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Archives par mot-clé: science

Dieu et la science : les preuves à l’épreuve

Posté le 24 décembre 2022 Par JF Publié dans Athéisme, Religion Laisser un commentaire

Jean-Marc Lévy-Leblond

L’écho médiatique et, hélas, le succès commercial du récent pavé de M.-Y. Bolloré et O. Bonassies, Dieu la science, les preuves[1], ne permettent guère de priver les lecteurs de Ciel et Espace d’un commentaire. C’est que, suivant les mots du Figaro Magazine, qui y consacre plusieurs pages,

[ce] livre fait la synthèse des découvertes scientifiques du dernier siècle pour en conclure à l’existence d’une intelligence supérieure. Les deux auteurs espèrent contribuer à la prise de conscience globale d’un univers traversé par le souffle divin.

Il est indispensable, avant d’aborder le contenu de l’ouvrage, de le replacer dans son contexte, à savoir l’actuelle offensive politique et idéologique de la droite ultra-catholique menée par la multinationale Bolloré avec Eric Zemmour en fer de lance[2]. Le premier auteur du livre n’est autre que le frère de Vincent Bolloré, patron de l’entreprise, et le livre est distribué par Editis. Sa publicité est réalisée par Havas et une série documentaire est en préparation pour Canal +, soit trois filiales de Vivendi, groupe contrôlé par Vincent Bolloré.

Fourvoiements scientifiques 

Passons rapidement sur la médiocrité éditoriale de l’ouvrage, encombré par nombre de redites et de citations répétitives. N’insistons guère sur la faible compréhension par les auteurs (désormais désignés par l’acronyme B&B) des théories scientifiques qu’ils invoquent à partir de lectures trop rapides d’ouvrages de vulgarisation de qualités diverses, mais donnons-en un exemple révélateur. On lit à la page 91 que « le Big Bang ne s’est pas produit à l’instant zéro (t = 0) mais à un instant très petit que les physiciens appellent ”l’instant de Planck”, [soit] 10-43seconde ». Or ce fameux instant zéro n’a de sens que dans la cosmologie classique, dite (malencontreusement) du Big Bang, alors que le temps de Planck marque le moment avant lequel il est nécessaire de prendre en compte la théorie quantique, laquelle n’a pour l’instant pas abouti à énoncer une cosmologie primitive cohérente, et en tout cas pas à corroborer l’idée (préquantique, répétons-le) d’un instant initial. Ainsi donc, la convocation du temps de Planck par B&B aboutit-elle en fait à ruiner leur argumentation, essentiellement fondée sur l’affirmation que la science, ayant établi l’existence d’un instant initial de l’Univers, entraîne ipso facto l’idée d’une création ex-nihilo. Cette faille révèle la méprise épistémologique fondamentale de l’ouvrage. C’est que, comme presque plus personne ne saurait l’ignorer aujourd’hui, toute connaissance scientifique est provisoire, susceptible d’être contredite, ou au moins limitée par de nouveaux développements. Déduire de l’état de la science à un moment donné des affirmations métaphysiques ou théologiques censément universelles et éternelles est donc un pari plus qu’osé et perdant à coup pratiquement certain.

L’autre argument nodal de B&B est fondé sur la notion de « mort thermique de l’Univers » : l’existence d’une fin inévitable exigerait celle d’un début obligé. Mais suivant les mots de l’astrophysicien Hubert Reeves, 

Cette vision du monde est profondément influencée par le développement de la thermodynamique de la fin du XIXe siècle, à partir de la notion d’entropie de Boltzmann. (…). Pourtant nous savons maintenant qu’il existe une autre forme d’entropie qui est reliée à la force de gravité et qui change complètement la donne. Tout au long de l’histoire de l’univers, la gravité engendre de nouveaux écarts thermiques en amenant la matière galactique à se compacter sur elle-même pour former des étoiles. (…) De surcroît, la découverte récente de l’énergie cosmique sombre, composante majeure de la densité cosmique, va encore plus loin dans le même sens. Le scénario de la mort thermique est totalement remis en question.[3]

De fait, la discussion scientifique sur l’applicabilité de la notion même d’entropie à l’Univers tout entier reste largement ouverte : l’entropie d’un système n’est bien définie que si le système est clos et en équilibre, ce qui ne va pour le moins pas de soi concernant l’Univers[4]. Au demeurant, la terminologie même de « mort thermique de l’Univers » que B&B exploitent lourdement est plus que hasardeuse, car cette « mort » ne se produirait, selon ses partisans eux-mêmes, que dans un temps …infini ! Ce ne serait donc nullement une fin de l’Univers qui, pour s’engourdir progressivement, disposerait de l’éternité future. On ne comprend donc pas comment B&B peuvent en tirer argument pour dénier la possibilité d’une éternité passée. Remarquons enfin avec l’astrophysicien Michel Cassé que dans le scénario privilégié par ces auteurs, l’Univers évoluerait d’un état de faible entropie, donc hautement organisé, vers un état désorganisé, autrement dit, de l’ordre vers le chaos, contrairement au récit biblique où Dieu crée d’abord un tohu-bohu initial puis l’agence et le structure. Que penser d’un Créateur qui engendrerait un Univers remarquablement ordonné pour le laisser ensuite se dérégler spontanément et s’assoupir progressivement dans un état de pagaille complète ?

Faiblesses théologico-philosophiques

Mais la faiblesse insigne de l’entreprise apologétique que constitue cet ouvrage est d’ordre à la fois historique, philosophique et religieux plus encore que scientifique, au point que même un physicien ne peut manquer d’en être frappé. 

B&B font simplement fi de la longue histoire qui est celle des preuves scientifiques de l’existence de Dieu. Saint Anselme, au XIe siècle, a proposé une fameuse « preuve ontologique », fondée sur un argument de pure logique, qui inspirera Descartes, Leibniz, Hegel et sera même repris sous une forme mathématique axiomatisée par le grand logicien Gödel[5], mais sera vivement critiquée par Thomas d’Aquin, Kant, Bertrand Russell. Au-delà des démonstrations logiques de l’existence de Dieu, nombre de preuves ont été proposées depuis l’Antiquité à partir d’une vision de la Nature conçue comme ordonnée et harmonieuse et obéissant donc à un plan préétabli. Ce courant, dit de la « théologie naturelle », a été particulièrement important dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles et subsiste aujourd’hui chez les tenants de l’Intelligent Design. Mais cette position se heurte de plein fouet à la constatation que les diverses sciences modernes reconnaissent aujourd’hui à la Nature un caractère largement désordonné et chaotique — même si des poches locales et minoritaires d’organisation y existent.

Pour en revenir à l’idée d’une création temporelle de l’Univers, on ne peut qu’être sidéré par l’absence chez B&B de toute référence à l’intense débat théologique qui, au XIIIe siècle, a été animé par Bonaventure, Thomas d’Aquin, Boèce de Dacie, Guillaume d’Ockham et d’autres[6]. Ce débat a opposé deux conceptions de la création « au début du temps » : l’une suivant laquelle il est possible de démontrer rationnellement que le monde a commencé, l’autre selon laquelle cela est impossible, car ce commencement ne peut relever que de la foi. Cette seconde position, qui avait déjà été celle d’Averroès et de Maïmonide, est celle de Thomas d’Aquin qui met en garde contre la première en ces termes :

Que le monde ait commencé, est objet de foi, non de démonstration ou de savoir. Cette observation est utile pour éviter qu’en prétendant démontrer ce qui est de foi par des arguments non rigoureux, on ne donne l’occasion aux incroyants de se moquer, en leur faisant supposer que c’est pour des raisons de ce genre que nous croyons ce qui est de foi.[7]

Bien plus tard, Spinoza, pour sa part, concevait Dieu comme immanent à la nature, ce qui lui permettait de dire que « il n’a point existé de temps ou de durée avant la création », ajoutant avec profondeur que « le temps n’est rien qu’un mode de pensée », qui « ne présuppose donc pas seulement une chose créée quelconque, mais avant tout les hommes pensants »[8].

