Un silence religieux. La gauche face au djihadisme.

(Résumé du livre de Jean Birnbaum, éd. Seuil, 2016)

Jacques Teghem

Cet article comprend d’abord un résumé du livre de Jean Birnbaum, sous forme d’une suite d’extraits mis bout à bout, dans le but d’en donner une idée la plus objective possible, et ensuite une analyse faite de réflexions personnelles. Rappelons d’abord que l’auteur du livre est le directeur du Monde des livres et qu’il occupe ainsi une position-clé dans les débats intellectuels en France. Livrons d’abord le résumé (tout ce qui est entre guillemets provient d’extraits ou de citations).

Djihad partout, religion nulle part. (Introduction)

« Bien que ceux qui commettaient les attentats du 9 janvier 2015 à Charlie Hebdo et à l’Hyper cacher proclamaient comme Coulibaly “J’appartiens à l’Etat islamique” ou comme les frères Kouachi “On a vengé le prophète” et ainsi mettaient en avant la religion comme force motrice de leur action, les millions de manifestants du 11 janvier 2015 observaient un silence religieux. Ce jour-là, la religion fut l’objet d’un gigantesque déni. A l’instar des déclarations des plus hautes autorités de l’Etat : pour le président F. Hollande et le ministre des Affaires étrangères L. Fabius – mais aussi pour J.L. Mélenchon – ces crimes n’ont rien à voir avec l’Islam. Certes l’intention de prévenir l’amalgame entre l’Islam et le terrorisme était légitime, et le discours “rien à voir” traduit la nécessité bien réelle de briser l’équation mortifère Islam = islamisme = terrorisme. Mais dans leur analyse la plupart des experts (criminologue, géopoliticien, psychologue, économiste, sociologue, politologue, anthropologue, démographe, spécialiste du numérique, médiologue,…) énonçaient toutes les causalités possibles mais avec une réticence à envisager la croyance religieuse comme une causalité spécifique. »

Rien à voir avec l’Islam ?
Un discours à double tranchant. (Chapitre 1)

« Cette rhétorique du “rien à voir” a deux effets pervers : d’abord elle occulte la guerre qui ravage l’Islam de l’intérieur entre d’une part des intellectuels musulmans qui lancent des appels à la réforme et à la modernisation de l’islam et d’autre part les mouvements islamistes opposés à ce projet ; ensuite elle prend à revers tous les musulmans qui luttent pour dissocier l’islam de sa perversion islamiste, justement en opposant la quête spirituelle à la violence. En fin de compte, dans cette urgence absolue d’écarter les amalgames, d’éviter les raccourcis haineux, de dynamiter les préjugés, mieux vaut aider et conforter les musulmans qui luttent pour se réapproprier leur religion, pour libérer enfin l’Islam de ses chaînes islamistes. »

« Mettre la religion entre parenthèses, voilà une pratique coutumière dans l’histoire de la gauche. »

Trois chapitres illustrent ce propos de l’auteur.

Génération FLN. Retour sur un non-dit fondateur. (Chapitre 2)

J. Birnbaum y souligne « le point aveugle de l’engagement anticolonialiste : il aura fallu trois décennies, et la montée en puissance de l’islamisme dans l’Algérie contemporaine, pour que les intellectuels de gauche qui avaient soutenu le FLN pendant la guerre d’indépendance, reconnaissaient le rôle joué par la religion à cette époque. »

Rira bien qui rira le dernier.
La leçon iranienne de Michel Foucault. (Chapitre 3)

J. Birnbaum y aborde l’impact des nombreux séjours de M. Foucault en Iran durant 1978. « M. Foucault découvre peu à peu une rébellion spirituelle et que la religion n’est pas un habit, un voile qui masque les traits de la révolte, mais qu’elle est son vrai visage ; et le philosophe de conclure, en guise d’avertissement, que le problème de l’Islam comme force politique est un problème essentiel pour notre époque et pour les années à venir. »

Sous le pont d’Avignon.
Quand l’extrême gauche boit la tasse. (Chapitre 4)

Birnbaum y décrit les discussions, les divisions et les avatars ensuite, que le Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot a provoqués en décidant aux élections de 2010 dans le Vaucluse de présenter une candidate «féministe, laïque et voilée». Il les analyse à la lumière des textes Prolétariat et prophète (1994) de Chris Harman (figure de l’extrême gauche britannique) et Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (2015) de Gilbert Achar (marxiste libanais).

