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Archives par mot-clé: anticléricalisme

Peinture pointilliste d’un anticléricalisme villageois haut-alpin

Posté le 17 décembre 2019 Par ABA Publié dans Histoire Laisser un commentaire

Pierre Gillis

Des historiens peuvent être chanceux. Ou plutôt, il en est qui ne laissent pas passer leur chance et arrivent à extraire un trésor d’informations inédites d’un événement improbable, d’un hasard de la vie. Jacques-Olivier Boudon fait partie de ces obstinés laboureurs de notre patrimoine : professeur à l’Université Paris-Sorbonne, spécialiste de la France du XIXe siècle, il a, en suivant les traces de Bonaparte sur la route Napoléon, passé une nuit dans une chambre d’hôtes au château de Picomtal, aux Crots, village proche d’Embrun et du barrage de Serre-Ponçon, sur la Durance. Il y a assisté à un spectacle retraçant l’histoire du château. Ce spectacle mettait en scène un menuisier qui a vécu au XIXe siècle, et qui a réparé les planchers du château ; il avait la curieuse habitude de couvrir les planches de bois dont il se servait de toutes sortes de réflexions relatives à sa vie et à celle de son village. Notre historien a immédiatement perçu les richesses que recelait ce matériau plus que précieux, et il a consacré plusieurs années de travail à en extraire la substantifique moelle. Il a ensuite fait partager ses trouvailles à un public plus large, en prenant la plume pour nous offrir un livre inattendu autant que passionnant.[1]

Joachim, c’est le prénom du menuisier en question, et son patronyme, c’est Martin. Joachim Martin a travaillé au château de Picomtal vers 1880, et a laissé 72 textes, à peu près 4 000 mots ou 20 000 signes, à l’intention de celui qu’il appelle « son ami lecteur », dont il présume à juste titre qu’il le lira après sa mort à lui, Joachim Martin. Il est par ailleurs violoneux, ce qui l’amène à fréquenter les fêtes villageoises où il se procure un supplément de revenus. Il parle de tout ce qui le préoccupe, dont l’essentiel a trait à la vie de son village. Sachant qu’il ne sera lu qu’à titre posthume, Joachim ne mâche pas ses mots et ses messages éclairent crûment le monde rural et alpin de la fin du XIXe siècle.

On apprend bien des choses, à partir de ces 20 000 signes et de l’enquête menée par Jacques-Olivier Boudon, à la fois sur les mentalités paysannes de la IIIe République, sur les rapports entre l’Église et les élites républicaines alors que celles-ci tentent d’évincer les nostalgiques de l’Ancien Régime, et sur des formes d’anticléricalisme populaire et rural.

La République admirée depuis la Durance

Joachim a un avis tranché sur les évolutions politiques dont Paris est le centre, mais dont les retombées sur la vie d’un artisan-paysan des Hautes Alpes sont importantes :

La république a fait de belles choses en 1881. Janvier et février a fait fermer 200 couvents, diminué les curés et évêques d’un tiers. A prohibé les croix au cimetière et honneurs fantasques. Les religieuses ont été retirées des écoles publiques. Mis le service militaire à 40 mois de présence au corps ; augmenté des pensions militaires, augmenté les gradés, dépensé 10 millions aux forts de Briançon, dépensé 110 mille francs dans le torrent de Vachères pour plantations.

4 milliards qu’elle a dépensé en France pour les écoles publiques. Conquis la Tunisie, Sud Afrique avec 60 millions de dépense et peu d’hommes (p. 115).

Cinq-cent-seize signes, moins de deux tweets, pour baliser un positionnement résolument républicain : une touche de fierté nationale patriotique (renforcement militaire aux frontières, approbation des expéditions coloniales, et attachement à l’armée de conscrits), satisfaction face au développement de l’école publique, et une solide dose d’anticléricalisme. Le ton est donné.

Ce n’est en général pas dans le monde paysan qu’on s’attend à voir fleurir l’anticléricalisme. Joachim n’est cependant pas un représentant standard de son milieu social. La famille de son père, lui-même menuisier, est implantée depuis plusieurs générations aux Crottes (le nom ancien du village, raccourci depuis en Crots, pour d’évidentes raisons de convenance phonétique), ses aïeux paternels sont cultivateurs et catholiques. Du côté de sa mère, la famille est protestante, et provient du village de Cliousclat, dans la Drôme, qui abrite une importante communauté huguenote. Aucune trace d’un mariage religieux dans les archives diocésaines de Gap pour le mariage de ses parents, Joachim a été conçu hors mariage, ses parents se sont mariés (civilement) un mois avant sa naissance, et lui-même déclaré « fils illégitime et naturel de Jean-Joseph Martin et d’Adélaïde Laville hérétique ». Ce point de départ est sans doute de nature à éveiller le sens critique, et à tenir les fanatismes religieux à distance raisonnable.

Un curé harceleur et rebouteux

Le parquet du château de Picomtal révèle cependant des secrets beaucoup plus ciblés, qui nous entraînent bien au-delà de ces considérations socio-religieuses. Joachim n’apprécie guère le curé de son village, avec qui il a plus qu’un œuf à peler. Ce n’est pas d’hier que la vie privée des ecclésiastiques interfère avec leur ministère ; aujourd’hui, c’est la pédophilie qui est sous les feux de l’actualité, en 1880 l’abbé Lagier dévoyait la confession en séance de harcèlement sexuel à l’égard de ses paroissiennes – et on ne peut exclure que certaines de ses cibles aient été mineures, ce qui rejoindrait l’actualité. Joachim, alerté par ce que sa femme a subi, n’apprécie pas :

D’abord je lui trouve un grand défaut de trop s’occuper des ménages, de la manière que l’on baise sa femme. Combien de fois par mois, si on la saute, si on fait levrette, si on l’encule, enfin je ne sais combien de choses qu’il a demandées et défendu à toutes les femmes du quartier. De quel droit misérable. Qu’on le pende ce cochon. (p. 129)

Tentative de contrôle des pratiques sexuelles au village, quand il ne s’agit pas de pressions pour bénéficier d’une relation personnelle, refusée dans le cas précis, mais qui se conclut sur la rupture entre l’épouse en question et l’Église, puisqu’elle n’y a plus remis les pieds depuis lors (p. 131) : pas besoin d’être grand clerc pour situer les racines de l’anticléricalisme de Joachim, qui reste toutefois modéré.

Les efforts du curé Lagier pour standardiser les pratiques sexuelles de ses ouailles n’étaient par ailleurs pas le seul canal par lequel il établissait son emprise sur la population. Il lui arrivait aussi de verser dans l’exercice illégal de la médecine, s’érigeant en sorcier-guérisseur du village. Jacques-Olivier Boudon nous apprend au passage qu’« une statistique de 1861 portant sur 32 départements français a permis d’identifier 833 guérisseurs non-médecins parmi lesquels 163 étaient prêtres » (p. 185). La famille de Joachim a fait les frais de ces pratiques semi-clandestines, timidement réprimées, vaguement tolérées ; peu de procès, et encore moins à l’encontre de prêtres, peu ou prou couverts par leur hiérarchie – les médecins sont rares, en particulier dans les Hautes-Alpes : en 1874, le fils aîné de Joachim, 31 mois, souffre de mal aux yeux. Le curé lui fait administrer une dissolution d’oxyde de zinc. Joachim a pu sauver l’œil droit de son fils, en le lavant à grandes eaux alors qu’il était violemment gonflé, mais pas le gauche – l’enfant restera borgne. En 1876, la sœur de Joachim se fait soigner d’une petite enflure au pied par le médicastre, qui enferme pendant 8 jours le pied de la patiente dans un caisson rempli de bouse de vache. La fin du traitement s’est conclue par l’amputation de la jambe de la malheureuse, effectuée à l’hôpital (p. 188). Certes pas d’alliance du caducée et du goupillon, mais on comprend aisément que la conjonction de reproches, harcèlement sexuel de son épouse et interventions désastreuses pour la santé de ses proches, engendre chez Joachim un anticléricalisme plus que conjoncturel face au statut protégé du tortionnaire de sa famille. En revanche, lorsque les attaques contre les méfaits du curé Lagier se feront plus vives, via une pétition adressée en 1884 à Amédée Ferrary, député d’Embrun (p. 178), le châtelain Joseph Roman, monarchiste et catholique bon teint, employeur de Joachim, que celui-ci admire par ailleurs pour sa culture et son érudition, prendra sans hésiter la défense du curé :

Les habitants de la commune des Crottes ont l’honneur d’avoir pour curé depuis près de quatorze ans M. l’abbé Lagier, qu’ils ont considéré jusqu’à ce jour comme un bon et digne pasteur. Les populations l’estiment comme un prêtre zélé, charitable, remplissant avec sagesse et persévérance les fonctions de son ministère ; aucune imputation ne s’est élevée jusqu’ici contre sa conduite et ses mœurs. (p. 182)

L’intervention du châtelain-maire ne sauva que provisoirement le curé ; ce dernier fut muté par son évêque en 1886.

À l’époque, les lignes de rupture étaient simples à décrypter : les puissants érigeaient leur pouvoir sur un mixte de conservatisme social, d’obscurantisme, et de contrôle des mœurs. C’est pourtant l’époque où des fissures apparaissent dans ces sédiments : une partie du clergé, celle qui évangélise les centres urbains qui se développent avec la révolution industrielle, sent le vent tourner, et pousse l’Église française à larguer le courant monarchiste dont elle était proche. Le pape Léon XIII, qui a sans doute compris que l’avenir n’était pas du côté de l’Ancien Régime, publie en 1892 l’encyclique « Au milieu des sollicitudes », par laquelle il exhorte les fidèles à se rallier à la République.

Choisir collectivement sa religion ?

La pétition dont il est question ci-dessus réclamait le renvoi du curé Lagier, pour les raisons déjà évoquées. Elle a été signée par 24 habitants du village, hommes et femmes. La pétition ne se contente pas d’exiger le départ du curé fauteur de troubles, elle demande la désignation d’un pasteur protestant pour le remplacer. Boudon, en historien rigoureux, a consulté les résultats du recensement de 1851, qui n’a enregistré que six calvinistes aux Crottes, dont la famille maternelle de Joachim. On se trouve donc en présence d’une revendication hors-norme, celle d’un souhait de glisser collectivement d’une religion à l’autre. En quelque sorte, les pétitionnaires placent dans le champ de la démocratie la question du choix religieux. On est évidemment loin du refoulement de la religion dans la sphère privée, mais cette demande est surprenante et révélatrice. Les pétitionnaires ne sont bien sûr pas des théologiens, mais ils ne peuvent ignorer qu’une partie importante des dogmes catholiques n’est pas acceptée par les protestants, et ce fait nous dit quelque chose quant à la profondeur (toute relative) de l’enracinement des dogmes – on n’y croit pas vraiment. À l’inverse, cette tentative de mutation collective témoigne du fait que les habitants des Crottes n’étaient pas prêts à faire leur deuil de tout encadrement religieux, et qu’à tout prendre, l’image d’un pasteur marié est rassurante pour des paroissiens qui ont dû subir les frasques d’un curé qu’on imagine énervé par son célibat forcé. Enfin, Boudon note que « la participation des protestants à la construction de la République et d’une laïcité ouverte a pu contribuer à ce choix » (p.179).

