateur chrétien, Didyme l’Aveugle, explique plus longuement le point de vue de Protagoras. Pour celui-ci, pour des choses qui sont, l’être consiste dans l’apparaître :

Pour toi qui es présent, j’apparais assis ; à celui qui est absent, je n’apparais pas assis : que je sois assis ou que je ne le sois pas est obscur » ou encore « En moi qui suis sain, il y a une perception du miel comme étant doux, alors qu’il est perçu comme amer par un autre qui est malade : qu’il soit doux ou amer est donc obscur[3].

Le doute absolu sur toute réalité fera estimer à d’aucuns – tant dans l’Antiquité postérieure à Diogène d’Œnonanda, épicurien du IIe siècle après Jésus-Christ, que chez les exégètes contemporains – qu’il devait s’ensuivre que Protagoras niait l’existence des dieux. On ne possède rien de tel et je ne crois pas à cette interprétation. Si Protagoras avait affirmé la non-existence de dieu, il aurait été en contradiction avec sa propre philosophie : seule l’apparence a une réalité et de celle-ci, on ne peut rien dire.

C’est au fond une position qui comporte certes une forme d’irrationalisme contestable, mais on peut la voir comme une position découlant d’une théorie de la connaissance. À mon sens, elle a peu à voir avec la timidité, l’irrésolution, ou la lâcheté que l’on prête habituellement aux agnostiques, que l’on soit athée ou déiste (et a fortiori théiste).

Le scepticisme

Le scepticisme semblerait mener le plus près de l’agnosticisme.

Ce n’est par exemple pas le cas du sceptique antique le plus représentatif, celui dont les textes ont été les mieux conservés, Sextus Empiricus (nous ne savons pratiquement rien de sa vie, il était actif vers 190). Comme Protagoras, il s’en tient aux phénomènes et sa critique porte sur ce qu’on dit des phénomènes. Curieusement – ses arguments sont d’une étonnante faiblesse –, il refuse de nier l’existence des dieux.

Comme le font le plus souvent les sceptiques, Sextus Empiricus s’en prend aux affirmations sur ce qu’est Dieu. Pour concevoir l’essence du cheval, il faut connaître la forme du cheval. Ceux qu’il appelle les dogmatiques disent tous des choses différentes sur Dieu : qu’il est incorporel ou corporel, qu’il est à l’image de l’homme ou non, qu’il est dans le monde ou à l’extérieur. « Qu’ils nous proposent une esquisse » écrit-il, car « on nous parle d’un être impérissable et bienheureux, mais nous ne connaissons pas l’essence de Dieu et donc de ses attentes non plus. »

Pour lui, la preuve de l’existence de Dieu ne relève pas de l’évidence et Dieu échappe à la compréhension.

Certains disent que Dieu est la providence de toutes les choses. Si c’était le cas, dit-il, il n’y aurait ni mal ni méchanceté. S’il n’est la providence que de certaines choses, pourquoi sélectionne-t-il ? Ou bien la providence vaut pour tout, elle a le pouvoir et la volonté, ou bien elle a la volonté sans le pouvoir, ou bien le pouvoir sans la volonté ou bien aucun des deux. Mais la première hypothèse a déjà été réfutée. Si la providence a la volonté sans le pouvoir, elle est moins puissante que la cause qui lui permet de l’empêcher d’être une providence. Si elle a le pouvoir, mais pas la volonté, elle est méchante. Si elle n’a ni l’un ni l’autre, elle est méchante et impuissante. Dieu n’est donc pas la providence des choses de ce monde.

Soutenir que Dieu existe et qu’il est la providence de toutes choses est donc une ineptie[4]. S’il y a bien critique des discours théologiques, on ne voit pas d’agnosticisme affirmé chez Sextus Empiricus.

Si la manière est différente, Montaigne (1533-1592) est bien un sceptique, mais pas un agnostique. Selon lui, tout ce que l’on peut dire, c’est que Dieu est une puissance incompréhensible. Les religions sont pleines de contradictions : les chrétiens justifient leur foi par la raison, mais ce qu’ils croient est contraire à la raison. On croit par coutume, pas par vraie conviction. Placé dans un autre contexte, on adopterait une autre religion. Puisqu’on ne peut pas décider en raison, le plus sage est de se conformer à la coutume.

Il n’a donc pas choisi la voie de l’agnosticisme, malgré l’époque qu’il connaît et ses meurtres innombrables pour raisons religieuses.

Le dernier sceptique que j’examinerai sera David Hume (1711-1776).