La revanche du fantôme.
Marx face à l’armée des spectres. (Chapitre 5)

Dans un chapitre plus philosophique, J. Birnbaum commente la célèbre citation de Marx :

“La détresse religieuse est en même temps l’expression de la vraie détresse et la protestation contre cette vraie détresse. La religion est le soupir de la créature opprimée, le cœur d’un monde sans cœur, tout comme elle est l’esprit d’un monde sans esprit. Elle est l’opium du peuple !”

Il l’analyse ainsi : « L’idée est donc que la religion vient à la fois exprimer la misère des hommes et protester contre elle. Partant de la critique de l’idéalisme hégélien par Feuerbach pour qui la foi n’a aucune réalité en dehors des hommes et de leur conscience, Marx montre que la cause de l’espérance spirituelle ne se trouve pas dans la conscience ou l’imagination des hommes, mais bel et bien dans leur existence matérielle. La puissance de la religion reflète la réalité des rapports sociaux et son influence cessera seulement quand les hommes auront balayé le système capitaliste. Cette détresse spirituelle constitue l’aliénation par excellence et personne ne peut prétendre libérer les hommes sans les soustraire aux sortilèges de la religion. Mais Marx constate qu’il est plus compliqué que prévu de se dépouiller de ce voile mystique et nébuleux : tant que se perpétuera l’ordre ancien, les spectres auront la vie devant eux. C’est une spécificité de la gauche qu’elle a massivement occultée : le spectre (Marx) avec lequel elle doit s’expliquer fut lui-même aux prises avec les spectres de la religion. Il faut donc que la gauche se souvienne : ce sont les idées même de Marx qui font de la religion non pas un vestige du passé, mais le grand enjeu de l’avenir. »

L’espoir maintenant. Des brigadistes aux djihadistes. (Chapitre 6)

« Il est temps de mesurer le chemin parcouru. En 78 lors de la révolution iranienne, malgré les défaites et les déceptions, l’émancipation sociale demeurait un idéal partagé, une perspective crédible. Quatre décennies plus tard, les valeurs liées au mouvement ouvrier sont sur la défensive et le mouvement altermondialiste, censé prendre la relève de l’ancien mouvement internationaliste, s’est essoufflé et aucune espérance nouvelle n’est venue prendre le relais de ces idéaux. Mais si l’hégémonie marchande ne se trouve plus menacée par aucun idéal profane, il existe pourtant une force qui paraît à même de la perturber : c’est l’islam politique qui apparaît désormais comme la seule cause pour laquelle des milliers de jeunes sont prêts à braver la mort à l’autre bout du monde. Pour la gauche, l’affront est rude et comme l’écrit Régis Debray (Un candidat à sa fenêtre, Gallimard, 2015) :

“Le surmoi révolutionnaire, à gauche, s’est effondré […] et a été remplacé par le surmoi religieux. Après la révolution sur terre, le paradis au ciel. Après Guevara, Ben Laden. Après Marx, Allah !”

Comparaison n’est pas raison, bien sûr les contextes espagnol (d’hier) et syrien (d’aujourd’hui) sont différents par mille aspects. Mais l’analogie entre les volontaires engagés hier dans les brigades internationales en Espagne, et ceux qui ont rejoint aujourd’hui les troupes du djihad mondial en Syrie s’impose à l’esprit. Dans les deux cas il existe un même phénomène d’émulation collective, avec un effet d’entraînement assez semblable : autant la fraternité ouvrière justifiait l‘engagement brigadiste, autant la solidarité musulmane emporte la mobilisation djihadiste. Et tant les premiers, les brigadistes, que les seconds, les djihadistes, partagent la certitude de mener un combat décisif qui engage le destin de l’humanité. Mais ces points communs masquent un conflit mortel entre deux visions du monde, deux idées de l’homme, à la fois jumelles et inconciliables. Car trois types de divergences les séparent :