Joachim aborde aussi un autre sujet scandaleux, qui donne les mesures des progrès représentés par la généralisation de la contraception et la dépénalisation de l’avortement. Douze ans avant qu’il ne couche ses pensées sur bois, il a été témoin d’une scène dramatique :

En 1868 je passais à minuit devant la porte d’une écurie. J’entendis des gémissements. C’était la concubine d’un de mes grands camarades qu’elle accouchait. Ils ont vécu 10 à 11 ans [ill.] de cochon. Elle est accouchée de 6 enfants dont 4 sont enterrés au dit écurie de 1 de mort (garçon) et la fille est en vie du même âge que ma fille. (pp. 121-122)

Quatre infanticides commis par le père des enfants, ami d’enfance de Joachim… Seul son lecteur posthume connaîtra la vérité et l’horreur que lui inspire l’auteur des faits, qu’il compare aux assassins célèbres dont la presse d’alors relate les crimes. Les solidarités villageoises fonctionnent pleinement pour éviter la rupture de l’omerta – la mère du criminel a été la maîtresse du père de Joachim. Le village devait savoir : il est difficile d’imaginer que quatre grossesses successives aient échappé à l’œil exercé et attentif du voisinage. Mais l’infanticide était, surtout en milieu rural, un mode de régulation des naissances, et a fortiori, un moyen d’éviter le scandale associé à une naissance hors mariage. La piqûre de rappel à l’intention des chevaliers modernes de l’interdiction de la contraception et des régressions brutales en matière d’interruption volontaire de grossesse est bienvenue : « pro vita », disent-ils, pour en revenir au temps béni des infanticides et des curés frustrés.


Notes

  1. Jacques-Olivier Boudon. Le plancher de Joachim. L’histoire retrouvée d’un village français, Éditions Belin, Paris, 2017. Les mentions de pages entre parenthèses font toutes référence à cet ouvrage. ↑
Tags : anticléricalisme curé de village Hautes Alpes IIIe République modernité XIXe siècle

Le NOMA, l’entropie et la poésie

Posté le 16 juillet 2017 Par ABA Publié dans Religion Laisser un commentaire
Yves Ramaekers

Je connais une jeune femme – j’en connais beaucoup, mais ce qu’il importe de comprendre, c’est que toutes sont jeunes par rapport à moi.

Donc, je connais une jeune femme bien plus diplômée que moi et dans un domaine scientifique où je ne pénètre pas – en l’occurrence, elle est docteur en sciences et peu importe pour mon propos, sa spécialité.

Nous divergeons particulièrement en ceci qu’elle est farouchement attachée au Noma. Tel que défini par Stephen Gould, le « NOMA » est un acronyme de langue anglaise : Non-Overlapping Magisteria, non-recouvrement des magistères, qui entend séparer de manière étanche deux domaines : à savoir le magistère (ou le domaine) de la science, d’un côté ; le magistère de la religion, de l’autre. Quant à moi, j’y suis fort rétif, car je trouve ce Noma spécialement restrictif et oblitérant du point de vue de la pensée humaine (à mes yeux, la seule pensée acceptable pour nous autres, les humains ; peut-être existe-t-il d’autres espèces douées de pensée et capables d’élaborer des supputations ou des théories à propos du monde, mais jusqu’à présent, personne ne les a jamais décelées).

Pour rappel, en pratique, le Noma auquel il est fait allusion ici et qui fait l’objet d’une solide dispute au niveau mondial, est cette suggestion ou ce principe qui établit que la science (les sciences) et la religion (etc., c’est-à-dire les religions, Dieu, les dieux, la foi et tout ce bazar) relèvent de deux mondes différents et ne peuvent donc rien dire l’une de l’autre.

C’est évidemment une manière prudente de défendre le domaine de l’une et de l’autre et pour les scientifiques de défendre la science des ingérences de la religion, etc. Tout cela serait fort bien si on étendait cette défense des ingérences de la religion (etc.) dans d’autres domaines qu’elle-même à l’ensemble de la société et qu’on en préservait les enfants (il n’en est malheureusement rien) et qu’on laisse la science et la pensée rationnelle libres de leurs champs d’investigation. Or, il n’en est rien non plus dans la conception du Noma ; bien au contraire.

On voit tout de suite qu’une des premières conséquences du Noma, c’est d’empêcher de penser tout ce qui concerne le domaine de la déité et ses extensions religieuses, constituant ainsi une chasse gardée, impénétrable et intouchable au profit des religions. Noli me tangere !

Une autre conséquence, qui touche plus directement notre sujet, c’est que cette idée de Noma empêche a priori toute réflexion scientifique ou rationnelle sur cette chasse gardée des théologiens et des croyants, même si ces théologiens, prêcheurs, prophètes, croyants en tous genres ne se privent pas de la faculté de critiquer ou de dénigrer la science, les sciences et toute réflexion rationnelle.

C’est ce déséquilibre, l’existence de ce domaine religieux couvert par une sorte d’immunité scientifique ou diplomatique ou d’omerta qui me paraît inacceptable.

D’autant qu’au nom de la religion (etc.), on impose à l’humanité des lois et des règles de vie extrêmement contestables et dangereuses.

J’en suis donc venu à considérer le Noma pour ce qu’il est : une forme aiguë d’intolérance, directement secrétée par l’intolérance religieuse, une dérivée de cette intolérance qui se développe et s’étend un peu à la manière de l’entropie telle que la concevait Plotin. Plotin (un des Pères de l’Église grecs) soutenait, c’est le souvenir que j’en garde et on voudra bien en retenir la métaphore, que le monde surgissait de Dieu un peu comme par surplus, comme une sorte de corollaire involontaire et en quelque sorte, accidentel de l’Être suprême.

En l’espèce, pour ceux qui par ailleurs, athées ou se disant tels, promeuvent le Noma ou à tout le moins, s’y réfèrent et s’y réfugient pour ne rien dire (dans nos régions, on dit : « Je suis en commerce » ; c’est plus direct et plus net), le Noma agit comme une véritable autocensure, du genre de celles que devaient pratiquer les maranes dans l’Espagne inquisitoriale. En clair, le Noma interdit à la science de parler de Dieu ; cependant, il n’interdit pas et le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas d’ailleurs, à la religion de mépriser la science ou de museler, y compris physiquement jusque et y compris par l’assassinat, les porteurs de science ou de pensée divergente par rapport à la « doxa ».

Le Noma est ce « religieusement correct » qui, insidieusement, finit par s’étendre, faire tache d’huile et qui conduit immanquablement celui qui l’accepte ou que l’on somme de l’accepter (il ne fait pas bon d’oser être antinomiste dans certaines sociétés) à se taire face aux prétentions et aux exactions religieuses. Il met directement en danger la liberté de pensée et celle d’exploration sans entrave de l’anthropocosme – traduisez « du monde à portée de l’homme » – ce qui soit dit en passant est le champ de recherche de la biologie, de la physique, de la géographie, de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie, de la médecine et d’autres disciplines encore.

Pour en revenir aux fondements de ma réflexion et élucider l’instrument principal de « recherche », de découverte et in fine, le mode de pensée qui est la source principale de l’intuition du monde tel qu’il est, ce moyen est la poésie, même si elle est difficile à intégrer dans le monde actuel.

Dans tous les cas, la poésie n’est pas moins pertinente que l’« intuition » à laquelle se réfèrent les physiciens et d’autres scientifiques, on verra que la poésie et la science, filles de la pensée, sont de même nature, si ce n’est la même chose. En tout cas, elles opèrent dans le même sens dans la mesure où de notre point de vue (vu d’ici, de la Terre), le monde est monde, l’homme est l’homme (ce sont là toutes choses vérifiables) et, mesure pour mesure, le macrocosme (relatif), le microcosme (quantique) et l’anthropocosme (univers à portée de l’homme) sont à leur échelle, pour ainsi dire, concevables et vérifiables.

Par contre, l’éventuelle objection de la pertinence parallèle d’une « intuition religieuse » ne tient pas, car cette « intuition religieuse, issue de la foi » est forcément secondaire, dérivée, médiate et dès son origine, détournée de l’objet essentiel de l’intuition poétique et scientifique, qui est la compréhension du monde. En deux mots, la religion cherche à comprendre, interpréter, répandre, diffuser la parole de Dieu, à faire connaître la pensée, le dessein de Dieu, en quoi elle est seconde. Seconde puisque l’idée-même, la conception éventuelle d’un Dieu ou de toute entité semblable (et par conséquent tout discours divin) est seconde par rapport à l’existence préalable de la pensée et dès lors, d’un être pensant – en l’occurrence, l’homme.

Pour élucider cette conception de la poésie comme instrument de connaissance de l’anthropocosme et confirmer sa pertinence, voici une citation qui propose une expression de la conception scientifique contemporaine du monde, du moins celle de certains physiciens des plus informés de la chose : « Il se trouve que lorsque la nature est laissée tranquille, tout ce qui peut arriver, arrive »[1].On croirait lire une version de la célèbre Loi de Murphy ou un mot de poète.

Mais à propos d’intuition et de poésie, voici un extrait de ce que raconte Christophe Galfard :

C’est ce que disent tous les humains qui entrent ici pour la première fois. Oubliez vos sens et ne faites pas confiance à votre intuition… Vos sens et votre intuition ne servent ici à rien. Oubliez-les[2].

Je note l’étrange similitude avec un texte écrit en italien entre 1307 et 1321[3] :

« Laissez toute espérance, vous qui entrez. »Ces mots de couleur obscure
Moi, je les vis écrits en haut d’une porte ;De sorte que moi [je dis] : « Maître, leur sens est dur [à comprendre] ».Et lui me [dit], comme une personne savante :« Ici, il convient de laisser tout doute. »

(Celui qui parle est Dante et le maître auquel il s’adresse est Virgile).

Et certainement, ce texte est poétique.

Je dis tout ceci, car on ne saurait interdire à l’intuition poétique de pénétrer tous les champs et je le dis pour montrer sa parenté avec l’intuition scientifique ou celle de la raison, qui sont toutes les trois la stessa cosa – la « même chose ». La pensée est poétique par nature, elle crée du sens, de la perception, de l’intuition et elle est tout cela. Et par réversion, la poésie crée de la pensée et donc, du sens, de la perception, de l’intuition ; elle est au cœur de la démarche scientifique, dont elle est la phase première. Quand un chercheur, un savant, interroge le monde, y réfléchit, quand il accouche d’une théorie, il est dans la démarche poétique et il le fait au travers du langage ; dès lors, il a grandement besoin de mots. De ce point de vue, il faut considérer le champ des mots comme lieu de l’élaboration de la pensée et comme un monde en soi, et la poésie comme méthode d’exploration de cet univers particulier.

Dans un deuxième temps, la démarche scientifique entend bien ne valider que ce qui peut être effectivement saisi ; sinon, dans l’intervalle, la théorie reste ce qu’elle est, à savoir une hypothèse poétique.

Dès lors, tant pour nourrir l’intuition que pour la créer et la développer, la démarche poétique offre la capacité d’exploration de l’inconnu et de tous ses champs. Elle est de la plus grande utilité du simple fait qu’on ne sait pas ce qu’on ne sait pas et qu’on ne sait pas non plus ce qu’on pourra savoir quand on saura. La progression à rebonds est sans limites.


Notes

  1. Galfard Christophe, L’univers à portée de main, Flammarion, 2016, p. 335. ↑
  2. Idem, p.337. Ces deux courtes citations pour inviter à lire le livre. ↑
  3. Dante Alighieri, à l’entrée de l’Enfer de la Divine Comédie : « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate »./ Queste parole di colore oscuro /vid’ ïo scritte al sommo d’una porta; /per ch’io: «Maestro, il senso lor m’è duro». /Ed elli a me, come persona accorta:/«Qui si convien lasciare ogne sospetto. » La traduction française est de ma main et suit autant que possible l’italien. ↑
Tags : anticléricalisme athéisme idées philosophiques laïcité religion

L’Italie, colonie du Vatican

Posté le 16 juillet 2017 Par ABA Publié dans Anticléricalisme Laisser un commentaire
Garibaldi devant Rome

Garibaldi devant Rome

Lucien Lane

Suite aux Accords du Latran et au Concordat signés en 1929 par Mussolini avec le Vatican, l’Italie était devenue une colonie du Vatican.

Garibaldi se retournait dans sa tombe.

En 1948, à la création de la République italienne, après la chute du régime fasciste, ces accords furent introduits dans la Constitution du nouvel État.

Garibaldi se retournait une fois encore.

En 1984, le gouvernement Craxi modifia la donne et mit fin aux effets dommageables du Concordat.

Où en est-on aujourd’hui ?

La question est complexe et la réponse simple : l’Italie est toujours une colonie du Vatican.