Au XVIIIe siècle enfin, Kant, dans sa première antinomie de la raison pure, donne une très classique démonstration que, contrairement aux prétentions de B&B, la thèse d’une temporalité infinie rejetée sommairement par B&B (p. 61) ne peut être philosophiquement établie a priori, non plus d’ailleurs que son antithèse[9]. De fait, la notion de temps est d’une trop grande généralité pour pouvoir être discutée hors d’un cadre conceptuel voire formel qui la restreint et la précise. De ce point de vue d’ailleurs, il est piquant de constater que la cosmologie classique du Big Bang qui donne à l’Univers un âge de 13,7 milliards d’années peut sans contradiction aucune assurer son éternité passée via une temporalité modifiée mais équivalente[10].

L’éternel retour du concordisme[11]

Mais le débat récurrent sur les relations entre science et religion ne cesse de revenir à la mode, réitérant sans trêve le poncif attribué à Bacon, Pascal, Pasteur et bien d’autres, et épinglé par Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, selon lequel « un peu de science écarte de Dieu, mais beaucoup y ramène ». Pour nous borner à quelques exemples du vingtième siècle, le respectable mathématicien écossais E. Whittaker a commis dans cette perspective un petit ouvrage, Space and Spirit, dont le sous-titre est explicite : Theories of the Universe and the Arguments for the Existence of God, et qui s’appuyait sur les théories cosmologiques encore fragiles des années 1920 à 1940[12]. Le savant jésuite Teilhard de Chardin, suscitant au demeurant une sérieuse mise en garde du Saint-Office, avait exploré cette voie au milieu du XXe siècle, s’appuyant en particulier sur les sciences de la vie par le biais d’une interprétation créationniste de l’évolution biologique, rejoint par un autre philosophe catholique de l’époque, Claude Tresmontant[13]. Avec bien moins de sérieux, un livre à succès signé en 1991 par un académicien catholique et deux médiaticiens cathodiques avait encore illustré cet éternel retour[14]. Pourtant, dès 1945, le théologien thomiste A. D. Sertillanges avait montré les risques d’une exploitation simpliste de la notion de création[15]. La tentation concordiste n’est d’ailleurs nullement réservée au seul catholicisme : on la retrouve chez l’astrophysicien bouddhiste Trinh Xuan Thuan, et l’on ne compte plus les sites islamo-intégristes qui y cèdent[16]. Mais il faut rappeler que l’abbé Lemaître, l’un des fondateurs de la cosmologie évolutive moderne, avait mis en garde contre toute tentative d’exploitation apologétique des théories scientifiques, visant jusqu’à un discours en ce sens du pape Pie XII en 1951.

Il est évidemment plus intelligent pour les courants spiritualistes, plutôt que de s’opposer à la science et de la dénigrer, de s’essayer à la récupérer. L’inévitable confusion épistémologique qui entoure l’émergence de nouvelles conceptions scientifiques fournit un bouillon de culture assez trouble pour tenter d’en nourrir les visions du monde les plus diverses. Face à cette exploitation empressée, le rappel de la nécessaire prudence méthodologique, l’affirmation de l’indispensable séparation des genres entre science et religion, la référence à la laïcité de la recherche, semblent trop peu efficaces. La critique rationaliste, acculée par définition à la défensive, a toutes les apparences d’une tâche à la Sisyphe. Une autre stratégie cependant est possible dans ce débat d’idées : plutôt que d’affronter de face la lourde alliance (pas si nouvelle) du spiritualisme et du scientisme, il s’agit de la prendre à revers. Cette voie, c’est une fiction littéraire qui l’a illustrée avec virtuosité et intelligence. Un roman trop peu remarqué de John Updike, Ce que pensait Roger[17], a pour narrateur un professeur de théologie confronté à un jeune informaticien qui souhaite préparer une thèse pour « Démontrer à partir des données physiques et biologiques existantes, au moyen de modèles et manipulations sur ordinateur, l’existence de Dieu, c’est-à-dire d’une intelligence agissante et souveraine derrière tout phénomène. » La réponse indignée du théologien vaut d’être citée : 

Tous ces raisonnements à rebours, à partir des conditions actuelles, pour conclure qu’elles sont hautement improbables est-ce que vraiment ça nous donne une telle longueur d’avance sur l’homme des cavernes, qui ne comprenait pas pourquoi chaque mois la lune changeait de forme dans le ciel et en conséquence inventait un tas d’histoires sur les dieux, les blagues et les cabrioles auxquelles ils se livraient là-haut ?

Vous vous imaginez, dirait-on, que par pure obligeance Dieu est disposé à se précipiter pour combler le vide, la moindre lacune de la science. Le savant moderne n’a pas la prétention de tout savoir, il prétend uniquement savoir plus de choses que ses prédécesseurs, et aussi que les explications naturalistes paraissent se vérifier. Impossible d’avoir tout le bénéfice de la science moderne et, en même temps, de s’accrocher à la cosmologie de l’homme des cavernes.

Vous gardez Dieu prisonnier de l’ignorance humaine.

Mais ma foi, dérisoire ou non, me pousse à m’insurger avec horreur contre votre tentative, votre grossière tentative, ai-je failli dire, pour réduire Dieu au statut de fait, un fait parmi tant d’autres, pour L’induire ! J’ai l’absolue conviction que mon Dieu à moi, que le vrai Dieu de n’importe qui, ne sera pas induit, ne sera jamais tributaire de statistiques, de fragments d’ossements desséchés et de vagues lueurs au bout d’un télescope !

et de conclure en citant le théologien protestant Karl Barth : 

Quel genre de Dieu serait-ce, ce Dieu qu’il faudrait démontrer ?

Cet article, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur, a été publié antérieurement dans Les Cahiers rationalistes, n°675, novembre-décembre 2021 et Ciel & Espace, n°581, février-mars 2022 (en version abrégée)

[1] L’ouvrage a été publié fin 2021 chez Trédaniel, éditeur spécialisé dans l’ésotérisme, la parapsychologie, l’astrologie, etc.

[2] Voir R. Bacqué et A. Chemin, « Comment Bolloré mobilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle », Le Monde, 16 novembre 2021.

[3] https://www.hubertreeves.info/chroniques/lpt_bbh/20140911.html

[4] Voir la note de Jean Farago et Wiebke Drenkham, « L’entropie de l’Univers est un concept plein de paradoxes », Le Monde, 30 juin 2021. Pour plus de détails : https://en.wikipedia.org/wiki/Heat_death_of_the_universe

[5] Voir Piergiorgio Odifreddi, « Une démonstration divine », Alliage n°43, juillet 2000, pp. 18-26, ainsi que Gilles Dowek : http://www-roc.inria.fr/who/Gilles.Dowek/Philo/licornes.pdf

[6] Voir l’excellente anthologie rassemblée et commentée par Cyrille Michon & al., Thomas d’Aquin et la controverse sur L’Eternité du monde, GF Flammarion, 2004

[7] Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q46, a2. Voir aussi le Æternitate mundi de Thomas, in ref.6.

[8] Baruch Spinoza, Pensées métaphysiques, Deuxième partie, chapitre X.

[9] Emmanuel Kant, Critique de la raison pure (livre III, chapitre II).