  • L’identité. Pour les premiers la mobilisation espagnole a été préparée par des organisations qui ont pignon sur rue; ils possédaient une culture politique qui leur donnait des repères et un horizon. Au contraire, les seconds partent à l’aventure sans culture militante ni réel encadrement, et le plus souvent sur un élan individuel, improvisé et clandestin. Par ailleurs alors que les premiers valorisaient journaux, brochures et livres comme outil et support de transmission, pour les seconds Google s’est substitué à la bibliothèque, Youtube aux affiches, Twitter aux tracts et Facebook aux cellules du parti.
  • L’universel. Pour les premiers l’identité prolétarienne sera si forte qu’elle effacera toutes les autres : au regard du socialisme universel, il n’y aura plus ni bourgeois, ni prolétaire, ni manuel, ni nationaux, ni étrangers ; pour eux, l’ouvrier se hisse au niveau de l’universel par son action politique et en bouleversant les structures de production, il s’efface lui- même et fait entrer l’humanité dans l’histoire vivante. Les seconds supportent mal eux aussi que l’humanité soit divisée. Quand le royaume de Dieu sera advenu il n’y aura plus ni musulman, ni mécréant, ni chrétien, ni athée, mais seulement des âmes bien – heureuses ; ils atteignent l’universel en exacerbant la fidélité à la loi religieuse qui oblige l’humanité entière.
  • L’histoire. Les premiers voulaient en accélérer le cours et bâtir les conditions d’une vie meilleure et pleinement humaine. Les seconds comptent l’abolir dans l’éternité de Dieu en accordant un privilège absolu à l’au-delà ; ils affichent un mépris de la vie et ne désirent pas une belle vie, mais une bonne mort.

Aussi, le choc entre les imaginaires brigadiste et djihadiste est non seulement frontal, mais viscéral, et ils sont inconciliables. Et le militant de gauche ne peut voir le djihadiste que comme un ennemi absolu, tant l’identité subjective de la gauche se confond avec l’amour de la vie, du bonheur et rien d’autre ici et maintenant. »

Renouer avec la pensée critique. (Conclusion)

« L’espoir se trouve toujours doublé de mémoire et qui prétend changer le monde doit commencer par regarder derrière lui. C’est encore plus vrai depuis que l’horizon s’est brouillé. Sur la question de la religion, la gauche a la mémoire courte, la conscience vaine en pensant pouvoir évacuer les chimères de la foi. En 1940, Walter Benjamin (voir W. Benjamin, Sur le concept d’histoire, Œuvres III, Gallimard, coll. Folio essais, 2000) faisait une comparaison dans laquelle une marionnette automate – le marxisme ou le matérialisme historique – joue aux échecs et gagne à tous les coups, mais en fait un nain – la religion ou la foi – caché sous la table actionne les mécanismes en sous-main. A présent le nain s’est révolté : il a repris son autonomie et en renversant la table, la marionnette n’est plus qu’un pantin disloqué ! Chaque fois que l’histoire s’enraye, la croyance reprend son autonomie et la foi fait son retour. Avec le recul des perspectives révolutionnaires et même de toute politique d’émancipation, les formes les plus extrêmes du religieux prennent aujourd’hui leur revanche. Et ce qui est ciblé, c’est la raison moderne sous ces divers visages, philosophique ou marxiste, bourgeois ou prolétaire.

Que faire face à un tel affront, à une violence aussi cruelle ?

Il s’agit de ne renoncer ni aux Lumières, ni à l’idéal d’émancipation. Mais il ne s’agit pas non plus de s’enferrer dans le déni, et cela exige de reconnaître ses propres failles, de se remettre en question, de renoncer à quelques certitudes. Certes il ne faut jamais céder sur la raison, ni sur l’impératif de séparer le religieux du politique. Mais pour bien distinguer ces deux domaines, le mieux est encore de donner une place à l’un et à l’autre. Comme le dit Jacques Derrida (J. Derrida, Foi et savoir, Seuil, 2000) :

“On s’aveuglerait au phénomène « de la religion » ou « du retour du religieux » aujourd’hui, si on continue d’opposer naïvement la Raison et la Religion, la Science et la Religion, la Modernité technologique et la Religion.”

Aussi si la gauche veut soutenir le choc du « théologico-politique », il est urgent qu’elle cesse d’occulter la force autonome de l’élan spirituel. Qu’elle se débarrasse des certitudes et des réflexes qui l’en empêchent. Bref qu’elle fasse retour sur elle-même, et qu’elle renoue avec sa tradition critique. Faute de quoi, le spirituel continuera à terroriser les militants de l’émancipation, à se payer leur tête. Et la religion pourrait bien devenir le dernier soupir de la gauche, cette créature déprimée. »

Quelques commentaires en guise d‘analyse.