Dans ses Dialogues sur la religion naturelle, rédigés vers 1750, qu’il ne rendra pas publics de son vivant (mais dont il préparera la publication posthume en 1779), il met en scène trois personnages : un déiste, un théiste et un sceptique. C’est à ce dernier qu’il donne l’avantage, notamment dans sa conclusion. Pour Philon, le sceptique, une totale suspension du jugement est la seule ressource raisonnable[5].

Pour Hume, les religions ont une origine purement humaine. Elles proviennent de l’ignorance. Le dogme catholique de la présence réelle est ridicule : il sera probablement difficile, dans le futur, de persuader des peuples que des hommes aient pu croire ça !

Mais en définitive, tout est un inexplicable mystère et la seule solution : la suspension du jugement.

Il semble cependant être mort en athée.

On voit le problème général de toute la période chrétienne : l’obligation de croire (et de pratiquer) va interdire tout abandon manifeste de la croyance officielle. Les dissidents doivent ruser à leurs risques et périls. De ce fait, l’historique de l’athéisme, spécialement pendant cette période, est souvent difficile, ce qui ne justifie pas que Michel Onfray, dans son Traité d’athéologie[6], fasse commencer l’athéisme au curé Meslier et donc au tournant des XVIIe – XVIIIe siècles.

En cherchant un peu, on peut aussi citer le cas de l’empereur Frédéric II Hohenstaufen (1194-1250) dont on ne sait trop s’il était athée ou agnostique. Il était sans doute matérialiste. Georges Minois conclut à son sujet : « cette extrême curiosité, ce souci constant de vérification indiquent plutôt un esprit rationaliste et agnostique »[7].

Certains tentent donc une attitude de « négociation » avec le pouvoir.

Le cas le plus clair de ce type est sans doute celui de Pietro Pomponazzi (1462-1525), qui publie en 1516 un traité De l’immortalité de l’âme. Il conclut que l’idée de l’immortalité de l’âme est un subterfuge, mais tout le début du traité dit le contraire « puisque toutes les religions affirment l’immortalité de l’âme, le monde entier serait trompé si l’âme mourait ». Pourtant, l’époque est un peu particulière. Le pape de l’époque, Léon X, et plusieurs cardinaux ne croient guère à l’immortalité de l’âme.

Autour de Darwin

C’est autour de Darwin, qui va cristalliser la question de l’agnosticisme, qu’on peut définir comme « le refus d’assumer en tant que foncièrement non argumentable, toute proposition positive ou négative concernant l’existence et la nature, jugées non connaissables, des commencements absolus »[8].

Un concept peut exister sans qu’on sache qui a forgé le mot correspondant. Mais dans le cas d’agnosticisme et d’agnostique, on connaît l’inventeur, la date et les circonstances d’invention. Le mot a été proposé par Thomas Henry Huxley, le grand-père du biologiste et philosophe Julian Huxley (1887-1975) en 1869, dans le cadre des débats de la Metaphysical Society, dont il venait de se faire membre. T. H. Huxley était, selon Darwin, son « agent général » et il se définissait, lui-même, comme le « bouledogue » de Darwin. T. H. Huxley était sûrement très anticlérical et peut-être athée.

Huxley raconte l’histoire sur un mode ironique, provoqué par son agacement face à la juxtaposition des divers dogmatismes et des dogmatiques représentés au sein de l’association philosophique. Il leur trouve un point commun : ce sont des gnostiques, c’est-à-dire des gens qui affirment avoir une connaissance de l’inconnaissance. Ce terme va s’imposer, malgré une présentation de l’affaire qui est fortement ironique, relevant peut-être de l’humour anglais, à moins d’être une simple boutade. Huxley raconte que lors de sa présentation, il avait ressenti le malaise du renard, qui, après s’être échappé du piège, où il avait laissé sa queue, s’est présenté devant ses compagnons normalement pourvus de leur appendice. C’est une référence à une fable d’Ésope, reprise par La Fontaine sous le titre Le renard ayant la queue coupée, dont voici le texte :

Un vieux Renard, mais des plus fins,
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de lapins,
Sentant son Renard d’une lieue,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard en étant échappé,
Non pas franc[9], car pour gage il y laissa sa queue ;
S’étant, dis-je, sauvé, sans queue et tout honteux,
Pour avoir des pareils (comme il était habile),
Un jour que les Renards tenaient conseil entre eux :
« Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue ? Il faut qu’on se la coupe :
Si l’on me croit, chacun s’y résoudra.
– Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe :
Mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra. »
À ces mots il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu :
La mode en fut continuée. [10]

Le fond de la question est évidemment la position de Darwin lui-même.