[10] Jean-Marc Lévy-Leblond, « Did the Big Bang begin ? », Am. J. Phys. 58, 1990, p. 156, et « L’origine des temps, un début sans commencement », in La Pierre de touche, Gallimard, 1996, pp. 337-350.

[11] Voir Yves Gingras, L’impossible dialogue, PUF, 2016.

[12] Edmund Whittaker, Space and Spirit, H. Regnery Company, 1948. Une critique précise et argumentée des thèses de Whittaker avait été faite immédiatement par le théologien thomiste Fernand van Steenberghen, « La physique moderne et l’existence de Dieu », Revue philosophique de Louvain, 1948, pp. 376-389 ; voir aussi, du même auteur, « Sciences positives et existence de Dieu », Revue philosophique de Louvain, 1959, pp. 397-414.

[13] Claude Tresmontant, Essai sur la connaissance de Dieu, Cerf, 1959 (curieusement réédité récemment en 2017).

[14] Jean Guitton, Igor et Grichka Bogdanov, Dieu et la science, Grasset, 1991.

[15] Antoine-Dalmace Sertillanges, L’idée de création et ses retentissements en philosophie, Aubier, 1945.

[16] Pour une critique de la récupération islamiste des sciences, voir Faouzia Charfi, L’Islam et la science. En finir avec les compromis, Odile Jacob, 2021. 

[17] John Updike, Roger’s Version, A. Knopf, 1986 ; trad. fr., Ce que pensait Roger, Gallimard, 1998.

Tags : Big Bang concordisme dieu Dieu la science les preuves éternité existence de dieu O. Bonassies Planck preuves rationalisme science Y. Bolloré

Réfléchir avec Dawkins

Posté le 24 novembre 2020 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire

Jean Bricmont

On vient de publier en français l’ouvrage récent (2019) de Richard Dawkins, Dieu ne sert plus à rien, traduit de l’anglais par Olivier Bosseau (H&O Science, Saint-Martin-de-Londres, France, 2020).

Le sous-titre de ce livre en résume bien le contenu : Lettre ouverte aux nouvelles générations sur la religion et la science. Dans cet ouvrage, Dawkins s’adresse en le tutoyant à un jeune imaginaire (qui est peut-être le « William » auquel le livre est dédicacé) d’abord pour lui expliquer les raisons de ne pas croire en Dieu et pour ensuite lui faire un bref résumé très pédagogique de la science contemporaine, en particulier de la théorie de l’évolution.

C’est un ouvrage facile et agréable à lire. La partie scientifique pourra intéresser tout le monde et le livre peut être un cadeau agréable pour un des jeunes auxquels Dawkins s’adresse.

Je ne suis pas compétent pour discuter de la partie « biologie » du livre. Bien sûr, tout le monde est d’accord avec l’idée générale de la sélection naturelle, mais il peut y avoir des désaccords sur la psychologie évolutive et en particulier sur l’évolution de l’altruisme auquel Dawkins consacre son chapitre 11.

Comme physicien, j’ai été agréablement surpris qu’un non-spécialiste comme Dawkins rapporte correctement ce que Schrödinger voulait dire avec son fameux chat « qui est à la fois vivant et mort ». Schrödinger ne pensait évidemment pas qu’un chat puisse être dans un tel état, mais il voulait montrer par réduction à l’absurde à quelle conséquence mène l’interprétation de Copenhague de la physique quantique, qui est enseignée dans les cours, et qui implique que les objets n’ont de propriétés définies que quand ils sont observés.

Ce que Schrödinger a montré, c’est que cette idée, qui est peut-être acceptable pour des objets microscopiques comme les électrons, s’étend, si l’on suit la logique de la physique quantique usuelle, à des objets macroscopiques comme des chats. Néanmoins, beaucoup de gens (mais pas Dawkins) pensent ou semblent penser que « la science » a montré que ce chat était à la fois vivant et mort avant qu’on ne le regarde, ce qui est l’exact opposé de ce que Schrödinger pensait.

Malheureusement, la seule alternative à l’interprétation de Copenhague que Dawkins envisage (ou connaît) est celle des mondes multiples où, dans l’exemple du chat, le monde se divise en deux, l’un dans lequel le chat est vivant et l’autre dans lequel il est mort. Mais cette multiplication de mondes se produit chaque fois qu’une expérience quantique ayant plusieurs résultats possibles se produit quelque part dans l’univers, ce qui mène à une prolifération de mondes absolument incroyable (pendant que j’écris ces lignes, des millions de millions de copies de moi vivant dans des mondes parallèles ont émergé). Il n’est pas clair qu’on a gagné au change avec les mondes multiples par rapport à l’interprétation de Copenhague[1].

Mais je digresse. Si je partage évidemment l’attitude de Dawkins par rapport aux religions (et son exposé, bien que classique, est très pédagogique), j’ai deux désaccords avec lui, un mineur et un majeur.

Un désaccord mineur

Le désaccord mineur est que c’est une mauvaise idée de mélanger philosophie et politique. Dawkins est une sorte de libéral classique de centre-gauche, ce qui est son droit évidemment, mais il y a des athées qui sont soit plus à droite, soit plus à gauche, ce qui suggère une certaine indépendance entre la politique et l’attitude par rapport aux religions. Comme exemple d’un tel mélange, Dawkins cite (p. 33 de son livre), afin d’illustrer la différence entre faits et mythes, le rapport de la commission Warren « de 888 pages » sur l’assassinat de Kennedy qui, après avoir consulté des « scientifiques, médecins, experts médico-légaux et experts en armes à feu » a conclu que Kennedy a été tué par « Oswald, opérant seul ». Je précise que je ne me suis jamais intéressé aux théories alternatives ou « théories du complot » sur cet assassinat, mais je sais qu’elles existent et qu’elles ne sont pas défendues uniquement par des illuminés.

De même, pour illustrer le fait qu’il n’y a nul besoin d’être croyant pour être généreux, il cite Bill Gates, Warren Buffett et George Soros comme étant à la fois incroyants et « les plus grands donateurs à des œuvres de bienfaisance au monde ». Nul besoin d’adhérer aux multiples théories du complot concernant Bill Gates ou George Soros pour penser qu’on aurait pu trouver un meilleur argument. Quant à Warren Buffett, il s’est en partie rendu célèbre en déclarant : « La lutte des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches qui mène cette lutte et nous sommes en train de la gagner »[2], phrase qui est peut-être plus remarquable pour sa lucidité que pour son altruisme.

Un désaccord majeur

Le désaccord majeur que j’ai avec Dawkins concerne le rôle de la théorie de l’évolution dans la défense de l’athéisme. En effet, pour Dawkins, celui-ci n’est devenu vraiment intellectuellement respectable qu’à partir de 1859, année de la publication de L’origine des espèces de Darwin. Mais alors, que penser de Diderot, d’Holbach, de la Mettrie, ou encore de notre cher curé Meslier ? Avaient-ils tort ? Raisonnaient-ils mal tout en arrivant à des conclusions justes ?

Dawkins, dont l’un des ouvrages les plus célèbres est L’horloger aveugle est trop impressionné à mon avis par l’argument du pasteur du XVIIIe siècle William Paley à propos de sa montre : Paley pensait que, si l’on pouvait accepter le fait qu’une roche apparaisse naturellement, une montre était tellement complexe qu’elle devait nécessairement avoir un horloger. Et la complexité de la vie ou de l’être humain nécessite de la même façon l’existence d’un horloger : pour Paley, c’est Dieu. C’est pourquoi Dawkins attache tant d’importance à Darwin, qui, pour lui, a donné, à travers la théorie de l’évolution, une réponse alternative à celle de Paley. Il y a bien un horloger, mais il est aveugle : c’est la sélection naturelle.

