Une approche inhabituelle « neuroscientifique » du phénomène religieux ?

Le point de vue des scientifiques :

Le scientisme n’a plus cours depuis longtemps. Il n’est donc pas question, comme l’aurait sans doute fait en son temps le moine Guillaume d’Occam (1285-1347), de vouloir simplifier ou réduire l’infinie complexité du psychisme humain à des « mécanismes » psycho-neuro-physio-génético-éducatifs et culturels. D’autant moins du fait de la complexité inimaginable du fonctionnement cérébral humain, et a fortiori lorsqu’on tente de comprendre le phénomène religieux qui échappe à l’expérimentation scientifique. Certains scientifiques, agnostiques, déistes ou athées, ont néanmoins contribué peu ou prou à l’approche neuro-biologique de la foi, par exemple Henri Laborit, Antonio Damasio, Jean-Pierre Changeux, et surtout Patrick Jean-Baptiste. D’autres par contre, par exemple Jean-Didier Vincent, Pascal Boyer ou Richard Dawkins, sont plus réticents à proposer une hypothèse explicative quant à l’origine de la foi et à sa persistance.

Craindraient-ils de s’éloigner de leur spécialité ?

Seuls des neurophysiologistes croyants, notamment canadiens, tels que Mario Beauregard, financés par la très chrétienne Fondation Templeton, ont tenté de démontrer « scientifiquement » l’existence de Dieu (qu’ils présupposent par “pétition de principe” !) en recherchant dans le lobe temporal droit « l’antenne », qu’ « Il »y aurait placée pour recevoir sa « Révélation » : en vain, bien évidemment, puisqu’aucun dieu anthropomorphique ne s’est jamais manifesté, et accessoirement parce que, du fait des interconnexions constantes et éminemment complexes entre le cerveau émotionnel et le cerveau rationnel (selon le schéma simplifié mais pédagogique de McLean), c’est évidemment tout le cerveau qui est concerné (cf Saver & Rabin), même si l’émotionnel prédomine chez un croyant.
Le point de vue des philosophes :

Les philosophes, anthropologues ou sociologues laïques ne s’intéressent pas davantage à la neurophysiologie : ni André Comte-Sponville, ni Michel Onfray, ni Henri Pena-Ruyz, par exemple, pas plus que les Belges Guy Haarsher, Jacques Sojcher, Marcel Bolle de Bal, Luc Nefontaine ou Jacques Rifflet.
Craindraient-ils que les neurosciences bouleversent  la réflexion philosophique ?

Mon point de vue d’athée :

Plutôt que de se résoudre au confortable « mystère de Dieu», n’est-il pas quand même légitime de tenir compte des découvertes des neurosciences, aussi partielles soient-elles encore, afin de compléter l’approche traditionnelle du phénomène religieux (philosophique, métaphysique, historique, théologique, anthropologique, sociologique) … ? Entendons-nous bien cependant : pas plus que les religions ne peuvent démontrer l’existence réelle de « Dieu » (selon elles, « la foi se vit »), les neurosciences et les sciences humaines, dont la psychologie, ne prétendent évidemment pas démontrer l’inexistence de « Dieu », puisque par définition aucune inexistence n’est démontrable (sauf en mathématiques, par l’absurde).

Je constate cependant que leurs observations confortent celles des autres sciences (embryologie, paléoanthropologie, etc.), et qu’elles confirment aussi celles des sociologues, notamment la flagrante corrélation entre un milieu croyant unilatéral et l’apparition de la foi. N’est-il pas dès lors légitime d’en déduire l’origine exclusivement psychologique, éducative et culturelle de la foi, à la suite d’une éducation religieuse précoce et donc affective, et dès lors l’existence exclusivement subjective, imaginaire et illusoire de Dieu ? Dans cette optique, tout le reste, les “Livres saints », la théologie, les exégèses, etc., n’est plus évidemment que « littérature ».

Pour un athéisme militant :

Mais seules les religions sont condamnables, en fonction de la soumission qu’elles imposent, et non les croyants, leurs victimes, dont elles exploitent la crédulité, le besoin de réconfort, d’espérance au sein d’une communauté conviviale, etc., et auxquels elles occultent volontairement la découverte des options non confessionnelles, afin de les empêcher, autant que possible, de choisir de croire ou de ne pas croire.