Jeune, Darwin essaye d’entrer dans les ordres. Son grand voyage d’exploration s’écoule de 1831 à 1836, mais tout indique que c’est entre son retour et son mariage en 1839 qu’il abandonne le dogme et la religion, et « se convertit » au transformisme.

On a souvent soutenu que Darwin était agnostique. De fait, on trouve quelques déclarations de sa part allant dans ce sens. Dans son Autobiographie, écrite en 1876 pour ses enfants, il dit effectivement :

Je ne prétends pas éclairer des problèmes aussi complexes. Le mystère des origines de toutes choses est insoluble pour nous ; et quant à moi, je dois me contenter de rester agnostique.

Mais dans l’édition « restaurée » (sa femme était intervenue pour purger le texte original), il écrit : « Cette incrédulité gagna sur moi à un rythme très lent, mais fort à la fin, complète… et il ne m’est point arrivé, depuis, de douter, ne serait-ce qu’une seule seconde, que ma conclusion fût correcte »[11].

En outre, ses Carnets de 1837-1839 suggèrent, eux, que cet agnosticisme était pure façade pour cacher l’athéisme :

Éviter de montrer à quel point je crois au matérialisme ». Dans une lettre de 1853, il regrette d’avoir utilisé des expressions à consonance religieuse dans L’origine des espèces : « J’ai longuement regretté de m’être aplati devant l’opinion publique et de m’être servi du terme ‘création ’ ; en fait, je voulais parler d’une ‘ apparition ’ due à un processus totalement inconnu.[12]

Par expérience, Darwin n’a donc jamais été un militant de l’athéisme. À son propos, je rejoins Patrick Tort, qui préfère parler d’athéité, c’est-à-dire d’un état de conviction de fait de l’homme sans Dieu. Pour Patrick Tort, l’agnosticisme apparaît comme une position de confort parce que le fait d’argumenter une non-existence pose des problèmes logiques réputés insurmontables.

La théière de Russell

Effectivement, croyants et agnostiques somment souvent les athées de démontrer la non-existence de Dieu, ce qui est impossible en stricte logique, sauf cas particulier (montrer que l’athéisme et une autre proposition s’excluent l’une l’autre et que l’autre est fausse).

Une précaution s’impose toutefois. En 1952, Bertrand Russell (1872-1970) rédige un article « Y a-t-il un dieu ? » pour la revue Illustred Magazine, qui refuse de le publier.

Son argument est le suivant :

Si je suggérais qu’il y a, en orbite elliptique, autour du soleil, une théière de porcelaine et que j’ajoute qu’elle est trop petite pour être détectée, et que j’en arrive à conclure que cette proposition ne peut être réfutée, on me considérerait comme un illuminé. Mais comment se fait-il que si l’existence de cette théière figurait dans des livres anciens, qu’elle était enseignée aux enfants, etc., toute hésitation à le croire deviendrait un signe d’excentricité… ?

Certes, on lui répondra que sa suggestion est gratuite et que des millions de gens – dont certains très éminents –, croient en Dieu. N’empêche que renvoyer la charge de la preuve aux seuls athées n’est pas si « logique ».

En outre, comme le dit Dawkins, il n’y a pas de preuve de la non-existence de la licorne, mais personne ne doute de son inexistence.

Les « preuves » de l’existence de Dieu

Examinons donc les preuves ou arguments en faveur de l’existence de Dieu et, ensuite, les arguments en sa défaveur. Beaucoup sont anciens, la préoccupation étant surtout médiévale. Je n’examinerai pas les arguments valant contre une religion particulière, ses Écritures, l’historicité de son ou ses fondateurs. Ils ont leur importance, notamment historique : ils ont souvent été le premier stade d’une évolution menant à l’athéisme. Cependant, ils ne sont pas fondamentaux.

Comme l’a relevé Dawkins, l’Église et les théologiens ont fini par cesser de trop cultiver ces arguments. Trop de preuves peut vouloir dire pas de preuve.

En 1987, André Léonard, alors futur évêque de Namur et archevêque de Malines-Bruxelles, écrit un paragraphe sur la précarité des preuves de Dieu :

Les preuves convainquent généralement surtout ceux qui n’en ont pas besoin. Cette relative inefficacité n’affecte pas seulement les preuves formelles, développées de manière technique. Plus généralement, c’est tout chemin métaphysique vers Dieu, qu’il ait la forme d’une « preuve » ou non, qui semble marqué d’une incurable précarité. [13]

Face aux difficultés de la raison, la foi et ce qu’elle a d’ineffable prend, de plus en plus, le dessus. Pendant longtemps, on a cherché un Dieu tout-puissant comme consubstantiel à son existence même. De plus en plus, aujourd’hui, en Occident, on parle d’un Dieu modeste et faible, comme le font, par exemple, Gabriel Ringlet ou Frédéric Lenoir.