Mais la réaction de Dawkins n’est paradoxalement pas assez darwinienne : les chiens et les chats ne comprendront jamais les lois de Newton. Est-ce que cela prouve l’existence de Dieu ? La question semble idiote ? Elle l’est, mais en quoi est-ce différent de n’importe quel argument liant l’ignorance humaine à l’existence de Dieu ? Supposons que nous n’ayons aucune idée de pourquoi la vie ou l’intelligence sont apparues. Cela n’indiquerait pas plus l’existence d’une divinité que l’ignorance des chiens et des chats, et pour la même raison : si nous sommes comme eux les produits d’une évolution contingente, pourquoi devrions-nous avoir une réponse à toutes les questions que nous nous posons ? Einstein était plus darwinien que Dawkins quand il faisait remarquer que ce qui est étonnant, c’est que l’univers soit compréhensible.

Un croyant pourrait néanmoins demander : pourquoi ne pas accepter « Dieu » comme explication ou comme réponse à des questions auxquelles la science n’apporte pas de réponse ? Toute la question est de savoir ce qu’est « Dieu ». Pour l’immense majorité des croyants, Dieu est une sorte de force surnaturelle qui nous aide ou nous punit dans cette vie ou dans l’au-delà, et qui répond à nos prières. C’est ce que j’appelle le « dieu-superstition », parce que la croyance en ce dieu-là, ou ces dieux plus exactement, puisqu’il en existe des milliers, n’est pas différente des superstitions que l’on rencontre partout et à toutes les époques. D’ailleurs, Dawkins décrit très bien comment ces superstitions naissent et prospèrent sur le terreau de la crédulité humaine.

Bien sûr, ce dieu-là offre des réponses à de nombreuses questions : j’étais malade, et j’ai guéri ; pourquoi ? Parce ce que j’ai invoqué Dieu. Mais ce genre d’explications est facilement réfuté au moyen d’études empiriques, comme les autres explications pseudo-scientifiques.

Mais le « dieu » de Paley, celui qui est supposé expliquer l’origine de l’univers, ou de la vie, ou de la conscience, et qu’on pourrait appeler le « dieu-métaphysique » ou le dieu des philosophes et des théologiens, n’a rien à voir avec celui auquel croient l’immense majorité des croyants. En effet, si ce dieu existe, pourquoi se préoccuperait-il du sort d’une créature particulière sur une planète perdue quelque part dans l’univers ? Pourquoi se révèlerait-il dans un endroit particulier de l’espace-temps et, pour ce qui est des religions du Livre, dans un « coin obscur et perdu de l’Asie », comme le disait d’Holbach ?

Mais une fois que l’on sépare ces deux idées de dieu, qui ne sont en réalité liées que par l’usage d’un mot, lien qui crée beaucoup de confusion, on peut se demander quel est le contenu du concept de dieu-métaphysique. Une fois que ce concept est séparé de celui des dieux de religions réellement existantes, il devient vide. C’est le « dieu des trous » : là où il y a des trous dans notre savoir, au lieu de dire « on ne sait pas », on dit « c’est Dieu ». Mais si ce dieu n’a aucune propriété spécifique, ces deux dernières phrases ont le même sens et son invocation n’a aucune valeur explicative.

Pour une critique empiriste ou positiviste de la théologie

L’opposition entre science et religion joue un rôle en faveur de l’athéisme, mais pas à cause de théories scientifiques spécifiques, comme celle de l’évolution, mais à cause de différences de méthode : la révolution scientifique nous a appris à distinguer les causes ou explications réelles, qui sont testables au moins en principe, et les pseudo-explications purement verbales comme l’invocation d’un mot tel que « Dieu », détaché de toute propriété concrète.

C’est une critique empiriste ou positiviste de la théologie inspirée par les sciences naturelles dont nous avons besoin pour répondre aux théologiens plutôt que de théories scientifiques données.

Concernant les arguments religieux basés sur l’origine des êtres vivants, la réponse pré-darwinienne de Diderot[3] me semble plus juste que celle de Dawkins :

Si la question de la priorité de l’œuf sur la poule ou de la poule sur l’œuf vous embarrasse, c’est que vous supposez que les animaux ont été originairement ce qu’ils sont à présent. Quelle folie ! On ne sait non plus ce qu’ils ont été qu’on ne sait ce qu’ils deviendront. Le vermisseau imperceptible qui s’agite dans la fange, s’achemine peut-être à l’état de grand animal ; l’animal énorme, qui nous épouvante par sa grandeur, s’achemine peut-être à l’état de vermisseau, est peut-être une production particulière et momentanée de cette planète.

La volonté de trouver à tout prix des réponses « scientifiques » qui éviteraient de répondre « c’est dieu », mène certains à l’idée des multivers[4] : des physiciens ont montré que si certaines constantes physiques, par exemple la constante G qui entre la loi de la gravitation universelle de Newton[5], avaient des valeurs très légèrement différentes de celles qu’elles ont, la vie dans l’univers aurait été impossible. Pour « résoudre » ce problème on peut imaginer qu’il existe, au-delà de l’univers visible (si l’univers a environ 13 milliards d’années, on ne peut rien percevoir à une distance supérieure à ces 13 milliards d’années-lumière) une multitude d’univers avec des constantes physiques variables. Et pour résoudre notre problème, on déclare simplement que notre univers est un de ceux parmi des milliards d’autres (ou peut-être une infinité) dans lequel les constantes physiques tombent juste, afin que la vie soit possible.

Dawkins semble aimer cet argument et la question des multivers est plus compliquée que ce qui précède ; mais si l’on ne considère que cet argument-là et, dans la mesure où ces univers sont inobservables même indirectement, supposer leur existence pour résoudre le problème de l’ajustement précis des constantes physiques qui rend la vie possible dans notre univers, c’est comme dire « on ne sait pas » ou « c’est Dieu ».

Par ailleurs, il est certain qu’il existera toujours des questions auxquelles la science n’aura pas de réponse : qu’il y avait-il avant le Big Bang ? Et si on a une réponse à cela, on en posera d’autres du genre : pourquoi il y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Bien sûr, ce qui précède ne vise pas à minimiser l’importance scientifique de la découverte de Darwin et de ses successeurs, ni à nier l’impact psychologique que cette découverte a eu sur les croyants, ce qui explique sans doute pourquoi la majorité d’entre eux la refusent, encore aujourd’hui (pensons aux musulmans, hindouistes, chrétiens américains ou africains). Et c’est encore moins une défense des religions et des théologies : au contraire, celles-ci sont tellement intellectuellement indéfendables que nous n’avons même pas besoin de Darwin pour les réfuter.

Finalement, il faut souligner l’importance du travail de Dawkins face à la résurgence des religions, ainsi que le scandale absolu qu’a constitué l’annulation récente d’une de ses conférences à Dublin, à cause de tweets de Dawkins comparant la gravité de différents délits sexuels ainsi qu’à cause de son opposition à l’islam[6].


Notes

  1. Néanmoins, l’idée des mondes multiples n’est pas la seule alternative à l’interprétation de Copenhague. ↑
  2. Voir par exemple : https ://blogs.mediapart.fr/jancap/blog/220413/la-lutte-des-classes-un-repoussoir-capte-par-les-riches. ↑
  3. Diderot D., Entretien entre d’Alembert et Diderot, Œuvres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, p. 877. ↑
  4. Que Dawkins ne confond pas avec les mondes multiples de la mécanique quantique, contrairement à Michel Onfray qui mélange tout avec tout, et devient plutôt embarrassant comme porte-parole de l’athéisme : https ://twitter.com/monsieurphi/status/1325733310333657089?fbclid=IwAR1sFks9AVPYQZoxDaPYlPFxvuiXA3bVoW0-dmNJPoedpteDLgCOySDc9qo. ↑
  5. Cette loi nous dit que les corps s’attirent avec une force proportionnelle au produit de leur masse et à l’inverse du carré de leur distance. La constante de proportionnalité est notée G. ↑
  6. Voir https://www.independent.ie/irish-news/trinity-college-historical-society-rescind-richard-dawkins-invitation-over-authors-stance-on-islam-and-sexual-assault-39568028.html. ↑
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Dieu est tout-puissant… mais le coronavirus l’est encore plus !