Garibaldi se tourne et se retourne… Quand sera-t-il enfin libéré de ce cauchemar ?

La Saint-Valentin à l’italienne

Cette année, on a fêtéc entre officiels vaticanesques et italiens – cet événement le 14 février, jour consacré à la Saint-Valentin et aux amours conjugaux ou illicites, quand on en connaît.

On avait récemment publié ici un article circonstancié intitulé « L’Athée et la Constitution ou la Trahison des Clercs en Italie »[1] dans lequel on faisait place à l’analyse de Piero Calamandrei, écrivain, juriste et homme politique italien, membre de l’Assemblée constituante. Il s’agissait d’une analyse relative à l’introduction des Accords du Latran, dans la Constitution italienne par le biais de l’article 7 – en une sorte de coup d’État rampant que Calamandrei fut parmi les premiers à dénoncer.

Piero Calamandrei présageait une évolution désastreuse pour la République italienne. Le temps ne lui a certes pas donné tort.

Revendications laïques – 2017

En Italie, des voix s’élèvent pour exiger une « révision du Concordat » et la remise en cause de cette monstruosité qu’est l’État du Vatican.

Mardi 14 février (2017), à partir de 16 heures, devant l’Ambassade d’Italie près le Saint Siège (une ambassade d’Italie en plein cœur de l’Italie ; absurde n’est-il pas ?), viale delle Belle Arti, 2, s’est déroulée la rencontre annuelle entre les représentants du gouvernement italien et les hauts représentants du Vatican pour « célébrer » l’anniversaire des Accords du Latran et du Concordat (« le baiser à la pantoufle »)[2].

Les Radicaux italiens et de nombreuses associations laïques ont donc organisé – ce même jour de Saint-Valentin 2017 au même endroit (mais devant le bâtiment) – une manifestation pour réclamer de l’État italien de :

  • revoir la norme du 8 ‰, qui donne à l’Église catholique plus d’un milliard d’euros par an ;
  • obtenir le payement de l’IMU par l’Église catholique – il s’agit de la taxe immobilière sur les biens ecclésiastiques : deux milliards d’euros par an ;
  • garantir des activités alternatives aux élèves qui demandent à être exemptés de l’heure de religion.

Les Accords du Latran

Les Accords du Latran avaient été un mirifique cadeau de Saint-Valentin fait par Mussolini à son amante religieuse. Ces Accords ne scellaient pas une rencontre d’amour, mais un mariage de dupes, sur le dos de la population italienne.

Par ces accords, la partie de bras de fer entre l’État italien et l’Église catholique, qui durait depuis 1870, se terminait par une victoire de l’Église vaticane qui reconquérait l’essentiel de ce qui avait été perdu lors de l’épisode de la Porta Pia, qui vit l’armée italienne abattre – le 20 septembre – la muraille d’enceinte de Rome, créant une brèche dans les fortifications, reprendre la Ville, abolir le pouvoir temporel des Papes et récupérer les États pontificaux.

Les Accords de 1929 stipulent que la prise en charge de ces frais avait été accordée « comme dédommagement de la fin du pouvoir temporel du pape lors de l’annexion de Rome au Royaume d’Italie après l’épisode de la Porta Pia de 1870 », mettant un terme à la « question romaine ».

L’Église catholique se voyait attribuer de nouveaux avantages substantiels et renforçait sa position.

Les Accords du Latran imposaient à l’Italie :

  1. la reconnaissance de la religion catholique comme unique religion d’État ;
  2. l’enseignement obligatoire de la religion (exclusivement catholique) dans les écoles publiques italiennes. Par obligatoire, il faut comprendre le double sens de ce mot : il y a pour l’école publique l’obligation de donner un cours de religion strictement catholique, mais aussi l’obligation d’imposer à tous les élèves la présence à ce cours ;
  3. le payement des émoluments des prêtres (catholiques exclusivement) – le tout à charge de l’État.

En droit, on parlerait d’un contrat léonin ; un type de contrat où une partie est manifestement lésée (en l’occurrence, l’Italie) et, en bon droit, l’Italie pourrait de ce fait légitimement en demander la résiliation.

1929 – Le donnant-donnant

Qu’avait lâché Mussolini (représentant l’État italien fasciste et le Royaume d’Italie) dans cette partie de donnant-donnant avec l’Église catholique et la papauté ?

Quelle concession avait-il dû faire (comme devra le faire presque vingt ans après, Togliatti, secrétaire général du PCI – Parti Communiste Italien) pour avoir une entente avec la vieille institution catholique ?

Il échangeait donc la neutralité (relative) de l’Église catholique à l’égard du fascisme contre le « baiser à la pantoufle », à savoir la reddition au souverain pontife de tout le peuple italien (on effaçait ainsi le
Risorgimento) et sa mise sous tutelle par l’Église catholique pour une durée indéterminée.

On dira qu’il avait échangé le droit à l’indépendance du peuple italien contre un plat de lentilles bibliques.

1948 – La trahison des clercs

En 1948, les démocrates-chrétiens, avec la complicité des communistes, confirmèrent tout cela en l’imposant dans la Constitution du jeune État, via l’article 7, qui dispose :

L’État et l’Église catholique sont, chacun dans son propre domaine, indépendants et souverains. Leurs rapports sont réglés par les Accords du Latran. Les modifications aux Accords, acceptées par les deux parties, ne requièrent pas de révision constitutionnelle.

Et c’est ainsi que l’Italie est devenue un Catholikistan.

1984 – La Révision manquée

En 1984, sous la conduite du socialiste Bettino Craxi, président du Conseil, il y eut une révision qui aurait pu arranger (partiellement) les choses.

Cette révision entraîna la disparition des trois points les plus controversés :

  • la religion catholique cessait d’être la religion d’État ;
  • l’enseignement de la religion (catholique) devenait facultatif ;
  • le financement des prêtres par toute la population était aboli.

La révision faite, on y mit immédiatement obstacle et en pratique, on ne l’appliqua que très imparfaitement.

Par parenthèse, Bettino Craxi dut fuir l’Italie quelque temps plus tard ; on trouva pour l’exiler d’autres (bonnes ?) raisons.

La conclusion de la révision de 1984 ?

À l’analyse, il se révèle qu’il y eut d’énormes concessions de l’État au profit de l’Église catholique et du Vatican.

Et même plus encore

Ainsi l’Italie, partie lésée, fut obligée de céder des avantages compensatoires encore plus élevés à la partie adverse – l’Église catholique.

Par exemple, et ce n’est pas exhaustif :

  • l’introduction de l’enseignement de la religion catholique dans les écoles maternelles ;
  • le passage à deux heures de religion catholique à l’école primaire (au lieu d’une seule précédemment) ;
  • le traitement « équivalent » (« équipollent ») à celui des écoles de l’État pour l’Enseignement catholique (privé) – en clair, le financement de l’enseignement catholique ; alors que la Constitution italienne prévoit la possibilité d’un enseignement privé, mais elle précise bien « sans coût pour les pouvoirs publics » ;
  • la reconnaissance de la « culture religieuse » et du catholicisme comme « patrimoine historique » (à quand un musée des conversions forcées, des bûchers et de l’Inquisition ?) ;
  • le financement de la construction et de l’entretien du « patrimoine religieux » par l’État ou les pouvoirs publics en dépit du fait que la propriété des biens en question a été rendue à l’Église par la même révision ;
  • l’extra-territorialité qui protège les membres de l’Église catholique ;
  • l’exemption des taxes sur les biens (IMU), mais aussi de la TVA sur les activités, y compris commerciales, de l’Église catholique et sur les dons faits à celle-ci ;
  • les privilèges accordés aux banques vaticanes.

La discrimination des non-catholiques est anticonstitutionnelle

Toutes ces concessions à l’Église catholique vont à l’encontre de la séparation de l’État par rapport aux religions (au pluriel) et surtout, à l’encontre de l’égalité entre tous les citoyens. Ce pour quoi, elles sont anticonstitutionnelles.

En effet, l’article 3 de la Constitution italienne stipule :

Tous les citoyens ont une égale dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales.

Il est clair que ces concessions instituent ou perpétuent un grave déséquilibre au détriment des citoyens qui ne se réclament pas de La religion catholique.

Il y a là une situation de discrimination qui dans certaines de ses dispositions vont jusqu’à la mise au ban des athées et des autres citoyens non-catholiques.

La religion d’État et la diffusion virale des catholiques dans les partis

En Italie, la religion catholique continue à être pratiquement la « religion d’État » dans l’esprit et les comportements de la classe politique, qui reprend fidèlement en écho les exigences et les veto des autorités vaticanes.

En Italie, à présent et depuis de longues années, les politiciens de tendance catholique sont omniprésents et influents quasiment dans tous les partis et même au sein du plus grand parti de la gauche parlementaire, à savoir le PD, sigle pour le Parti Démocratique. Il n’y a quasiment plus de parti qui se proclame laïque et anticlérical et plus de politicien qui se déclare athée.

Fin de la Démocratie chrétienne

De son côté, le grand parti de la Démocratie chrétienne, qui avait dominé l’Italie de l’après-guerre pendant près de trente ans, a disparu du paysage politique italien et infiltré les autres partis.

On peut supposer qu’il ne s’agit pas là d’un mouvement fortuit et que cette dissémination virale correspond à une stratégie venue du plus haut, lequel « plus haut » doit s’être dit deux choses :

  • à force de durer au pouvoir, la Démocratie chrétienne perdait de sa crédibilité et tendait un peu trop à s’autonomiser.
  • pour contrôler l’ensemble de l’échiquier politique, il est prudent et d’un meilleur rendement de ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier.

La Chaire ne suffit plus pour porter le message

Une autre forme d’ingérence vaticane, c’est la présence lourde et massive de l’Église catholique dans l’Italie d’aujourd’hui ; elle se fait voir et entendre quotidiennement dans et par les médias.

Historiquement, l’Église était à peu près le seul grand média dans la mesure où elle disposait du plus grand réseau de diffusion qu’étaient les chaires de ses églises et les prêches de ses officiants. Mais depuis longtemps, d’autres réseaux plus tonitruants se sont mis en place.

Il s’agissait donc d’user de techniques plus contemporaines, de procéder à un
aggiornamento, de mettre la main sur les médias ou de les amener à relayer la parole divine et celle de ses serviteurs.

Qu’en est-il sur le terrain ?

En tout premier lieu, on note l’omniprésence de l’Église, de ses messages et de ses représentants dans quasiment tous les programmes de la RAI – une radiotélévision (soi-disant) de Service public – mais c’est aussi le cas dans les radiotélévisions privées. Il en va de même de la presse qui pour l’essentiel se conduit en agence publicitaire de la catholicité.

L’enseignement de « La religion »

Dans les faits, l’enseignement de la religion catholique est toujours obligatoire en raison de la politique du ministère de l’Éducation
(Pubblica Instruzione), qui ne fait rien pour remplacer le cours d’endoctrinement religieux.

Pour les élèves qui demandent l’exemption du cours de religion catholique, quasiment rien n’est prévu, de sorte que la plupart du temps, ces enfants passent le temps de ces cours dans le couloir (les veinards !) comme s’ils étaient punis et expulsés de la classe.

Il s’agit là d’une mesure d’ostracisme et de discrimination qui n’a pas lieu d’être dans une école publique.

Que l’État réserve ses faveurs à l’Église catholique est tout aussi nettement visible dans le fait qu’il lui laisse la désignation des enseignants de son choix passant ainsi par-dessus toutes les règles et par-dessus les droits des milliers de jeunes enseignants, maintenus dans des situations précaires en attente d’un emploi.

Telle est la Catholie.

1984 – les nouveaux bénéfices de l’Église catholique

Comme la révision des accords en 1984 risquait de faire mal à la « pauvre » Église catholique, on remplaça immédiatement les aides perdues par le mécanisme du 8 ‰ et on y ajouta une série de bénéfices économiques et fiscaux, pour faire bonne mesure. Le tout « à charge » de tous les citoyens d’Italie, catholiques ou non, d’accord ou non.