— La preuve ontologique de Saint Anselme de Cantorbéry (1034-1109)

Elle consiste en un syllogisme :

1. Dieu est un être parfait.

2. Une perfection qui ne comprendrait pas l’existence ne serait pas parfaite.

3. Donc Dieu est doté également de l’existence.

Dans la Critique de la Raison pure (1781 et1787), Kant a répondu à l’argument (qui peut se présenter sous une forme légèrement différente : il n’y a rien de plus grand que Dieu…). L’existence n’est pas une propriété intrinsèque et l’argument confond un contenu conceptuel et un prédicat existentiel. En outre, si Dieu est parfait, d’où viennent les imperfections ? Plus généralement, pour le philosophe, les choses en soi ne peuvent être connues mais seulement pensées et l’existence de Dieu ne peut être prouvée.

— L’argument de la cause première ou cosmologique

C’est l’argument de Platon, d’Aristote, de Saint Thomas et de Leibniz. C’est aussi un syllogisme :

1. Tout ce qui a commencé à exister a une cause.

2. Or, l’univers a commencé d’exister.

3. Donc il est, il existe une cause première – Dieu.

Kant n’a pas apprécié non plus cet argument, qui ramène au précédent.

On pose l’existence d’un être nécessaire, comme pour l’ontologique. Cette existence nécessaire devrait être démontrée expressément.

Plus humoristiquement, Bertrand Russell, dans son célèbre Pourquoi je ne suis pas chrétien (1927), se rapporte à l’Indien qui affirme que le monde repose sur un éléphant et l’éléphant sur une tortue et qui, quand on lui demande : « Et la tortue ? », répond : « Et si nous changions de sujet… ».

Mais, si tout a une cause, qu’est-ce qui cause Dieu ? Si Dieu permet d’expliquer la création du monde, d’où vient la création de Dieu lui-même ? Saint Thomas réplique que l’argument consiste à poser Dieu comme un être qui a, en lui-même, sa raison d’être. Ce n’est en fait qu’une manière d’habiller son ignorance. Si A cause B est une expérience possible, A cause A n’est pas possible en logique.

— Le Big Bang

L’exploitation du Big Bang, théorie du chanoine Lemaître en 1927, comme preuve de l’existence de Dieu, peut être une variante d’un argument du type « cause première ».

Le pape François, le 2 octobre 2014, déclare que le Big Bang ne contredit pas « l’intervention de Dieu, au contraire, elle la requiert ». Des physiciens ne suivent pas cela (même des catholiques comme Dominique Lambert, spécialiste du chanoine Lemaître). Le Big Bang ne désigne pas un instant zéro, mais le premier que nous atteignons avec certitude aujourd’hui.

— Le dessein ou le principe intelligent ou le plan

C’est l’argument le plus fréquent des déistes du XVIIIe siècle et spécialement de Voltaire. C’est encore un syllogisme :

1. Il est évident que le monde est inexplicable s’il n’y a pas un ordre en lui, pour que la nature fonctionne, les organismes naissent et vivent, etc.

2. L’ordre n’est pas spontané.

3. Il faut que la cause de l’ordre de la nature soit intentionnelle.

L’argument a été critiqué par Hume, dans le Dialogue sur la religion naturelle. Il estime que l’argument est fondé sur notre ignorance des causes réelles et que de là, on passe sans preuve à la certitude d’un dessein divin. En outre, nous ne savons pas si la matière, elle-même, n’a pas un principe d’ordre.

Mais surtout, l’argument est très affaibli par la théorie de l’évolution. L’ordre n’a pas été créé pour nous. C’est nous qui, par sélection, nous sommes adaptés au monde.

En outre, s’il y a un principe intelligent, comment expliquer les ratés de l’évolution, les branches qui disparaissent pratiquement (Neandertal) ? La disparition inéluctable de la vie dans le système solaire fait-elle partie d’un plan aussi remarquable ?

— L’argument du miracle de la vie

La vie n’avait qu’une chance sur des milliards d’apparaître, elle ne peut qu’être le produit d’une volonté. Mais il y a des milliards de planètes, dans un univers qui existe au moins depuis plus de dix millions d’années.