Posté le 25 avril 2020 Par ABA Publié dans Coronavirus, Lois divines, Pandémie, Religion, Sciences 1 Commentaire

Jean-François Jacobs

La place Saint-Pierre à Rome, vide de monde

La place Saint-Pierre à Rome, vide de monde

Quelques mois après le début de l’épidémie en Chine, la crise liée au Covid 19 est désormais internationale, personne n’y échappe et partout sur la planète, une consigne prédomine : le confinement. Des milliards d’êtres humains sont invités, parfois manu militari, à rester chez eux, à éviter les déplacements inutiles et surtout les attroupements. Aujourd’hui, se faire la bise, s’assoir sur un banc à côté d’un inconnu, se réunir en groupe, est désormais considéré comme un acte délictueux qu’il faut réprimer. Au nom de quoi ? Au nom de quoi ? Au nom de la science ! De la science qui nous informe, qui nous dicte ce qu’il faut faire si l’on veut rester en vie… La science parle et l’on se tait. Et Dieu dans tout ça ?

Pouvons-nous affirmer que le temps de la punition divine, du moins en mode grand public, est derrière nous ? C’est le credo de cet article…

Il fallut attendre que l’épidémie mute, se transforme en pandémie. Il nous fallut du temps pour prendre au sérieux ce virus, qui inexorablement allait occuper tout l’espace et toutes les pensées. Au commencement, donc, dans le brouhaha du « on dit tout et n’importe quoi », une voix, pourtant d’habitude si volubile, n’avait point d’échos. Comme le souligne l’historienne Anne Morelli

L’épidémie n’a pas été gérée en Europe au gré de forces invisibles. Le divin a quitté le domaine épidémiologique, signe de la sécularisation de notre société[1].

Bien entendu, il y a les irréductibles, les durs des durs, les derniers des mohicans, ceux qui n’en démordent pas et qui préféreraient mourir (ils sont en passe d’y arriver) plutôt que de ne pas user de l’option fourre-tout Dieu, comme cette ministre du Zimbabwe, Oppah Muchinguri, qui n’a pu s’empêcher de déclarer « Le coronavirus est l’œuvre de Dieu qui punit les pays qui nous ont imposé des sanctions »[2] ou encore ce rabbin Mazuz qui s’est laissé aller à un « le coronavirus est une punition divine à cause de l’homosexualité », en n’oubliant pas de nous expliquer avec clairvoyance que « les pays arabes ne sont pas en train de souffrir de cette maladie… et les cas qu’on a vus en Iran s’expliquent par la haine qu’ils ont envers Israël »[3]. Récupération politique ou idéologique, recherche du buzz, ceci restait des exceptions qui laissaient à penser, en ce début de crise, qu’un nouveau paradigme allait s’imposer : « je crois encore en Dieu, mais je pense que je vais suivre les conseils de mon médecin… » Les préceptes divins ne font plus office de loi, ils passent au second plan. Les croyants prient toujours pour les bontés divines, mais rares sont ceux qui s’indignent de l’interdiction des différents rites religieux. La direction de la Grande Mosquée de Bruxelles a décidé de fermer les lieux de culte le jour de la prière du vendredi sans y être obligée, pour le bien de ses fidèles. Les évêques belges, eux aussi, n’y allaient pas de main morte en recommandant à leurs fidèles de ne pas utiliser l’eau bénite[4], parce que le miracle a ses limites… En bon rationaliste qui se respecte, on aurait envie de leur dire : « Encore un petit effort et l’on finira par être d’accord ».

Caramba, encore raté ! On pouvait s’y attendre, ils n’allaient pas lâcher le morceau aussi facilement. Après un silence prudent, les multiples représentants des diverses obédiences, sortirent – chassez le naturel, il revient au galop – l’artillerie de la parole divine, du sacré, cet éternel antibiotique, pour préserver notre santé et nous garantir un salut qui ne serait pas un adieu.

Petit tour d’horizon :

Mgr Aillet, évêque de Bayonne nous prévient : « Dieu utilise les peines qui nous frappent et nous blessent pour que nous en tirions des leçons de conversion et de purification », alors que dans un autre folklore, l’Imam de Brest, Rachid Eljay, nous assure que « toute personne qui dit ces paroles (les invocations) trois fois le matin et trois fois le soir, aucun mal ne le touchera », tandis que Hani Ramadan proclame que le coronavirus est la conséquence du fait que « les hommes se livrent ouvertement à la turpitude, comme la fornication et l’adultère »[5]. Son frère Tariq appréciera.

Les leaders religieux juifs ultra-orthodoxes, malgré les directives du gouvernement, n’ont pas voulu fermer les établissements qui prodiguaient l’enseignement de la Torah. L’éminent rabbin Chaim Kanievsky a soutenu cette démarche en affirmant que « suspendre l’étude la Torah, même pour un seul jour, était un plus grand risque pour la survie du peuple juif que la propagation du nouveau coronavirus »[6]. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur la pertinence de fermer les écoles alors que le pape François a demandé « à Dieu de mettre fin à l’épidémie de sa main »[7], en espérant qu’Il les a bien lavées.

En Iran, Jaafar Ghafouri, militant d’une branche du chiisme rejetant la République islamique, apparaît dans une vidéo en train de lécher la tombe de l’imam Réza à Machhad, en déclarant « Je mange le virus afin de vous rassurer et que vous continuiez de venir au mausolée. »[8]

Ces quelques exemples ne sont que de la poudre aux yeux, des épiphénomènes qui n’arrivent pas (plus) à nous masquer la réalité du terrain. Jaafar Ghafouri s’est fait arrêter[9]. En Israël, dix personnes qui voulaient se rendre à la synagogue pour prier se sont fait embarquer par l’armée[10]. Partout dans le monde, les célébrations religieuses sont interdites de public… Lors de ce week-end pascal, vide est la place Saint-Pierre de Rome, vide est le Saint-Sépulcre à Jérusalem et à ce moment même où je vous écris, l’esplanade de la Kaaba à la Mecque est désertée.

L’équation est assez simple à comprendre, plus il y a de religieux, moins il y a de science et plus il y a de morts. C’est factuel et malgré la dissonance cognitive qui habite le cerveau des « croyants », voici encore un peu d’eau au moulin du bon sens.