Rien à voir avec l’islam ?

Au lendemain du 9 janvier 2015, j’avais moi aussi été interloqué par le “ Rien à voir avec l’Islam“. Certes l’attentat était ciblé sur les journalistes de Charlie Hebdo, et par réaction, le thème mis en avant par les manifestants du 11 janvier, était celui de la défense de la liberté d’expression et incidemment, du droit au blasphème. C’est un facteur qui explique sans doute que la dimension religieuse est passée au second plan. Ce fut d’ailleurs accentué par ce soi-disant cortège unanime mais bien hétéroclite, de dirigeants de toutes confessions venus du monde entier et dont certains, c’est un euphémisme, n’étaient pas des chantres de la démocratie. On ne peut donc qu’être d’accord avec J. Birnbaum que ces jours-là ce silencieux religieux fût un incontestable déni.

Néanmoins il me semble qu’aujourd’hui, par la multiplicité des attentats complètement aveugles et revendiqués par l’Etat islamique, de Bruxelles à Orlando en passant par Sousse, le “Rien à voir avec l’Islam” a évolué en un “Ce n’est pas que ça l’Islam” correspondant bien plus à la réalité. Quant aux déclarations d’experts de tout type pour expliquer le pourquoi des événements, je suis pour ma part davantage porté à privilégier l’idée de réunir la causalité religieuse aux causes géopolitiques. En particulier le conflit du Moyen-Orient, avec, il faut le dire, une incontestable hypocrisie des pays occidentaux face au sort de la Palestine et à l’arrogance de la plupart des gouvernements israéliens, mais aussi l’épisode désastreux du “va-t-en-guerre” G. W. Bush en Irak, ont été des facteurs essentiels pour alimenter l’Islam radical des djihadistes.

Un islam de plus en plus doctrinaire.

J. Birnbaum met en avant dans son livre les appels de plusieurs intellectuels musulmans à la modernisation de l’Islam et qui se distancient clairement de l’Islam radical des djihadistes. Certes un tel rappel est bien utile et ces prises de position méritent d’être mieux connues. Mais mis à part un cercle restreint de spécialistes, qui les entend ? Il me semble qu’il faudrait davantage souligner que c’est bien plus massivement que des intellectuels et des responsables des communautés musulmanes – même s’il y a quelques progrès dans nos pays européens – devraient exprimer cette volonté de réforme. En particulier, à cet égard, je ressens souvent plus qu’une gêne chez des dirigeants politiques des pays musulmans. Par ailleurs pour ma part, je trouve que dans le livre de J. Birnbaum, certes centré sur la gauche européenne, il y a néanmoins un manque de réflexion sur ce qui se passe dans les pays arabes. Il ne décrit pas la montée progressive durant ces quinze dernières années, d’un islam plus intransigeant, plus contraignant, plus doctrinaire et plus inclusif dans la société, alimenté par le salafisme et les Frères musulmans. Je l’ai personnellement ressenti au cours de mes vingt années de coopération universitaire en Tunisie. J’avais par exemple été frappé par l’influence grandissante d’une chaîne TV comme Al Jazeera, que nombreux tunisiens me disaient écouter exclusivement pour éviter les chaînes nationales tunisiennes qui vantaient à longueur d’émission le mérite de Ben Ali ! Et les mosquées apparaissaient comme un des rares refuges pour beaucoup d’opposants politiques. C’est très certainement anecdotique mais néanmoins symptomatique, que ceux qui acceptaient naguère de boire une bière avec moi y renonçaient et que celles qui, nombreuses, ne portaient pas le voile, se sont mises une à une à le porter. D’une manière générale, il m’apparaît aussi que le livre de Birnbaum ne prête pas suffisamment d’attention au rôle des monarchies “pétrodollar” et à l’influence du wahhabisme de l’Arabie Saoudite. Il en est de même des conséquences du schisme sunnite/chiite. Ce sont je pense des facteurs importants que la gauche doit davantage appréhender dans l’apparition du djihadisme.