— Le pari de Pascal

Pascal, à un moment, admet qu’il n’y a pas de preuve, mais qu’on ne risque rien à parier. C’est une sorte de roulette russe, voire une forme d’agnosticisme.

— L’argument moral

Le syllogisme est :

1. Si Dieu n’existe pas, les valeurs morales objectives n’existent pas (le « tout est permis » de Dostoïevski).

2. Or, la valeur morale objective existe.

3. Donc Dieu existe.

L’argument des valeurs morales objectives veut dire, par extension, que les nazis avaient beau trouver bonne moralement l’extermination des Juifs, leur point de vue aurait toujours été mauvais, même en cas de victoire de leur part.

Mais le lien entre l’existence de valeurs morales objectives et celle de Dieu n’est pas établi. En fait, certains trouvent souhaitable l’existence d’un Dieu garant des valeurs morales.

Les arguments contre l’existence de Dieu

On peut faire l’épreuve contraire et passer aux arguments contre l’existence de Dieu.

— L’argument métaphysique logique

L’argument vient de Carnap, qui l’a formulé en 1934. Pour lui, Dieu n’est pas un être dont l’existence puisse être vérifiée empiriquement. Il en va de même, selon lui, – c’est le point fondamental de sa philosophie analytique – de tout énoncé métaphysique. Tout cela est vide de sens.

Si quelque chose n’est pas « prouvable », cela n’existe pas et s’en occuper est une perte de temps. Ça me semble être la position de l’athée belge francophone Jean Bricmont, professeur de physique de l’UCL.

— Le paradoxe de l’omnipotence

Quand on parle de Dieu, il faut savoir de qui ou de quoi on parle. Quel est le rapport entre Dieu et les lois naturelles ?

On peut soutenir – c’est très dominant aujourd’hui –, que les lois naturelles sont indépendantes de lui. Si c’est le cas, nous restons dans la pleine rationalité, mais quel sens a encore ce Dieu ? On est proche des dieux de Lucrèce qui vivent dans les inter-mondes et n’agissent sur rien.

Cependant, on peut également soutenir que Dieu a le pouvoir d’empêcher qu’arrive quelque chose qui devait arriver. Il peut se dispenser des lois naturelles ou les modifier à sa guise. C’est la position de ceux qui croient à la religion, à la superstition, aux miracles. C’est la position de ceux qui contredisent le résultat de l’analyse du Suaire de Turin par le carbone 14 : Dieu ne dépend pas du carbone 14, il ne s’applique pas à lui. C’est possible, mais cela signifie que tout notre savoir scientifique n’est qu’un jeu pour les enfants, ce qui contredit notre expérience quotidienne.

— Argument de la superfluité

C’est l’argument de Laplace quand Napoléon lui fait remarquer l’absence de Dieu dans son système : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Ce n’est pas un argument dirimant. Il montre qu’on peut se passer de Dieu – et donc probablement qu’il n’a pas d’importance pour l’homme –, mais pas qu’il n’y a pas de Dieu.

— L’indigence de la création et l’existence du mal

L’argument vient de ce que, s’il existe un créateur du monde parfait, sa création doit être parfaite, sinon le créateur n’est pas parfait. Le monde étant imparfait, il n’y a pas de créateur parfait.

L’argument du mal est une variante de cet argument. Sextus Empiricus avait déjà exposé l’argument. On peut répondre que la douleur n’est qu’une illusion, ou que ce Dieu est mauvais, ou laisse faire le mal par manque de puissance.

Ces dernières années, bien des philosophes, historiens ou théologiens chrétiens ont avoué ne pas pouvoir résoudre la compatibilité de l’existence de Dieu et de celle du mal. C’est le cas de Monseigneur Léonard, de Jean Delumeau et d’Adolphe Gesché. Ce dernier a essayé de sauver la mise en disant que si Dieu a permis le mal, il est surtout le premier adversaire du mal et il conclut : « Ce n’est plus le mal qui est une objection contre Dieu, mais plutôt Dieu qui devient l’objection du mal ». Dans ces conditions, « la théodicée classique de l’homme, et ‘la redécouverte’ d’un Dieu, certes plus fragile et vulnérable, est la seule pourtant qui puisse nous délivrer »[14].

— L’argument de l’invention de l’idée de Dieu

C’est la thèse de Feuerbach dans son Essence du christianisme en 1841. Pour lui, croire en Dieu relève de l’aliénation et par là, il va influencer Marx. Pour lui, l’homme se dépouille de ses qualités et les attribue à Dieu. L’homme s’appauvrit pour que Dieu soit tout. Pour que Dieu soit tout, l’homme doit n’être rien.