Selon les médias locaux israéliens, la moitié des malades sont issus de la communauté ultra-orthodoxe, qui représente environ 10% de la population[11]. À New York, certains quartiers ont été davantage touchés par le coronavirus, ceux où se concentrent des communautés de juifs hassidiques[12]. Les religions – comme disent les chrétiens, du verbe religare – a pour principe de relier les fidèles entre-eux et c’est cette pratique de base qui aujourd’hui les conduit sur le chemin inéluctable de la mort :

En Malaisie, le point-chaud du coronavirus est une mosquée à Kuala Lumpur, où plus de 16 000 croyants se rassemblent pour prier. La cérémonie s’est ainsi achevée par la contamination de centaines de personnes. En Corée du Sud, la moitié des cas de coronavirus peut être reliée à une cérémonie religieuse ayant eu lieu à l’Église Shincheonji de Jésus.[13]

Alléluia, voici venu le moment où même les croyants (si l’on excepte donc ceux qui n’ont que ça dans leur vie) trouvent normal de ne plus donner à leur religion la primauté des décisions réellement importantes. Voici venu le temps où les États théocratiques s’en remettent aux discours scientifiques et font fi de leurs illusions dogmatiques. Ceux-ci et ceux-là vont-ils pousser plus en avant leur réflexion ? À quoi cela sert-il de servir un Dieu qui n’aurait plus aucun pouvoir sur nous ? Faut-il croire au destin ou aux vaccins ? Si Dieu le veut ? Mais Il ne le peut ! Comme je l’ai dit déjà, la prière a encore la cote, mais là aussi, cela ressemble plus à une supercherie intellectuelle destinée au prêchiprêcha de la bonne conscience plutôt qu’à une conviction gravée dans le marbre. Qui se dit encore : « zut, zut, j’ai oublié de prendre mon médicament, vite, vite, une petite prière… »

Avant que ce maudit virus ne vienne bouleverser nos habitudes, il était devenu presque impossible de critiquer les religions sans risquer d’être taxé de raciste, parce qu’il est raciste de s’en prendre à une minorité surtout si celle-ci est stigmatisée… Le politiquement correct acceptait la critique religieuse, à la condition d’y aller avec des pincettes, de ne pas vexer ceux qui y croient car dans l’urne, une voix est une voix… Le coronavirus, lui, n’y va pas avec le dos de la cuillère, il tue, il contamine, il ne débat pas. Il fait interdire sans se faire contredire. La vérité, dans notre société postmoderne, se voulait relative, changeante au gré des points de vue. La maladie, ne l’est pas, relative. Tu l’as ou tu ne l’as pas et pour ne pas l’avoir, ou pour ne pas en propager le fléau, tu dois respecter les consignes. Que tu sois juif, catholique, musulman ou non-croyant, tu respecteras, à la lettre, le confinement. La vérité n’est pas multiple, celui qui dira : « Oui, mais quand même, quoi ! chacun son avis après tout, s’il a envie d’une grande fête avec ses amis, il y a bien le droit, non ?… » se fera lapider.

Non, ton individualité, ta croyance ne fera pas de l’ombre à l’humanité…


Notes

  1. https://www.lalibre.be/debats/opinions/le-coronavirus-fleau-de-dieu-5e78e2239978e22841382fdc (La Libre). ↑
  2. http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200317-zimbabwe-une-ministre-qualifie-le-coronavirus-punition-divine-contre-les-occidentau (RFI). ↑
  3. https://lecourrier-du-soir.com/un-rabbin-juif-derape-le-coronavirus-est-une-punition-divine-a-cause-de-lhomosexualite-dit-il/ (Le courrier du Soir). ↑
  4. https://www.rtbf.be/info/regions/detail_coronavirus-la-priere-du-vendredi-annulee-a-la-grande-mosquee-du-cinquantenaire-a-bruxelles-jusqu-a-nouvel-ordre?id=10453828 (RTBF). ↑
  5. https://charliehebdo.fr/2020/03/religions/une-petite-priere-pour-lutter-contre-le-coronavirus/ (Charlie Hebdo). ↑
  6. https://charliehebdo.fr/2020/04/religions/coronavirus-dieu-facteur-de-contamination-massif/ (Charlie Hebdo). ↑
  7. Ibid. ↑
  8. https://www.nouvelobs.com/societe/20200302.AFP3928/le-nouveau-coronavirus-rouvre-le-debat-entre-science-et-religion-en-iran.html (Nouvel Obs). ↑
  9. Ibid. ↑
  10. https://www.rtbf.be/info/monde/detail_israel-de-nombreux-ultra-orthodoxes-respectent-la-religion-pas-le-confinement?id=10475567 (RTBF). ↑
  11. https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-les-juifs-orthodoxes-d-israel-defient-les-regles-resultat-les-contaminations-explosent?id=10473207 (RTBF). ↑
  12. https://www.letemps.ch/monde/ravages-coronavirus-chez-juifs-hassidiques-new-york (Le Temps) ↑
  13. Charlie Hebdo, op.cit. (v. note 6). ↑
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La religion, vue par un athée italien du XXIe siècle

Posté le 18 mai 2019 Par ABA Publié dans Athéisme Laisser un commentaire
Enrico Nevolo

Traduction assortie de quelques considérations évoquées dans un dialogue maïeutique par Marco Valdo M. I.

La dernière livraison du périodique italien L’ATEO (l’athée), bimestriel de l’UAAR[1], édité à Rome, publication au titre sans équivoque, était consacré au sujet brûlant : « Che cose è la religione ? », ce qui se traduit[2] par : « Qu’est-ce que la religion ? ». J’écris sujet brûlant, car à le lire, on se dit que certains ont été brûlés pour moins que ça. Du reste, c’est un brûlot qui descend le Tibre jusqu’au-devant du Vatican. Mais procédons.

Dans ce numéro spécial, il y a un article qui a retenu mon attention. Il s’intitule « Religione. Due o tre cose che penso di lei » – « Religion. Deux ou trois choses que je pense d’elle »[3]. L’auteur, Enrico Nivolo est originaire d’Asti (né en 1988) et pour l’heure, prépare une thèse sur « laïcité et pluralisme dans l’école italienne » auprès de l’Université de Turin.

Il est intéressant à plus d’un titre de découvrir ce qu’un Italien lettré contemporain peut bien avoir à penser de la « religion » : c’est l’objet de la première partie de ce texte et en profiter (odieusement) pour glisser quelques considérations impies supplémentaires, à la suite.

L’édification de la Religion

Après quelques réflexions introductives d’ordre historico-philologiques, on en vient à ceci : « Au niveau général, la religion peut être comprise comme un aspect de la vie des êtres humains, utile à la compréhension des rapports socioculturels, qui jette « ses racines dans quelque chose (le sacré) ou quelqu’un (êtres surhumains, dieux, Dieu), qui transcende la dimension humaine, se présentant en même temps comme son fondement. Les religions sont des productions qui s’efforcent de donner un sens au monde, des créations de l’homme en tant qu’animal symbolique et créateur de culture et d’histoire »[4]. En termes anthropologiques, selon les définitions de la religion fournies par Melford Elliot Spiro et Clifford Geertz, les religions peuvent être comprises comme des institutions qui, en créant un système articulé de symboles, coordonnent les relations entre les êtres humains et les êtres surnaturels postulés par eux-mêmes, grâce à la stimulation d’états d’âme et de motivations fondés sur une série de concepts concrets élaborés sur l’existence, qui rendent les états d’âme et les motivations absolument réalistes.[5]

La Religion comme pharmakon

La raison de la naissance de ces institutions (religieuses) peut s’expliquer en reprenant le concept de nausée élaboré par Jean-Paul Sartre – (c’est-à-dire) le malaise que ressentent les êtres humains lorsqu’ils réalisent l’absence de fondement de la réalité et l’absurdité qui les entoure[6]. Les religions, grâce à leurs propriétés d’attribution de sens, peuvent dès lors être décrites comme un puissant pharmakon contre la nausée. Un pharmakon, qui, comme le suggère Jacques Derrida, peut avoir deux effets, celui du remède et celui du poison[7]. Par le biais de la religion, dont la capacité principale est précisément celle de pouvoir donner un sens à tout, les êtres humains ne remarquent pas le Réel, ils l’évitent et entrent, pour ainsi dire, dans une forme de schizophrénie collective qui est capable de réparer tout ce qui ne fonctionne pas, de lui donner du sens. En d’autres termes, la religion rejette le Réel quand il devient trop agressif, quand ce qui ne va pas risque d’écraser le sujet et triomphe quand elle réussit à l’éloigner totalement du Réel, le mettant en sécurité dans son illusion[8] ; les religions, au moyen de dispositifs efficaces d’attribution de sens permettent de rejeter l’émergence de ce que Jacques Lacan définit comme le réel – ce qui perturbe l’unité plus ou moins cohérente de la réalité et de son sens.