C’est flagrant notamment aux USA où la croyance, théiste ou déiste, est majoritaire (au moins à plus 90 %), essentiellement parce que les alternatives de l’humanisme laïque et surtout athée y sont totalement occultées par les religions. Au Québec également, où le « cours d’éthique et culture religieuse » (remarquez l’absence de pluriels !), favorisant le catholicisme traditionnel, a même occulté la mention de l’athéisme !

Homo religiosus ?

Dans « La religion est-elle innée ? », le professeur de psychologie Vassilis Saroglou de l’Université catholique de Louvain, évoque « l’existence de prédispositions génétiques à la religiosité ». Certes, outre le cerveau reptilien commun à tous les mammifères, « programmé » génétiquement pour réagir aux dangers, l’être humain possède un cerveau limbique (émotionnel) dont l’une des composantes irrationnelles est une prédisposition ancestrale à la croyance, depuis que l’évolution a hypertrophié son cortex préfrontal, le rendant capable d’imaginer des dieux protecteurs puis un seul. Mais cette prédisposition ne s’actualise que si elle est exploitée par un milieu croyant. A contrario, la croyance religieuse n’apparaît pas chez les enfants de parents athées, sauf influences parasites.

Vassilis Saroglou reconnaît d’ailleurs qu’« à côté de cette part génétique, les influences éducatives précoces décident en grande partie de l’orientation religieuse ou athée d’un enfant ». Après l’âge de 30 ans, ce ne sont pas, comme il l’écrit, « les influences génétiques, tant sur la personnalité que sur la religiosité, qui se renforcent ». Au contraire, selon moi, ce qui se renforce, c’est la difficulté, voire l’impossibilité d’encore remettre en question ses certitudes religieuses, par crainte de se déstabiliser et de se « décrédibiliser ».Toutes les religions sont fondées, à des degrés divers, sur la soumission à un dieu, à un prophète et à des livres « sacrés », qui s’excluent les uns les autres, ce qui est à l’origine de l’intolérance et de tant de violences.

« Liberté religieuse » ?

Du fait de nos nombreux déterminismes (héréditaires, hormonaux, éducatifs, culturels, religieux, idéologiques, sociaux, politiques, etc…), notre amour-propre ou notre orgueil dussent-ils en souffrir, nous sommes moins libres que nous ne le pensons.

Henri Laborit, l’avait bien compris, écrivant même, dans « Éloge de la Fuite », page 59 : « Je suis effrayé par les automatismes qu’il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’évader de cette prison, s’il y parvient jamais ». Répondant à Jacques Languirand, à Radio Canada, il disait :« Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et, finalement, c’est une illusion, la liberté ! ».

La foi : un choix vraiment libre ?

Le professeur Vassilis Saroglou écrit : « Le fait d’avoir la foi (…)n’est pas tellement, d’un point de vue statistique, une question de choix. C’est plutôt une question de continuité ou d’assimilation de tout le bagage mental ou affectif que l’on a reçu par le biais de la socialisation, qu’il s’agisse de croyance, de pratique, d’émotion ou de valeurs ».

Et pour cause : dans nos pays démocratiques, «la liberté constitutionnelle de conscience et de religion» me paraît plus théorique et symbolique qu’effective, parce que l’émergence de la liberté de croire ou de ne pas croire est généralement compromise, à des degrés divers.

Elle l’est d’abord par l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale précoce (le tout jeune enfant est déjà naturellement animiste), éducation forcément affective puisque fondée sur l’exemple et la confiance envers les parents (influence certes légitime mais unilatérale, identitaire et communautariste).

Elle l’est ensuite par l’influence d’un milieu éducatif croyant occultant volontairement toute alternative humaniste, rationnelle, philosophiquement laïque. A contrario, l’éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas à 99,99 % : la soumission à tous points de vue y est en effet totale (cf. le très grand nombre de musulmanes voilées), comme aussi dans les sectes, et à un degré moindre dans le judaïsme, le protestantisme évangélique, la religion orthodoxe, le catholicisme, le protestantisme libéral et le bouddhisme. Je les condamne toutes en fonctions de la soumission qu’elles imposent.

Origine psychologique, éducative et culturelle de la foi.