Dieu est une projection de l’homme, par laquelle il se coupe de lui-même. En Dieu, l’homme adore ses propres vertus et la religion : c’est le rapport de l’homme avec lui-même, ou plus exactement avec son être, mais un rapport avec son être qui se présente comme être autre que lui.

L’athéisme n’est pas une croyance

Je dirais donc que l’argument habituel « on ne peut pas démontrer la non-existence » peut être contrebalancé. Les arguments pour l’existence de Dieu ne convainquent pas. L’évolution des croyants vers une croyance intérieure, dont on ne peut rendre compte, qui saisit l’individu, me conforte.

Dans une interview, le cardinal-archevêque de Bruxelles-Malines, Monseigneur De Kesel, répond que deux théologiens l’ont beaucoup influencé. L’un est Dietrich Bonhoeffer, un protestant, inspirateur de la théologie de la mort de Dieu[15]. Pour lui, Dieu ne consiste pas en un apport surnaturel destiné à compléter les incapacités humaines, il y a unité entre Dieu et la réalité. Sa conclusion est qu’« il nous faut vivre en tant qu’homme qui parvient à vivre sans Dieu ». Un pareil Dieu ne peut démontrer son existence. Même un cardinal n’y songe plus. Croire est en fait, aujourd’hui, en Europe, un choix personnel.

Quant aux preuves de l’athéisme, je dirais que si la vérité, la preuve que l’on entend, dans les sciences physiques, est essentielle et, si l’étendue de ce qu’elles peuvent démontrer s’est considérablement étendue, elle connaît des limites par ce qu’elle peut trouver, mais aussi par nature.

La morale ne peut, fondamentalement, relever des sciences physiques. Poser, sans hésiter, qu’il n’y a ni Dieu ni transcendance est la meilleure garantie de liberté et de vérité.

L’athéisme n’est pas une croyance. L’incroyant, après réflexion et intime conviction, affirme quelque chose concernant la structure de la réalité. Dans ce cadre, l’athéisme n’est pas une vérité, au sens des sciences physiques : c’est une vérité fondée sur une argumentation. Cela peut être aussi le parti d’un croyant, mais en sens inverse. Mais de ce côté, le recours à la raison semble une idée dépassée.[16]

Reste non pas la question de Dieu, mais celle de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ? ». La question est différente de celle de l’existence de Dieu qui ne me paraît en rien constituer la réponse dans ce cas. La seule réponse actuellement possible – ce sont les spécialistes de physique théorique qui peuvent aller plus loin – est que le monde, la matière n’a jamais eu de commencement et n’aura pas de fin, que le vide absolu n’est qu’une vue de l’esprit, que la matière ne peut provenir de rien sinon de la matière, comme l’a expliqué, par exemple, Noël Rixhon[17].

Tout est-il acquis pour toujours ?

Ce qui suit ne peut, certes, constituer un argument de fond pour démontrer la validité intrinsèque de l’athéisme, mais traduit les préoccupations de beaucoup d’athées et le sentiment de légèreté que leur donne la position d’agnosticisme ou d’athéité. L’agnosticisme moderne s’est justifié d’abord par la prudence, ensuite, à l’époque contemporaine, souvent par le sentiment de tranquillité causé par la certitude de la fin des religions.

Certes, le retour du religieux, et plus encore celui des religions ne sont pas si évidents. Par ailleurs, bien des changements sociologiques sont en cours.

Sur ce dernier plan, on ne peut que suivre, selon moi, Jean-Pierre Bacot, quand il relève que, grosso modo, en Europe, l’adhésion à une religion était, autrefois, tendanciellement un marqueur des classes supérieures, mais qu’aujourd’hui, elle est devenue tendanciellement un marqueur des classes socialement et culturellement inférieures, notamment du fait de l’immigration, elle-même plus multiple que beaucoup se l’imaginent[18]. La conséquence est que beaucoup de citoyens « de souche » voient très peu ce qui se passe par-dessous. Or, dans certains quartiers, même quand il y a une relative tolérance, elle ne s’étend pas aux athées[19].

Toute une génération, celle de mai 1968, a refusé de s’intéresser à la religion parce que c’était une affaire classée. Sartre ne voulait pas dire autre chose. Les religions traditionnelles dominantes sont, certes, en voie d’écroulement, presque partout en Europe de l’Ouest, mais il faut bien constater que les questions religieuses sont toujours là, et qu’il y a bien plus de violence religieuse, même en Europe de l’Ouest, ces vingt dernières années qu’au cours du siècle précédent.