La Religion contre le réel

Maintenant, il est bon de s’arrêter et de réfléchir un instant aux conséquences qui peuvent survenir au moment où un sujet entre dans cette illusion : que se passe-t-il quand le Réel est obscurci et que la fiction du Symbolique religieux est complètement oubliée ? Même si chaque sujet a besoin d’atteindre une certaine stabilité, il y a des cas où cette stabilité atteint des degrés inhumains : cela se produit chaque fois qu’on tente de transformer l’ensemble des accords socioculturels qui composent une religion en réalités immuables qui doivent être tenues préservées de tout changement social. À la religion est ainsi conférée une existence autonome et indépendante par rapport à la réalité sociale et les fidèles oublient que ce en quoi ils croient est seulement une tentative humaine de donner un sens au Réel en commençant à penser qu’il est la Vérité absolue, révélée par un être divin, suprême et infaillible. Ces religions se considèrent elles-mêmes, leurs valeurs et leurs propres origines comme détachées de la culture humaine dans laquelle elles circulent et qu’elles considèrent comme quelque chose d’autre dont il faut se dissocier… Selon Olivier Roy, cette tentative de séparer les religions du contexte politique et culturel dans lequel elles sont immergées est un phénomène aujourd’hui plus que jamais important en Europe, où les principales religions sont unies par une tentative de déterritorialisation et de déculturation[9].

Le Credo du crédit

De la même façon que la culpabilité capitaliste s’est émancipée des péchés et de leur rédemption, son culte s’est libéré des objets sacrés : les fidèles du capitalisme ne croient qu’en la foi, ils croient au crédit pur, autrement dit à l’argent. L’argent est devenu le Dieu du capitalisme, un Dieu qui ne vit plus dans les églises, mais dans les banques, lesquelles gouvernent le crédit et administrent la foi, qui est devenue substance en l’argent mercantilisé. Les adeptes du capitalisme sont incités par les banques-églises à vivre dans un état d’endettement continu qui ne doit pas pouvoir s’éteindre : emprunter de l’argent est le seul sacrement de la religion capitaliste et équivaut à un acte de foi dans un avenir qui les conduira à vivre dans un état d’impérissable désespoir.[10]

Le Sens unique

Alors, si cette tentative du capitalisme de s’imposer comme une religion globale a plongé ses fidèles dans un état de désespoir sans possibilité de salut, il est possible que le retour aux religions dont nous avons été témoins ces dernières décennies soit une requête de rédemption du désespoir et du chaos causés par le capitalisme lui-même. À bien y regarder, à partir du XVIIIe siècle, les critères de vérité élaborés par la religion ont commencé à disparaître et les êtres humains ont de plus en plus délégué au marché et aux banques la tâche d’en élaborer de nouveaux, mais la religion capitaliste ne s’est pas avérée être une voie suffisante pour le salut et ne semble pas avoir pleinement accompli la tâche traditionnelle de « rassurance »[11] sociale, historiquement assignée aux religions, semant au contraire le chaos et l’insécurité sociale. Pour ces raisons, de nombreux êtres humains ont commencé à réévaluer les instruments d’attribution de sens élaborés par les religions. Si le capitalisme a atteint le summum de sa gloire au cours du XXe siècle, il n’a cependant pas pu provoquer le déclin des religions, dont il n’a contribué qu’à modifier le statut de légitimité : dans le passé, tout dépendait de Dieu et de sa grâce, alors qu’aujourd’hui tout tourne autour de la liberté individuelle et des limites que lui imposent les lois des États. La recherche de sens à travers les possibilités offertes par la religion reste un chemin encore pratiqué par de nombreux sujets, dont beaucoup, cependant, mettent au premier plan l’expérience de la foi, laissant à l’arrière-plan les contenus dogmatiques. Wade Carl Roof souligne l’individualité des parcours de recherche de sens, lesquels s’écartent souvent de ceux indiqués par une religion particulière malgré le fait que le fidèle prétend y appartenir, et pour beaucoup d’entre eux préfère adopter la dénomination de spiritualité plutôt que celle de religion. En d’autres termes, le fidèle contemporain se construit aujourd’hui un système de sens ad personam sans rejeter en même temps l’appartenance à sa communauté religieuse[12].

Retour aux fondamentaux

Néanmoins, d’autres sujets retournent à la religion de manière traditionnelle et intégriste, à la recherche d’un sens de leur existence, d’une identité solide qui contraste le devenir chaotique du réel et la liquidité dont est faite la modernité. C’est le cas du fondamentalisme, produit de la modernité qui s’y oppose en refusant ses objectifs et ses principes, mais qui utilise ses instruments technologiques. Dans les différentes variantes religieuses (catholique, protestante, islamique, juive, hindoue…), les fondamentalismes sont tous unis par la question du fondement éthique et religieux de l’État : pour les fondamentalistes, le fondement d’un État doit résider dans une religion commune et aucune forme de laïcité n’est envisagée[13]. La religiosité individualisée et le fondamentalisme religieux sont les deux faces du retour contemporain à la religion, deux faces qui démontrent la validité de la définition de la religion comme un pharmakon qu’on utilise contre l’angoisse qu’on éprouve quand on constate l’absence du sens. Que ce soit le pharmakon comme remède ou le pharmakon comme poison, c’est toujours d’un médicament qu’il s’agit et toujours l’absence de sens est considérée comme une maladie.

La voie humaine

Mais n’est-il pas possible de trouver une autre voie ? Une voie plus humaine ? Une proposition que je voudrais avancer ici pour surmonter les mensonges de survie élaborés par la religion est de se tourner vers la science … Si, dans le but d’essayer de donner un sens et une explication à la réalité, au lieu de retourner aux illusions des religions, les sujets s’adressaient à la science, ils découvriraient, par exemple, que l’absence de matière est une condition spécifique de nombreux modèles cosmologiques. À chercher des réponses sur la réalité dans un livre de physique, plutôt que dans La Sainte Bible, on découvrirait, par exemple, que la peur du néant et du vide sont injustifiées, car ils sont le berceau de l’existence et la nature ultime de la réalité, tant au niveau microscopique que macroscopique[14]. Pour situer l’approche logique d’Odifreddi, juste une courte citation : « La conclusione dell’ analisi logica [applicata agli argomenti della teologia razionale] è dunque che non solo non è razionale credere in Dio ma che è razionale non credervi. »[15] (La conclusion de l’analyse logique [appliquée aux arguments de la théologie rationnelle] est donc que non seulement il n’est pas rationnel de croire en Dieu mais qu’il est rationnel de n’y pas croire). Par l’adoption d’une approche scientifique de la réalité, on apprend à être sceptique, à remettre en question les vérités qui nous sont proposées, à en chercher des preuves empiriques qui en démontrent la validité, en trouvant des réponses plus humaines sur l’existence. Connaître la science et en adopter l’attitude de vérification des hypothèses annule les effets collatéraux les plus dévastateurs du pharmakon religieux – les poisons du fondamentalisme. À cet égard, Sam Harris souligne que si on enseigne aux jeunes que les propositions religieuses ne doivent pas être justifiées, alors que cette obligation vaut pour toutes les autres [propositions], la société se remplit d’êtres irrationnels et potentiellement capables de commettre n’importe quel acte pour défendre leur propre foi[16]. Éduquer les jeunes avec une mentalité religieuse pleine de dogmes les expose davantage au risque de l’intégrisme : la plupart des terroristes qui se font sauter dans les lieux publics en tuant des innocents ne sont pas des psychotiques, mais la plupart du temps des sujets motivés par un idéalisme religieux fort, des sujets qui ont consommé trop de pharmakon religieux.