Les subtilités du 8 ‰

Le 8 ‰ est un impôt dédié d’une valeur de 0,8 % que le contribuable peut attribuer à certaines institutions ou laisser à l’État, s’il ne spécifie rien. En gros, il suffit de cocher (ou de faire cocher) une case sur la feuille d’impôt.

La majeure partie du 8 ‰ (plus de 80 %) est reversée à l’Église catholique. Le mécanisme est simple et se résume à un véritable tour de passe-passe.

La subtilité qui favorise l’Église catholique (qui attire moins de 35 % du choix global), c’est que ce qui n’est pas spécifiquement dédié doit rentrer dans les caisses publiques, mais est ristourné par l’État aux institutions bénéficiaires prévues par la loi au
pro rata de l’importance de ce qui leur a été dédié. C’est ainsi que 35 % se convertissent en plus de 80%.

L’Église catholique qui quadrille de sa propagande millénaire le territoire, qui investit les médias et qui manipule les contribuables les plus faibles en les « aidant » à remplir leurs déclarations d’impôt, tire une fois encore le gros lot. Et il est énorme : en 2016, environ un milliard d’euros.

Une étude publiée en 2007 montrait que les financements directs ou indirects de l’État et des pouvoirs locaux, la rétrocession à l’Église catholique de la majorité du 8 ‰ et les exemptions de taxes, les salaires des enseignants de religion catholique, le financement des « grands événements » (religieusement encadrés par l’Église catholique) se montaient au total à plus de 4 000 000 000 d’euros par an, soit pour ceux qui se souviennent des francs belges, la bagatelle de 160 milliards par an, soit un pont sur le Détroit de Messine chaque année, soit encore les dédommagements d’un ou deux tremblements de terre.

Et c’était il y a dix ans. Aujourd’hui, ce « budget » a dû plus que doubler ; on parle, en effet, de huit milliards en 2016.

L’Église catholique et l’occupation de l’Italie

Il est un fait qui est rarement noté par les observateurs, c’est la place « physique » de l’Église dans un pays.

Dans le cas de l’Italie, (chiffres de 2000), l’Église catholique y compte plus de 16 500 instituts religieux (comprenons établissements d’enseignement), 27 000 paroisses et environ 16 000 institutions de natures diverses. Il y a donc sur le territoire italien environ 60 000 lieux où l’Église catholique affirme sa présence.

En contrepartie, l’Italie se compose de 7 983 communes.

Que penser de la place de l’Église catholique, comme institution temporelle, physique, occupant ainsi le territoire ?

Tout simplement qu’elle a établi, au cours des siècles, un véritable quadrillage de la société, une toile parallèle à l’organisation administrative du pays, un réseau qu’elle fait financer par les fonds publics, y compris par les citoyens non-catholiques.

Dans les pays démocratiques, aucun parti politique n’a jamais disposé d’une telle imprégnation territoriale.

Sans compter le rôle d’agence de renseignement, de propagande et de persuasion psychologique et mentale que constitue le réseau des paroisses et la pratique un peu particulière de la confession.

Sans compter les crucifix dans les écoles et les lieux publics, les calvaires, les chapelles, les monuments, les cloches, les processions, les bénédictions, les pèlerinages et autres manifestations publiques.

Par ailleurs, un tel maillage et un tel harcèlement, opérés depuis des siècles, ne sont pas sans raison, ni sans effet.

Alors même que les paroisses sont désertées, il s’agit d’occuper le terrain pour saturer les esprits, d’éviter que les citoyens n’oublient les appels à la transcendance.

Les effets sur les gens

Quant aux effets, ils sont considérables pour tous les citoyens. Les conséquences financières colossales (sans compter le recel et l’accumulation de ce qui a été engrangé par le passé), la pression sociale discriminatoire – il y a toujours une église près de chez vous et si vous n’y allez pas au moins pour certaines cérémonies ou circonstances, vous êtes mis à l’écart de ce système communautaire, pointé du doigt et l’objet de toutes sortes de racontars. D’autant qu’en raison de votre mécréance, il y a peu de chance que l’Église catholique puisse capter votre héritage.

C’est une atmosphère étouffante à laquelle il est difficile de se soustraire. Mes biens chers frères…
Big Brother is watching you.

Bref, il y a là un monde orwellien, au plein sens du terme.

Trop, c’est trop !

Trop, c’est trop et pèse fort lourd en ces temps où le pays est en passe de sombrer.

De plus, ce détournement des finances publiques va à l’encontre de deux tendances de la société :

  • le fait que la société italienne s’est largement sécularisée – en français : laïcisée ;
  • le fait qu’en raison du phénomène de l’immigration (5 millions d’immigrés « en règle »), l’Italie devient un pays multiculturel, avec une présence non négligeable d’adeptes d’autres religions.

L’Italie divisée

Quand on examine le mouvement de sécularisation – la laïcisation de l’Italie et le fait que le public des paroisses se réduit au point que les églises ferment–, on peut se demander ce que ça recouvre.

Il y a là une Italie divisée avec d’une part, l’Italie institutionnelle, c’est-à-dire le monde politique et religieux (essentiellement la hiérarchie catholique), très attachée au maintien de l’ordre traditionnel et d’autre part, une Italie civile où les gens ne se reconnaissent plus dans les instances.

Cette confrontation dépasse la simple sécularisation « religieuse » et oppose la société civile en évolution (les gens, le commun, le peuple…) à la structure politico-religieuse, que les gens appellent le « système » ou la « caste ».

Pour contredire la propagande du « système », d’autres voies se sont ouvertes pour véhiculer l’information libre et pour animer la société civile. Ces voies de résistance se développent en dehors des médias « traditionnels » dans le champ culturel et social et sourdent par tous les canaux et sous toutes les formes possibles – associations, rencontres, concerts, groupes musicaux, chansons, théâtres, centres sociaux, radios libres, Internet (sites, blogs), articles, journaux, livres…

Les ingérences vaticanes

Quant aux ingérences vaticanes dans les affaires italiennes, le commentateur Carlo Troilo déclare : « la liste des “ingérences” serait malheureusement infinie ».

Cependant, on peut tirer une indication d’une aussi énorme pénétration catholique : l’Italie est une colonie vaticane, une sorte de province perdue qu’il convient de garder sous tutelle. Le commentateur précise :

Ces ingérences et la faiblesse de notre classe politique sont la cause première de l’arriération sur le plan des droits civils de notre pays, maillon noir de l’Europe. Il suffit de penser à l’effort inhumain qu’il a fallu faire pour arriver à mettre au jour une loi décente sur les unions civiles […], ou à la bataille qui commence seulement à présent au Parlement, non pour légaliser l’euthanasie – proposition renvoyée à une date indéterminée – mais pour obtenir au moins une loi sur le testament biologique.

Bergoglio, les mots et les faits

On ne peut nier que le pape Bergoglio fasse l’objet – et pas seulement en Italie – d’une perpétuelle séance de frotte-manche, de cirage de pompes et de laudations
ad hominem. C’est à qui lustrera le mieux le parquet où se pose la pantoufle. Au-delà de tous ces panégyriques et de ces dithyrambes, qu’y a-t-il vraiment ?

Reprenons l’erre de notre Virgile, alias Carlo Troilo.

Au début du pontificat, le pape argentin sembla apporter un air nouveau, déclarant sa ferme volonté de ramener de la moralité dans un Vatican secoué par les scandales et en assumant des positions courageuses sur les maux du monde, la misère, le drame des immigrés.Même sur les thèmes sensibles, Bergoglio semblait vouloir innover (son « qui suis-je pour juger ? », à propos des homosexuels).Le problème est que trop souvent le pape n’a pas la capacité de donner une suite concrète à ses annonces retentissantes.

Le discours utile

Il est une hypothèse plus crédible. Sachant que le pape est d’abord un homme d’État, il existe une possibilité logique conforme à la tradition ecclésiastique : celle du discours démagogique volontaire, du mensonge utile, de la parole de propagande.

Il y a derrière tout ça près de deux millénaires d’une expérience madrée et le fait qu’un pape est la figure de proue d’un vaisseau lancé à la conquête du monde des humains, à commencer par l’Italie, puisqu’il (et l’Église catholique) y demeure.

Le pape jésuite

Il convient ici de se souvenir que l’actuel Pontife est le premier pape jésuite et en tant que tel un combattant du Christ, formé à certaine gymnastique mentale et morale.

Ainsi, aux dires de notre commentateur italien :

Dans les rapports avec l’État italien, Bergoglio s’était engagé à ne pas intervenir en personne, mais ensuite, il laissa aux Cardinaux le soin de parler et d’attaquer avec force les lois non conformes. Et les Cardinaux ne se sont pas fait prier […]. Parfois, toutefois, le pape ne peut se retenir et « descend dans l’arène », condamnant sans appel l’avortement (et incitant à l’objection de conscience), les unions civiles, la théorie du « genre », qui aux dires du pape serait « une guerre mondiale pour détruire le mariage ».

Concernant le mariage et l’avortement, il y a lieu de poser quelques questions élémentaires : le pape est-il marié ? N’est-il pas meilleure manière de faire la guerre mondiale au mariage que le célibat volontaire ? Ou le célibat imposé ?

En Italie, l’Église catholique mène sans désemparer une campagne contre la loi (194) autorisant l’avortement, une loi votée il y a quarante ans. Activée en cela par le Vatican (qui est un État étranger), l’Église pousse les médecins et le personnel paramédical à refuser d’appliquer la loi italienne et vilipende les femmes que la vie a poussées à recourir à cet acte (dans le meilleur des cas) médical.

Cependant, aucun pape ne devra recourir à l’avortement. Retournons-lui sa question à ce pape : « Qui es-tu toi pour oser juger ? Et inciter les médecins à ne pas soigner ? ».

Pour conclure

Face à ce système orwellien, discriminatoire et oppressif, on se demande comment sortir de ce bourbier institutionnel et clérical et on ne peut conclure qu’à la nécessité de l’abrogation du Concordat et d’une profonde révision de la place de l’Église catholique ainsi qu’à la remise en cause et à la suppression des avantages discriminatoires qui lui sont accordés.

En somme, il s’agit de décoloniser l’Italie.

Alors, Garibaldi pourra enfin dormir tranquille.


Notes

  1. Marco Valdo M.I. – L’Athée et la Constitution ou la Trahison des Clercs en Italie – https://www.athees.net/lathee-et-la-constitution-ou-la-trahison-des-clercs-en-italie/ – 29 décembre 2016 – ABA – Lettre périodique – 2016. ↑
  2. Carlo Troilo, « Date a Cesare quel che è di Cesare. Per una revisione del Concordato ». (Rendez à César ce qui est à César. Pour une révision du Concordat), 14 février 2017, MicroMega, 2017. ↑
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Clovis Trouille, un athée iconoclaste

Posté le 1 mai 2017 Par ABA Publié dans Arts, Culture 1 Commentaire
Marco Valdo M.I.

Iconoclaste ?

Le bon vieux petit dictionnaire qui traîne sur nos tables définit l’iconoclaste de diverses manières.

Au sens étymologique, donc au sens premier, il s’agit simplement de quelqu’un qui détruit les images et les représentations figurées. Un enfant qui déchire une image, un prospectus publicitaire est au sens propre, un iconoclaste. C’est un iconoclaste simple ; telle est l’iconoclastie de fait.

Au sens second, notre bon vieux petit dictionnaire voit dans l’iconoclaste une personne qui proscrit ou détruit les images saintes et par extension : les œuvres d’art.

Au troisième sens, il découvre une personne qui est hostile aux traditions et cherche à les détruire et à les faire disparaître.

Jusque-là, nous suivrons notre petit dictionnaire du coin de table.

Cependant, notre petit dictionnaire est myope ; il ne voit pas plus loin que le bout de son nez et il est tellement pénétré des idées de la tradition qu’il n’a pas vu qu’on peut tout aussi bien être iconoclaste et en même temps, créer des images ou des représentants figurés. Il passe dès lors à côté du fait que cette création d’œuvres nouvelles, ou par extension, d’idées nouvelles, de conceptions nouvelles se fait en bousculant les choses établies et même, en détruisant, volontairement ou non, les traditions et que cette destruction peut même être son objectif.