Déjà en 1966, le psychologue-chanoine Antoine Vergote, alors professeur à l’Université catholique de Louvain, avait constaté, dans « Psychologie religieuse », sans doute à son grand dam, qu’en l’absence d’éducation religieuse, la foi n’apparaît pas (les parents incroyants en témoignent a contrario), et que la religiosité à l’âge adulte en dépend (et donc l’aptitude à imaginer un « Père » protecteur, « agrandi, substitutif » et anthropomorphique, fût-il qualifié d’«authentique, épuré, Présence Opérante du Tout-Autre ».
Son successeur actuel, Vassilis Saroglou, le confirme : « Le fait d’avoir eu des parents religieux et d’avoir reçu une éducation religieuse est le facteur le plus important pour déterminer les probabilités d’être, de rester ou de redevenir soi-même croyant, que ce soit à l’adolescence ou ultérieurement à l’âge adulte ».

Interprétation « neurophysiologique ».

Comment expliquer la fréquente persistance de la sensibilité religieuse ou déiste ? Les neurosciences tendent, me semble-t-il, à confirmer son imprégnation neuronale : des neurophysiologistes ont en effet constaté que si les hippocampes (centres de la mémoire explicite) sont encore immatures à l’âge de 2 ou 3 ans, les amygdales (du cerveau émotionnel), elles, sont déjà capables de stocker inconsciemment le souvenir d’événements à forte charge affective ou des souvenirs émotionnels tels que, par exemple, l’atmosphère « envoûtante » d’une église, les prières et autres comportements religieux des parents, voire leurs inquiétudes métaphysiques, sans doute reproduits via les neurones-miroirs du cortex pariétal inférieur.

Ces « traces » neuronales, appelées « engrammes », sont indélébiles, et se renforcent par plasticité neuronale, au fur et à mesure des expériences religieuses.

Les observations par IRM fonctionnelle et par tomographie à émission de positons suggèrent que le cerveau rationnel, le cortex préfrontal notamment, et donc aussi bien l’esprit critique que le libre arbitre ultérieurs s’en trouvent inconsciemment « éteints », et donc « anesthésiés », à des degrés divers, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect, du moins en matière de foi.
Même André Comte-Sponville se dit « athée fidèle » à sa croyance enfantine, ou du moins aux « valeurs chrétiennes », telles que « l’amour du prochain ».
Cela expliquerait a fortiori la fréquente imperméabilité de certains croyants, notamment créationnistes, à toute argumentation rationnelle ou scientifique, et donc la difficulté, voire l’impossibilité de remettre leur foi en question (cf. le pasteur évangélique belge Philippe Hubinon à la RTBF : « S’il n’y a pas eu « Création », tout le reste s’écroule … ! ».

Les conversions religieuses.

Dans cette optique, les conversions religieuses, mais aussi la « Révélation », me semblent explicables. Lorsqu’on bascule de l’incroyance vers la croyance, ou d’une forme de croyance à une autre, il se produit en un instant un bouleversement d’hormones et de neurotransmetteurs, un peu comme, mutatis mutandis, dans le cas du coup de foudre amoureux …
Je m’explique par exemple, la conversion de Paul Claudel en entendant le Magnificat de Bach à N-D de Paris le 25 décembre1886. Malgré sa brillante intelligence, il ignorait forcément à cette époque que l’environnement sensoriel (les grandes orgues, les chants, l’odeur d’encens, le décorum,…) avait provoqué en lui un bouleversement psychophysiologique, au niveau notamment de la production de la phényléthylamine, de l’ocytocine, de la sérotonine et de la dopamine, au point de faire disjoncter son cerveau rationnel au profit de son cerveau émotionnel, ce qui lui a fait retrouver la foi. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant puisque les sensibilités poétique, musicale, religieuse, …, y ont des « localisations » voisines, ce qui facilite les interactions.

Les exemples de « hapax existentiel » (Michel Onfray), c’est-à-dire de circonstances exceptionnelles laissant des traces physiologiques et psychologiques indélébiles, sont très nombreux : par exemple, la conversion du docteur Alexis Carrel, prix Nobel, qui avait perdu la foi pendant ses études, et qui l’a retrouvée lors d’un voyage à Lourdes, ou celle d’Eric-Emmanuel Schmitt, à 29 ans, perdu sous le firmament glacial du Sahara (même lorsqu’on est issu comme lui d’une famille incroyante, l’influence inconsciente de deux mille ans de judéo-christianisme se réveille chez certains incroyants en danger de mort, notamment. Cf le « pari de Pascal ». Ce philosophe, lors de la « nuit du Mémorial » du 23 novembre 1654, connut aussi un état d’exaltation extrême et il nota sur un papier ses sensations, ses émotions, et les sentiments que lui inspirèrent ces minutes d’une telle densité. Le texte s’acheva sur ces mots : «Joie, joie, joie, pleurs de joie » : Pascal connut ce soir-là un authentique ébranlement physiologique dont il ressortira métamorphosé.