Le doute scientifique, fondement de la démocratie

Alors, que faire ? Si la mentalité religieuse est peu habituée au doute et tend à écarter toutes les preuves qui fausseraient la vérité de la foi, une éducation scientifique saine et rigoureuse pourrait être un excellent antidote. Un scientifique croit en un paradigme qui s’est avéré sur la base de nombreuses preuves empiriques, mais quand apparaissent des preuves contraires, il n’hésite pas à abandonner ce paradigme et à en élaborer un nouveau. Ne serait-il pas venu de moment d’envoyer les jeunes à l’école de physique quantique, plutôt qu’au catéchisme ? Ne serait-il désormais pas venu le moment d’arrêter définitivement de continuer à tromper les générations en les poussant à entrer sur le territoire du Symbolique religieux et de commencer au contraire à leur fournir les instruments nécessaires pour gérer de manière humaine les urgences du Réel ? Ne réaliserait-on pas une société plus démocratique grâce à la valorisation du doute ?

Dialogue maïeutique

Et finalement, que conclure, Lucien l’âne mon ami.

Être athée ou ne pas être religieux, telle est la question, dit Lucien l’âne.

Être athée, dit Marco Valdo M.I., être défini athée est terriblement gênant, on a l’impression d’être trahi par le mot. Être athée ramène traditionnellement à l’affirmation de l’inexistence de Dieu, mais tout le monde sent bien que ça n’a pas de sens d’être défini par rapport à Dieu, à son existence ou à son inexistence.

Note, dit Lucien l’âne, en ce qui me concerne, Dieu en soi ne me dérange pas ! Il n’existe pas. Dieu n’existe pas, mais la religion, les religions, les religieux existent et drôlement. La religion, c’est la onzième plaie et elle intègre toutes les autres.

En effet, reprend Marco Valdo M.I., c’est la plaie de l’humanité. En fait, ce mot « athée » et tout ce qui s’ensuit, est une erreur de langage (volontaire ?), inventée par les religieux. En vérité, il s’agissait de maintenir Dieu intact, puisqu’il est par essence intouchable et dès lors, qu’il devait être nié, il devenait incontournable. Un athée sans dieu auquel s’opposer n’existe pas. En désignant l’athée, on désigne Dieu comme incontournable fondement. C’est un tour de passe-passe, on a inversé la réalité. La réalité, c’est que l’homme existe et qu’il invente dieu, les dieux.

Mais, demande Lucien l’âne, quel est le but de cette manipulation ?

Oh, répond Marco Valdo M.I., le sens de la manœuvre est clair : il s’agit de dévier les critiques sur un non-objet, un objectif factice de sorte à les rendre parfaitement vaines et d’empêcher de mettre en cause ce qui agit dans le réel : la religion, les religions, les religieux et les institutions correspondantes. En clair, il s’agit de focaliser le débat sur Dieu – son existence, son inexistence, sa toute-puissance, ses pensées, ses commandements, etc. et par ce leurre, empêcher d’atteindre la véritable cible de la critique : la religion.

Comment on en sort alors, interroge Lucien l’âne ?

Le seul moyen de déjouer ce piège est de s’en prendre à l’objet réel, aux objets réels que l’on entend critiquer : la religion et les religieux et non pas les croyances qui sont choses privées et fantasmatiques tant qu’on ne les fait pas intervenir dans le réel. Il ne s’agit pas d’être athées, si ce n’est peut-être par ricochet de l’usage, mais il s’agit certainement d’être anti-religion(s), anti-religieux, car les religions et les religieux sont les seuls à agir dans le réel et les vrais ennemis de l’humaine nation comme toutes les téléologies qui promettent un avenir radieux.

Et alors, dit Lucien l’âne, que faire ?

Mais, dit Marco Valdo M.I., même s’il pleut à Ostende et qu’on se pose des questions :

« Se sont perdus, se sont perdus
Comme à Ostende et comme partout
Quand sur la ville tombe la pluie
Et qu’on se demande si c’est utile
Et puis surtout si ça vaut le coup,
Si ça vaut le coup de vivre sa vie. »[17]

En réalité, c’est tout simple : bonne ou mauvaise, il s’agit de vivre sa vie.


Notes

  1. L’ATEO, bimestrale dell’UAAR, n°1/2019, Roma, 40 p. – UAAR : Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti – Union des Athées et des Agnostiques et des Rationalistes.↑
  2. Toutes les citations de l’article originel sont traduites par l’auteur du présent article.↑
  3. Enrico Nivolo (enrico.nivolo@anche.no), Religione ; Due o tre cose que penso di lei, L’ATEO, 1/2019, pp.18-21.↑
  4. Giovanni Firolamo, Che cos’è la religione. Temi metodi problemi, Torino, Einaudi, 2004, p. 76.↑
  5. Melford Elliot Melford Elliot Spiro, 1966, Religion. Problems of Definition and Explanation, in Banton (a cura di) – Anthropological Approaches to the Study of Religion (1966), Londra, Tavistock et Clifford Geertz, 1987, Interpretazione di culture (1973), Bologna, Il Mulino.↑
  6. Jean-Paul Sartre, La Nausée, Gallimard, Paris, 1938, 249 p.↑
  7. Jacques Derrida, La farmacia di Platone (1972), 2007, Milano, Jaca Book. Voir en français Jacques Derrida, La pharmacie de Platon, repris dans La dissémination, Seuil, Paris, (1972), 416 p.↑
  8. Jacques Lacan, Il Trionfo della religione, Einaudi Torino, 1975 – voir Le Triomphe de la religion. Précédé de : Discours aux catholiques, Seuil, Paris, 2005, 112 p.↑
  9. Olivier Roy, La santa ignoranza. Religioni senza cultura, Milano, Feltrinelli, 2017. Voir en français : La Sainte ignorance – Le temps de la religion sans culture, Seuil, Paris, 2012, 384 p.↑
  10. Walter Benjamin, Il capitalismo come religione, (1920) in Lo straniero, Anno XVII, n° 155. Voir en français : « Le capitalisme comme religion », in W. Benjamin, Fragments philosophiques, politiques, critiques, littéraires, trad. de l’all. par Christophe Jouanlanne et Jean-François Poirier, Paris, PUF, 2000, p. 113.↑
  11. « Rassurance » au lieu de « rassurement », qui est le mot français usuel ; « rassurance » pour évoquer le lien avec la notion d’« assurance sociale » ; réassurance est un terme technique du secteur des « assurances », ce qui est évidemment tout autre chose.↑
  12. Wade Clark Roof, A Generation of Seekers, The Spiritual Journeys of the Baby Boom Generation, January 1994, Harper San Francisco Edition, 304 p.↑
  13. Giovanni Firolamo, op.cit.↑
  14. Piergiorgio Odifreddi, Il vangelo secondo la scienza. Le religione alla prove del nove, Einaudi, Torino, 1999.↑
  15. Ibid., p. 189.↑
  16. HARRIS Sam, La fine della fede. Religione, terrore e il futuro della religione, Nuovi Mondi Media, Bologna, 2006. Voir : The End of Faith: Religion, Terror, and the Future of Reason, W. W. Norton (USA), 2004.↑
  17. CAUSSIMON Jean-Roger, Comme à Ostende, Paris, 1961 ; voir video : Ostende – 1961.↑
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