On découvre ainsi une autre dimension de l’iconoclaste, une dimension positive puisque créatrice et au plein sens du terme, une dimension progressiste : l’iconoclaste est celui qui en créant du neuf montre les ruines et les usures de l’ancien. C’est le créateur iconoclaste.

À proprement parler, il ne détruit rien physiquement, il ne touche même pas aux choses anciennes ; il peut tout aussi bien les ignorer. L’iconoclastie du créateur, celle qui est née de la pensée et de la raison est d’une certaine manière, indirecte ; elle détruit par péremption, par usure de l’ancien. En clair, elle renvoie les idées et les croyances, les modes anciennes aux vieilles lunes et aux calendes grecques.

Alors, soit dit en passant, si l’on applique particulièrement l’iconoclastie aux dieux ou à Dieu (ce qui revient au même), on s’aperçoit que l’iconoclaste créateur – par l’acte de création qu’il pose – ignore ces phénomènes d’église et que l’iconoclastie créatrice est une forme d’athéisme.

En quelque sorte, il dit, généralement de façon implicite : « le roi est nu », « le pantalon est troué », « la parure tombe en loques », « le toit est percé », « la maison s’écroule », « la pomme est pourrie », et ainsi de suite.

Il dévoile la réalité.

Cet iconoclaste créateur de neuf est une dimension essentielle de l’art et singulièrement, de la peinture, mais pas seulement.

Nombre de créateurs – peintres (comme Clovis Trouille), sculpteurs, écrivains, musiciens, poètes, architectes, ingénieurs, astronomes, savants, chercheurs de toutes les disciplines et bien évidemment, philosophes s’y sont essayés.

C’est le cas de Clovis Trouille qui a passé sa vie à détruire l’art ambiant en créant des œuvres qu’on qualifiera sans aucune hésitation d’iconoclastes.

Ainsi, on peut gaillardement associer iconoclaste à peintre et l’ensemble constitué correspond assez à ce qu’on peut employer comme terme pour définir Clovis Trouille.

Qu’il fut athée et anticlérical, on ne pourrait en douter.

Toute sa peinture le conte et le montre et de façon qu’on dira expressive.

C’est ce que l’on va voir et illustrer d’une façon peut-être inhabituelle et déjà expérimentée ici avec une certaine réussite à propos d’un autre peintre, Carlo Levi. Nous allons soumettre le peintre Clovis Trouille à un interrogatoire circonstancié…

Bonjour Monsieur Trouille ! C’est bien votre nom, n’est-ce pas ? Je veux dire votre vrai nom, pas seulement un nom d’artiste. Sur vos papiers, vous vous nommez : Camille Clovis Trouille. Est-ce exact ?

Oui, oui, c’est exact. Mon nom est Trouille. Ça vous surprend ? Je me suis toujours appelé Trouille et mon prénom – enfin, celui qui m’est le plus souvent attribué, ce n’est pas Camille, qui est le premier prénom qu’on m’a donné à l’état civil, mais celui de Clovis, car ça amuse tout le monde.

On me demandait – à l’époque, j’habitais dans l’Aisne – si je ne fabriquais pas des vases à Soissons. C’était un peu éculé comme plaisanterie ; enfin, pour moi qui en étais l’objet et la cible à répétition et il m’a fallu l’admettre comme une sorte de parasite s’affairant autour de moi, mais elle n’était pas nécessairement cette ennuyeuse répétition pour celui qui me rencontrait pour la première fois. Je pense que c’était quand même un peu surprenant, un nom comme le mien.

Ça m’énervait qu’on m’appelle ainsi Clovis d’autant plus que cette histoire de vase m’a toujours parue suspecte et ce Clovis, un fieffé assassin et un opportuniste de première bourre, mais que voulez-vous on me l’a collé depuis l’enfance ce foutu prénom, et avec le temps, pourtant, je m’y suis fait. Il a bien fallu, n’est-ce pas ?

En somme, les gens se moquaient de vous à cause de votre patronyme. Comment ça se passait ? Racontez-nous un peu ça, voulez-vous ?

Au début, avant qu’on ne m’appelle communément Clovis, les gens souriaient en entendant mon nom et puis, le prénom qu’on me donnait, ils montraient un petit sourire en coin au simple fait d’entendre qu’un type pouvait s’appeler Camille Trouille. Camille, ça fait un peu fille et Trouille, je ne vous dis pas. Ils trouvaient ça drôle, ils se marraient et moi, j’étais gêné. Alors, Camille ou Clovis, j’étais toujours un peu moqué. Ça m’a dérangé jusqu’après la guerre, vous comprenez.

Là, après la guerre – de celle de ‘14, j’avais été appelé au service militaire en ‘12 et j’en suis sorti en ‘19 –, avec tout ce que j’avais vu pendant mes sept ans de service et les tranchées, je ne souriais plus et les gens non plus. On ne se marrait plus du tout, ni eux, ni moi. On en avait tant vu. Sept ans qu’ils m’avaient tenu militaire et je n’en parlerai pas, mais ça m’a dégoûté du monde.

On y reviendra. Dites-moi, votre profession ? Vous étiez peintre.

Après la guerre, quand on est revenu des grands massacres, il m’avait bien fallu trouver un boulot dans mes cordes. J’avais fait des études artistiques, j’avais un diplôme des Beaux-Arts.

Oui, j’étais peintre de métier, mais peintre de mannequins. C’est une profession un peu particulière. Peintre de mannequins, vous savez, on peint les mannequins de vitrine. D’habitude, ces porte-vêtements sont des silhouettes un peu ternes et certains commerces souhaitent les animer un peu. Moi, je leur donne des couleurs, un visage, un style, une mimique. Je les fais vivre, voyez-vous.

Je vais vous expliquer. Principalement, je suis peintre ; un vrai, un qui construit des images, des univers, un peintre maîtrisant les techniques de son art, que ce soit la couleur, la mise en scène, la perspective et un peintre qui a une manière propre de considérer la peinture.

Vous comprenez : la peinture est ma passion et de ce fait, je ne peux me résoudre à vendre mes toiles et même, j’ai du mal à les céder, même à des amis. Une toile, c’est un objet unique, une projection de soi, de son imagination. Pensez donc alors, de les vendre, il n’en est pas question.

Quand on est un artiste comme un peintre, on est tenu par sa passion, on ne peut presque pas s’en éloigner. Par ailleurs, il faut bien vivre. C’est un dilemme et pour nous, ce le fut plus encore après ces années perdues à la guerre.

C’est comme ça que j’ai trouvé cette étrange profession, où je pouvais perfectionner mes techniques et expérimenter de nouvelles approches. En somme, même dans mon travail rémunérateur, je ne perdais pas mon temps, ni la main, ni l’œil, ni la maîtrise des couleurs ou le souci des détails et vous savez combien la main, l’œil, la couleur, les détails sont précieux pour un peintre. Je m’exerçais, en quelque sorte.

Ajoutez à ça que pour moi, l’art ne peut faire l’objet de commerce ; un tableau, ce n’est pas une marchandise et moins encore, un objet de spéculation. Enfin, c’est comme ça que je vois les choses.

Je ne supporte pas l’idée d’un art au service de, d’un art à la botte, d’un artiste sous la houlette, d’un art servile. L’art servile, dans le meilleur des cas, c’est de l’artisanat. Il faut pourtant bien que l’artiste vive et fondamentalement, il ne sait rien faire d’autre, il ne veut rien faire d’autre sous peine de s’étouffer ; moi, comme je l’ai dit, j’ai cherché un métier en rapport avec mes études et mes aptitudes : j’étais peintre et j’ai donc peint des mannequins.

De quoi s’agit-il exactement : peindre des mannequins ?

Eh bien, grosso modo, un mannequin est une forme humaine, rien qu’une forme généralement destinée à présenter des vêtements. C’est assez épuré, rustique, schématique, étique même la plupart du temps, peu élaboré, incolore, insipide. Ça convient au tout venant des commerces, mais pour certaines boutiques, qui offrent des tenues plus raffinées ; pour celles-là, le mannequin nu, c’est insuffisant. Il y faut un air de vie, de la couleur, comme une peau vivante, des yeux avec des cils – à peine marqués mais bien noirs, et des cernes dans des tons ivoirins, des lèvres couleur de rose ou de coquelicot, des mouches, des points de beauté. On traitait surtout le visage. Parfois, on fait la manucure, on teint les ongles. Le reste, ce qui est sous les vêtements, on ne le voit pas et pourtant, il y a de quoi faire et de quoi donner à rêver. N’est-ce pas ?

Donc, comme artisan, vous peigniez des mannequins, des sortes de statues préfabriquées et standardisées, vous les personnalisiez et en faisiez de vrais personnages de vitrine. Comme peintre, comme artiste, que vous redeveniez dans votre temps libre, que faisiez-vous ?

Oui, la semaine à l’atelier à Paris, j’étais en effet, artisan-peintre de profession et dans mon temps libre, dans ce temps qui me restait pour la création, au moment où l’artisan redevenait l’artiste, à première vue, je faisais à peu près la même chose, sauf que je passais des trois dimensions du mannequin à l’univers bidimensionnel de la toile et bien évidemment, ça change tout. Je peignais des personnages, qui étaient mes marionnettes de la semaine, mais là ils prenaient, comme vous le voyez, une autre dimension. Ils s’étaient affranchis de leur statut d’esclaves du commerce, comment dire, libérés de leur rôle de prostitués aux exigences des clients commerciaux, pour atteindre à une sorte de dimension sociale, culturelle ou politique. Ils prenaient position dans le monde et dans l’histoire de la peinture ; ce qui était interdit aux mannequins serviles des vitrines. Ils se sont mis à dire des choses sur le monde ; un peu comme peut le faire le théâtre de Guignol quand il s’autonomise. Mes toiles racontent des mondes fantasmés et ces mondes, ce sont les miens, c’est l’univers mental dans lequel je peins et qui exprime un certain nombre de mes pensées ainsi transformées.

Une parenthèse, si vous me permettez. Je dis une parenthèse, mais c’est la vraie question : que voulez-vous que je fasse de Dieu – celui-là de la cathédrale ou un autre, peu importe – quand le créateur, c’est moi ?

Oui, oui, je le dis clairement : le créateur, c’est moi.

Dans mon monde, dans mes mondes, le créateur, c’est moi et vous dans le vôtre, si vous le voulez, dès le moment que vous créez.

Je suis comme un arbre, disons un prunier, je m’étends jusqu’aux limites de ma ramure, je produis des fleurs et des fruits et je me soucie comme d’une guigne qu’on me regarde ou qu’on trouve d’une quelconque utilité ce que je crée. Le monde, entendu comme la nature universelle, fait exactement la même chose ; nous sommes en syntonie.

De l’art pour l’art ?

Pas vraiment non plus. Non, vraiment, je ne fais pas de l’art pour l’art, je dirais plutôt que je fais de l’art pour moi. Boris Vian disait dans un joli petit poème, dont il avait le secret :

Tout a été dit cent fois
Et beaucoup mieux que par moi
Aussi quand j’écris ces vers
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez

Je pense que c’est un peu pareil pour ma peinture. Je citais Vian, mais justement, lui aussi avait une puissante horreur de la guerre et se gobergeait des militaires et des ecclésiastiques. Quant à la religion, à Dieu, à toutes ces badernes et à toutes ces balivernes, il s’en tamponnait le coquillard. Il dialoguait avec le monde des hommes et mieux encore, avec celui des femmes.

Et vous alors ? Votre dialogue avec le monde, ce sont vos tableaux ?

Eh bien, pour moi, c’est pareil : Dieu, dieux et tout ce bazar, je m’en tape. Tenez, pour moi, ce sont des mannequins, des marionnettes que des abuseurs agitent dans les théâtres des églises et en tous lieux similaires. Ce sont des boniments pour gruger les badauds.