La neurobiologie me semble capable d’expliquer une telle « extase » par l’imprégnation religieuse, atavique, éducative et culturelle, évidemment inconsciente, du cerveau émotionnel par rapport au cerveau rationnel.
À l’inverse de la prépondérance soudaine et bouleversante de la “Révélation” qui se produit lors d’une conversion religieuse, je pense que lorsqu’on devient athée, ce sont la prépondérance de la raison, le besoin d’émancipation et de libération, d’autonomie de la conscience et de la pensée, qui l’emportent, mais sereinement cette fois.

Michel Thys
Quelques références bibliographiques :
– Sigmund Freud : « L’avenir d’une illusion » PUF 1948.

– Antoine Vergote, chanoine, « Psychologie religieuse »,Dessart 1966.

– Henri Laborit « Eloge de la fuite » Laffont 1976

– Henri Laborit « Dieu ne joue pas aux dés » Grasser 1987

– Francis Crick « Une vie à découvrir » Odile Jacob 1989

– Paul D. Mc Lean « Les trois cerveaux de l’homme » Laffont 1990

– Jean-Pierre Changeux « L’homme neuronal »  1993

– Joseph Ledoux « Emotion, mémoire et cerveau » 1994

– Antonio Damasio « L’erreur de Descartes »1995

– Michaël Persinger « On the possibility of directly accessing every human brain by electromagnetic induction of fundamenental algorythms » 1995

– Joseph Ledoux « The emotional brain » Simon & Schuster 1996

– JohnSaver & John Rabin « The neural substrates of religion experience » 1997

– Pascal Boyer « Et l’homme créa les dieux » Laffont 2001

– Vassilis Saroglou & Hutsebaut « Religion et développement humain » 2001

– Jean-Didier Vincent & Jules Ferry « Qu’est-ce que l’homme ? » Odile Jacob 2001

– Danielle Hervieu-Léger  La religion en miettes ou la question des sectes «  Calmam Lévy 2001

– V.S. Ramachandran « Le fantôme intérieur » Odile Jacob 2002

– Gabriel Ringlet « L’évangile d’un libre penseur » Albin Michel 2002

– Patrick Jean-Baptiste « La biologie de dieu » Agnès Viénot 2003

– Antonio Damasio «  Spinoza avait raison » 2003

– Jean-Pierre Changeux « L’homme de vérité » Odile Jacob 2004

– Michel Oonfray « Traïté d’athéologie » Grasset 2005

– Michel de Pracontal « L’imposture scientifique en dix leçons » Seuil 2005

– Henri Laborit « Une vie » et « Derniers entretiens » 2006

– Noël Rixhon «  L’absence d’être de dieu » Société des Ecrivains 2006

– André Comte-Sponville « L’esprit de l’athéisme » Albin Michel 2006

– Jean-Didier Vincent « Voyage extraordinaire au centre du cerveau » Odile Jacob 2007

– Richard Dawkins « Pour en finir avec dieu » Laffont 2008

– Mario Beauregard « Du cerveau à Dieu » « The spiritual brain » 2008

– Marcel Bolle de Bal & Vincent Hanssens «  Le croyant et le mécréant » Ed. Mols 2008

– « Le grand Larousse du cerveau » 2010

– Vassilis Saroglou « La religion est-elle innée ? » dans Cerveau et Psycho n° 40  2010

– Noël Rixhon « Le curé Meslier : dieu n’est pas » 2012

– Nadia Geerts La neutralité n’est pas neutre » La Muette 2012

– Baudouin Decharneux « La religion existe-t-elle ? » Editions L’Académie en poche 2012

– Noël Rixhon « Conscience athée » 2013

– Gumper & Rausky « Dictionnaire de psychologie et psychopathologie des religions » 2013
Via Internet « Le cerveau à tous les niveaux »

 

Michel Thys