La Cour européenne des droits de l’Homme prend, maintenant, plusieurs décisions par mois en matière religieuse (contre un arrêt de 1950 à 1993…). Est-on si sûr que les hymnes à la seule laïcité (qui n’implique pas l’athéisme – ce qui est vrai), dans le respect de toutes les convictions, soient suffisants ? Sans pour autant virer à la panique irrationnelle, la tranquillité et la confiance d’autrefois n’ont-elles pas quelque chose de « décalé » aujourd’hui ?

Une erreur grave serait de croire qu’il y a une évolution lente, mais linéaire et fatale, qui fait sortir du jeu les religions et le religieux. À cet égard, la situation de la Belgique est intéressante d’un point de vue historique.

Malgré l’absence de sondage, on peut estimer la situation de l’incroyance, en Belgique, avant 1914. Ainsi, pour Els Witte[20], vers 1900, cinquante-quatre pour cent de la population masculine (la base du calcul est électorale), appartient au monde non catholique. Cela n’équivaut pas aux athées, mais dans la virulente ambiance de l’époque, un tel chiffre explique que le monde du travail a quitté l’univers catholique. Mais d’autres chiffres viennent corroborer le premier. Dans les communes industrielles de Liège et du Hainaut, entre 1920 et 1924, on a de vingt à trente pour cent de non baptisés, et jusqu’à quarante-cinq pour cent de mariages uniquement civils. Seraing comptait quarante pour cent de non baptisés avant 1914. Après 1918, ce chiffre tombe à vingt puis à dix pour cent, et à cinq pour cent en 1960. Le nombre de divorces double entre 1900 et 1920, mais stagne ensuite jusqu’en 1949. Quant aux mariages uniquement civils, même dans les communes ouvrières, il oscille entre sept et dix pour cent de 1919 à 1949.

Dans le même ouvrage qu’Els Witte, John Bartier montre qu’en 1912, la Fédération nationale (belge) des sociétés de libres penseurs – tous se revendiquant de l’athéisme –, compte trois cent septante cercles locaux regroupant vingt-six mille membres[21]. En 1937, il n’y a plus que cent soixante-trois cercles et neuf mille membres. La Fédération a été dissoute il y a quelques années.

Plusieurs éléments entrent en ligne de compte pour expliquer cela, mais le principal est la réussite de la reconquête par l’Église des milieux populaires, grâce à son réseau syndical, mutualiste, hospitalier, scolaire… Une action de conquête, de reconquête de la religion peut se faire, même à époque récente.

Le cas de l’islam contemporain est identique. Le salafisme apparaît dans l’entre-deux-guerres, monte après 1950 et passe aux violences à partir des années 1970-1980. C’est une vraie division ou reconquête de l’islam.

Pour les cercles de libres penseurs, il faut en plus faire intervenir la rupture (par exclusion) d’avec le POB en 1912. Cette reconquête est terminée, mais le syndicalisme chrétien reste dominant. Rien n’est fatal et tout – surtout l’inattendu – peut se produire. La mode est passée, mais il y a trente ans, on supputait, même chez les laïques, le nom du groupe religieux nouveau (la « secte ») qui monterait en puissance, en remplacement, chez nous, du catholicisme (mormons ? Scientologues ?).

En matière religieuse, l’Europe n’est pas si loin de la situation de la fin de l’Empire romain.

Donc l’athéisme…

Il est fréquent que les athées jugent sévèrement les agnostiques. Le prototype de cette attitude est Engels qui déclare, dans l’introduction anglaise (1892) du Socialisme utopique et socialisme scientifique, que l’agnosticisme est un matérialisme honteux. Lénine est à peine plus tendre dans le chapitre IV de Matérialisme et empiriocriticisme (1909) : « Chez Huxley […], son agnosticisme, n’est que la feuille de vigne de son matérialisme ».

Tout récemment encore, le politologue de l’Université de Mons, Serge Deruette, vice-président de l’Association belge des athées, expose :

Pourquoi se revendiquer athée ? Et non, plus prudemment agnostique ? C’est que, cédant à la nécessité consensuelle d’un doute, dont il est de bon ton de se réclamer au sujet d’un Dieu, que l’on sait pourtant ne pas être et offrant l’avantage non négligeable d’éviter le reproche du « dogmatisme », l’agnosticisme est souvent une forme honteuse de l’athéisme[22].

Selon lui, comment comprendre qu’un Dieu « aurait, rien que pour les hommes, créé un univers qui compte, exclusivement dans ce que nous pouvons en observer, pas moins de 1023 étoiles ? ».