Sans doute, je veux dire qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. Par exemple, j’avais commencé avec un certain succès comme peintre impressionniste, c’était peu après 1900, disons jusqu’à ce qu’on m’extraie de la vie civile et qu’on m’envoie à l’abattoir. J’avais quand même commencé à virer à la peinture provocante et érotique avec ce tableau de fête foraine, où les dames sont, comment dire, habillées-déshabillées ou habillées de déshabillés ; disons qu’elles montrent dans un bel emballage une bonne partie de ce que les dames de l’époque devaient cacher.

Revenu de la guerre, il ne m’était plus possible de ne pas exposer, dans mon langage et de façon explosive forcément – on sortait d’en prendre et tout le monde était un peu sourd – les accusations qu’on avait eu le temps de mûrir en regardant les autres mourir. On a dit alors que j’étais subversif, moi je veux bien ; j’imagine que c’est exact, mais pour ce qui est d’être antimilitariste et anticlérical, alors là, c’est sûr et certain. Il n’y a qu’à regarder mes toiles.

Monsieur Trouille, j’ai ici une citation que l’on vous attribue, elle dit : « J’ai toujours été contre l’imposture des religions. Est-ce en peignant la cathédrale d’Amiens que j’ai pris conscience de tout ce music-hall ?»

En effet, j’ai très bien pu dire ça. C’est assez dans mon style et puis, ça correspond tout à fait à la vérité, la cathédrale d’Amiens, j’en ai eu jusque-là et rien que de vous en parler, j’en ai la nausée.

Pourquoi, qu’est-ce qu’elle vous a fait la cathédrale d’Amiens, c’est quand même la plus grande cathédrale de France ? Dites, Monsieur Trouille, pouvez-vous l’expliquer ?

Pourquoi ? Pourquoi la cathédrale d’Amiens – oui, oui, la plus grande, mais n’en rajoutez pas s’il vous plaît ! – me révulse, mais c’est tout simple.

Quand vous faites les Beaux-Arts à Amiens, du moins vers 1900-1910, la cathédrale est un exercice imposé auquel on ne peut couper. De toute façon, à Amiens, de la cathédrale vous en avez plein les yeux, pour ne pas dire autre chose. C’est la cathédrale par-ci, la cathédrale par-là.

D’accord, c’est le grand monument local. Le grand monument ! Tenez, Boris Vian, dans une chanson qui a fait du bruit, racontait l’histoire de son oncle bricoleur qui avait désintégré les chefs des grands États, je vous cite le passage :

Et, quand la bombe a explosé
De tous ces personnages
Il n’en est rien resté

– une riche idée, soit dit en passant, on devrait la reprendre –

Et le pays reconnaissant
Lui fit immédiatement
Élever un monument.

À la suite de quoi donc, on lui avait élevé un monument. Donc, à propos de monument l’oncle disait en grommelant dans sa barbe :

Un monument ? Un monument ?
Mais qu’est-ce que vous voulez que je foute d’un monument ?

Moi, je vous dis tout de suite que je pense comme le tonton à Vian. Un monument pour un mort, je comprends, c’est encore une sorte de vie, mais moi, je suis vivant et après, après, je m’en fous.

D’ailleurs, mon tombeau, je me le fais moi-même de mon vivant. Croyez-moi, c’est très émouvant de voir les femmes en tenue légère qui viennent pleurer sur ma tombe.

Monsieur Trouille, je crains qu’on ne s’égare. Pouvez-vous revenir à la cathédrale, un instant ?

Ah oui, la cathédrale, un foutu monument, celle-là. Qu’est-ce qu’on a dû la dessiner : la façade, ses trois portes, la nef, le transept, les gargouilles, le labyrinthe et tout le saint-frusquin. Je vous la peindrais par cœur cette foutue cathédrale.

Puis un jour, stop ! Je me suis dit trop, c’est trop, j’en ai eu marre de toutes ces bondieuseries et j’ai peint le Christ d’Amiens – un tableau dans l’ensemble conforme aux normes académiques, à tout ce qu’on m’avait enseigné, un tableau de bonne facture, qui représentait l’intérieur de la cathédrale. Un tableau assez classique, si ce n’était un détail, mais un détail d’importance : le Christ. Je vous raconte l’affaire. Il vaut la peine et la visite ce tableau-là et si vous ne le connaissez pas, courez le voir, mon Christ, descendu de sa croix dans la cathédrale.

Descendu de sa croix ? Monsieur Trouille, expliquez-moi ça.

C’est tout simple. Habituellement, le Christ loge sur une croix en se tenant pendu par les bras, façon aviateur antique. Jarry disait que c’était plutôt un cycliste qui cyclait à l’envers, couché sur le dos. Moi, je penche pour l’aviateur dans les débuts, genre Icare, mais sur un cadre en bois posé à la verticale comme une fusée au décollage.

Donc, dans mon tableau, il y a la croix, mais sans le Christ, car il est descendu au milieu de la cathédrale comme il était habillé avec juste une petite liquette pour cacher sa…, je vous laisse trouver la rime, enfin, vous voyez ce que je veux dire et puis sur la tête, un drôle de bandana clouté, modèle pour masochiste.

Il est là, ce pauvre Christ, au milieu de la nef de la cathédrale et il se tient les côtes tant il rit, il rit, il rit.

C’est un Christ joyeux, pas du tout dans la douleur.

Il rit, car il vient de découvrir le monument qu’on a construit en son honneur. Il se marre de l’absurdité de la chose.

Après ça, aller dire que je ne suis pas anticlérical. Le propos du tableau est très clair : je me fous carrément de Dieu et de tout le saint bazar et le Christ aussi, apparemment.

S’il y en a qui disent que je suis un athée, ils ne se trompent pas. Ce n’est certes pas un mensonge, ni une exagération.

CQFD, vous êtes athée. Mais Monsieur Trouille, quand même, vous avez peint d’autres choses que ce Christ qui se marre dans la cathédrale.

Bien sûr, j’ai peint un cloître avec des nonnes qui fument, j’ai peint des religieuses qui montrent leurs jambes et plus encore. Vous voyez, j’ai marié les bonnes sœurs avec l’érotisme. C’est assez, comment dire ?… revigorant.

J’ai peint des généraux, des cardinaux, des poètes, la costaude de la Bastille, que sais-je encore ? Je ne peux pas tout vous montrer ici, mais cherchez un peu et vous trouverez.

Dans tout ce musée Trouille, vous trouverez un confessionnal, un Christ à l’heure de la pipe face à une bigoudène lippue, un zouave en pleine action d’encerclement d’une dame, Zeus et Léda, des moines lubriques, une séance d’Inquisition sadique (et même plusieurs), le Marquis de Sade avec un fouet à la main et une belle paire de fesses à disposition, mon enterrement.

Bref, toutes sortes de jolies scènes et puis, si vous permettez, je vous recommande particulièrement mon tableau Oh ! Calcutta ! Calcutta ! qui a traversé l’Atlantique et a fini par inspirer une comédie musicale là-bas aux USA.

Eh bien, merci Monsieur Trouille, nous vous savons athée à présent et je vais m’empresser d’aller zyeuter toutes ces merveilles.

Tags : anticléricalisme art athéisme Clovis Trouille peinture

La chanson athée de langue française.
Approche sociologique

Posté le 1 mai 2017 Par ABA Publié dans Arts, Culture Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Ô, que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil,
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
(Georges Brassens, Les Funérailles d’antan)

Dans un premier article (Newsletter n°14), on avait abordé les chansons athées que je qualifierais volontiers d’historiques et on concluait «  il en est d’autres ». Dans un deuxième article (Newsletter n°15), on en découvrait les sans dieu (dont quelques belges) et pour conclure, une énorme parodie de chanson de catéchisme. Voici venu maintenant le temps de la mort, de la vie, de la préhistoire et de la biologie. On conclura par la déclaration universelle de l’âne athée présageant d’une déclaration universelle des droits de l’homme, elle aussi «  intacte de dieu ».

Tout ce qui touche à la mort, aux tombes, aux enterrements est un autre domaine dans lequel découvrir l’absence de référence directe à Dieu, aux Dieux e tutti quanti.

Dès lors, on peut hardiment glisser parmi les chansons athées, Grand-père, de Georges Brassens (1957) et son enterrement qui va de guingois et l’amusante façon de traiter le ministre du culte, lorsqu’il officie devant le trou. Mais quand on a de la religion, on ne rigole ni avec les enterrements, ni avec la mort, ni avec le cul des ministres.

Avant même que le vicaire
Ait pu lâcher un cri,
Je lui bottai le cul au nom du Père,
Du Fils et du Saint-Esprit.
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre, (bis)
Ah ! c’est pas joli…
Ah ! c’est pas poli…
A une fesse qui dit merde à l’autre.
Bon papa,
Ne t’en fais pas !
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond.

Ou les Funérailles d’Antan (1958) du même Georges Brassens, où c’est l’approche-même du moment fatal et sans suite qui se fait sur un ton guilleret qui emporte au loin la considérable considération que les servants des offices apportent au passage vers les paradis où, s’il n’y en a qu’un, ils devront se faire à l’idée que c’est en copropriété partagée entre Dieux propriétaires – et ils sont nombreux à se partager les cadavres en goguette.

Dans ces Funérailles d’Antan et dans les leurs «  corbillards de nos grands-pères », il y a une manière de regarder la mort qui ignore tranquillement la sacralité de la chose et sent l’hérétique à plein nez.

Ô, que renaisse le temps des morts bouffis d’orgueil,
L’époque des m’as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil,
Où, quitte à tout dépenser jusqu’au dernier écu,
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul.
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul1.

Comme on peut le constater en comparant soigneusement les approches de la mort, la considération qui lui est portée, la terreur qu’elle inspire, on est loin des danses macabres et des sermons de Jacques-Bénigne Bossuet, l’«  Aigle de Meaux » et de son Madame se meurt, Madame est morte ! Voyez le ton lugubre et sinistre de l’oraison et pour le mécréant, immensément drôle, tellement c’est chargé :

Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris, partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le roi, la reine, Monsieur, toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré, et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : «  Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple, de douleur et d’étonnement. »

En fait et en réalité, le peuple s’en fout et n’a jamais vu ses mains tomber d’étonnement et de douleur. Cependant, un peu moins d’un siècle plus tard, ce sont les têtes qui tomberont d’étonnement et de douleur.

Pour bien comprendre le fond du débat, il suffit d’imaginer ce qu’un texte tel celui des Funérailles d’Antan aurait inspiré à un tribunal de l’Inquisition et in fine, où il aurait conduit son auteur.

Plutôt que d’avoir des obsèques manquant de fioritures,
J’aimerais mieux, tout compte fait, me passer de sépulture,
J’aimerais mieux mourir dans l’eau, dans le feu, n’importe où
Et même, à la grande rigueur, ne pas mourir du tout.

De plus, on n’errera pas en affirmant que «  ne pas mourir du tout » ne peut être qu’une pensée athée (à cet égard, j’invite à relire tout Bossuet ; et sans rire), sinon que feraient les croyants d’un au-delà ? De fait, la relation à la mort et à sa suite rituelle est un bon critère d’athéisme ; le mépris à l’égard de la Camarde et la dérision dans le rituel est une quasi-certitude d’athéisme, de rébellion ou de superbe dédain à l’égard des injonctions transcendantes. Les inquisiteurs de tous poils, de tous lieux, de tous temps, de toutes religions, l’ont bien compris qui regardent la mort avec componction.

Une autre manière d’athéisme est celle que l’on trouve dans la chanson de Jean Arnulf, intitulée Je ne suis le fils de personne (1976). On découvre là un texte de Serge Rezvani et on y voit une humanité nettement sans dieu, je dirais nécessairement sans dieu, car Dieu (les dieux, etc.) n’y a aucune place et aucune nécessité : une chanson athée sans nul doute. Son titre déjà : Fils de personne et son corollaire : encore moins, fils d’un dieu.

Reverrai-je encore les neiges,
Les feuilles mortes s’envoler ?
Laissez-moi me prendre au piège
Du doux plaisir d’exister.
Laissez-nous le temps d’aimer.
Je ne suis fils de personne.
Je ne suis d’aucun pays.
Je me réclame des hommes
Qui aiment la Terre comme un fruit,
Qui aiment la Terre comme un fruit2.