Il est vrai que J. Birnbaum se concentre surtout sur l’Algérie dans le chapitre “Génération FLN” particulièrement bien étoffé. Il rappelle à juste titre que dès 1963, la constitution de la nouvelle république algérienne affirme que « l’Algérie tient sa force spirituelle de l’Islam » proclamé religion d’Etat. Il met justement en exergue plusieurs analyses critiques de militants de gauche, telle celle de Monique Galant qui dans « Islam et Nationalisme en Algérie, d’après El Moudjadih organe central du FLN de 1956 à 1962 » (L’Harmattan, 1988) écrit “qu’au niveau du vécu, pour bon nombre de combattants d’origine paysanne, le djihad était davantage une lutte contre « l’infidèle » que contre l’impérialisme français”.

On peut donc avec J. Birnbaum accepter, sous forme d’autocritique, l’idée que la dimension religieuse a été largement sous-estimée par la gauche dans la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Mais encore … si cette dimension religieuse avait été clairement identifiée dès le début, fallait-il pour autant ne pas soutenir le FLN dans sa lutte contre le colonialisme français ? Ou ce soutien aurait-il été plus mesuré ? Par ailleurs, je regrette que ce chapitre, néanmoins fort intéressant, conclue en donnant beaucoup trop d’importance – trop selon moi – à diverses déclarations du leader algérien en exil Ben Bella qui présente « l’islamisme … comme la seule révolte authentique ».

La gauche athée interpellée :
a-t-elle sous-estimé l’impact de la religion ?

Livre pour le moins interpellant pour le militant – ayant eu 20 ans en 68 – de gauche et athée que je suis.

En faisant un peu d’introspection sur ce que furent mes engagements, je me pose d’abord la question : étais-je aveugle sur la question de la religion ? Je ne le pense pas. Dans les principales références internationales de ces engagements (du Vietnam au Chili, de la Grèce au Portugal, …), guère de trace du religieux. En Belgique, c’était le temps du regroupement des progressistes, et dans les luttes politiques, syndicales ou pacifistes, la gauche retrouvait à ses côtés, comme alliés naturels, les chrétiens progressistes. Et cela n’empêchait nullement des avancées dans le domaine de l’éthique (divorce, contraception, dépénalisation de l’avortement, …). C’était de plus l’époque de la théologie de la libération, et de la formule devenue célèbre de l’évêque brésilien Helder Camara :

“Je nourris un pauvre et l’on me dit que je suis un saint. Je demande pourquoi le pauvre n’a pas de quoi se nourrir et l’on me traite de communiste”.

En fait, la religion (catholique) était presque naturellement entre parenthèses.

La seule exception fut les manifestations contre le régime impérialiste du Shah d’Iran et si l’homme imposé par la CIA partit effectivement, c’est Khomeiny qui prit le pouvoir ! Comme l’indique J. Birnbaum, cela a sans doute été un tournant historique avec l’émergence de l’islam politique. Celui s’inséra aussi progressivement dans le conflit du Moyen Orient. Avec parfois une certaine complicité de certaines autorités israéliennes notamment lorsqu’elles préférèrent soutenir l’imam Ahmed Yassine qui s’opposait au leader Arafat, prônant pourtant la laïcité. Ce fut l’émergence du Hamas et c’est ainsi qu’il y a quelques années, dans une manifestation bruxelloise de soutien au peuple palestinien, je me suis soudain retrouvé plongé dans un groupe criant « Allah Akbar » !

La laïcité est la solution

Venons-en à la conclusion du livre. Si bon nombre de constats liés à la situation provoquée par l’islam radical paraissent fondés, sa conclusion me laisse néanmoins sur ma faim. Renouer avec la pensée critique certes, elle est toujours évidemment indispensable. Mais faut-il redonner davantage d’autonomie au religieux pour faire face au désarroi provoqué par le « théologico-politique » ? Et à supposer que oui, cela serait-il suffisant pour combattre le djihadisme ? Pour ma part j’en doute, mais j’avoue n’avoir pas de réponse alternative à proposer. Si ce n’est que la promotion, comme valeur universelle, de la laïcité et de la séparation complète de l’Etat et de la religion, reste un élément incontournable à toute solution.

En tout cas le livre de J. Birnbaum a le grand mérite d’interpeller la gauche et d’ouvrir le débat.