Il me paraît mieux inspiré que François de Smet, qui se complaît, dans une attitude toute d’athéité, quand il conclut : « Si la religion est en général le fruit d’un parcours collectif charrié par l’émulation du groupe, l’athéisme, lui, est condamné à rester le fruit d’une démarche intellectuelle mûrie dans la solitude d’une âme qui… »[23].

On peut certes, et heureusement, être agnostique et anticlérical, mais l’athéité, c’est l’absolu contraire de ce qu’il faut faire.

* Cet article est le texte, d’une conférence donnée le 18 avril 2017 à la tribune de « La Pensée et les Hommes ». Il peut être lu sur le site de « La Pensée et les Hommes » – sans les notes – dans la rubrique Toiles@penser, N°31 (2018).


Notes

  1. Traduction de Jean-Paul Dumont, Les Sophistes. Fragments et témoignages, Protagoras, B 4, Paris, 1969. ↑
  2. Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 216 S1., traduction de Jean-Paul Dumont. ↑
  3. Didyme l’Aveugle, « Commentaire sur le Psaume 34, 17 », traduit par Mauro Bonazzi dans Les Sophistes I, dir. Jean-François Pradeau, Flammarion, Paris, 2009, p.62. ↑
  4. J’utilise les pages 185-189 du volume Les Sceptiques grecs, textes choisis et traduits par Jean-Paul Dumont, Presses universitaires de France, Paris, 1966. ↑
  5. David Hume, Dialogues sur la religion naturelle, traduction et dossiers par Magali Rigaill, Folioplus, Paris, 2009, 256 p. ↑
  6. Michel Onfray, Traité d’athéologie. Physique de la métaphysique, Éditions Grasset, Paris, 2005. ↑
  7. Georges Minois, Dictionnaire des athées, agnostiques, sceptiques et autres mécréants, Albin Michel, Paris, 2012, s.v. ↑
  8. Je reprends cette définition à Patrick Tort, Qu’est-ce que le matérialisme ? Introduction à l’analyse des complexes discursifs, Belin, 2016, Paris, p. 549. ↑
  9. Signifie ici « non sans dommage ». ↑
  10. Je cite d’après Patrick Tort, op cit., pp. 551-552. Huxley a raconté l’épisode dans un article publié dans Christianity and Agnosticism, New York, s.d., pp. 20-21 et dans la revue The Nineteenth Century, 25 février 1889, pp. 169-174. ↑
  11. Patrick Tort, op cit., note 281, p. 548. ↑
  12. George Minois, op cit., Albin Michel, Paris, 2012, s.v. ↑
  13. André Léonard, Les raisons de croire, Fayard, Paris, 1987, que je cite d’après Robert Joly Dieu vous interpelle ? Moi, il m’évite… les raisons et la croyance, EPO et Espace de Liberté, Bruxelles, 2000, 169 p., cf. p. 67. ↑
  14. Robert Joly, op cit., pp. 36-37. ↑
  15. Interview de Mgr Jozef De Kesel, La Libre Belgique, des 15,16 et 17 avril 2017. ↑
  16. C’est la position de Léo Apostel, Actes du colloque : Athéisme et agnosticisme. Problème d’histoire du christianisme, 16, p. 168, que je cite d’après Robert Joly, op cit., p. 17. ↑
  17. Noël Rixhon, « agnosticisme-matérialisme », in Cahiers d’éducation permanente de La Pensée et les Hommes, Dossier no 009-005, 2014. ↑
  18. Jean-Pierre Bacot, Une Europe sans religion dans un monde religieux, les Éditions du Cerf, Paris, 2013, p. 234. ↑
  19. Voir, par exemple, Ludivine Ponciau, « Contre le radicalisme, les Molenbeekois misent sur l’éducation religieuse », Le Soir du 10 février 2017. ↑
  20. Els Witte, « Déchristianisation et sécularisation en Belgique », in Histoire de la laïcité principalement en Belgique et en France, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1979, pp. 149-179. ↑
  21. John Bartier, La Franc-maçonnerie et les associations laïques en Belgique, op cit., pp. 177-200. ↑
  22. Serge Deruette, « Mais comment peut-on être athée ? », in Espace de libertés, no 456, février 2017, pp. 42-43. ↑
  23. François De Smet, « Être athée, est-ce bien raisonnable ? », Espace de libertés, no 439, janvier 2015, pp. 60-62. ↑
Tags : athéisme agnosticisme athéité Bertrand Russell Darwin Dietrich Bonhoeffer dieu Gabriel Ringlet preuves de l’existence de Dieu Protagoras scepticisme

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