Dans une autre dimension athée, il y a les chansons qui renvoient à l’époque où Dieu n’existait pas encore, où il n’avait pas encore été inventé par l’homme. J’y distingue plusieurs manières. Celle du paléontologue ou du préhistorien et celui du biologiste.

Dans la première manière, j’ai repéré deux chansons résolument athées et de ce fait, résolument amusantes et décapantes de foi. Bref, il s’agit de chansons à la gloire de préadamites.

L’une est L’homme fossile (1968), dont l’auteur est Pierre Tisserand et l’interprète d’origine Serge Reggiani. Je n’ai fait place qu’à un extrait, mais on verra qu’il est nettement athée.

Voilà trois millions d’années que je dormais dans la tourbe
Quand un méchant coup de pioche me trancha net le col
[…]
Ils ont dit que je vivais jadis dans une grotte ;
Ils ont dit tellement de choses, tellement de trucs curieux :
Que j’étais couvert de poils et que je n’avais pas de culotte.

Un singe nu, en quelque sorte ! Et quand on sait le tollé que le singe nu, celui de Desmond Morris, ou l’absence de culotte chez les populations à évangéliser, ont suscité chez les religieux de tous poils… On ne pourrait s’y tromper, cette chanson-là est athée3.

Un peu plus récent, mais toujours d’avant l’invention des Entités extraterrestres, on trouve dans la chanson athée, l’athée Monsieur de Cro-Magnon, un personnage bien sympathique, celui qui incarne à lui tout seul les «  racines de l’Europe », celles d’avant la colonisation chrétienne.

C’était au temps de la préhistoire
Voici deux ou trois cent mille ans
Vint au monde un être bizarre
Proche parent de l’orang-outan
Debout sur ses pattes de derrière
Vêtu d’un slip en peau de bison
Il allait conquérir la terre
C’était l’homme de Cro-Magnon

et comme on le verra à la fin, un brin syndicaliste révolutionnaire sur les bords :

Trois cent mille ans après sur terre,
Comme nos ancêtres, nous admirons
Les monts, les bois et les rivières,
Mais s’il revenait quelle déception !
De nous voir suer six jours sur sept ;
Il dirait sans faire de détail :
Vraiment que nos descendants sont bêtes
D’avoir inventé le travail !4

Ici, j’insère un petit commentaire très dans le ton de la théorie de l’éducation permanente en soulignant combien cette chanson, née dans les Auberges de Jeunesse françaises, a contribué à l’éducation préhistorique et forcément prébiblique de jeunes (et moins jeunes) générations. Heureusement, on l’enseigne encore.

Venons-en à l’aspect biologique de la chanson athée et toujours, aucune trace de Dieu, des dieux ou de toute chose du genre. Cette fois, c’est à Ricet Barrier que l’on doit le texte qui retrace le parcours d’un spermatozoïde entre la sortie du pénis et son arrivée en vainqueur dans l’ovule, après avoir éliminé tous ses concurrents. Et sa conclusion athée et lumineuse : «  C’est la vie, c’est la vie ! »

Petit extrait :

Nous sommes trois cents millions, massés derrière la porte
Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser
Une seule idée en tête : la porte la porte la porte
Quand elle s’ouvrira, ce sera la ruée,
La vraie course à la mort, la tuerie sans passion.
Un seul gagnera, tous les autres mourront.
Même pas numérotés, seul un instinct nous guide,
On nous a baptisés les spermatozoïdes5

On ne pourrait ici parler de la chanson athée sans évoquer Le Semeur et son très athée dernier couplet :

Une aurore nouvelle
Se lève à l’horizon;
La science immortelle
Éclaire la raison.
Rome tremble et chancelle
Devant la Vérité;
Groupons-nous autour d’elle
Contre la papauté !

sans oublier sa suite habituelle «  À bas la Calotte ! » qui le ponctuait avec un certain entrain, précédée d’un «  Oui, nous irons chasser, ohé ! La Calotte ! »6

Et enfin, je ferai place ici à une chanson athée et qui se dit telle, dont je suis l’auteur sous la dictée savante de mon ami Lucien l’âne, venu directement de la plus haute Antiquité. Cette chanson, disons plutôt ce texte, est une déclaration destinée à remplacer la vieille déclaration des droits de l’homme, celle de 1948, trop anthropocentrée. Il s’agit de la Déclaration universelle des droits de l’âne7.

Petit extrait en guise de conclusion :

L’âne naît libre, égal et fraternel ;
Il rêve debout et ne croit pas au ciel.
Par sa nature, l’âne est porteur
De raison, de conscience et de bonheur.
[…]
Doué d’intelligence, de courage et de ténacité,
L’âne ne peut être empêché de penser,
De parler et de répandre ses idées.
Il ne peut être évangélisé. L’âne est athée8.


Notes

  1. On trouvera le reste à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=47776
  2. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49002
  3. Pour en savoir plus, voir : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=6357
  4. L’homme de Cro-Magnon, une chanson écrite et composée par Maurice Felbacq en 1946, peut se lire en entier à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=7817
  5. La chanson Les spermatozoïdes date de 1987 et on peut en prendre entière connaissance à l’adresse : http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=39887
  6. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=37216
  7. http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49337
  8. Pour prendre connaissance de cet impérissable document, voir http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=fr&id=49337
Tags : anticléricalisme athéisme chansons athées chants athées

Les Sans Dieu de la chanson athée de langue française

Posté le 29 décembre 2016 Par ABA Publié dans Anticléricalisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Il y a un demi-siècle déjà, en 1967, La Religion de Jacques Debronckart, commence ainsi…

Il m’a fallu des années, et c’est long,
Pour ôter de moi toute religion.
Ce que c’est quand même que les habitudes et la trouille,
Peur de déplaire à sa famille, peur déjà de supporter sa dernière heure1 

On reprendra également le Jésus Tango de Jean Yanne (1972), chanson parodique et à ce titre, d’une hérésie rigolarde, que l’on trouve dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Jean Yanne qui, à l’occasion de ce film, en a écrit quelques autres du même tonneau. Dans son cas, on est en présence de ce qu’on pourrait nommer l’athéisme par la dérision.

Dans les bras de Jésus
Maintenant tous les jours, je chante
Pour moi, la vie n’est plus méchante
Et de joie, je suis éperdue
Dans les bras de Jésus 
Ole !2  

Jacques Brel venait pourtant d’une famille et d’écoles bien-pensantes, dont il ne s’est détaché que progressivement. En fait, Brel n’est devenu Brel qu’en cassant cette coquille. Il en a retenu une sorte de hargne ironique, qui l’a amené à tracer des portraits sans inutiles circonvolutions et d’une méticuleuse précision. On découvre avec ce « ciel qui n’existe pas » un athéisme sans appel dans ce petit chef-d’œuvre quasiment pictural que sont Les Bigotes (1962).

Puis elles meurent à petits pas
À petit feu, en petit tas
Les bigotes
Qui cimetièrent à petits pas
Au petit jour d’un petit froid
De bigotes
Et dans le ciel qui n’existe pas
Les anges font vite un paradis pour elles
Une auréole et deux bouts d’ailes
Et elles s’envolent… à petits pas
De bigotes3.

Plus contemporain, je retiendrai un groupe belge dont le nom lui-même aurait dû mettre la puce à l’oreille pour peu qu’on y prête attention. Voyez ce que peut bien vouloir dire « Vaya con Dios », ce qu’on pourrait traduire par « Dégage avec Dieu », « Va te faire voir ! » ; cette signification apparaît plus pertinente encore quand on voit leur chanson : Comme on est venu (2009 et au Théâtre Varia), dont voici un extrait :

Pour moi, ne dites pas de messe !
Le ciel et ses promesses
Ne me concernent pas,
L’enfer est ici-bas.
Gardez vos prophéties,
Sinistres litanies,
Votre prosélytisme,
Vos schismes, vos catéchismes !
Gardez vos apostolats,
Vos califes et vos mollahs,
Vos cierges, vos menorahs,
Vos professions de foi
Opus déistes, djihadistes,
Baptistes, messianistes !
Gardez vos impostures !
Il n’y a qu’une seule chose dont on soit sûr :
Comme on est venu…
On repartira…4

Nulle trace de Dieux, de Dieu dans le Chant des Partisans, qui se situe pourtant dans un domaine où il est très fréquemment fait appel à l’intervention divine. J’en tiens pour preuves les Gott mit uns, Dieu le veut et In God, we trust!, sans omettre les invocations à d’autres divinités (songeons à Pierre Dac au temps où il était fakir et résumait la chose : Brahma la guerre et Vichnou la paix) et à d’autres fadaises criminelles. En voici un bel un extrait :

Excusez-nous, Sa Sérénité est en proie aux divinités contraires de l’Inde : 
Brahma et Vichnou. Brahma la guerre et Vichnou la paix.
(Le Sar Rabindranath Duval, 1957)5

Un grand moment athée ! L’athéisme est un grand moment d’humour.

Mais revenons au Chant des Partisans et à la Liberté, qui est une dimension particulièrement et seulement humaine, comme disaient Prévert et à sa suite, Vaneigem, « intacte de Dieu ». Qu’est-ce que la liberté pourrait avoir à faire d’un ou de plusieurs dieux ? Strictement rien. La liberté par essence est athée. La seule supposition de Dieu la mutile ; pour exister, elle se doit d’être intacte de tout pouvoir et a fortiori, d’un pouvoir surhumain.

Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe.
Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.
Demain du sang noir séchera au grand soleil sur les routes.
Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute.

Cette expression « intact de Dieu » pour désigner le « sans dieu », l’avant-Dieu, l’antérieur à l’idée-même de Dieu, l’homme tel qu’en lui-même, me suggère l’idée du statut de l’athée dans les sociétés sous domination religieuse, dans les sociétés « atteintes de Dieu ». Dans de telles sociétés et quels que soient les dieux de référence, le statut de l’athée est un statut d’intouché (par un dieu) et d’intouchable.

Il est d’autres manières de chansons « athées ». Par exemple, on en trouve chez Georges Brassens dans sa chanson au titre en soi révélateur et revendicatif, intitulée Le Mécréant (1960), dans laquelle il tord le cou (gentiment) au philosophe parieur (pas rieur ?) de Clermont-Ferrand.

Est-il en notre temps rien de plus odieux,
De plus désespérant, que de ne pas croire en Dieu ?
Je voudrais avoir la foi, la foi de mon charbonnier,
Qui est heureux comme un pape et con comme un panier.

Mon voisin du dessus, un certain Blaise Pascal,
M’a gentiment donné ce conseil amical :
" Mettez-vous à genoux, priez et implorez,
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez "
[…]
Si l’Éternel existe, en fin de compte, il voit
Que je ne me conduis guère plus mal que si j’avais la foi6.

On pourrait plonger plus avant dans l’univers de Georges Brassens et trouver d’autres chansons aux relents hérétiques.

Mais avant de reprendre cette exploration, il convient de préciser une chose essentielle : nous cherchons ici la chanson athée et peu importe, en l’occurrence, les convictions ou les croyances du chanteur ou de l’auteur.

Une chanson athée est ce qui a été dit précédemment, mais c’est aussi plus simplement une chanson sans dieu – ce qui je le rappelle est la définition de la notion représentée par le mot « athée ». C’est un usage simple du rasoir d’Ockham. Cette application de la définition d’« a-thée » est fort bénéfique ; un monde sans dieu est évidement et par définition, athée et vu ainsi, le monde de la chanson athée est immense. En somme, tout est athée, sauf ce qui ne l’est pas et en matière de chanson, c’est bien peu de choses.

Par exemple, Le Coquelicot, plus exactement : Comme un Petit Coquelicot, chanson de Raymond Asso (1951), interprétée par Marcel Mouloudji, est en ce sens une chanson parfaitement athée. Pourtant les circonstances décrites, un meurtre, un malheur, une lamentation – si elle avait été conçue comme un attitu sarde – auraient sans doute imposé de faire référence à Dieu, implorer la Vierge, les saints, etc. Ici, on ne trouve strictement rien du genre. Une banale histoire d’amour et de mort ; une tristesse profonde, du sentiment tant qu’on en déborde, mais pas de traces de Dieu.

Un petit extrait pour la route :

Et le lendemain, quand je l’ai revue,
Elle dormait, à moitié nue,
Dans la lumière de l’été,
Au beau milieu du champ de blé.
Mais, sur le corsage blanc,
Juste à la place du cœur,
Il y avait trois gouttes de sang,
Juste comme une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Un tout petit coquelicot7.

Ainsi, si Les Trois Cloches (Jean Villard, dit Gilles – 1939) n’étaient en aucun cas une chanson athée, mais bien une chanson de sociologie paysanne, tout comme La Paimpolaise (1895), plus marine.

Quant à Jésus reviens (1988) de Florence Quentin, Étienne Chatiliez et Gérard Kawczynski, si l’on veut bien se souvenir qu’il s’agit d’une parodie de chanson religieuse, on découvre une chanson athée et anticléricale, sauf évidemment si on en reste au premier degré – le degré de la récupération imbécile, car au premier degré elle a tous les airs d’une rengaine de catéchumène8.

Pour la bonne bouche, je vous en cite un extrait, mais toute la chanson est du même ciboire.

Quand il reviendra, il fera grand jour (il fera grand jour)
Pour fêter celui qui inventa l’amour (qui inventa l’amour)
Au fond d’une étable, il naquit de Marie
Personne n’avait voulu de lui

(Refrain)
Jésus reviens, Jé-ésus reviens !
Jésus reviens parmi les tiens !
Du haut de la croix, indique-nous le chemin !
Toi qui le connais si bien.

Notes

  1. Pour le reste, voir : antiwarsongs.
  2. Voir : antiwarsongs.
  3. Pour voir, entendre et lire : antiwarsongs.
  4. Pour la version intégrale, voir : antiwarsongs.
  5. On en trouve une très belle version sur YouTube.
  6. On trouvera ce Mécréant en entier dans les Chansons contre la Guerre.
  7. On peut la retrouver intégralement dans les chansons contre la Guerre : Pour faire plus ample connaissance avec le texte et entendre la chanson, voir : antiwarsongs.
  8. Pour s’en assurer, il convient de jeter un coup d’œil par ici.
Tags : anticléricalisme athéisme chansons athées chants athées

La chanson athée de langue française – Les évidentes

Posté le 9 novembre 2016 Par ABA Publié dans Anticléricalisme Laisser un commentaire
Marco Valdo M.I.

Dans un moment d’aberration distraite, avec une inconsciente légèreté, un peu rassuré quand même par les nombreuses chansons que j’avais parcourues ces dernières années en donnant un coup de main aux amis des « Canzoni contro la Guerra » – « Chansons contre la Guerre » (site multilingue – on y trouve des dizaines de milliers de textes de chansons en cent langues ou plus – trois portails d’entrée : italien, anglais, français ; voir antiwarsongs.org), j’avais proposé un article sur « la chanson athée ». J’avais d’ailleurs présenté ici une première approche en citant quelques chansons italiennes que j’avais classées dans la catégorie « Athée ». J’étais donc sûr d’en trouver, j’en connaissais l’une ou l’autre.

Mais la chanson athée m’a très rapidement fait le coup de la fille de Londres :

J’en étais là de mes pensées
J’ai senti sa main sur mes yeux
Tout comme un truc miraculeux
Et la dame s’est en allée.

(L’Inconnue de Londres – Léo Ferré, 1948)

Les évidentes

J’en étais là de mes recherches et je distinguais bien immédiatement l’une ou l’autre chanson athée de langue française : c’étaient les évidentes, on y reviendra ; j’en donnerai l’un ou l’autre exemple.

Mais les autres ? Quelles autres ? Se posait à moi la question primordiale (mais un peu tard) : à partir de quand une chanson peut être qualifiée de chanson athée ?

Par parenthèse, et il convient d’urgence de l’ouvrir, il m’est alors venu à l’esprit que résoudre la question pour la chanson revient à disposer d’un critère pour apprécier les textes, les discours, les livres, les attitudes, les gens ; bref, on avait un critère à usage universel de ce qui dans le monde pourrait être rangé sous l’appellation contrôlée, sous le qualificatif d’athée. Cela seul valait de poursuivre mes efforts d’identification de l’athée – non pas la personne (je ne suis pas inquisiteur), mais le phénomène, la chose elle-même, mais en restant dans le domaine de la chanson.

Pourquoi la chanson ? D’abord, car c’est mon domaine de prédilection et un domaine assez anecdotique pour ne pas avoir été trop fréquenté par des armées de chercheurs, une terra incognita ou presque. Ça ouvre des horizons. Et puis, la chanson a bien d’autres avantages, au nombre desquels celui de se glisser partout dans le monde, disons dans toutes les langues, dans toutes les aires culturelles, jusque dans les prisons et les camps de concentration. D’un autre côté, la chanson est un formidable véhicule de pensées ou d’opinion, très souple, très fluide… Elle naît partout, elle passe partout. Elle fut et elle reste une superbe voie pour dire les choses, spécialement les choses qui dérangent l’ordre établi quand les autres voies sont sous contrôle ou carrément interdites.

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

Dès lors, me disais-je, on devrait trouver aussi des chansons athées, partout, dans toutes les aires culturelles, jusque dans les prisons et les camps de concentration.

Quoique ! Il reste à définir ce que peut bien être une chanson athée en présupposant résolue la question de la chanson elle-même.

Pour bien cerner la chose, commençons par définir la chanson. La chanson est tout texte écrit ou composé pour être entendu, scandé, dit, susurré, murmuré, hurlé… La chanson, canzone commence avec les aèdes, avec les peintures orales ou écrites et musicalisées par l’agencement des syllabes. L’Iliade et l’Odyssée sont des chansons, tout comme la Chanson de Roland, la Chanson des fileuses, le Chant des Canuts, le Chant du départ, la Bonne Chanson… La chanson courte que l’on connaît actuellement est liée au commerce du disque et aux impératifs des moyens de diffusion sonores de masse ; c’est une limitation triste. Donc et en tout cas, la chanson n’est pas uniquement le produit pré-emballé qu’on nous sert à grands coups de trompe sous son nom. On ne peut cependant oublier qu’elle l’est aussi, évidemment.

Cela posé, revenons à la chanson et à la chanson athée.

Une chanson athée ? Est-ce à dire une chanson qui proclame nettement son athéisme ou l’inexistence des dieux, de Dieu, l’insanité des prophéties et des prophètes, la bêtise des religions, et ainsi de suite ? Là, on est dans la catégorie des évidences.

Par exemple, le Ni Dieu, ni maître de Léo Ferré (1965) est une de ces chansons athées dont l’évidence ne peut être mise en doute. Pour preuve en voici le texte – du moins, deux extraits (pour le reste et les versions en langues étrangères – voir ici).

Ceux que la société rejette
Sous prétexte qu’ils n’ont peut-être
Ni dieu ni maître

(On pense ici par exemple au Chevalier de la Barre, on pense à nos amis athées des pays à majorité musulmane, on pense à l’Italie – Giordano Bruno –, au curé Meslier, s’il n’avait eu la prudence d’être mort avant de divulguer son athéisme à ses paroissiens et au monde. Ou plus récemment, au juge Tosti ou à tous ceux qui souffrent là-bas en Italie de l’ostracisme qui dans la vie quotidienne frappe les athées depuis l’école primaire et même dès la naissance – si les parents ne les ont pas fait baptiser et même avant la naissance, s’ils ont le malheur d’un handicap grave et qu’on – objection de conscience oblige – n’a pas voulu les avorter, ceux qui vivent dans une ambiance de Katolikistan.)

Ce cri qui n’a pas de rosette,
Cette parole de prophète,
Je la revendique et je vous souhaite :
Ni dieu ni maître,
Ni dieu ni maître !

Une autre chanson d’évidence athée – traduite et très connue dans le monde entier (à l’heure où j’écris, les « Chansons contre la Guerre » en recensent 267 versions en 112 langues) – est sans aucun doute possible l’œuvre qu’Eugène Edmée Pottier écrivit en 1871 et connue sous son titre originel : L’Internationale).

En premier lieu, on notera l’appel à la raison comme mode de pensée et de transformation du monde. Il faut évidemment comprendre – autre évidence – que la raison exclut un être suprême de quelque forme ou sorte, un être, une entité hors de l’humaine nation. L’Internationale dit nettement :

Debout, les damnés de la terre,
Debout, les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foules, esclaves, debout, debout !
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout !

Et pour confirmer et préciser cela, Pottier dit un peu plus avant dans sa chanson :

C’est la lutte finale,
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale
Sera le genre humain

Nulle trace de dieux, de Dieu ; seul le genre humain subsistera. C’est clair et athée : le genre humain ne sera humain que du jour où il sera athée. Comprenons bien ce que cela signifie : Dieu est une invention humaine qui réduit l’homme à une créature, née d’une entité improbable – je rappelle le sens premier d’improbable, qui n’est pas d’être incertain, mais bien clairement, d’être improuvable – ; l’être humain devient lui-même (accède à son humanité pleine et entière) à partir du jour où il se débarrasse de cette entité métaphorique pour se reconnaître lui-même.

Certains diront que dans L’Internationale, il s’agit du seul genre humain, mais il n’est pas explicitement fait mention d’une exclusion de dieu, de dieux… Voire !

Les deux vers qui suivent marquent encore plus précisément ce que Pottier entend :

Il n’est pas de sauveurs suprêmes :
Ni Dieu, ni César, ni tribun

C’est clair, cette Internationale-là dit aussi : ni Dieu, ni maître.

Qu’on ait voulu la châtrer ou la châtier, c’est tout comme, qu’on ait tenté de la réduire à autre chose que ce qu’elle était, qu’on ait voulu cacher cette affirmation d’athéisme pour des objectifs vaguement tactiques ou électoraux, qu’on l’ait réduite à un chant de parti par exemple et qu’au passage, on ait cru bon d’oublier cette injonction fondamentale : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu… », c’est possible, mais pour ce faire, il a fallu la caviarder.

Je le répète avec force : assurément voilà bien une chanson qui proclame nettement son athéisme – un athéisme considéré comme le rejet de toute référence à un ou à des dieux (entités diverses) et concomitamment, le rejet de toute intrusion divine dans les affaires humaines. C’est une chanson dont on peut affirmer qu’elle prend nettement position. Une chanson dont l’auteur exprime nettement son athéisme. Bref, une chanson athée.

Pour confirmer, s’il est besoin, on relira du même Pottier, la chanson intitulée : Leur bon dieu (1884), laquelle commence ainsi :

Dieu jaloux, sombre turlutaine,
Cauchemar d’enfants hébétés,
Il est temps, vieux croquemitaine,
De te dire tes vérités.
Le Ciel, l’Enfer : fables vieillottes,
Font sourire un libre penseur.
Bon dieu des bigotes,
Tu n’es qu’un farceur.

et se poursuit ainsi :

Tu nous fis enseigner par Rome
En face du disque vermeil,
Que Josué, foi d’astronome,
Un jour arrêta le soleil.
Ton monde, en six jours tu le bâcles,
Ô tout-puissant Ignorantin.
Bon dieu des miracles,
Tu n’es qu’un crétin.

On aimerait en entendre encore aujourd’hui d’aussi nettes. Pour la version complète, voir Leur bon Dieu dans les « Chansons contre la Guerre ».

De la même veine et sur le même air que L’Internationale, on trouve L’Anticléricale (1865) de Marius Réty, que comme on le voit, elle précède et annonce ; et à mon sens, elle en est même la source. On en trouvera le texte complet là et dont voici le refrain :

C’est la chute fatale,
De Dieu sous la Raison !
Et l’Anticléricale
Sera notre oraison !

Mais il en est d’autres sortes…

Tags : anticléricalisme athéisme chansons athées chants athées

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